Cet article a pour sujet l'héritage spirituel que les croyants décédés ont légué durant l'histoire (paroles et exemples) à garder et transmettre à chaque nouvelle génération, en communion dans une même foi et une même espérance.

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L’œcuménicité qui traverse les siècles

Le thème des croyants décédés en ayant laissé un héritage de foi est courant dans le Nouveau Testament : il se réfère en particulier aux apôtres que Jésus a envoyés pour annoncer l’Évangile. Il s’agit à la fois de leurs paroles et de l’exemple qu’ils ont laissés. Dans bien des cas, cela signifie qu’ils n’ont pas hésité à renoncer à leur propre vie pour la cause de celui qu’ils considéraient comme leur Roi et Sauveur, Jésus-Christ. Qu’on pense par exemple au disciple Jacques, le frère de l’évangéliste Jean, mis à mort vers l’an 44 de notre ère par le roi Hérode Agrippa 1 (Ac 12).

Quelle est donc la place aujourd’hui, dans la vie des croyants, de ceux qui les ont précédés dans la foi et de l’exemple qu’ils leur ont laissé? Dans la lettre aux Hébreux, l’auteur conclut par ces mots un long passage sur les témoins de la foi, depuis Abel, tué par son frère Caïn :

« C’est pourquoi, nous aussi qui sommes entourés d’une telle foule de témoins, débarrassons-nous de tout fardeau, et du péché qui nous cerne si facilement de tous côtés, et courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée. Gardons les yeux fixés sur Jésus, qui nous a ouvert le chemin de la foi et qui la porte à la perfection » (Hé 12.1-2).

Le chapitre 11, portant sur les héros de la foi dans l’Ancien Testament, a eu pour but de fortifier les lecteurs dans l’ancrage de leur foi et de leur espérance en Jésus-Christ. Du reste déjà dans l’Ancien Testament, le peuple d’Israël se voit à maintes reprises enjoint de prêter attention aux paroles qui ont été prononcées dans le passé par un chef spirituel, en particulier Moïse.

Dieu rassemble pour lui un peuple au cours des siècles. À travers l’histoire, il adresse sa parole à un peuple particulier, Israël. Ensuite, à un moment de l’histoire humaine qu’il a déterminé de toute éternité, il envoie dans une chair semblable à celle des humains son Fils éternel, qui appartient lui aussi au peuple d’Israël puisqu’il est descendant du roi David. À travers l’histoire de l’Église, en commençant par les apôtres, Dieu envoie des messagers, des serviteurs, des conducteurs spirituels à son peuple. Dans son plan de salut, il existe une continuité pour les hommes, et cette continuité doit être saisie, gardée et retransmise par chaque génération de croyants. Paul écrit à Timothé : « Et ce que tu as entendu de moi, confie-le à des hommes fidèles, qui soient capables de l’enseigner aussi à d’autres » (2 Tm 2.2).

C’est dans le même sens que l’auteur de l’épître aux Hébreux exhorte ses lecteurs comme suit : « Souvenez-vous de vos anciens conducteurs qui vous ont annoncé la Parole de Dieu; considérez l’issue de leur vie et imitez leur foi » (Hé 13.7). Les croyants d’aujourd’hui vivent donc dans une communion fraternelle avec ceux du passé, dans un véritable lien œcuménique, et pas seulement avec la génération présente des autres croyants répandus dans le monde.

Dans le même ordre d’idées, la promesse faite tout à la fin du Nouveau Testament, au livre de l’Apocalypse est une reprise de celle qui et déjà révélée au prophète Daniel dans l’Ancien Testament (Dn 7.7) et comprend tous ceux que Dieu s’est choisis et acquis pour lui :

« Le royaume, la domination et la grandeur de tous les royaumes qui sont sous le ciel seront donnés au peuple des saints du Très-Haut. Son royaume est un royaume éternel, et tous les dominateurs le serviront et lui obéiront » (Ap 22.5).

Cette promesse indique qu’un jour tous les croyants seront réunis dans le royaume éternel de Dieu et gouverneront la terre avec le Chef de la nouvelle création.

Quel enseignement en tirer pour la vie quotidienne dans la foi? Très souvent l’on cherche à oublier l’héritage précieux du passé, comme s’il n’avait aucune importance. On se soucie tant du présent et du futur qu’on pense que les générations passées n’ont rien à nous transmettre. Il en va dans l’Église comme dans le reste d’une société volontairement amnésique, qui enfouit la mémoire de son histoire, celle qui l’a pourtant façonnée. C’est le syndrome de la « génération spontanée » si typique du postmodernisme contemporain. Ou bien encore, cette mémoire est déformée, elle est incapable de replacer dans une perspective équilibrée les éléments qu’elle retient. Elle peut être aussi très sélective…

Si l’on considère les grands textes que l’Église a produits et qui expriment sa foi, ils nous viennent de très loin dans l’histoire. Ainsi le Symbole dit des apôtres, qui est utilisé comme confession de foi commune par l’ensemble des chrétiens de par le monde, date du premier millénaire après Jésus-Christ. Le fait qu’il soit une confession de foi exprimée universellement encore aujourd’hui montre bien que l’héritage de nos conducteurs dans la foi a de l’importance, même si nous ne savons pas dans le détail qui sont ceux qui l’ont rédigé — il s’est constitué petit à petit, à partir d’une confession commune de base des chrétiens primitifs. Que de trésors, que de pierres précieuses dans l’héritage des « hommes fidèles qui ont été capables d’enseigner aussi à d’autres » le message apostolique. L’ignorer volontairement serait faire preuve d’orgueil spirituel, car c’est le Seigneur qui envoie à chaque génération les uns et les autres pour annoncer et maintenir le dépôt, « la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes » (Jude 1.3). Il s’est servi et continue à se servir d’eux. Et il continuera de le faire jusqu’à la fin des temps.

Il faut se souvenir que l’Église, qui est le corps spirituel du Christ, est composée de toutes les générations de croyants depuis le premier couple humain. Or, ce corps, qui grandit à travers les siècles, au fur et à mesure que s’y ajoutent de nouvelles générations de croyants, vit de la même et unique source : celui qui est sa Tête, Jésus-Christ! La promesse originelle adressée au premier couple humain, selon laquelle leur ennemi serait un jour totalement défait, sa tête étant écrasée par la descendance de la femme, cette promesse est adressée à toutes les générations de croyants, y compris la génération présente. Le combat contre le serpent dure toujours, même si nous savons qu’au moment de la crucifixion de Jésus à Golgotha, il a été mortellement blessé, puisque Dieu y a opéré le salut de ses élus par le sacrifice volontaire de son Fils unique. Il y a donc unité de toutes les générations de croyants dans la même foi et dans la même espérance, celle du salut provenant exclusivement de Dieu, de sa grâce. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à l’apôtre Paul, au quatrième chapitre de sa lettre aux Éphésiens :

« Il y a un seul corps et un seul Esprit; de même Dieu vous a appelés à une seule espérance lorsqu’il vous a fait venir à lui. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous qui règne sur tous qui agit par tous et qui est en tous » (Ép 4.4-5).

Notre ancrage dans la foi chrétienne est donc caractérisé par notre participation à un même corps, auquel ceux qui nous ont précédés dans la foi appartiennent eux aussi.

De plus, ce qui a été dit au verset 7 du chapitre 13 de la lettre aux Hébreux (« souvenez-vous de vos anciens conducteurs qui vous ont annoncé la Parole de Dieu; considérez l’issue de leur vie et imitez leur foi ») repose sur un fondement qui ne devrait jamais être oublié et qui est énoncé au verset suivant : « Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui et pour toujours » (Hé 13.8). Jésus-Christ ne change pas selon les circonstances historiques, les modes, les idéologies du moment. Il demeure le même pour toute éternité. Exposer fidèlement ce qui concerne son œuvre et sa personne, ce n’est donc pas (en tout cas, cela ne devrait jamais être) prétendre y ajouter quoi que ce soit, comme si cette œuvre avait besoin d’être complétée par des hommes et qu’elle n’était pas parfaite en elle-même. C’est simplement la faire connaître, mettre en lumière sa signification, sa portée et son application pour la vie des croyants.

C’est en lui que sont sauvées toutes les générations de croyants du passé depuis Adam et Ève, c’est en lui qu’elles sont unies en un même corps vivant. Il arrive souvent aujourd’hui qu’on tente de reconstruire une image de Jésus qui est plus une figure mythique que le Jésus des Évangiles (ce dernier étant le seul du reste qui soit véritablement attesté dans l’histoire, que cela plaise ou non) : figure mythique en ce sens qu’elle est une image déformée pour être adaptée aux idées du moment. On entend souvent dire qu’il faut adapter le message de l’Évangile à chaque contexte, à chaque situation, pour le rendre plus vivant, plus actuel. Mais l’Écriture sainte, la Parole vivante de Dieu, n’a pas à être adaptée, elle doit simplement être appliquée avec discernement à chaque contexte, afin d’apporter la lumière de l’Évangile sur chaque situation particulière.

Dans cette optique, les croyants ont beaucoup à apprendre de l’exemple qu’ont laissé les générations passées de chrétiens qui ont été fidèles à la Parole divine. Comment ont-ils vécu l’Évangile, comment ont-ils persévéré, à quel genre d’épreuves ont-ils été soumis? Bien sûr aussi, quelles fautes ou erreurs ont-ils commises qui ne devraient pas être répétées? Déjà ici, le Nouveau Testament révèle des lignes de fracture, des errements coupables, tout en les exposant pour ce qu’ils sont, en y apportant toute la clarté nécessaire. Qu’on se remémore simplement ce qu’écrit Paul au second chapitre de sa lettre aux Galates, lorsqu’il est question de l’hypocrisie qui s’est emparée de l’apôtre Pierre et de Barnabas par rapport au « parti des circoncis » (Ga 2.11-14). Un croyant prétendant fonder sa foi sur l’Écriture sainte imaginerait-il un instant pouvoir se dispenser de l’enseignement vital des deux lettres de Pierre dans le Nouveau Testament et de l’exemple de sa foi, à cause de ce regrettable épisode? En déchirerait-il les pages, car elles proviennent, après tout, de quelqu’un qui s’est révélé être d’abord un renégat par rapport à Jésus-Christ, puis un hypocrite lors de l’épisode d’Antioche avec Paul?

Tous ces exemples, cette foi vivante des morts, permettent de se situer dans la continuité de la ligne que Dieu trace pour le peuple de son alliance, et dans l’unité de son plan de salut à travers chaque chaînon. Car ce plan de salut trouve sa source et son but uniquement dans la personne de Jésus-Christ qui et le même hier, aujourd’hui et pour toujours.