Cet article a pour sujet la signification du baptême qui annonce et promet un ordre nouveau en Jésus-Christ, en qui nous sommes morts au péché avec lui par la foi et vivons de la vie nouvelle par la puissance de sa résurrection.

Source: La Parole et les sacrements. 5 pages.

Le baptême annonce un ordre nouveau

« Que dirons-nous donc? Demeurerions-nous dans le péché, afin que la grâce abonde? Certes non! Nous qui sommes morts au péché, comment vivrions-nous encore dans le péché? Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Christ-Jésus, c’est en sa mort que nous avons été baptisés? Nous avons donc été ensevelis avec lui dans la mort par le baptême, afin que, comme Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie. »

Romains 6.1-4

Avons-nous vraiment saisi cette extraordinaire réalité nouvelle, décrite avec tant de simplicité dans ce passage de la lettre de Paul aux Romains? Je crains que nous ne souffrions, trop souvent, d’une grave amnésie spirituelle qui nous empêche de saisir toute la profondeur, largeur et hauteur, toute la différence de la vie nouvelle décrite dans ces quelques lignes de l’apôtre.

Ne nous cachons pas les tentations qui nous guettent. La routine risque de nous rendre insensibles, peut-être même allergiques à ces vieux textes bibliques, pourtant fondateurs de notre foi et fondement de l’ordre nouveau chrétien. Il y a bien des chances pour que nous ayons perdu toute fraîcheur — cette fraîcheur enfantine si nécessaire à la foi — et que nous ne ressentions plus ni émerveillement ni fascination en présence du grand œuvre de Dieu, devant laquelle nous devrions exprimer toute notre gratitude.

Il se pourrait aussi que, ayant perdu toute lucidité, nous ayons été emportés par les courants des spiritualités douteuses qui déferlent actuellement sur l’Occident, comme le vieux gnosticisme drapé en des oripeaux nouveaux, ou les prétentieux et creux ordres politiques nouveaux, ou encore les pseudo-religions telles que le Nouvel Âge et autres marécageuses méditations en provenance de l’Orient… Il se pourrait même qu’au moyen de « nouvelles herméneutiques », nous nous accordions l’autorisation de « déconstruire » et de « reconstruire » ce qu’avec tant de simplicité et de clarté l’Évangile nous présente à la fois comme grâce divine et comme notre nouvelle identité.

Ce qui explique parfaitement nos léthargies, notre paresse, notre indifférence et nos routines. Nous sommes peut-être tellement obnubilés par les courants d’idées nouveaux — ou se prétendant tels — par les pseudo-spiritualités en vogue, par les explorations dans tous les domaines, que cet ordre, radicalement nouveau et différent par rapport à un monde brisé et délabré — et qui cherche pourtant à nous séduire — ne nous fascine plus. C’est cet ordre-là qui nous est annoncé à travers ce texte apostolique sur le baptême chrétien.

Nous restons installés dans nos positions confortables, dans les habitudes que nous traînons depuis si longtemps et dans les pratiques que nous perpétuons; devant l’extraordinaire, l’immense action du Dieu de Jésus-Christ, nous avons perdu toute sensibilité. Pourquoi alors nous étonner de nos défaillances personnelles et surtout ecclésiastiques, et de leurs multiples déliquescences?

L’œuvre de Dieu en Jésus-Christ est réduite par beaucoup aux dimensions étriquées d’un simple phénomène de sociologie religieuse; empêtrés dans la confusion, emportés par la mouvance idéologique et des interprétations contradictoires de la foi chrétienne, nous nous interrogeons avec inquiétude, voire avec angoisse : le christianisme va-t-il mourir? Peut-être faudrait-il interroger la marguerite : mourra-t-il, ne mourra-t-il pas? Ceci serait moins onéreux que d’avoir recours aux services de sociologues patentés! Et si le dernier pétale de l’humble fleur des champs nous annonçait catégoriquement : il mourra! il ne faudrait pas s’en étonner…

Car, en effet, il y a peu de chances de survie pour un christianisme qui ne consulte que sociologues et journalistes, au lieu d’écouter ses prophètes et de méditer sur la parole apostolique. Ce christianisme-là disparaîtra, se fondant et se confondant avec le vaste monde, à moins qu’il ne se noie dans le magma des spiritualités païennes qui nous envahissent et qui rivalisent avec la seule spiritualité vraie : celle de l’Esprit et de la Parole.

L’apôtre Paul, lui, nous parle de l’Évangile selon l’Évangile. Et ce qu’il écrit ici devrait nous inviter à une véritable célébration en Esprit. En termes simples, il décrit cet ordre nouveau, c’est-à-dire la vie chrétienne, en termes de mort et de résurrection. Ordre que le Seigneur Dieu a fondé une fois pour toutes sur la croix du Calvaire et sur le tombeau vide du Christ ressuscité. C’est aussi simple que cela, mais de cette simplicité évangélique qui nous révèle, en même temps, toute la richesse du projet libérateur du Dieu de nos vies. Le Seigneur de l’univers a entrepris en notre faveur une telle œuvre et rien ne pourra la mettre en échec. Il déclare : « Voici je fais toutes choses nouvelles. » Il le fait non sur les paroles creuses de politiciens de fortune, ni sur des victoires sanglantes à la fois immorales et humiliantes des modernes stratèges.

À cet endroit, l’apôtre associe cette réalité nouvelle à notre baptême. Le baptême, ce geste si simple, si nous comprenons correctement saint Paul, et avec lui toute la Bible, nous renvoie non pas à nous-mêmes ou à notre engagement, mais à l’œuvre de Dieu. Notre baptême signifie notre crucifixion avec Christ, notre mort avec le Sauveur du Calvaire, une mort aussi réelle que l’a été sa crucifixion et sa mort. Nous avons été ensevelis dans sa mort; nous avons été identifiés avec celui qui s’est identifié à nous et qui a porté nos péchés pour les anéantir. Dieu a englouti le mal, le péché et la mort dans et lors de la crucifixion de son Fils. Le baptême est le signe et le sceau d’une grâce qui se manifeste en dehors de nos vies. D’une grâce agissante, prévenante, pénétrante, qui nous a choisis, atteints, et qui nous a plongés en Christ.

Ainsi que l’écrit Calvin :

« Il passe de la communication de la mort à la participation de la vie. L’apôtre ne nous exhorte pas ici simplement à une imitation du Christ, comme s’il disait que la mort du Christ est comme un patron et exemple qu’il faut que tous les chrétiens suivent. Car certes, il faut monter plus haut! En effet, il propose une doctrine dont il tirera ensuite l’exhortation comme il est sous-entendu. Or, la doctrine est que la mort du Christ est efficace pour éteindre et exterminer la dépravation de notre chair et sa résurrection pour susciter en nous un état nouveau de meilleure nature, et que par le baptême nous sommes introduits à la participation de cette grâce. Ce fondement étant mis, il y a belle matière d’exhorter les chrétiens, et bien à propos, qu’ils tâchent de répondre à leur vocation. » (Jean Calvin, Commentaire sur l’épître aux Romains).

Le baptême fait donc date dans notre vie. Il sépare notre avenir de notre passé. Il est le signe d’une liquidation (et non d’un éternel retour). Pour le chrétien, le temps n’est pas un cycle; l’histoire ne se répète pas indéfiniment. Il existe des faits uniques et décisifs qui inaugurent des temps nouveaux et qui marquent les étapes successives de l’histoire. La mort et la résurrection du Christ sont ces faits qui ne seront point répétés ni au cours de l’histoire ni par une actualisation sacramentelle. Christ ressuscité des morts ne meurt plus; il est mort une fois pour toutes.

C’est notre identification avec celui qui est devenu péché pour nous sur la croix. Dieu n’a pas toléré le péché. Il l’a anéanti. Il l’a englouti dans la mort de son Fils unique Jésus-Christ, notre Seigneur, le Sauveur de son Église. Il a prononcé une sentence de mort sur lui. Dès lors, le baptême chrétien est devenu le signe et le sceau qui atteste cet ordre nouveau. À chaque baptême, nous annonçons que l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, est mort et ressuscité pour nous. Notre baptême en est le signe et devient, pour notre foi, le garant de cette façon de participer à la mort de l’unique Médiateur accomplissant le sacrifice expiatoire de nos fautes.

Il fallait que Christ meure pour nous comme victime expiatoire. Il faudra que le croyant connaisse cette mort pour parvenir lui aussi à la résurrection. Car notre identification avec la mort du Christ est aussi identification avec la résurrection du Prince de la vie. Notre baptême annonce donc le dépouillement de notre personne, sa destruction dans la mort avec tout ce qui s’oppose à Dieu; une mort à soi-même afin de revivre et de connaître une glorieuse destinée.

Nous sommes en Christ. Nous portons non seulement son nom, mais vivons encore de sa réalité. Le baptême appelle la participation, nous invite à suivre le Christ, nous conduit à travers la mort jusqu’à ce que nous accédions à la nouveauté de vie. Être conforme à Christ ne signifie pas recevoir simplement l’eau qu’administre l’officiant, car ce serait alors une caricature du véritable baptême. Le vrai baptisé est celui dans lequel le Christ a inscrit lui-même les effets de sa passion pour le transformer de fond en comble.

Quelle grâce! L’aspersion de l’eau — et nous soulignerons ici que ce n’est ni l’âge du baptisé ni la quantité d’eau comme telle qui sont la chose la plus importante dans le baptême — est le signe et le gage que nous retrouvons Dieu, et en le retrouvant, nous découvrons simultanément notre propre identité. Calvin l’a exprimé de manière définitive. Écoutons le grand réformateur au début même de son Institution : « Toute vraie sagesse consiste en deux parties : c’est qu’en connaissant Dieu nous nous connaissons nous-mêmes. » Nous n’avons pas besoin des portraits-robots des littérateurs, ni des philosophies qui bredouillent, ni des psychologies des profondeurs; d’ailleurs, laquelle faut-il choisir parmi toutes les écoles de psychologies qui pullulent sur le sol fertile des États-Unis d’Amérique du Nord? Inutile de chercher de nous comprendre nous-mêmes en dehors de Dieu; il est vain de chercher Dieu en dehors de notre identification avec le Christ.

Par Christ, à cause du Christ, dans sa passion, sa mort et sa résurrection, j’ai été réhabilité. Parce que j’ai connu Dieu, que j’ai bénéficié de son acte créateur et que je suis devenu le sujet de son ordre nouveau, je peux, désormais, me connaître aussi moi-même. Ne sous-estimons donc pas le baptême. Il est toute une prédication en acte, un témoignage concret, bien que transmis par une image.

Le baptême ne crée pas automatiquement, magiquement, cette nouvelle situation, mais nous rappelle que croire en Jésus-Christ signifie passer par l’expérience décrite par saint Paul et connaître enfin le statut initial, celui de vivre en harmonie avec Dieu. Le baptême comme sacrement vient signifier et sceller cette promesse. Il est le signe distinctif, le sceau matériel, la garantie qui ne devrait plus nous faire douter de cette nouvelle réalité. Il n’est pas la preuve ou le témoignage de notre engagement personnel pour Christ, de notre décision de l’accepter comme Sauveur, car si tel avait été le cas, nous n’aurions aucun droit de baptiser les enfants de parents croyants. Il est plutôt l’acte et le témoignage de l’engagement de Dieu en notre faveur. Il témoigne de son initiative et de sa démarche de nous venir en aide et de nous arracher au néant dans lequel nous nous débattons loin de lui. Dans mon baptême, c’est Dieu qui vient vers moi, comme mon Dieu et comme la lumière de ma vie. Tel est l’extraordinaire message du sacrement.

Dieu a déchiré lui-même le voile qui le cachait, et c’est là une découverte extraordinaire. Dieu est devenu mon Dieu et mon Libérateur. Je n’ai plus le droit de faire de lui une caricature, de l’envelopper de nuages; il les a déchirés une fois pour toutes. Le sacrement du baptême reste le témoignage suffisant et éloquent de cette énorme et bouleversante expérience. C’est là un grand prodige.

Mon baptême n’est pas mon initiative, la démonstration de mon sérieux, mais le témoignage de ce que Dieu a fait pour moi en Jésus-Christ. Il actualise ce qu’il a accompli sur le Calvaire, que je saisis par la foi. Il a choisi l’eau pour illustrer cette mort. Elle rappelle le déluge et le jugement porté par Dieu sur la rébellion humaine. Mais en sortant des eaux, l’homme est rappelé à la vie.

Dès lors, le baptême ne peut plus être considéré comme peu de chose, car à sa manière il est une merveilleuse prédication de l’Évangile. Nous ne devrions donc pas, sans préjudice pour notre foi et notre appropriation du salut éternel, demeurer indifférents à son égard. Le passage de l’apôtre montre précisément de quelle manière la mort du Christ et sa résurrection nous affranchissent de la condamnation et nous accordent la paix avec Dieu.

Et c’est à présent seulement que nous pourrons aussi parler de notre engagement. Car nous ayant délivrés du mal, Dieu nous conduit vers la nouveauté de vie qui s’appelle sainteté. Le pardon gratuit qu’il nous accorde ne nous invite pas à une complaisante liberté pour ce qui est douteux, mais à une exigence toujours plus grande vis-à-vis de nous-mêmes, à une constante confrontation avec la Parole de Dieu, à une docile soumission à l’invitation de l’Esprit. Dans la mort du Christ, il y a une puissance de mort au péché, et dans sa résurrection une puissance de consécration et un appel à la sanctification.

Notre foi implique une rupture radicale avec la convoitise, avec l’aliénation charnelle, avec la volonté de servir le mal. Elle nous engage à renoncer à toute volonté de servir l’iniquité, l’injustice, l’immoralité, l’égoïsme. Dorénavant, notre personne, autrefois soumise au mal, se trouve transformée en instrument de bonté. Or, vivre dans le péché, avertit l’apôtre, c’est replonger dans la mort, qui est le salaire du péché. Il faut rompre avec le régime ancien, chercher l’unité avec Christ, qui est la source même de la vie nouvelle.

La nouveauté de vie signifiée par notre baptême ne peut pas simplement être exprimée d’une manière rituelle. Elle se manifeste en vie quotidienne concrète, se transforme en acte de consécration. C’est une sanctification comme une démarche fidèle, constante, en processus, sans laquelle nul ne verra Dieu. La sanctification signifie aussi bien changement radical d’optique sur notre vie personnelle que vision nouvelle du monde. Face au mensonge, le courage de la vérité; contre l’amertume, la joie sereine; à la place du désespoir, l’espérance contre toute espérance.

Libérés par le Christ, nous sommes appelés à vivre comme des hommes libres. Que le mal ne règne donc plus en nous! Le Malin a déjà été détrôné. Que nul ne se décourage dans la lutte contre le mal, sous toutes ses formes. Nous avons appris que l’impératif du Christ nous entraîne plus loin encore, car appartenir à Dieu oblige à servir le prochain. Le monde est soumis au pouvoir du mal. Le mensonge, la haine et l’injustice sévissent partout, aussi bien dans les vies individuelles que dans les structures sociales, économiques, politiques… La foi au Christ n’est pas un refuge ni une fuite hors du monde, mais un appel à combattre, car sanctification et service sont indissolublement liés. Christ est la seule figure de l’histoire qui change effectivement et efficacement le cours de notre vie et celui de l’histoire.

Morts à nous-mêmes pour vivre désormais selon la volonté de Dieu et pour le service du prochain, voilà comment peuvent se résumer, en une courte formule baptismale, notre passé, notre présent et notre avenir.