Cet article sur Apocalypse 3.14-22 a pour sujet la lettre à l'Église de Laodicée dans laquelle Jésus lui reproche sa tiédeur et sa pauvreté, malgré sa prospérité matérielle. La correction du Seigneur découle de sa fidélité.

Source: Le Dieu invincible - Méditations sur l'Apocalypse. 6 pages.

Apocalypse 3 - La porte fermée

« Écris à l’ange de l’Église de Laodicée : Voici ce que dit l’Amen, le témoin fidèle et véritable, l’auteur de la création de Dieu : Je connais tes œuvres : tu n’es ni froid ni bouillant. Si seulement tu étais froid ou bouillant! Ainsi, parce que tu es tiède et que tu n’es ni froid ni bouillant, je vais te vomir de ma bouche. Parce que tu dis : Je suis riche, je me suis enrichi et je n’ai besoin de rien, et parce que tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu, je te conseille d’acheter chez moi de l’or prouvé par le feu, afin que tu deviennes riche, et des vêtements blancs, afin que tu sois vêtu et que la honte de ta nudité ne paraisse pas, et un collyre pour oindre tes yeux, afin que tu voies. Moi, je reprends et je corrige tous ceux que j’aime. Aie donc du zèle et repens-toi! Voici : je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec moi. Le vainqueur, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi j’ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises! »

Apocalypse 3.14-22

Distante de 65 kilomètres au sud-est de Philadelphie, bâtie à la jonction de la vallée de Lycus et du Méander, à l’intersection de trois grands axes routiers, commandant l’approche de la Phrygie, Laodicée reçoit son nom de Laodicée épouse d’Antiochus II, qui fit du petit bourg une grande cité de forme presque carrée. C’est l’une des villes commerciales les plus aisées de la région et Cicéron la vantera pour ses banques. Lorsqu’en l’an 60 après notre ère elle fut dévastée, comme en l’an 17, Laodicée refusa l’aide que Rome lui proposait pour la relever. « Je suis riche et n’ai besoin de rien », dut-elle sans doute répondre, arrogante et hautaine, à l’offre généreuse.

Ici, comme dans toute la région, on élevait des brebis à la laine noire et l’industrie du textile rendait la prospérité des habitants enviable. Une autre cause de fierté était la célèbre école de médecine, dont déjà Aristote et Galien vantaient les découvertes, notamment l’huile pour les oreilles et une certaine poudre pour le mal des yeux. Pline la tient pour une « ville fort célèbre ». Un autre détail nous permettra de saisir le sens de la lettre adressée à l’Église : La ville se trouve près de Hiérapolis, dont les eaux thermales s’écoulent dans la vallée par-dessus les rochers en face de Laodicée et qui deviennent tièdes et impropres à la consommation à mesure qu’elles descendent.

Fière de ses avantages naturels, la ville des milliardaires compte aussi des théâtres, des stades, des arènes ainsi qu’un gymnase équipé de bains publics. Elle fait preuve d’esprit d’indépendance, assurée qu’elle est de son importance. Esprit indépendant, mais également, comme Philadelphie, esprit de « synthèse ». Elle cherche une coopération harmonieuse entre des cultures pourtant incompatibles. La grande tentation de ces deux Églises est de vouloir œuvrer en termes de coexistence avec la mentalité locale et de parvenir, ce qui est pourtant impensable, à un œcuménisme religio-culturel. Si à Philadelphie cette tentation fut vigoureusement repoussée, avec comme conséquence que l’Église ne produisit aucun impact sur la société, on salua à Laodicée l’occasion ainsi fournie comme une belle réussite sociale. En ce qui concerne la vie religieuse de la ville, il est intéressant de noter qu’il s’y trouve une importante colonie juive comptant 7000 hommes adultes ayant le droit de préserver leurs coutumes religieuses.

Laodicée est l’une des trois villes voisines de la vallée de Lykos mentionnées dans la lettre de Paul aux Colossiens (Col 2.1; 4.13-16), les deux autres étant Colosses et Hiérapolis. L’Église fut probablement fondée par Épaphras, jeune collaborateur de Paul, et, de ce fait, elle devait se trouver en relation avec les deux autres (Col 2.1 et 4.13). L’apôtre envoie des salutations « aux frères qui sont à Laodicée ». Dans cette épître, il mentionne une lettre qu’il avait adressée à cette Église (Col 4.15-16), mais dont nous n’avons pas de trace. À moins qu’il ne s’agisse de l’actuelle lettre de Paul aux Éphésiens. Quoi qu’il en soit, l’Église n’a jamais eu la réputation d’être missionnaire et conquérante. Et pour cause : sa mauvaise température (!) explique son état d’âme.

À l’époque de Jean et de l’Apocalypse, sa situation s’est détériorée. Aussi reçoit-elle la condamnation la plus sévère parmi les sept Églises. Les habitants de la ville, avons-nous vu, étaient prospères et ils le savaient. Ils étaient aussi d’un esprit superbe et d’une arrogance intolérable. À son tour, l’Église se vante de ses avantages matériels. Contrairement à celle de Smyrne, qui est pauvre, mais spirituellement riche, Laodicée est plus que pauvre, elle est misérable, aveugle et nue. L’aisance matérielle en soi est une bonne chose. Elle peut toutefois devenir un désastre lorsqu’on arrive à s’en prévaloir et à s’en contenter pour son état spirituel.

Le « tu es misérable » que lui lance le Christ est emphatique; non seulement tu es misérable, mais encore tu es misérable par excellence. Sans doute les membres de l’Église s’imaginaient-ils que leur prospérité matérielle était la preuve de faveurs divines particulières. Ils étaient imbibés du même esprit que leurs concitoyens, païens ou Juifs. L’indépendance d’esprit peut aussi présenter des avantages et elle a une place légitime dans les rapports sociaux. Mais pour ce qui est des rapports avec Dieu, il faut se souvenir que le Seigneur ne bénit que les pauvres en esprit et que son Royaume est destiné à ceux qui ont faim et soif de sa justice.

L’Église de Laodicée a ses banquiers et ses financiers, son école d’oculistes et ses manufactures de textiles. Mais elle ne sait plus qui est son véritable Maître. Elle s’accommode de son état de tiédeur, ce qui suppose qu’elle ne sait plus reconnaître ses lacunes ni confesser ses péchés. Ses œuvres ne sont pas décrites ici; seule est résumée sa température spirituelle extrêmement basse (voir aussi So 1.12 et 3.2). Son déclin et son apostasie sont exactement à l’inverse de sa prospérité matérielle. Inconsciente de sa condition, elle vivote à peine. Le Christ aurait souhaité qu’elle soit nettement chaude ou franchement froide, car faire profession chrétienne alors qu’on n’a pas été touché par le feu qui brûle est une calamité pire que de mourir de froid. Il y a plus d’espoir pour un adversaire franc que pour un indifférent poli. Rester tiède comme on l’est à Laodicée revient à répudier tout ce que représente la foi chrétienne.

L’Église de Philadelphie, elle, aurait pu se décourager de son échec apparent. Celle de Laodicée, au contraire, est confiante en sa bonne étoile; elle se voit destinée à un brillant avenir. Enveloppée d’indolence, elle attend le ciel de ses imaginations. Enlisée dans sa médiocrité, elle se vante comme une baudruche. Elle prend pour de la vitalité le simple pétillement de bulles vides. Lors des célébrations cultuelles, elle chante et elle prie, mais ses liturgies sont des litanies lamentables trahissant sa religiosité d’apparence. Elle oublie que le regard scrutateur de son Seigneur guette chacun de ses gestes et que le jugement commence inexorablement par la maison de Dieu.

Entre Laodicée et des Églises modernes, les parallèles sont nombreux et frappants. La majorité de celles-ci, même lorsqu’elles se disent conservatrices, baignent dans les eaux tièdes de leur affligeante médiocrité. Elles s’accommodent à leur tour de la culture et de la philosophie ambiante et, à leurs yeux, la synthèse avec cette culture et cette philosophie n’est plus un scandale. La grande hérésie de la modernité est devenue le dogme intangible de nombreuses Églises à la Laodicée de notre temps. Pour s’en défaire, il faudrait encore des hommes de la trempe des Martin Luther et Jean Calvin.

La vraie richesse consiste à se laisser purifier par le processus de raffinement propre à Dieu, par les méthodes de purification qui sont celles du Seigneur. Il n’y a pas d’or qui ne soit affiné par le feu. Il n’existe pas de sagesse qui ne soit approfondie par une affliction. Pour porter des vêtements blancs, il faut se vêtir de la sainteté du Christ. Pour affronter le monde hostile, il faut se revêtir de sa force et tourner le dos à toute tentation d’adultère avec des « causes communes aux hommes de bonne volonté ». La foi correcte en Dieu, une vision claire du monde, un regard lucide sur nous-mêmes ne nous seront pas accordés par notre science et nos compétences, mais par la Parole de celui qui est le fondement de toutes choses, dans la lumière de qui nous voyons notre lumière.

Le Seigneur, que des chrétiens laodicéens ont oublié, vient leur crier. Et c’est là une grâce infinie. Le Christ s’adresse à cette Église en des termes surprenants. Il se dit l’Amen, en hébreu le Fidèle, le Vrai, le Ferme. Les Juifs emploient ce terme à l’occasion pour désigner Dieu (És 65.16 : Dieu de vérité). En face de l’Église infidèle, le Christ reste le Berger et l’Époux fidèle. En lui, il n’y a pas de conjectures futiles ni d’hypothèses obscures. En lui, Dieu a prononcé une fois pour toutes la certitude inébranlable de son Oui et de son Amen (2 Co 1.20). Jésus-Christ peut nous parler de Dieu en connaissance de cause. Il témoigne de ce qu’il a vu (Jn 3.11). Il est fidèle; on peut se fier à sa Parole (Jn 20.27; 1 Th 5.24; 2 Tm 2.13)1.

Non seulement il est fidèle, mais encore il est vrai. Il réunit en lui toutes les qualifications requises d’un témoin idéal : il est témoin oculaire, il possède la compétence pour relater les faits, il est disposé à le faire.

Le Christ se dit aussi le Principe de la création; aussi exerce-t-il une souveraineté totale. Ce titre n’apparaissait pas dans les lettres précédentes. Il nous rappelle les termes de saint Paul dans Colossiens 1.15-18. Remarquons combien la proximité de ces Églises (Laodicée, Colosses, Hiérapolis) commandait une telle qualification. Il est le Principe non pas en tant que commencement d’une série, mais en sa qualité de celui par qui et en qui toutes choses prennent leur origine. Il est la source principale et exclusive de tout ce qui existe (Ac 14.15). L’importance de ce terme sera d’autant plus appréciée qu’on se rappellera que l’Église de cette ville est exposée à la tentation d’adorer et de servir des divinités inférieures. Nous lui appartenons dès notre origine, mais également parce qu’il est venu nous racheter. En s’adressant à son Église, le Christ l’appelle à prendre conscience de cette double appartenance et à se hâter de se rendre auprès de lui, à se restituer à lui telle une propriété dont il avait été dépossédé.

Voyez avec quelle compassion bouleversante il l’approche. Il ne vient pas pour l’anéantir; il cherche à la restaurer. Il ne lui dit pas « je t’ordonne », mais « je te conseille d’acheter de moi ». Il explique la raison de sa démarche : il reprend celui qu’il aime. Il aime donc cette Église démunie, qui ne mérite qu’aversion et mépris. Il était sur le point de la vomir, mais il se retient. S’il la reprend et s’il lui adresse des reproches, la raison en est qu’il veut la ressaisir. Si Laodicée l’a renié, il est fidèle et juste, il ne la reniera pas. Si nous nous éloignons de lui, il vient sans perdre de temps se placer au seuil de nos portes. Ce n’est pas nous qui faisons la démarche de nous rendre auprès de lui; l’initiative vient de lui. Nous nous barricadons derrière nos ridicules 
cloisons branlantes, nous imaginant échapper à sa visite. Mais le voilà qui frappe et ses coups nous font mal, tellement qu’il réussit à nous éveiller de nos torpeurs. Il ne se contente pas d’ailleurs de frapper, il appelle aussi; lui qui a l’aspect d’un mendiant, il invite à saisir son offre.

Et puis sa grâce souveraine force nos portes. Dehors, sur le seuil, il ne reste pas figé dans l’attente d’être accueilli ou devant l’improbable éventualité de se voir éconduit! Laissons de telles évangélisations-fictions aux misérables tenants des positions arminiennes, prétendument les seules évangéliques. Si nous lui ouvrons la porte, c’est lui qui nous permet de la déverrouiller. Telle est la force de son affection. Il ne désespère pas de l’état déplorable de son Église. À la plus misérable d’entre elles, il annonce sa visite salutaire. Son amour ne trouve nulle part ailleurs des accents aussi émouvants et une invitation aussi pathétique que devant la porte close de la plus obtuse de ses Églises. Jamais maître n’avait ainsi parlé : « Voici je me tiens à la porte et je frappe, si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre… »

Ne condamnons donc pas hâtivement et sans appel, avant le temps, les Églises que nous destinons aux gémonies et autres ténèbres extérieures. N’oublions pas que les coups du Christ et son invitation miséricordieuse les arracheront toutes à la mort. Comment en serait-il autrement? Alors qu’il a arraché de leurs gonds les lourds portails de l’enfer, ne défendrait-il pas son Église contre les pouvoirs conjugués de la mort et des mâchoires du Malin? Lui qui offrit sa divine personne pour qu’aucun de ceux que le Père lui a donnés ne périsse, laisserait-il disparaître nos Laodicée modernes? Dieu sait combien elles sont nombreuses en ce temps qu’est le nôtre. Sa voix pastorale propose l’Esprit de vie, non un succédané en forme de collyre. Il nous convie à sa table royale où il célébrera son autorité établie et reconnue. Il a préparé une place d’honneur pour tous les siens. Il a vaincu la mort pour monter sur le trône.

Cette communion, notre participation à cet honneur, ne signifie pas notre identification ou notre confusion avec le Seigneur, principe de toutes choses. Nous sommes invités à bénéficier des fruits de sa rédemption, non à être divinisés (hérésie tellement prisée, aussi bien en Orient qu’en Occident chrétiens). Nous sommes plutôt invités à rester hommes ou à redevenir des hommes, au sens plein et originel du terme.

La porte est ouverte par lui, avons-nous dit. À travers elle, nous avancerons vers d’autres combats et nous vaincrons. Que celui qui a des oreilles entende donc. Que celui qui a la foi écoute ce que lui disent l’Esprit et la Parole (Jr 6.10; Jn 12.37-40). L’effet de la régénération est tel que l’homme peut ouvrir la porte de son esprit, se convertir par la foi. Alors, dès ici et maintenant, il sera en communion avec le Dieu Sauveur, lequel, descendu de son trône éternel, réunit autour de lui un peuple nouveau, son Église, qu’il veut servir et protéger chaque jour et jusqu’à la fin du monde.

La condition de ces sept Églises a existé de tout temps. Elle est présente de nos jours. Le nombre sept représente l’Église universelle. Une question surgit à leur propos : sont-elles fidèles? Tiennent-elles fermement à la seule Parole? Portent-elles la lumière au loin, ou bien se contentent-elles de rester le chandelier du décor?

À Sardes comme à Laodicée, il semble que la mondanité l’ait emporté sur la fidélité. Les lumières y sont plus que vacillantes. Le lumignon fume misérablement. À Éphèse, la lumière luit, mais les flammes baissent. À Pergame et à Thyatire, des tentations assaillent l’Église de l’extérieur; la lumière n’est pas suffisamment claire pour éclairer. À Smyrne et à Philadelphie, la lumière est vive; la loyauté envers le Christ a donné maintes preuves de vitalité. En dépit des apparences, elles vont exercer un effet salutaire sur le monde.

Les tentations qui les assaillent toutes proviennent de trois directions : les persécutions romaines et le culte impérial; les accusations juives; la tentation de compromissions avec le paganisme environnant.

L’Église, qu’elle se trouve en Asie Mineure ou ailleurs, est dans le monde sans en être. L’Apocalypse lui apprend cette leçon élémentaire. Elle devra briller au sein des ténèbres païennes, quelle que soit la forme de celles-ci. « Vous êtes la lumière du monde », a dit Jésus (Mt 5.14). « Les sept chandeliers sont les sept Églises », déclare l’ange de l’Apocalypse (Ap 1.20).

Note

1. Dans la controverse arienne, l’application du titre de « Parole » au Christ avait été utilisée comme un argument contre sa filiation divine. Il a fallu montrer que ce terme s’appliquait également à Dieu le Père, exprimant la fidélité de celui-ci envers sa Parole et ses promesses.