Cet article sur Apocalypse 2.18-29 a pour sujet la lettre à l'Église de Thyatire dans laquelle le Seigneur l'exhorte à la séparation spirituelle d'avec le monde pour éviter l'idolâtrie, l'immoralité et tout compromis spirituel.

Source: Le Dieu invincible - Méditations sur l'Apocalypse. 5 pages.

Apocalypse 2 - L'impossible co-existence

« Écris à l’ange de l’Église de Thyatire : Voici ce que dit le Fils de Dieu, celui qui a les yeux comme une flamme de feu, et dont les pieds sont semblables à du bronze : Je connais tes œuvres, ton amour, ta foi, ton service, ta persévérance et tes dernières œuvres plus nombreuses que les premières. Mais ce que j’ai contre toi, c’est que tu laisses la femme Jézabel, qui se dit prophétesse, enseigner et séduire mes serviteurs, pour qu’ils se livrent à l’inconduite et qu’ils mangent des viandes sacrifiées aux idoles. Je lui ai donné du temps pour se repentir, mais elle ne veut pas se repentir de son inconduite. Voici que je la jette sur un lit ainsi que dans une grande tribulation et ceux qui commettent adultère avec elle, à moins qu’ils ne se repentent de ses œuvres. Je frapperai de mort ses enfants; toutes les Églises connaîtront que moi, je suis celui qui sonde les reins et les cœurs, et je vous rendrai à chacun selon ses œuvres. Mais à vous, à tous les autres de Thyatire, qui n’ont pas cette doctrine et n’ont pas, comme ils disent, connu les profondeurs de Satan, je dis : je ne mets pas sur vous d’autre fardeau. Seulement, ce que vous avez, tenez-le ferme, jusqu’à ce que je vienne. Au vainqueur, à celui qui garde mes œuvres jusqu’à la fin, je donnerai autorité sur les nations. Avec un sceptre de fer, il les fera paître, comme on brise les vases d’argile, ainsi que j’en ai reçu moi-même le pouvoir de mon Père. Et je lui donnerai l’étoile du matin. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises! »

Apocalypse 2.18-29

Située au fond d’une vallée qui en relie deux autres, la Caicus et l’Hermus, sise à environ 65 kilomètres au sud-est de Pergame, à un croisement de routes, dépourvue de fortifications naturelles et largement ouvertes aux attaques, Thyatire était une grande ville de l’antiquité. Elle fut aménagée vers l’an 300 avant Jésus-Christ, par Séleucus 1er, comme une ville garnison macédonienne, empêchant l’avance ennemie vers Pergame, la capitale. Très peu nous est connu de la ville, ce qui ne rend pas aisé de comprendre certains points et détails qui ressortent de la lettre adressée à son Église. Elle ne devint jamais une grande métropole ni ne fut très honorée, s’il faut en croire Pline l’Ancien qui la nomme « inhonora civitas », cité sans honneur, témoignant de l’absence d’une bonne réputation.

Sa situation géographique est pourtant excellente. Une foule de gens y transitent et la paix romaine lui permet de développer son artisanat et de devenir l’un des centres commerciaux les plus prospères de la région. Si l’histoire ne la distingue pas pour de grands faits accomplis, Thyatire est cependant l’unique cité à avoir compté un grand nombre de guildes de professionnels, ainsi qu’en font foi les monnaies frappées au premier siècle après J.-C. Des industries diverses y prospèrent (le tissage, la tannerie, la poterie, la fonderie de bronze, la teinturerie de la pourpre) et les marchands d’esclaves y côtoient les boulangers de quartiers.

À la moins importante et à la moins célèbre des sept Églises est adressée la plus longue des sept lettres. Car le point de vue de Dieu n’est pas celui de l’homme. L’importance typologique de l’Église de Thyatire se voit à travers sa situation économique et religieuse, les deux étant intimement associées dans la vie urbaine.

Il est malaisé de vivre à Thyatire sans appartenir à l’une des guildes mentionnées plus haut. Si l’on cherche la réussite en affaires, il faut se mêler à ces syndicats avant la lettre, mais l’affiliation implique que l’on s’associe aux activités cultuelles auxquelles s’adonnent aussi les guildes. Et celles-ci signifient nécessairement la pratique idolâtre, parfois même l’immoralité. Lors d’un festival organisé en l’honneur de la divinité, il faut manger de la viande offerte ou sacrifiée à l’idole. En manger chez soi n’a aucune conséquence, mais le faire en public signifie s’associer au culte païen. En fait de temples, l’un est consacré à Apollon Tyrimnaios, le patron de la ville; d’autres dieux de moindre envergure sont des patrons de diverses guildes. Chaque festival pouvait facilement dégénérer en orgie sexuelle. Certes, les guildes professionnelles n’étaient pas forcément des lieux de débauche, pas systématiquement du moins, et à Thyatire elles pouvaient même être meilleures qu’ailleurs. Les Grecs y pratiquaient des règles strictes et la pratique d’actes humanitaires et de solidarité n’en était pas absente (aide apportée aux démunis et autres indigents, offrandes en vue de participer aux frais de funérailles d’un affilié, etc.), mais, comme de nos jours, la corruption des syndicats n’était pas tout à fait absente…

C’est dans un tel climat religieux que le chrétien se demande quel devra être son comportement. Comment pourra-t-il faire des choix honnêtes et dans quelle mesure pourra-t-il prendre distance ou, à l’inverse, s’accorder le droit de participer à de telles cérémonies, ne serait-ce que pour la forme? S’il se sépare de la guilde, il court le risque de tomber dans la disette, de connaître la famine, de devenir un objet de ridicule, voire la cible d’une persécution ouverte. Mais s’il la fréquente et qu’il pactise avec l’infidèle, même légèrement, ne risque-t-il pas de renier son Seigneur?

Dans cette situation et en présence d’un dilemme aussi sérieux se présente Jézabel. Elle vient à point pour proposer la solution. Son raisonnement est simple : pour vaincre Satan, il faut le connaître. On ne saurait surmonter le mal sans se familiariser avec lui de l’intérieur, sans en faire l’expérience personnelle. Le fidèle devrait, quelle qu’en fût la conséquence, se faire un devoir de sonder jusqu’aux profondeurs de l’esprit malin. Qu’il participe donc en toute tranquillité de conscience à des festivités païennes. Qu’il se rende aux repas professionnels des guildes. Peu importe si le péché de fornication le guette. D’ailleurs, selon la croyance gnostique, un péché commis dans la chair ne saurait aucunement affecter l’esprit. Or, le chrétien est principalement esprit! De sa présence dans le monde païen, il sortira meilleur et purifié!

Le nom de Jézabel est symbolique. Il nous rappelle la reine phénicienne qui séduisit son époux royal Achab et induisit le peuple d’Israël au culte de Baal, lui faisant commettre un adultère religieux plus pervers qu’aucune immoralité charnelle. En outre, l’inique reine persécuta Élie, le prophète, qui combattait avec la dernière énergie le culte syncrétiste (1 R 16 à 19).

À Thyatire, Jézabel fait profession de foi chrétienne, mais elle trompe les serviteurs du Christ. Elle répand de faux enseignements. Elle incite au relâchement religieux, elle cherche à relativiser ce qui est absolu dans la foi au Christ. Elle a une position qui lui permet de rester dans l’Église et d’influencer ainsi ses membres indolents. Elle y est respectée comme une prophétesse. Aucune opposition ne se lève contre elle. Elle est établie avec l’approbation de la communauté et elle jouit de l’estime générale, du fait de sa consécration et de son zèle. Tous l’admirent. Mais l’auteur de l’Apocalypse, et par delà lui le véritable auteur du livre, Jésus-Christ le Seigneur, voit le parallèle entre Jézabel la païenne et cette prétendue prophétesse des temps modernes. La première avait induit Israël à l’idolâtrie. Le mal qui sévit à présent à Thyatire n’est pas de nature différente. Dans l’Ancien Testament, un attachement trop grand et exclusif à Jahvé risquait de compromettre le bien-être du peuple. Il fallait donc pactiser. De nouveau, la femme de Thyatire a sa solution à offrir. Elle semble même posséder la marque de l’élection, l’honneur, voire l’aura de sainteté. Mais l’une et l’autre poursuivent les mêmes objectifs. Elles estiment qu’il devrait exister, et qu’en fait il existe, un terrain commun entre le peuple de Dieu et le monde païen. En voici les prémisses énoncées en termes modernes :

Le chrétien et le non-chrétien œuvrent tous les deux en vue d’atteindre les mêmes objectifs. Ils recherchent le bien suprême pour accomplir la destinée humaine. Bien que le chrétien se situe à une échelle supérieure, il lui est loisible, voire légitime et urgent, de collaborer avec tous les hommes de bonne volonté. Il n’existerait pas d’objectif spécifiquement chrétien, ni nul projet de société soumise à l’autorité exclusive du Christ et gouvernée par la loi révélée. Chrétiens et non-chrétiens devraient partager les mêmes convictions culturelles, et même morales, la seule différence entre eux étant non de nature, mais de degré seulement.

Par conséquent, on pourrait très bien faire se rencontrer en de savants colloques des théologiens (?) chrétiens et des philosophes marxistes ou d’autres athées humanistes! Voire des représentants de toutes les religions du monde qui se retrouveraient ensemble pour prier, mais pas forcément pour… prier ensemble, selon la formule ingénieuse de l’évêque de Rome! Pasteurs égarés, rabbins en manque de succès, curés dans le vent, muftis de tous bords, bonzes en quête de reconnaissance, sikhs rêvant d’une notoriété et animistes de tous poils. Orientaux, Occidentaux spiritualistes et mazdéens « en herbe » sont invités à prononcer des prières, quitte à tenir le Christ pour l’égal de Mahomet. Dès lors, pourquoi polémiquer entre gens de religion? Pourquoi décourager des bonnes volontés, faire preuve d’exclusivisme chrétien, s’acharner dans un fondamentalisme radical? Le Christ était le sommet des vérités païennes et avant lui Platon comme Aristote avaient pavé la route! Lui comme les autres visaient le même but!

À Thyatire, cette idée se manifestait dans la pratique. Il ne fallait pas s’isoler de la vie professionnelle des guildes, même si cela imposait certaines contraintes considérées comme mineures. Pourtant, les guildes étaient devenues de véritables chapelles d’Apollon et entre celui-ci et le Christ, comme entre l’Église et le monde hostile à Dieu, l’association n’est pas possible.

La lettre adressée à Thyatire rappelle cette exigence absolue de séparation (voir Ac 15.28-29; 1 Co 10.14-33; 2 Co 6.11-18). L’Église était coupable de violer le principe de rupture radicale. Bien qu’elle ait donné de multiples signes de fidélité et accompli de bonnes œuvres, elle a toléré Jézabel, la fausse prophétesse. À la lumière de cet esprit de synthèse et de coexistence pacifique, elle cherche un terrain commun. Son péché est intimement lié à ses vertus. Le mal ici n’est pas de nature morale comme telle, mais éminemment religieux.

Les disciples de Jézabel cherchent « à connaître jusqu’aux profondeurs de Satan », ce qui est un credo ou plutôt un anti-credo. Car s’il est exact qu’il existe un terrain commun entre le chrétien et le non-chrétien, cela supposera qu’il existe aussi une continuité sans rupture entre le bien et le mal, entre Dieu et Satan, entre le Christ et le monde apostat. Toutes choses deviennent alors équivalentes entre elles. En définitive, Dieu, Satan et l’homme ne seraient que des aspects divers, peut-être complémentaires, d’une même réalité. Cette réalité ainsi représentée serait tragiquement linéaire et continue, sans aboutir pourtant à une fin. En parvenant à connaître les profondeurs de Satan, on croit pouvoir se servir de ses forces démoniaques et les utiliser comme si elles étaient les seules forces en présence! Dès lors, ni Dieu ni son Christ ne comptent et l’un et l’autre demeurent étrangers au monde et indifférents envers l’homme adonné aux forces démoniaques.

Prenons par exemple le cas d’Apollon. Il est dieu, pourtant il a sa tombe à Delphes! Il représente à la fois la divinité et le peuple de la ville. Entre sa divinité et son humanité, il n’existe point de rupture. Apollon est également et simultanément dieu et démon! Il est le bien et le mal, le jour et la nuit, son propre double. Dès lors, à Thyatire comme dans notre monde moderne, il est facile de représenter Satan comme le double de Dieu à l’aide d’un tel principe. Mais si c’était le cas, existerait-il encore un sens à notre univers humain? Ce serait au contraire l’absurde total et omniprésent. La vie et la mort deviendraient des faits équivalents, à la fois valables et non valables.

Ce ne sont certes pas des idées simples qui ressortent de l’étude de la lettre à Thyatire. Mais on en aura reconnu l’extrême actualité.

Les chrétiens devraient cesser de penser que le mal du siècle consiste en la simple, quoique ahurissante, dépravation des mœurs morales. Ce n’est donc pas en moralistes qu’ils la combattront, mais en disciples du Christ, le Fils de Dieu, appelé ainsi pour la première fois dans l’Apocalypse, qui déclare que toute confusion, toute compromission, tout mélange sont inconcevables sur le terrain de la foi. Il est, lui, la lumière absolue et il n’y a point de ténèbres en sa personne et en ses œuvres. Il est lumière, il est feu et il consume ce qui est mauvais, mais il défend les siens; son règne dans l’univers est absolu. Aussi exige-t-il de la part de ses fidèles une rupture totale et radicale avec le monde. Celui qui le suit aura pour privilège de conduire les nations avec un bâton de fer (Ps. 2). C’est là un défi lancé contre l’Empire romain.

Souvenons-nous que le nom d’Apollon est associé au culte impérial. Le Christ est le challenger de l’usurpateur. À vue humaine, la bataille semblerait perdue pour lui, sa force insuffisante. Rome ne cesse d’étendre son hégémonie et bâtit sans entrave son immense empire. Mais Rome disparaîtra, et c’est le Christ qui instaurera son empire cosmique. À celui qui le suit fidèlement, il promet l’étoile du matin, c’est-à-dire sa propre présence (Ap 22.16).

Son règne ne peut être accepté et obéi que par celui qui a des oreilles pour entendre, c’est-à-dire la foi. Jésus-Christ, le Berger, n’est pas le « doux » que certains aiment à s’imaginer. Il est l’autocrate universel. Il est en mesure de pulvériser toutes les oppositions. Pour l’heure, il accorde un délai pour la repentance, il ne détruit pas aussitôt la victime des fausses prophéties, et les instigateurs ont même le temps de changer de conduite et d’abandonner leurs principes pernicieux.

Le Christ exhorte les faibles à la vigilance jusqu’à sa prochaine venue. Ce n’est donc pas en s’intéressant à Satan et à son royaume de ténèbres qu’on viendra à bout du mal, mais seulement en tenant fermement à la Parole et à la victoire du Christ, le Fils de Dieu, notre Sauveur.