Cet article a pour sujet les critiques formulées par les Églises de maison à l'égard des Églises historiques au sujet des pasteurs, de la théologie, de la notion d'Église, de la sensibilité à l'égard du Saint-Esprit et de la foi.

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Églises historiques - Cinq points faibles Dialogue avec les Églises de maisons

  1. La personne et le ministère des pasteurs
  2. La théologie
  3. La notion même d’Église
  4. La sensibilité à l’égard du Saint-Esprit
  5. La dimension de la foi
  6. Conclusion

Il est important d’avoir des ennemis (Jésus en a eu), car ils connaissent assez bien nos points faibles et nos défauts, et ils peuvent nous aider à les découvrir. Il ne faut pas croire tout ce que peuvent dire nos ennemis, car le mensonge peut fort bien se trouver mêlé à la vérité; cependant, nous pouvons leur dire merci quand ils nous renseignent sur ce qui ne va pas chez nous.

Les chrétiens qui se réunissent dans des « Églises de maisons » ne sont pas tous des ennemis, loin de là. Beaucoup sont des frères et sœurs précieux dans la foi, et dès lors que la communication est possible (ce n’est pas toujours le cas), il y a beaucoup à apprendre à leur contact. Si la communication est possible, il est probable qu’eux aussi apprendront en écoutant les chrétiens qui sont membres d’Églises qui existent depuis plus de 100 ou 200 ans. Ils seront peut-être amenés à réfléchir sur les écueils qui les guettent, je pense notamment aux dérives séparatiste, mystique ou perfectionniste qui causent d’assez graves dégâts.

Mais pour l’heure, ce sont nos propres écueils qu’il s’agit d’entendre, en les écoutant. Il y en a beaucoup et nous n’allons pas les recenser tous ici. Retenons-en quelques-uns en essayant d’éviter l’autoflagellation et les excuses faciles. L’analyse proposée sera juste ébauchée.

1. La personne et le ministère des pasteurs🔗

Parmi les critiques les plus courantes se trouvent celles qui concernent la personne et le ministère des pasteurs. Ce seul point, pour des raisons très diverses, suffit à justifier le regard désapprobateur de nombreux chrétiens partisans des Églises de maisons. Ils y voient la reproduction de la figure centrale du prêtre qui confisque à son profit ce qui revient normalement à l’ensemble des fidèles. Cela, disent-ils, fait des chrétiens de simples auditeurs à qui on confie éventuellement des tâches subalternes. Cela explique, selon eux, que la maturité des chrétiens soit relativement faible et n’évolue pas.

a. Ce qui est juste🔗

Il est vrai que la personne du pasteur, dans bien des cas, occupe une place centrale qui peut poser un problème. Le reproche de reproduire le modèle clérical peut être entendu. La survivance du modèle concordataire1 est malheureusement perceptible en maint endroit. Ailleurs, le modèle associatif fait du pasteur le permanent salarié de l’Église entouré d’une équipe d’administrateurs, ce qui n’est guère mieux. Le pasteur, doué ou pas, fidèle ou pas, plus ou moins omniprésent, plus ou moins épuisé, peut finir par boucher l’horizon de l’Église, reléguant le Seigneur quelque part au-delà.

b. Ce qui ne l’est pas🔗

Le pasteur peut devenir un obstacle, mais ce n’est pas nécessairement le cas. On pourrait mentionner un très grand nombre de cas, dans le passé et actuellement, où le ministère du pasteur est fécond et favorise la croissance de l’Église, en nombre et en maturité. Il y a donc une mauvaise, une médiocre et une bonne manière de vivre le ministère pastoral au sein d’une Église locale.

c. Ce que l’on doit (se) rappeler🔗

Le ministère pastoral (et les ministères institués d’une manière plus générale) est biblique. Ces ministères sont donnés à l’Église par le Seigneur lui-même (Ép 4.8,11), et qui les méprise méprise celui qui les a donnés. La manière peut donc être critiquée, mais pas le principe.

L’appellation « ministère pastoral » désigne souvent les ministères de la Parole (Ép 4.11) qui sont des ministères de direction spirituelle. Tant qu’ils sont fidèles, ces ministères détiennent une autorité légitime.

« Obéissez à vos conducteurs et ayez pour eux de la déférence, car ils veillent sur vos âmes comme devant en rendre compte; qu’il en soit ainsi, afin qu’ils le fassent avec joie, et non en gémissant, ce qui ne vous serait d’aucuns avantage » (Hé 13.17).

Ces ministères œuvrent de manière collégiale. Le terme « ancien » est toujours au pluriel. Si l’un a prééminence sur les autres (1 Tm 5.20; Tt 1.5-6,13), c’est de manière temporaire (situation pionnière) et pas de manière absolue.

Ces ministères ont pour objectifs principaux l’édification de l’Église, sa croissance dans l’unité et l’équipement de chaque chrétien en vue de son propre ministère (Ép 4.11-16). Dans cette optique, ils désignent constamment la personne du Seigneur Jésus comme celui de qui, par qui est pour qui sont toutes choses.

Aux Églises historiques de réformer ce qui doit l’être.

2. La théologie🔗

Avec la critique du pasteur se trouve celle de la théologie. Le pasteur a fait des études de théologie : soit il a perdu la foi, soit sa foi est enfoncée dans des concepts de nature académique, universitaire. Il a un diplôme, mais depuis quand un diplôme « fait-il » un serviteur de Dieu?

a. Ce qui est juste🔗

Il est vrai qu’on peut se demander si le modèle universitaire est le meilleur pour former des serviteurs de Dieu. Il est vrai que la théologie peut se nourrir des sciences humaines au point d’utiliser la Parole écrite de Dieu sans la servir. Il est vrai que cela peut nourrir un langage théorique, abscons, des ministères éloignés des besoins des fidèles.

b. Ce qui ne l’est pas🔗

Ces dérives sont possibles, mais pas inévitables. Les réformateurs du 16siècle ont démontré que l’on peut étudier l’Écriture avec soin et de manière systématique tout en lui demeurant soumis. L’absence de théologie, tout comme la mauvaise théologie, expose à toutes les dérives.

c. Ce que l’on doit (se) rappeler🔗

L’Écriture, y compris après la Pentecôte, demeure le fondement solide de la foi (Lc 24.27, 45-47; Ac 18.28; Ép 2.20; 2 Tm 3.16; 2 Pi 1.20-21). Elle n’est pas seulement le support d’une exhortation, mais aussi celui d’un enseignement (Mt 22.33; Ac 2.42; 5.28; 20.27; Rm 12.7; 16.17). Cela suppose son unité et sa cohérence autour de thèmes principaux qui doivent être reconnus comme tels et qui vont éclairer l’ensemble. Ce travail est difficile, mais nécessaire (1 Tm 4.13, 16; 5.17; Tt 2.7).

Une phrase de Jean Calvin montre cette nécessité : « Toutes les doctrines de l’Écriture sont importantes, mais toutes ne sont pas aussi importantes. » En d’autres termes, un enseignement sur un point donné peut être juste et cependant ouvrir la voie à une hérésie s’il ne respecte pas l’équilibre de l’Écriture tout entière.

3. La notion même d’Église🔗

Une autre critique concerne la notion même d’Église. L’Église est devenue une institution, disent les chrétiens attachés aux Églises de maisons, organisée pour fonctionner quoiqu’il arrive : si Jésus s’en retire, personne ne s’en rendra compte! Elle est inféodée à un bâtiment qu’on appelle temple ou église, à une dénomination qui voile l’horizon de l’Église universelle… Elle ressemble plus ou moins à une coquille vide où on accomplit ses devoirs religieux, ses bonnes œuvres, ou encore à un club où on se retrouve entre amis pour se faire du bien. On est trop nombreux, on ne se connaît pas. En dehors des réunions, il ne reste souvent pas grand-chose.

a. Ce qui est juste🔗

Tout cela doit être entendu, car nous y reconnaissons une part de la réalité, un risque permanent. Merci de nous le rappeler! Ce qui est grave, c’est que cela fait de l’ombre à l’Évangile qui est en quelque sorte voilé aux yeux de ceux qui cherchent; cela ne permet pas l’édification des croyants en tant que membres d’un corps dont Christ est la tête; cela ne glorifie pas le Seigneur, car une telle Église se sert elle-même et non pas le Seigneur.

b. Ce qui ne l’est pas🔗

Il n’est pas exclu que certaines Églises ou dénominations, traditionnelles ou libérales, cumulent toutes ces dérives. Peut-on encore, dans ces cas, parler d’Églises? Mais repérer un risque et même un défaut — et même plusieurs défauts — ne justifie pas que l’on dénie à une Église le nom d’Église. Il en est d’une Église comme d’une personne : elle peut être en difficulté et ne pas s’en réjouir2. Par ailleurs, il n’est pas juste de dire qu’il ne se vit rien de fraternel au sein des Églises.

c. Ce que l’on doit (se) rappeler🔗

L’apôtre Paul a rendu grâce pour l’Église de Corinthe avant de lui adresser de nombreux reproches (1 Co 1.4).

Je cite Jean Calvin :

« Partout où la prédication de l’Évangile est écoutée avec respect et où les sacrements ne sont pas négligés, là apparaît pour un temps une réalité de l’Église dont on ne peut douter et dont il n’est pas permis de mépriser l’autorité, les avertissements ou les conseils. Ainsi, bien qu’elle soit affaiblie de plusieurs défauts, nous devons la considérer comme Église tant que nous y constatons un pur ministère de la Parole et une pure manière d’administrer les sacrements. »3

Dans de nombreuses Églises, des groupes de quartiers permettent de vivre la dimension fraternelle avec la participation de chacun, ce qui est très important.

4. La sensibilité à l’égard du Saint-Esprit🔗

Une quatrième critique concerne la sensibilité à l’égard du Saint-Esprit. Les Églises historiques, disent volontiers les chrétiens dans les Églises de maisons, se réfèrent à Dieu, connaissent à peu près Jésus-Christ, mais ignorent presque complètement ce qui touche la personne et l’œuvre du Saint-Esprit. Peu de vie, peu de joie, peu de témoignages, une louange étriquée…

a. Ce qui est juste🔗

Ce constat, une fois encore, est juste jusqu’à un certain point. Le Symbole des apôtres lui-même n’est-il pas très concis concernant le Saint-Esprit? C’est peut-être révélateur, et ce n’est donc pas nouveau. Parler du Saint-Esprit est une chose, mais y être sensible… C’est avec raison que l’Imitation de Jésus-Christ (début du 15siècle) dit dans sa première leçon : « Il vaut mieux plaire au Saint-Esprit que d’en connaître la définition. » Mais l’esprit rationnel conçoit mal cela.

b. Ce qui ne l’est pas🔗

Les chrétiens qui disent que les autres ne connaissent pas le Saint-Esprit associent généralement sa présence et son action à deux ou trois manifestations extérieures caractéristiques. Ses manifestations — qui d’ailleurs peuvent s’imiter — ne prouvent en réalité pas grand-chose. Mieux vaudrait ne pas trop se fier aux apparences (És 53.3), et éviter d’attribuer au Saint-Esprit ce qui relève souvent de l’émotion (Mt 7.21). Tel paraît sombre, mais une joie profonde habite son cœur…

c. Ce que l’on doit (se) rappeler🔗

Les chrétiens qui disent que les autres ne connaissent pas le Saint-Esprit font généralement une autre erreur. Ils oublient que le Saint-Esprit est l’agent de la régénération, de la foi et de la vie nouvelle (Rm 5.5). En d’autres termes, il s’agit moins d’en parler que de le laisser agir. Ce sont les fruits de sa présence et de son action qui devront paraître aux yeux de tous (Ga 5.22), plus que telle ou telle manière de s’exprimer. Garder les commandements du Seigneur et aimer les frères dans la foi (1 Jn 3.23-24) est une manière plus sûre d’attester l’action de l’Esprit.

5. La dimension de la foi🔗

Une cinquième critique touche la dimension de la foi. Les chrétiens qui fréquentent les Églises de maisons citent volontiers cette parole de Jésus : « Trouverai-je la foi sur la terre? » (Lc 18.8). La foi des chrétiens des Églises classiques se borne, selon eux, à une certaine pratique religieuse, à l’adhésion à quelques rudiments de catéchisme et à quelques valeurs morales, à la pratique de bonnes œuvres. L’attente de l’action présente du Seigneur est très atténuée, notamment pour ce qui concerne les miracles et la guérison.

a. Ce qui est juste🔗

Il est bien vrai qu’une foi qui ne se renouvelle pas finit par s’étioler, par s’assoupir. Qui dira que cela ne le concerne pas, ne concerne pas son Église? Le plus ennuyeux, c’est quand on ne s’en rend plus compte. Cela est notamment regrettable pour ce qui concerne l’accueil des personnes en recherche et des nouveaux convertis qui ont besoin de voir la foi en action, et pas seulement d’en entendre parler.

b. Ce qui ne l’est pas🔗

Tout ce qui brille n’est pas de l’or. Il n’est pas juste d’associer la foi à quelques manifestations extraordinaires et d’évaluer celle des autres à cette mesure-là. La patience peut être un signe de foi, tout autant que d’imposer les mains à un malade. On pourrait dire la même chose de la constance, de la persévérance. Il en est de la foi comme de l’amour et comme du Saint-Esprit : c’est le cœur qui est concerné en premier, pas la bouche (1 Jn 3.18).

c. Ce que l’on doit (se) rappeler🔗

Quand la Bible parle de la foi, elle se focalise beaucoup plus sur sa justesse que sur sa quantité. Un peu de foi, « comme un grain de sénevé » (Mt 17.20), c’est déjà la foi; et beaucoup de foi « qui transporte les montagnes » (1 Co 13.2) peut consister en peu de chose4. Mieux vaut croire un peu quelque chose de juste que croire de toutes ses forces quelque chose d’équivoque. La foi est donnée par Dieu : elle ne consiste nullement en une prouesse. Il est vrai qu’il nous revient de l’exercer, tout comme l’amour et la joie, mais le risque « d’y ajouter quelque chose » est malheureusement grand. Cela est particulièrement vrai pour ce qui est des miracles et des guérisons. Le désir d’en voir peut conduire à des actions inconsidérées et parfois ruineuses.

Faut-il pour cela les exclure? Non, mais le don vient de Dieu (1 Co 12.9-10) : à nous seulement de ne pas le laisser en jachère.

6. Conclusion🔗

Étant membre d’une Église « historique », il me revenait de formuler les critiques que ces Églises feraient bien d’entendre, dans la dynamique de la poutre et de la paille.

Je pourrais aussi parler des critiques que devraient entendre les chrétiens des Églises de maisons (il y en a cent sortes différentes), mais il me semble préférable qu’un d’eux le fasse, comme je viens de le faire à grands traits5.

Une fois ce travail effectué, il me semble assez évident qu’un dialogue fructueux permettrait de s’enrichir mutuellement; pas seulement de s’enrichir, mais de démontrer la cause commune, et aussi la vérité de ce principe organique :

« Qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient également soin les uns des autres. Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui; si un membre est honoré, tous se réjouissent avec lui. Vous êtes le corps de Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part » (1 Co 12.25-26).

L’enjeu véritable n’est donc pas notre bien-être, mais la démonstration que Christ est vivant aujourd’hui dans et au travers de son Église. De cela découle la nécessité de « marcher d’une manière digne de la vocation qui nous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience, nous supportant les uns les autres avec amour, nous efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix » (Ép 4.2-3). Ce sera, pour tous ceux à qui cela sera donné de le voir, la démonstration qu’il y a bien « un seul corps, un seul Esprit, comme aussi nous avons été appelés à une seule espérance par notre vocation. Il y a un seul Seigneur, une seule foi! » (Ép 4.4-5).

Notes

1. Pour garantir l’égalité entre les cultes et pour exercer sur eux une forme de contrôle, Napoléon établit avec les Églises un Concordat en 1801. Prêtres et pasteurs sont salariés par l’État. Les responsables des Églises sont choisis parmi les notables.

2. Jean Calvin écrit ceci : « L’Église romaine n’a pas complètement perdu le titre d’Église, car l’Évangile n’y est pas complètement absent. » Cette phrase est à la fois très dure et pleine de mansuétude. Calvin ne dit pas que c’est bien ainsi, mais il laisse entendre que chacun doit d’abord veiller sur soi-même, et qu’il est redoutable de combattre là où Dieu peut encore agir dans sa grâce.

3. Jean Calvin : « Il pourra y avoir certains défauts dans la doctrine ou dans la façon d’administrer les sacrements qui pourtant ne devront pas nous détacher de la communion de l’Église, car tous les articles de la doctrine de Dieu ne sont pas d’une même sorte. Il y en a dont la connaissance est tellement nécessaire que nul n’en doit douter. […] Il y en a d’autres qui sont discutés entre les Églises et néanmoins ne rompent pas leur unité. Il est donc vrai, bien que nous soyons appelés à nous accorder en tout, et puisque nous sommes tous sujets à une part d’ignorance, qu’il faudra pardonner et accepter la communion de l’Église tant que les imperfections toucheront des points qui ne sont pas nécessaires à notre salut ou qui ne mettent pas en danger la transmission de la foi. […] Quant à l’imperfection de la conduite, nous devons bien plus en supporter, car il est facile de trébucher à cet endroit. Puisque, bien qu’elle soit sainte (Ép 5.26), le Seigneur prononce que son Église sera sujette à misère jusqu’au jour du jugement, c’est en vain que certains la cherchent pure et nette. […] Il y a toujours eu des personnes qui ont fait croire qu’elles avaient une sainteté parfaite comme si elles eussent été des anges du paradis, et qui sont arrivées à mépriser la compagnie des autres qu’elles jugeaient trop faibles. »

4. Le dialogue de Jésus et de Pierre (Mt 16.15-23) révèle fort bien la différence entre la foi qui vient de Dieu et la foi qui vient de l’homme.

5. Il est évident que chacun des points évoqués dans ces pages mériterait un plus long développement.