Cet article sur Actes 4.12 a pour sujet le salut offert par Dieu, qui n'est ni évasion du monde ni résignation, mais qui accorde le pardon des péchés, la libération de la culpabilité, la transformation de nos vies et le don de la vie éternelle.

Source: Le salut et la conversion. 5 pages.

Actes 4 - Notre salut

« Le salut ne se trouve en aucun autre; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés. »

Actes 4.12

Au cœur de la proclamation chrétienne est plantée l’affirmation essentielle de notre salut. Déjà dans l’Ancien Testament Dieu est le Sauveur; lors de l’Exode, le Seigneur Dieu a, par un acte puissant, libéré son peuple. Dans le Nouveau Testament, l’Évangile est de nouveau « la puissance de Dieu pour le salut » (Rm 1.16).

Nous, chrétiens, croyons que Jésus est notre Sauveur, qu’il fait de nous ses disciples. La doctrine du salut occupe une place primordiale dans les pages du Nouveau Testament. Notre foi, notre discours sur elle, ainsi que notre action concrète, sont tous fonction de la certitude que nous sommes bénéficiaires du salut achevé, total, offert par Dieu.

Le christianisme n’est pas une philosophie morale ni un système de connaissance à la manière d’une secte gnostique; il n’est pas davantage une religion de mystères, accessible aux seuls initiés. Mais à son centre et dès l’abord, nous y entendons la magnifique et irremplaçable déclaration de saint Pierre devant le Sanhédrin juif : « Le salut ne se trouve en aucun autre; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4.12). Le prénom même de Jésus ne signifie-t-il pas Sauveur? Car, dit l’ange à Joseph en annonçant la naissance du Fils de David et du Fils de Dieu : « C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1.21).

On me fera remarquer que la proclamation du salut n’est pas un discours spécifiquement chrétien, et que l’idée du salut n’est pas le monopole du christianisme. Elle est présente dans nombre d’autres religions et systèmes religieux. Toutes les religions sont, plus ou moins nettement, des systèmes élaborés autour de ce thème. Pourtant, je persiste à maintenir que la proclamation chrétienne n’a pas de parenté avec aucune théorie religieuse, classique ou moderne.

Les sociologues de la religion ont rangé la plupart des religions en deux grandes catégories :

1. Celles qui jugent le monde mauvais, le condamnent et préconisent une évasion dans un au-delà, comme le bouddhisme et le brahmanisme, qui demandent à leurs adeptes de se détacher du monde, de fuir tout ce qui est matériel, de renoncer à toute activité pour s’adonner à la contemplation et pénétrer dans la sphère du spirituel.

2. Celles qui, au contraire, voient dans le monde l’émanation de la volonté divine, l’expression de son être; elles estiment que tout ce qui existe et tout ce qui arrive est voulu de Dieu, donc que c’est bon. Elles enseignent qu’il faut accepter l’ordre cosmique et les événements de l’histoire comme naturels, et demandent à l’homme de se mettre en harmonie avec ce qui l’entoure; c’est ce que font les religions de la Chine ancienne, le stoïcisme et surtout l’islam; « mektoub », c’est écrit, il faut se plier…

Pour les religions de la première catégorie, le salut signifie sortir du monde (par l’ascèse, par la séparation monacale, etc.); pour celles de la seconde catégorie, le salut est conformité au monde, et il faut vivre en accord avec lui.

Or, le message de l’Évangile contient une affirmation radicalement différente. Ni évasion ni soumission, mais l’annonce que Dieu opère une transformation, ici et maintenant, dans le monde comme dans les vies individuelles. Il rend toutes choses nouvelles. Il opère de telle manière que tout homme peut éprouver et bénéficier d’une dynamique de changement social et cosmique, personnelle et familiale. Toutes les autres religions sont enchaînées par une logique statique. L’Évangile ne nous invite pas à sortir du monde; il ne nous demande pas de nous y conformer servilement, résignés comme des victimes soumises; il nous invite, au contraire, à une merveilleuse transformation, et même à participer activement à la grandiose et irremplaçable transformation opérée par Dieu.

Une telle perspective nous pousse déjà à respecter, ici et maintenant, la personne humaine, ainsi que l’ordre créature, la nature et le cosmos, c’est-à-dire l’univers crée par Dieu. Ce principe découle directement de l’originalité de l’Évangile; il n’est pas l’énoncé d’un système philosophique ni de la moderne frénésie écologiste, pas plus que de sentiments simplement humanitaires.

Les religions qui méprisent le monde, création de Dieu, méprisent aussi la personne humaine et finissent même par la détruire. La vie comme le monde sont perçus uniquement comme malheur et déchéance; en revanche, les religions qui pensent que le monde tel qu’il existe est un fidèle reflet de la volonté de Dieu sont amenées à accepter passivement la souffrance, la mort, ainsi que toutes les forces négatives qui sont à l’œuvre dans le monde.

Seule la foi chrétienne permet un véritable respect et de la vie et de la personne humaine. Elle sait qu’aussi bien le monde, en tant que création, et l’homme en tant que créature sont aimés par Dieu, sauvés et restaurés par lui à travers son Fils. C’est pourquoi il est impossible au chrétien de les mépriser et de les rejeter; c’est pourquoi il s’en préoccupe et s’en occupe activement. Ils sont aimés et sauvés pour être transformés. La foi chrétienne n’accepte pas la part de mal et de mort dans le monde ou dans la vie du croyant.

Reconnaissons que nous avons ici une conception dynamique aux antipodes de toute résignation, de tout fatalisme, de toute évasion. L’Évangile ne nous détourne pas des réalités concrètes de l’existence; il ne nous pousse pas à tout accepter; au contraire, il nous pousse à travailler; il fait de nous des agents et des ouvriers du Royaume de Dieu.

De quoi suis-je sauvé, me demandez-vous? Ai-je même véritablement besoin d’un salut qui me viendrait en dehors de moi-même?

En premier lieu, je voudrais vous rappeler l’expérience classique de la détresse perçue comme culpabilité. Nous sommes impurs, fautifs, indignes; nous avons perdu l’innocence et nous en souffrons, même si vous avez la prétention et l’arrogance vaine de me contredire. Albert Camus, un agnostique, a eu le courage de l’admettre; lisez ou relisez La Chute, le célèbre ouvrage qui lui valut le prix Nobel. C’est un aveu bouleversant et dramatique de la faute de la part d’un penseur honnête, qui n’arrive pas à se défaire de ce sentiment de culpabilité.

Or le salut nous est annoncé et doit être reçu comme le pardon offert et accordé par Dieu. Jésus nous sauve de notre péché : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde », déclare Jean-Baptiste en apercevant Jésus pour la première fois (Jn 1.29). Ce sentiment de culpabilité a été, depuis toujours, très vif au sein de l’humanité, et les générations qui nous ont précédés l’ont ressenti comme une poignante détresse. Autrement, comment expliquer les innombrables rites sacrificiels de tant de religions de l’antiquité?

Et même actuellement, et avec raison, la pensée du jugement dernier et de l’enfer est devenue, pour nombre de nos contemporains, une hantise. Au cours du Moyen Âge, on l’exprima dans d’admirables et hallucinants tableaux. On s’imposa une vie d’austérité et de renoncement, on multiplia les bonnes œuvres, avec lesquelles on espérait obtenir l’indulgence divine. Mais en vain… Ce fut devant cette angoisse que la Réforme évangélique du 16e siècle claironna haut et fort le salut par la foi; elle redécouvrit la vieille affirmation biblique : « le juste vivra par la foi » (Rm 1.17), sans les mérites des bonnes actions… En effet, Jésus sauve le pécheur, pardonne la faute, efface le sentiment redoutable de notre culpabilité. Je suis aimé et accepté par Dieu tel que je suis. « Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ » (Rm 8.1).

Ce message a apporté au cours du 16e siècle, et continue à apporter, une véritable libération. Il se pourrait que le sentiment de culpabilité se soit actuellement déplacé sur un autre terrain, qu’il soit ressenti comme la présence d’une force obscure, inexplicable, inexprimable, terrifiante… Pourtant, il est là, il n’est pas caduc. Vous le savez si vous prenez le temps de vous interroger honnêtement, de vous analyser scrupuleusement. Et vous ne faites pas d’exception. Nous sommes tous frappés par une mesure plus ou moins grande du sentiment de la faute. Et c’est pour nous que le Fils de Dieu s’est incarné, afin de nous apporter la délivrance.

Deuxièmement, notre misère humaine prend aussi une autre forme. Je veux parler de la peur de la mort, de la crainte du néant. Tout homme a toujours eu une conscience aiguë du caractère fragile et éphémère de son existence. Aujourd’hui, il sait que l’humanité dans son ensemble est menacée par l’épuisement des ressources naturelles de la terre, par l’accroissement de la pollution. Certaines activités pacifiques se révèlent parfois plus dangereuses encore que les guerres, et la perspective d’une annihilation totale se profile à l’horizon. Elle est déjà à l’œuvre dans bien des parties du globe. De cette menace de mort résultent une angoisse et une révolte qui ont été extraordinairement exprimées par de nombreuses œuvres d’art, dans les domaines de la peinture ou de la sculpture, de la poésie ou de la littérature. L’angoisse qu’expriment tant d’œuvres d’art modernes tenaille notre monde et torture nos âmes.

Et c’est précisément dans une telle situation que l’Évangile déclare la défaite de la mort. « Ô mort, où est ta victoire, ô mort, où est ton aiguillon? » (1 Co 15.55). Le salut annoncé ici est le don de la vie éternelle, la résurrection même de notre chair mortelle. L’Évangile affirme que nous ne sommes pas destinés au néant, mais qu’un avenir nous est promis. L’affirmation de la victoire sur la mort, le message de Pâques, retentit comme une délivrance et un appel à lutter contre toutes les puissances destructrices. Ce n’est plus seulement le Crucifié portant nos péchés, mais le Ressuscité, le Christ vainqueur de la tombe, le Seigneur qui rassure nos cœurs troublés; « parce que je vis, vous vivrez aussi » (Jn 14.19).

Troisièmement, l’expérience de la détresse est celle du non-sens, de l’absurde. C’est là aussi l’un des problèmes majeurs de notre époque, et ici encore la littérature, notamment existentialiste, le théâtre, Ionesco ou Camus, Ernest Hemingway avec Le Vieil Homme et la Mer, ou Franz Kafka dans son roman Le Procès l’ont mis en évidence, surtout depuis la fin de la dernière guerre mondiale. L’homme cherche le sens et ne le trouve pas. « Qu’ai-je fait? », s’interroge Joseph K dans Le Procès, de Franz Kafka; pourquoi? de quoi suis-je accusé? L’homme moderne sait moins encore que son ancêtre pourquoi il vit, et le monde où il vit lui apparaît dépourvu de rime et de raison.

Le monde est une histoire folle racontée par un fou, disait déjà au 16e siècle William Shakespeare. Ce sentiment est encore accentué aujourd’hui par l’effondrement des valeurs morales et religieuses traditionnelles que rien, pour le moment, ne vient remplacer. Il en résulte un vide; nous avons l’impression d’un monde complètement déboussolé, un monde brisé où on ne sait plus à quoi se raccrocher, où il est devenu impossible de trouver une route sûre. Nous n’avons jamais eu, en tout cas en Occident, autant de richesses et de moyens, et jamais la vie n’a paru aussi plate, aussi insensée, aussi ennuyeuse. « Optimisme technologique, désespoir littéraire », a dit un penseur chinois moderne. Cette absence de significations explique la révolte des jeunes, leur envie de tout casser, le malaise des adultes, la lassitude résignée des autres… L’Évangile, pourtant, répond à cette situation comme aux précédentes. Il trace une direction, offre une orientation à notre vie, nous ouvre le chemin. « Je suis la voie, la vérité et la vie », disait précisément Jésus-Christ (Jn 14.6). Et il promettait :

« Quand sera venu le Consolateur que je vous enverrai de la part du Père, l’Esprit de vérité qui provient du Père, il rendra témoignage de moi. » (Jn 15 .26). « C’est lui qui vous guidera dans toute la vérité » (Jn 16.13).

L’Esprit de Dieu nous rend sensibles à cette possibilité inouïe, il illumine nos intelligences et réoriente nos pensées vers la source de vie, vers le seul chemin, vers l’unique vérité salvatrice qui soit révélée.

Enfin, citons une expérience de détresse actuelle, bien qu’elle ne date pas d’aujourd’hui. Je veux parier de l’aliénation sociale, politique et économique des modernes. Nous savons, nous autres occidentaux — et ceux du Tiers-Monde le savent encore plus que nous —, que nous sommes pris dans un système politique, social et économique qui nous assujettit, nous domine et même nous écrase; nous ne sommes plus maîtres de notre destinée. Nous sommes forcés de nous plier, de nous conformer, et aucune chance de vivre autrement ne nous est donnée. Nous ne sommes que les petits rouages d’une immense machine de production et de consommation; nous avons le sentiment d’être volés, exploités, réduits à une sorte d’esclavage, victimes d’une organisation implacable nous dépouillant de notre qualité d’êtres humains. Mais là aussi l’Évangile répond admirablement. Dieu est le Libérateur. Celui qui a arraché Israël de l’aliénation égyptienne est le même Dieu qui peut nous arracher à la servitude existentielle moderne. Il renverse l’ordre établi, il anéantit le statu quo. Il nous offre l’assurance du salut : « Je suis le Seigneur ton Dieu qui te fais sortir de la maison de servitude. »

Tel est le message, car tel est le Sauveur qui se place au cœur de notre message. Le péché effacé, la mort engloutie, l’absurde décomposé, l’aliénation brisée. Telle est la richesse, la diversité et toute l’originalité radicale de la foi chrétienne que nous annonçons, que nous vous apportons. L’Évangile n’est ni système de connaissance mystique ni appel à fuir le monde. Il apporte une réponse aux problèmes les plus profonds qui nous torturent. Certes, la foi n’est pas la suppression immédiate, presque magique, de tous nos problèmes. Ni les fautes, ni la mort, ni le doute, ni la souffrance ne nous seront épargnés. Mais elle nous arrache au désespoir, elle nous empêche de renoncer à la lutte, nous encourage à vivre et à lutter, à espérer et à travailler malgré tout. Notre salut, nous ne le possédons pas encore pleinement. Il est ce vers quoi nous marchons et ce qui nous permet d’avancer. Il est déclaration de transformation, bonne nouvelle de libération; promesse du Royaume de Dieu qui se hâte vers nous, certitude qu’effectivement Dieu fait « toutes choses nouvelles » (Ap 21.5).