Cet article a pour sujet le parler en langues d'après Actes 2 et 1 Corinthiens 14. C'était un signe montrant que Jésus est le Messie et que la mission chrétienne est une priorité, afin que l'Évangile soit prêché dans toutes les langues.

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La Bible et le parler en langues

Le don du parler en langues : voilà un thème très controversé parmi de nombreux chrétiens, pas seulement de nos jours, d’ailleurs, mais depuis l’époque des pères de l’Église, à partir du second siècle de notre ère. Cependant, pour remonter à la source de cette question, il faut reprendre directement l’enseignement du Nouveau Testament, à partir du second chapitre du livre des Actes des apôtres, qui fait suite à l’Évangile selon Luc.

Au moment de la fête des moissons, dite de la Pentecôte, les disciples du Ressuscité étaient tous réunis dans un même lieu à Jérusalem afin de la célébrer, selon la coutume juive héritée de la loi de Moïse. Le texte du livre des Actes nous dit ceci :

« Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d’un souffle violent qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres leur apparurent; elles se posèrent sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. Or il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs pieux venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. Ils étaient hors d’eux-mêmes, et dans l’admiration se disaient : Voici, ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens? Comment les entendons-nous chacun dans notre propre langue maternelle? Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont, l’Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l’Égypte, le territoire de la Libye voisine de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu! Tous étaient hors d’eux-mêmes et perplexes et se disaient les uns aux autres : Que veut dire ceci? Mais d’autres se moquaient et disaient : ils sont pleins de vin doux » (Ac 2.2-13).

La suite du texte nous montre le disciple Pierre prenant la parole et s’adressant à cette foule venue à Jérusalem de toutes les contrées à l’occasion de cette fête de Pentecôte. Pierre reprend un passage du livre du prophète Joël, dans l’Ancien Testament, pour expliquer que non, en cette heure matinale, cette poignée d’hommes qui s’adressent à tous ces visiteurs étrangers dans leurs langues respectives ne sont ni ivres ni pleins de vin doux. Ce qui se passe n’est autre que la réalisation de la prophétie de Joël, antérieure de plusieurs siècles à l’événement en train de se produire devant eux :

« Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair; vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards auront des songes. Oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes, dans ces jours-là, je répandrai de mon Esprit; et ils prophétiseront » (Jl 3.1-2; Ac 2.17-18).

Pierre explique à ses auditeurs que les prophéties en question ont trait à ce Jésus de Nazareth qui a été crucifié à Jérusalem quelques semaines auparavant, et dont ses disciples, Pierre en tout premier lieu, témoignent qu’il est revenu de la mort à la vie : c’est le signe qu’il est vraiment le Messie envoyé par Dieu que les Juifs attendaient depuis des siècles, le signe aussi de la véracité de sa mission. Ceci doit désormais être proclamé à toutes les nations, à commencer par le peuple juif, dont Jésus est descendu. C’est d’ailleurs l’ordre même donné par le Ressuscité à ses disciples juste avant son ascension au premier chapitre du livre des Actes des apôtres, qui précède le récit des événements de la Pentecôte. À la fin du chapitre 10 de ce même livre, on lit que le don de parler en langues étrangères est accordé par le Saint-Esprit aux convertis à la foi en Jésus-Christ, eux-mêmes n’étant pas Juifs de naissance, mais païens : ce don les place de fait sur le même plan que les Juifs en tant que peuple de Dieu appelé à proclamer ses louanges et la connaissance de son nom au reste des nations. Une autre occurrence de ce don apparaît au chapitre 19, lors du séjour de l’apôtre Paul dans la ville d’Éphèse.

Dans le Nouveau Testament, la question du parler en langues est reprise quelques années plus tard par Paul, dans la première lettre qu’il adresse aux chrétiens de la ville de Corinthe, en Grèce. Mais le contexte semble avoir changé. D’abord, le phénomène du parler en langues ne concerne plus seulement des langues connues, parlées couramment par les habitants de telle ou telle région. Il peut maintenant s’agir d’une forme de langage inarticulé, exprimé au cours d’un mouvement mystique, ce qu’on appelle la glossolalie et qui d’ailleurs avait cours dans d’autres cultures au sein de l’Empire romain.

Au début du chapitre 13, Paul déclare : « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis du bronze qui résonne ou une cymbale qui retentit. » Paul distingue donc ici les langues parlées et comprises par les hommes de celles parlées et comprises par les anges. Cependant, au dernier verset du chapitre 14, il écrit : « N’interdisez pas de parler en langues. » Apparemment, quelque chose a dû se passer pour que ce qui semblait être une bénédiction soit devenu l’objet d’une restriction au sein de cette Église de Corinthe. Si telle est l’injonction de Paul, pourquoi, demandera-t-on les Églises traditionnelles aujourd’hui interdisent-elles aux fidèles de parler en langues? Qu’il suffise de dire que, dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul insiste beaucoup sur la nécessité de prononcer des paroles compréhensibles pour l’édification des croyants, voire des visiteurs non croyants de l’Église. Le don des langues n’est d’aucune utilité, dit-il, s’il n’édifie pas les autres :

« Celui qui prophétise est plus grand que celui qui parle en langues, à moins que ce dernier n’interprète, pour que l’Église en reçoive édification. Et maintenant, frères, de quelle utilité vous serais-je si je venais à vous en parlant en langues au lieu de vous apporter une parole de révélation, de connaissance, de prophétie, ou d’enseignement? » (1 Co 14.5-6).

Au début du chapitre 13, Paul veut également montrer aux Corinthiens qu’il existe des dons supérieurs à celui des langues, ou de la prophétie. Il vient de mettre le don des langues au bas de la hiérarchie des dons que confère le Saint-Esprit. Dans l’Église, Dieu a établi premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des enseignants; puis viennent les dons de faire des miracles, de guérir des malades, d’aider, de diriger l’Église, et enfin de parler diverses sortes de langues inconnues. L’apôtre encourage les Corinthiens à rechercher les dons les meilleurs. Paul déclare même que dans les réunions de l’Église il préfère dire seulement cinq paroles compréhensibles pour instruire les autres plutôt que dix mille paroles dans une langue inconnue. Il continue sur cette lancée :

« En effet, imaginez que l’Église se réunisse tout entière, et que tous parlent en des langues inconnues : si des personnes non averties ou des incroyants surviennent, ne diront-ils pas que vous avez perdu la raison? Si, au contraire, tous apportent des messages inspirés par Dieu et qu’il entre un visiteur incroyant ou un homme quelconque, ne se sentira-t-il pas convaincu de péché et sa conscience ne sera-t-elle pas touchée? Les secrets de son cœur seront mis à nu. Alors il tombera sur sa face en adorant Dieu et s’écriera : Certainement, Dieu est présent au milieu de vous » (1 Co 14.23-25).

Plus loin encore, au dernier verset de ce chapitre 14, Paul écrit :

« En résumé, mes frères, recherchez ardemment le don d’apporter des messages de la part de Dieu et ne vous opposez pas à ce qu’on parle en des langues inconnues. Mais veillez à ce que tout se passe convenablement et non dans le désordre » (1 Co 14.39-40).

Ces dernières paroles nous fournissent une règle fondamentale pour la vie de l’Église : tout doit s’y faire convenablement et non dans le désordre. Paul en a donné la raison un peu auparavant, au verset 33 du chapitre 14 : « Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix. » Bien des Églises dans le monde devraient se souvenir de cette injonction pour modeler leurs pratiques sur cet esprit-là. C’est sans doute cet aspect qui a amené les Églises traditionnelles à ne pas encourager le parler en langues. La pratique du parler en langues engendre souvent du désordre, comme nous voyons que c’était le cas dans l’Église de Corinthe. C’est pourquoi Paul demande que s’il n’y a personne pour interpréter les langues inconnues, alors ce don doit être pratiqué en privé :

« S’il n’y a pas d’interprète, que celui qui a le don des langues garde le silence dans l’assemblée, qu’il se contente de parler à lui-même et à Dieu » (1 Co 14.28).

Il semble aussi que certains à Corinthe aient insisté pour que chacun prouve qu’il était rempli du Saint-Esprit en exhibant le don des langues. Pour Paul, c’est manquer d’amour, d’autant plus que tous les dons ne sont pas accordés à tous :

« Tous sont-ils apôtres? Tous sont-ils prophètes? Tous sont-ils enseignants? Tous peuvent-ils faire des miracles, guérir des malades, parler des langues inconnues ou les interpréter? » (1 Co 12.29-30).

Évidemment non! On ne peut donc pas faire du don des langues le test d’une foi sincère, encore moins de l’appartenance à l’Église.

Il est aussi important de constater que ce n’est que dans l’Église de Corinthe que ce don apparaît, car aucune autre des lettres adressées aux Églises dans le Nouveau Testament n’en fait directement mention. On a écrit avec justesse que l’apparition de ce don particulier a été limitée par Dieu au temps où les écrits du Nouveau Testament n’étaient pas encore rédigés et mis ensemble dans le recueil que nous connaissons aujourd’hui. Le Saint-Esprit y a donc pallié en accordant ce don surnaturel. En tout état de cause, l’évangélisation des non-croyants demeure l’objet principal d’une expression en langues étrangères.

Le don des langues à la Pentecôte a une portée missionnaire universelle évidente. Il permet aux disciples de proclamer les grands actes de Dieu depuis la création jusqu’à l’avènement en gloire de son Fils Jésus-Christ à des personnes qui autrement n’en entendraient pas parler. Au chapitre 10 de sa lettre aux chrétiens de Rome, Paul insiste sur la nécessité de prêcher l’Évangile aux païens :

« Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils n’ont pas cru? Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler? Et comment entendront-ils parler de lui, sans prédicateurs? Et comment y aura-t-il des prédicateurs, s’ils ne sont pas envoyés? » (Rm 10.14-15).

Dans le contexte du monde globalisé au sein duquel nous vivons, avec l’accès à l’internet et aux médias sociaux, avec les mouvements migratoires de masse auxquels — qu’on le veuille ou non — l’on est exposé, il est impératif que les Églises ayant une véritablement vision missionnaire, fidèles au mandat du Christ accordé à ses disciples avant son ascension, encouragent leurs membres à apprendre des langues étrangères afin de communiquer l’Évangile autour d’eux. Soulignons en particulier l’importance numérique, culturelle et politique de l’arabe, langue parlée sous ses différentes formes par quelque 270 millions d’hommes et de femmes, et qui ne saurait être ostracisée dans la priorité missionnaire chrétienne sous prétexte qu’elle a servi et sert encore à propager l’islam.

Du reste, si nous considérons simplement un grand nombre de régions mentionnées au second chapitre du livre des Actes, nous nous rendons immédiatement compte qu’elles correspondent au monde arabophone d’aujourd’hui (Égypte, Libye, etc.). Sans parler des régions comme la Pamphylie ou la Cappadoce, où c’est aujourd’hui la langue turque qui est parlée, ou bien encore la Mésopotamie, le pays des Mèdes, qui correspondent aujourd’hui en grande partie à l’Iraq (toujours la langue arabe) et au-delà à l’Iran (farsi et langues apparentées). Les conséquences spirituelles, culturelles et sociales bienfaisantes qui ne manqueront pas d’en découler à terme seront sans commune mesure avec l’effort requis.

Plutôt que de se laisser porter à une forme de paresse spirituelle somme toute assez nombriliste, consistant à se sentir enlevé sur des nues improbables en prononçant des paroles incompréhensibles au commun des mortels, la fidélité des Églises au Christ requiert un véritable engagement vis-à-vis du prochain (de ces prochains-là en particulier), un engagement marqué par un sens de l’effort intelligent et du sacrifice utile. Du reste, ce sera là une marque d’identité chrétienne autrement plus ferme et efficace que tous les discours politiques actuels sur « les racines chrétiennes de la France » dont les auteurs n’ont aucune idée de ce dont ils parlent, ayant bien trop honte de l’Évangile de Jésus-Christ pour donner un contenu vivant et fort à cette identité.