Cet article sur Amos 1.1 a pour sujet la vocation d'Amos, berger devenu prophète de Dieu. Il a reçu l'appel contraignant d'annoncer la Parole et le jugement de Dieu contre l'injustice et les oppressions chez son peuple.

Source: Un prophète pour quoi faire? - Méditations sur le livre d'Amos. 4 pages.

Amos 1 - Amos, berger et prophète

« Paroles d’Amos, l’un des éleveurs de Teqoa, visions qu’il eut sur Israël. »

Amos 1.1

Dans la galerie de portraits de l’Ancien Testament, un personnage d’une stature et d’une vocation particulières, portant le nom d’Amos, nous arrête, force notre attention et nous oblige à écouter son message peu commun qui nous coupe presque le souffle. Il a signé un livre, et nous n’entendons parler de lui nulle part ailleurs…

Au sens professionnel du terme, il n’est pas prophète, « nabi ». C’est un « outsider », que l’on surprend soudain dans le « collège » des prophètes, sans diplôme ni carte de membre de la guilde. Berger de son métier, sans doute aussi cultivateur, c’est un homme qui doit posséder quelques biens, peut-être même est-il à la tête d’une affaire prospère. Élevé dans les pâturages, s’occupant de plantations, Amos sait bien que les affaires sont les affaires et que c’est avec grand sérieux que l’on doit s’en occuper. Il est nécessaire de garder à l’esprit sa profession de berger-cultivateur si l’on veut comprendre certains de ses discours et son étrange comportement durant cette période de la vie nationale d’Israël.

Il n’avait aucun besoin d’ajouter un supplément à ses ressources normales en vue d’arrondir ses revenus. L’accuse-t-on de faire du « travail au noir » en se mettant parmi les prophètes attitrés? Il proteste avec vigueur (Am 7.14-15). Lui, il s’occupait de ses moutons et plantait ses sycomores, sans se soucier d’autre chose. Il avait de quoi vivre et les questions économiques ne le tracassaient pas. S’il se trouve là, c’est qu’il y a eu une force majeure, car nul n’aurait songé à recruter des porte-parole de Dieu dans son milieu.

Qu’on ne veuille pas non plus amoindrir la portée de son discours parce que, homme d’affaires sans doute au bon sens solide, il gagnait son pain. Qu’y a-t-il de répréhensible à le gagner, même pour nous autres chrétiens? Car le Maître lui-même nous enseigne à prier pour ce pain de chaque jour, ainsi que pour tout ce qui est nécessaire pour soutenir et préserver la vie et la rendre, si possible, plus agréable.

Les hommes de Dieu ainsi que les chrétiens engagés dans le ministère n’ont pas à se passer du minimum vital en planant dans les sphères nébuleuses d’une spiritualité sans estomac et d’un corps revêtu de haillons. Berger et prophète, ce prophète-là n’a pas cessé d’être berger. Comme tout homme de l’Ancien Testament, il ne dédaigne pas l’aisance, voire la prospérité matérielle, pourvu que cet argent que l’on dit parfois sans odeur puisse servir dignement celui qui en est le véritable Maître.

À l’écouter superficiellement, Amos pourrait passer pour un homme inculte, en dehors des raffinements de la bonne société. Il dénonce, brusque, irrite, harcèle, le verbe haut, ne ménageant rien ni personne. Ne va-t-il pas jusqu’à traiter, affront suprême!, les élégantes dames de la capitale de « vaches de Basan »? Malotru, personnage mal dégrossi, insolent, un peu de délicatesse, voyons!, ont dû s’indigner ces dernières…

Amos ne s’est guère soucié de diplomatie, ce « machin » qui, s’il ne procure ni l’amitié ni l’estime, vous préserve au moins d’être trop malmené. Triste sort que celui du prophète dont la parole n’a pas le verbe ciselé, mais s’enflamme d’un discours acerbe et virulent! Un prophète, c’est pour faire quoi, s’il vous plaît?

Qu’on veuille pourtant l’entendre avant de l’incriminer, et qu’on ne le blâme pas avec hauteur pour ses manières frustes et son manque de savoir-vivre, faits pour d’autres lieux et circonstances que des salons littéraires. Lui, il s’explique et informe de sa vocation. « Le Seigneur, l’Éternel, a parlé, qui ne prophétiserait? » (Am 3.8). Il l’a entendu derrière ses troupeaux comme s’il entendait le rugissement du lion. Il a capté le message derrière les plantations de ses arbres fruitiers et il a tremblé d’abord pour son propre compte. Il a reçu un appel personnel, contraignant et direct. Ce n’était pas par envie à l’égard d’autres qu’il s’était mis dans la tête d’annoncer les oracles divins.

Voilà un bon rappel pour nous autres, chrétiens des temps modernes! Nul n’a le monopole de la Parole lorsque celle-ci s’adresse à tous. Si tous pouvaient devenir prophètes, selon le vœu du vieux Moïse… Ah! si chacun des membres du peuple de Dieu pouvait devenir visionnaire de l’indicible et messager des oracles divins! Que nul ne craigne donc de faire double emploi ni de réduire au chômage quelques respectables membres du clergé… Là où Dieu parle, il faut entendre, et si nécessaire devenir prophète; autrement, il ne reste qu’à trembler comme lorsqu’on entend le rugissement du fauve.

N’en déduisons pas un peu à la hâte que l’on puisse s’improviser prophète, c’est-à-dire proclamateur de la Parole divine. Au contraire, quelques années d’études de théologie sont absolument indispensables pour le ministère de la Parole de Dieu. N’est pas prophète qui veut. Et il est souhaitable qu’une solide formation confirme la vocation pastorale et qu’elle puisse même conforter la foi.

Il faut souligner qu’Amos est une exception qui confirme la règle tout en la transgressant. Dans sa liberté déconcertante et son incontestable autorité, le Dieu de la Parole appelle sans discrimination des gens de la « base », des hommes et des femmes à ce que, depuis la Réforme du 16e siècle, nous appelons le « sacerdoce universel ». Quand Dieu s’en mêle, qu’aucun homme n’entrave, ne décourage ni n’étouffe des vocations authentiques sous prétexte de contrôle ecclésiastique! Parfois, ceux qui n’ont pas reçu leur consécration pastorale ont été parmi les meilleurs proclamateurs de l’Évangile, alors que des ecclésiolâtres qui plient sous des titres aussi pompeux que vides, et par ailleurs fort imbus de leur personne, n’ont été que des misérables épaves ecclésiastiques encombrant la « pauvrette église… » C’est un auteur Suisse, F. Durrenmatt, qui le disait fort pertinemment : « Il y a des grands dans la société… qui n’ont de grand que leurs oreilles. » Ce jugement peut s’appliquer aussi à l’Église.

En ce qui concerne Amos, nous le savons doué d’un grand talent. Malgré sa rudesse, le verbe et le style, l’imagination dramatique et parfois même la prose poétique nous étonnent chez ce pâtre sorti de l’insignifiante bourgade de Tékoa. Quelle force, chez cet homme! Elle surprend, secoue, indispose… Mais sous cette rude carapace, j’aperçois un rai de lumière venant d’un cœur sensible et d’une âme épurée à travers le feu de la foi. Cet homme-là, Dieu l’a attelé à une mission. Il parcourt villages et campagnes, ainsi que des métropoles telles Samarie, Jérusalem, Hébron ou Béthel, pour proclamer la Parole de l’Éternel et troubler les consciences endurcies.

Il a été activement mêlé aux affaires publiques, a conclu des marchés, a conduit sans doute avec succès ses affaires… Mais voici que tout à coup il s’en prend avec indignation, et quelle indignation!, à ceux dont la mondanité, l’injustice, la dégénérescence morale et les mille et une escroqueries oppriment le pauvre et écrasent sans pitié le faible. Alors il laisse éclater sa colère. Il ne pouvait plus ruminer cette colère, confiné dans sa ferme en voyant le mal s’étendre et ravager le pays tout entier. Il ne pouvait pas s’offrir le luxe d’extases mystiques « à la derviche », perché sur le sommet d’une colline tout en contemplant passivement l’oppression des pauvres, la violence et l’ivrognerie trôner à droite et à gauche, dans tout le pays.

Il n’allait pas davantage sermonner ses concitoyens comme un moraliste étriqué, mais annoncer l’imminence de la crise, de cette crise qui signifie jugement, celui du Dieu saint et juste. Le lion avait rugi. Celui qui avait jadis dévasté l’Égypte et dévoré les impies cananéens allait à présent déchiqueter son propre peuple devenu apostat. Devant les discriminations, exploitations et asservissements de tout ordre, y compris d’ordre politique, moral et religieux, Amos s’était mis en colère, parce qu’en bon croyant, il avait saisi les accents d’un courroux plus majestueux et plus redoutable que celui des insipides protestations humaines. Car, mes amis, vox Dei est vox Dei. Il n’y a que la voix de Dieu qui a les accents de la voix de Dieu!

Amos suivait de près l’actualité du jour. Mais comme tout croyant, il lisait auparavant sa Torah, c’est-à-dire la loi morale et religieuse du Dieu d’Israël, pour mieux éclairer les événements du jour et de la semaine. Et non le contraire, comme le font actuellement certains de nos coreligionnaires. Personne n’aurait pu l’embrigader dans un parti ni le prendre dans les mailles d’une de ces idéologies dans le vent, grandes prophétesses devant le dieu néant. Ni la gauche ni la droite ne pouvaient le récupérer. Il n’était même pas un libéral aux idées dites « avancées »; il ne connaissait pas davantage la voie dite médiane ou moyenne, qui sait si adroitement éviter les ennuis et échapper aux écueils. Cette voie moyenne, si je ne me trompe, fut inventée plus tard par Aristote. Amos ne connaissait qu’une seule voie : celle sur laquelle le Seigneur des cieux et de la terre l’avait souverainement jeté.

Parmi vous, mes lecteurs et lectrices, se trouvent de nombreux chrétiens; c’est vers eux que je me tourne très spécialement. Vers vous, frères et sœurs dans la foi. Nous savons que le Seigneur Dieu a parlé. Ne gardons donc pas le silence. Par sa grâce, nous sommes devenus des prophètes, ainsi que des prêtres et des rois. Nous voyons les choses autrement que le monde qui nous entoure et qui porte des lunettes déformantes. Nous savons le pourquoi de toutes les crises modernes. À la suite d’Amos et en cette fin de siècle, nous aussi nous proclamons les oracles de Dieu. Que le monde sache que jamais notre Dieu ne restera sans témoin ou sans prophète.

Et si nous nous taisons, il est tout à fait certain qu’il se mettra à rugir contre nous pour commencer…