Cette fiche de formation a pour sujet le gouvernement de l'Église par l'exercice de la collégialité des anciens, favorisant la croissance de l'Église et touchant aux questions d'éthique.

Source: Autorité et collégialité - Une gouvernance au service de l'Église. 6 pages.

Autorité et collégialité (3) - L'exercice de la collégialité En rapport avec la croissance de l’Église et les questions d’éthique - Introduction au travail en groupe

  1. La dimension du débordement de la grâce
  2. L’éthique et les valeurs
  3. Le « cercle herméneutique » ou la question des présupposés
  4. Trois problématiques propres au gouvernement de l’Église
    a. La question des confessions de foi ou quand faut-il se séparer?
    b. Doctrine, piété et marche chrétienne
    c. Vie publique et vie privée
  5. Questions pour les ateliers
  6. Annexe – Le cadre associatif
 

1. La dimension du débordement de la grâce🔗

Pas plus que l’autorité, la croissance de l’Église ne se décrète! Comme pour l’autorité, il est toujours possible d’user de moyens divers, en copiant sur ce qui se fait dans le monde, par exemple.

Il nous semble que la quasi-totalité de l’enseignement des apôtres se retrouve dans ces trois impératifs de la vie de l’Église que sont l’unité spirituelle, l’amour fraternel et la sainteté de vie.

a. Nous l’avons déjà rappelé : l’unité spirituelle n’est pas qu’une simple union d’idées ou de projets, la connivence d’un club ou d’un parti1. Elle est le résultat de l’action de l’Esprit Saint dans les cœurs, autour de la personne de Jésus-Christ. Il n’y a là rien de théorique : cette unité est à la fois quelque chose de simple et naturel, dans le prolongement de l’expérience de la grâce et de notre union à Christ; elle est aussi quelque chose de fragile. En d’autres termes, il faut peu de chose pour la trouver et il faut peu de chose pour l’abîmer.

b. L’amour fraternel est le propre de la communauté chrétienne, car il est directement dépendant de l’expérience de l’amour de Christ reçu dans les cœurs, comme Jean le dit explicitement (Jn 13.34-35). On pourrait développer cela amplement. Qu’il suffise de rappeler que le terme « frère », dans l’Écriture, désigne toujours les membres du peuple de Dieu, juifs ou chrétiens. Il n’y a pas d’exception à cette règle2.

c. La sainteté de vie découle, elle aussi, de l’union du chrétien avec son Sauveur. Le chrétien n’est pas qu’un pécheur pardonné; il est un saint qui commet encore des péchés. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Cela aussi demanderait à être développé.

Nous avons vu que le collège des ministères et cet autre collège que constituent l’ensemble des disciples du Seigneur obéissent finalement aux mêmes principes, servent les mêmes objectifs. À ces différents niveaux, si l’unité spirituelle, l’amour fraternel et la sainteté de vie sont l’objet d’une veille attentive — comme les lettres de Paul y invitent à chaque page —, alors il est probable que s’opérera ce qu’on peut appeler un « débordement de la grâce »3, c’est-à-dire une démonstration de la présence vivante et vivifiante du Seigneur au milieu de son assemblée. Ce débordement touchera en premier lieu — avec ou sans paroles — ceux que Dieu enverra.

« Le Seigneur ajoutait chaque jour à l’Église ceux qui étaient sauvés » (Ac 2.47). « Les Églises se fortifiaient dans la foi et augmentaient en nombre de jour en jour » (Ac 16.5). En réalité, c’est le Seigneur lui-même qui agit : pour nous, en nous et au travers de nous!

2. L’éthique et les valeurs🔗

Le texte qui suit, trouvé sur Internet, donne une certaine définition de l’éthique et de la démarche qui lui est propre. Il est rédigé dans un cadre profane, mais est assez aisé de le transposer dans le domaine de l’Église.

L’éthique est une réflexion sur les valeurs qui orientent et motivent nos actions. Cette réflexion s’intéresse à nos rapports avec autrui et peut être menée à deux niveaux.

Au niveau le plus général, la réflexion éthique porte sur les conceptions du bien, du juste et de l’accomplissement humain. Elle répond alors à des questions comme :

  • Qu’est-ce qui est le plus important dans la vie?
  • Que voulons-nous accomplir?
  • Quels types de rapports voulons-nous entretenir avec les autres?

Les valeurs deviennent ainsi des objectifs à atteindre, des idéaux à réaliser. À l’échelle individuelle, nos actions sont autant de moyens d’actualiser nos valeurs. À l’échelle collective, l’imposition de règles est aussi un moyen de réaliser l’idéal partagé; les actions qui vont dans le sens de l’idéal deviennent des devoirs, des obligations. Les règles, cependant, sont générales et ne peuvent couvrir toutes les situations où des choix d’actions sont nécessaires.

C’est pourquoi la réflexion éthique porte aussi, au niveau particulier, sur les cas embarrassants et les dilemmes. Elle répond alors à des questions comme :

  • Quelle est la valeur la plus importante dans cette situation?
  • Quelle est la meilleure décision éthique dans ces circonstances?

Le but de la réflexion éthique est de déterminer non pas les valeurs les plus motivantes, sur le plan subjectif, mais celles qui peuvent justifier rationnellement notre action, celles qui constituent de bonnes raisons d’agir dans un sens ou dans l’autre. Dans le domaine éthique comme dans le domaine technique, les ingénieurs ne sont pas guidés par leurs préférences personnelles. Ils font des choix rationnels et sont capables de les justifier en donnant des raisons telles que l’intérêt du client, la qualité de l’environnement, la sécurité du public.

La réflexion éthique permet de déterminer les valeurs qui déterminent des raisons d’agir acceptables par l’ensemble de la société, par les personnes qui partagent l’idéal de pratique et, au niveau particulier, par les personnes et les groupes touchés par une décision.

3. Le « cercle herméneutique » ou la question des présupposés🔗

Selon Rudolph Bultmann, toute démarche d’interprétation qui aboutit à une décision ou à un engagement doit prendre en compte trois données distinctes qui sont situées sur un cercle qui les rend dépendantes l’une de l’autre : les présupposés, les doctrines, le texte biblique.

Nul n’aborde le texte biblique de manière neutre. Chacun a, en arrière-plan, un certain nombre de doctrines plus ou moins claires, plus ou moins élaborées, plus ou moins fondées. Le texte biblique est lu à la lumière de cette référence-là. Mais en amont des doctrines se trouvent des présupposés, hérités de notre environnement idéologique, de notre éducation, des personnes qui nous ont influencés. De telle ou telle expérience marquante. Ces présupposés nous accompagnent en tout temps et agissent, souvent de manière inconsciente, sur notre jugement, nos choix. En un sens, nos présupposés constituent la donnée la plus profonde, celle qui impose sa marque, celle qui n’évolue pas. Dans le « cercle herméneutique », le texte biblique n’est qu’un des trois paramètres; en un sens le plus important, mais il n’est accessible qu’à travers les deux autres.

Par exemple, le matérialisme est un présupposé. Si un matérialiste lit la Bible, il la lira à la lumière de ce présupposé et des constructions élaborées à partir de lui. Cette construction peut demeurer intacte ou être ébranlée. Mais le présupposé sera-t-il remis en cause? S’il l’est, il y aura le commencement d’une lecture nouvelle. Sinon, la lecture demeurera statique : le lecteur ne retiendra que ce qui correspond à son schéma de pensée. Si le présupposé est changé, il y a à proprement parler conversion.

Ainsi, le cercle herméneutique fonctionne correctement quand il y a progression, c’est-à-dire quand le texte biblique est lu de manière de plus en plus correcte, au travers de présupposés et de doctrines peu à peu mis à sa lumière et corrigés.

Le cercle herméneutique dysfonctionne quand les présupposés demeurent intouchables, hors de portée, comme tabous. C’est malheureusement assez souvent le cas. Alors, les raisonnements ou les « doctrines » se situent sous une double influence, si on peut dire : celle du texte biblique lu et médité et celle des présupposés qui continuent à agir, en profondeur, souvent non dévoilés.

Cette présentation a l’air savante, mais elle s’applique à tout lecteur de la Bible, à tout auditeur de la prédication, qu’il en soit conscient ou pas.

L’histoire de notre pays est fortement marquée par l’Église catholique romaine, par le Siècle des Lumières, par la Révolution et enfin par la laïcité — une certaine manière de concevoir la laïcité. À cela on pourrait ajouter d’autres influences fortes comme la libre-pensée, ou l’idéologie socialiste qui, pour un grand nombre de nos contemporains, constitue une sorte d’Évangile.

Le constat est que si nos présupposés ne sont pas mis en lumière, réformés par la Parole de Dieu, accordés à elle, ils continueront à imposer leur influence, et ce malgré les lectures, les débats, la prière, la prédication, etc. C’est sans aucun doute là la cause d’innombrables freins, d’innombrables mésententes ou encore d’accords fragiles dont les causes véritables n’apparaissent pas aisément.

Ces fragilités sont souvent mises sur le compte des questions de caractère, de jalousie, de rivalité. Cela peut bien arriver! Il est probable que des présupposés non dévoilés, autonomes, « insoumis », non accordés, soient aussi en cause, souvent. Les vœux, les articles de règlement, les décisions synodales ne vont pas nécessairement permettre d’aller au fond des choses.

La double question de l’autorité et de la collégialité est directement concernée par ce défi.

4. Trois problématiques propres au gouvernement de l’Église🔗

Pour le travail en groupe :

a. La question des confessions de foi ou quand faut-il se séparer?🔗

C’est certainement une marque de maturité que savoir déterminer ce qui constitue un principe ou une doctrine majeurs et ce qui constitue un principe ou une doctrine secondaires. « Toutes les doctrines sont importantes », dit Jean Calvin, « mais toutes ne sont pas aussi importantes ». Les Confessions de foi historiques de l’Église chrétienne sont certes marquées par les circonstances de leur temps, mais on peut considérer que les affirmations qu’elles formulent, pour la plupart, résument de manière correcte l’enseignement fondamental de l’Écriture sainte. Elles constituent, à ce titre, un fondement d’unité, imparfait, mais néanmoins précieux.

Toute séparation est un sujet de tristesse, mais toute séparation ne brise pas la communion. On peut ne pas s’accorder sur tel ou tel point (de doctrine, de jugement, de stratégie…) et convenir qu’il est préférable d’œuvrer chacun de son côté (Ac 15.39-41). On ne devient pas pour autant ennemis ou concurrents.

Nous sommes tous les témoins de ce double risque que constituent le laxisme et le rigorisme. L’un vaut-il mieux que l’autre? Sans doute pas! Mais qui va déterminer la mesure juste?

Par ailleurs, il peut exister des désaccords ou des séparations intempestives qui brisent la communion. Il peut aussi arriver que des désaccords voire des séparations s’imposent, que l’on n’a pas le courage d’assumer… L’adhésion commune à une Confession de foi ou à une Déclaration de foi permet-elle de mieux assumer certains désaccords?

b. Doctrine, piété et marche chrétienne🔗

C’est sans doute un des caractères forts du mouvement de la Réforme que d’avoir tenu ensemble la doctrine, la piété et l’engagement (la marche chrétienne, la tâche pastorale, la discipline). Que l’un de ces trois domaines soit négligé, les deux autres seront exposés à la dérive, à la distorsion, à l’amenuisement, car en réalité, ils sont dépendants les uns des autres. Or, maintes pressions sont à l’œuvre pour que ces trois pôles soient tour à tour montrés du doigt et regardés comme étant superflus, voire suspects.

« Quant à l’Église véritable, nous croyons qu’elle doit être gouvernée selon l’ordre établi par notre Seigneur Jésus-Christ, à savoir qu’il y ait des pasteurs, des anciens et des diacres, afin que la pureté de la doctrine y soit maintenue, que les vices y soient corrigés et réprimés, que les pauvres et tous les affligés (y) soient secourus dans leurs besoins, que les assemblées se tiennent au nom de Dieu et que les adultes y soient édifiés, de même que les enfants.4 »

c. Vie publique et vie privée🔗

« S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église » (Mt 18.17). La Bible nous montre à bien des reprises que ce qui se vit à la maison est déterminant. Il n’est sans doute pas exagéré de penser que beaucoup de difficultés rencontrées dans la vie de l’Église ont leurs racines dans le domaine de la vie privée. Mais qui peut se permettre de dire quelque chose sur ce qui se passe à la maison? Bien des pasteurs ou anciens ne s’y risqueront pas. Le modèle laïque français a établi des cloisons étanches entre les domaines.

Réunir sans confondre; distinguer sans séparer. La vie de couple, la vie familiale, la vie de l’Église sont bien distinctes, et chacune a ses prérogatives propres. Nulle responsabilité ne peut se substituer à une autre. Alors, comment définir ou préserver la cohérence de notre témoignage? Où situons-nous la limite de l’autorité : trop tôt ou trop loin?

5. Questions pour les ateliers🔗

Retenir une de ces trois problématiques et réfléchir ensemble aux questions suivantes :

  • Quelles questions pose-t-elle?
  • Quelles fragilités révèle-t-elle dans notre situation actuelle?
  • Comment améliorer notre équipement pour avancer fidèlement?
  • Comment mieux utiliser les moyens que Dieu met à notre disposition en tant que chrétiens?

6. Annexe – Le cadre associatif🔗

Après deux siècles de persécution et un siècle de régime concordataire mis en place par les autorités civiles, les Églises protestantes en France se sont conformées au modèle associatif imposé par l’État (1905).

Je cite le pasteur Pierre Verseils dans un rapport synodal des Églises réformées évangéliques en 1955 :

« En réalité, nous avons là le signe de l’état de malaise dans lequel vit l’Église, état qui provient de l’influence profonde qu’a exercée la loi de Séparation sur nos communautés. En créant les associations cultuelles, le législateur a, sans le vouloir, provoqué une confusion profonde qui va sans cesse s’aggravant. L’Église ne peut pas, en effet, être assimilée à une société ordinaire. Elle est une création originale, unique, qui ne peut entrer, sans être malmenée, dans un moule juridique. Comme le souligne le professeur Brunner, “les notions d’associations religieuses et d’Église s’excluent réciproquement. L’Église est, en opposition à l’association religieuse dont le fondement est la tendance, la volonté ou le but de ceux qui la composent, une communauté fondée sur la Parole de Dieu et sa volonté. […] Or, on peut dire que, de plus en plus, l’Église est devenue une association cultuelle. […] Aussi sommes-nous mal à l’aise dans un tel climat. Les conséquences ont malheureusement été inévitables; de plus en plus, nous mesurons qu’autour de nous, l’Église est considérée de cette manière. Un tel fait entraîne, bien entendu, des difficultés certaines.” »

Une des conséquences est la compréhension de la nature des ministères donnés à l’Église. Dans le Nouveau Testament, les ministères sont donnés par le Seigneur et reconnus par l’Église. Cela relève de la grâce et conditionne un sens de la vocation bien défini, pas nécessairement identique à celui d’un permanent salarié, d’un animateur ou d’un bénévole d’association.

Notes

1. Voir en annexe Le cadre associatif.

2. Il est probable, par ailleurs, que le terme « prochain » désigne lui aussi les frères, membres du peuple de Dieu. Voir par exemple ce que dit Paul en Éphésiens 4.25. Voir aussi notre article La notion biblique de prochain.

3« Tu oins d’huile ma tête, et ma coupe déborde » (Ps 23.5). C’est le Seigneur qui le fait. Nous en sommes les témoins!

4. Confession de foi de La Rochelle (1559), article 29.