Cet article a pour sujet la théologie du judaïsme à l'époque du Nouveau Testament, concernant la loi, la sagesse, l'hellénisme, l'espérance messianique, le monothéisme, l'élection et la destinée éternelle.

Source: Introduction au Nouveau Testament. 10 pages.

Le cadre religieux juif du Nouveau Testament - Les grandes lignes théologiques du judaïsme

  1. Introduction
  2. La loi
  3. La sagesse
  4. L’hellénisme
  5. L’espérance messianique
  6. Le monothéisme
  7. L’élection
  8. La destinée éternelle

1. Introduction🔗

Quoique fondée sur la révélation de Dieu et bien qu’elle soit demeurée essentiellement identique à ses origines, la religion juive, celle de l’Ancien Testament, a néanmoins connu un certain développement, traversa des phases diverses au cours desquelles elle subit forcément des influences étrangères et se modifia. Telle qu’elle apparaît dans le Nouveau Testament, elle est différente par rapport à celle de l’Ancien Testament. Les siècles séparant les deux Testaments ont été caractérisés non seulement par des mouvements politiques, des mutations et des bouleversements d’ordre social, véritablement extraordinaires, mais aussi en un degré profond par une activité intellectuelle. Ces changements affectèrent la pratique de la religion juive. Des idées nouvelles furent introduites ouvrant la voie vers d’autres développements. Ceci s’aperçoit surtout dans la littérature de cette période, aussi est-il nécessaire d’en avoir une idée claire pour comprendre et surtout pour évaluer et mieux saisir le message du Christ et des apôtres.

Pendant la période exilique (6siècle avant J.-C.), la religion fut quasi entièrement expurgée d’éléments parasitaires païens et des corruptions subies lors de la période précédente. À la suite d’inlassables avertissements reçus et de châtiments infligés durant cette morne et déprimante période de son humiliation nationale, et au prix d’une salutaire souffrance, Israël apprit à abandonner le culte des rites étrangers impurs et à adorer Dieu seul, son unique Libérateur et son Législateur, comme Dieu suprême. Il a définitivement renoncé à l’idolâtrie. Même l’extrême sévérité des persécutions, par exemple sous le règne d’Antiochus Épiphane, servit à confirmer et à consolider son attachement à l’unité et à la spiritualité de Dieu.

Tandis que le sentiment d’abandon national et de désolation s’accroît et que les modes de la pensée grecque envahissent l’enseignement des théologiens juifs, une autre tendance se fait jour qui consiste à purifier et rénover l’idée de Dieu et celle de ses rapports aussi bien avec Israël qu’avec le monde. Désormais, la conception de la transcendance de Dieu est prédominante, elle devient même l’élément exclusif de la foi. Auparavant, Dieu séjournait d’une manière trop familière parmi son peuple; il lui parlait dans l’intimité par l’intermédiaire de ses prophètes. À présent, il habite les régions inaccessibles et ses rapports ne sont plus aussi personnels et intimes que jadis. Cette conception de Dieu imprimera sa couleur à toute à la littérature de l’époque. L’Israélite pieux se gardera de prononcer le nom de Dieu en lui substituant un équivalent, par exemple le « ha shamaim », c’est-à-dire les cieux. Fortement imprégnés de cette nouvelle idée théologique, les contemporains de Jésus refuseront d’accorder crédit à l’intimité avec laquelle celui-ci parlait de Dieu et le déclarait son Père.

En admettant l’existence de telles étapes dans la formation de la pensée théologique juive contemporaine de Jésus, nous ne faisons pas droit à l’idée évolutionniste de la religion et de la révélation de l’Ancien Testament, celle qui est propre à toute pensée critique et libérale. Nous tenons simplement à souligner le caractère progressif de la révélation qu’il n’est nullement superflu de rappeler. Elle est certes la même révélation des origines, mais elle a suivi une méthode pédagogique qui, au fur et à mesure de l’enchaînement d’événements extérieurs, constituant la trame de l’histoire religio-politique d’Israël, s’est affirmée, s’est affinée et a cherché à conduire le peuple vers une plus grande maturité dans sa foi. Nous examinerons certaines constantes religieuses de la période en question. Cet examen nous permettra, croyons-nous, de mieux éclairer notre lecture du Nouveau Testament.

2. La loi🔗

La plus complète et la plus pure idée de Dieu durant cette période fut accompagnée du respect accru envers la loi. Lorsque Dieu, dans le passé, se retirait dans des nuées inaccessibles, mettant un terme à sa communication avec son peuple, la connaissance de sa volonté ne pouvait s’obtenir que de manière indirecte, par ses actions et discours du passé.

À présent, n’ayant plus de voix vivante pour le diriger, Israël ne peut que s’appuyer sur la parole écrite. À mesure que les circonstances deviennent pénibles et les fidèles sont plongés dans la perplexité, la nécessité d’étudier la loi se fait sentir de manière pressante. Stimulé par l’Exil, le regard sur la loi s’est approfondi et s’est confirmé sous l’effet même de calamités nationales pour atteindre presque un degré quasi passionnel, particulièrement dans la secte pharisienne. Ainsi, lorsqu’une chaîne oppressive pèse sur la nation et menace la dissolution totale et définitive de la vie nationale, on se tourne vers la loi. Elle devient non seulement le fondement de l’unité civile, mais encore la règle souveraine et le critère suprême de la conduite privée. Les scribes, dont la fonction particulière consiste à l’exposer, atteignent une position d’une très grande proéminence et pour finir par exercer sur les consciences des gens un grand pouvoir.

C’est vers le 3siècle que les livres de l’Ancien Testament actuellement reconnus comme canoniques ont été rassemblés comme écrits sacrés. Plus tard, vers la fin du premier siècle de notre ère, ils furent déclarés (?) comme écriture canonique par le synode juif de Jamnia.

Parallèlement s’est développée une tradition orale. Elle se divise en deux parties : la première nommée « Halaka », signifiant « marcher », la seconde, « Hagaddah », que nous traduirons par « enseignement ». La Halaka définissait la loi, la Hagaddah l’expliquait et l’illustrait par des matériaux narratifs. L’ensemble, caractérisé par l’observation scrupuleuse des détails et des préceptes, est confié aux soins des scribes, en général associés aux pharisiens. C’est là la tradition des anciens dont il sera question dans les Évangiles (Mt 15.2; Mc 7.3; le fardeau des pharisiens dans Mt 23.4 et Lc 11.46).

Durant les premiers siècles de notre ère, la loi orale, avec ses amplifications et ses discussions accumulées, fut progressivement consignée par écrit en deux centres différents et en deux Talmuds de formes diverses : le Talmud babylonien et le Talmud palestinien.

Avec la nouvelle conception, l’accent se déplaça de ce qui était national vers ce qui devenait davantage personnel. Jusqu’à présent, le peuple avait été l’objet principal de considération religieuse des devoirs et des privilèges de la nation; ses erreurs et ses chutes constituaient la principale préoccupation de l’esprit religieux. À présent, la manière de penser est inversée et les responsabilités et les exigences individuelles sont fortement soulignées. L’abolition virtuelle de la nation lors de l’Exil réveilla le sens du péché individuel et stimula la recherche individuelle de la faveur divine.

L’espérance de la restauration nationale n’était pas tout à fait éteinte, pas plus que l’attente de la destruction des religions païennes et la reconnaissance par eux du Dieu d’Israël. Cependant, ceci allait se réaliser uniquement par la piété individuelle.

Un des résultats notables en fut le développement et le renforcement de la conscience individuelle, témoin les récits canoniques du livre de Daniel et apocryphes ou deutérocanoniques de Suzanne. Bientôt le zèle missionnaire ou prosélytiste invitera les hommes à accepter la foi au Dieu révélé d’Israël. Pour comprendre cette évolution, notamment dans la Diaspora, on doit se rappeler que, depuis l’Exil, hormis la période asmonéenne, le peuple juif a formé une communauté religieuse plutôt qu’un corps d’individus tenus ensemble par des rites religieux.

L’examen du rôle et de la véritable nature de la loi durant cette période s’impose également pour éviter, même en lisant le Nouveau Testament, des malentendus à son sujet. Laissons Frank Michaéli le soin d’introduire la notion biblique de loi.

« Pour tenter de répondre à cette question, il convient d’abord de comprendre exactement la portée du mot loi, dans la Bible. Dans la langue hébraïque, le mot usuel qu’on traduit par loi n’a pas le sens étroit et juridique que nous lui donnons souvent de nos jours. […] La loi (“torah” en hébreu) est une parole vivante prononcée par un personnage qui parle au nom de Dieu, après l’avoir consulté. C’est un enseignement, un oracle de l’Éternel, comme les paroles des prophètes, reçues sous l’inspiration directe de Dieu. C’est une ordonnance que Dieu donne aux hommes, au cours d’une révélation précise dans un temps et un lieu donnés. Dans le sens le plus exact du terme, la loi est une parole du Dieu vivant qui intervient dans la vie de son peuple, qui le conduit, le sauve, l’aime et attend de lui une obéissance fidèle à ses ordres. Elle est un enseignement qu’Israël doit recevoir, comme des préceptes à observer certes, mais aussi comme des promesses faites par Dieu, dans sa bonté pour le peuple qu’il s’est choisi, afin de faire éclater devant les autres nations sa souveraineté absolue.
Il y a un don de la loi qui est une grâce de la part de Dieu, car selon le mot devenu célèbre dans l’histoire de l’Église : Dieu donne ce qu’il ordonne. Loin d’être un commandement pénible et théorique, la loi de Dieu est l’expression de l’amour du Seigneur pour les siens, et par conséquent devient un sujet de joie pour les fidèles. Malheureusement, cette notion s’est peu à peu figée dans l’idée d’une prescription juridique… avant de devenir le fardeau sous lequel vivait le croyant juif, à l’époque de Jésus, en scrutant minutieusement la lettre des Écritures vidées de l’esprit dans lequel elles avaient été prononcées. Jésus a exprimé des paroles dures envers ceux qui avaient transformé la vie religieuse du judaïsme en un légalisme hypocrite et mensonger.
Si l’on comprend bien ce caractère vivant de la loi dans l’Ancien Testament, et si l’on y trouve les paroles que Dieu a données à son peuple tout le long de son histoire, on ne sera pas surpris de rencontrer, dans les textes, des différences importantes entre tel et tel commandement. Il y a des lois de Dieu qui ont une autorité telle qu’elles dépassent les circonstances dans lesquelles elles ont été prononcées ou formulées. Mais par ailleurs, d’autres lois du même Dieu et ayant la même autorité concernaient les circonstances particulières qui sont maintenant loin derrière nous, dans le passé.1 »

3. La sagesse🔗

L’idée de la sagesse emplit le contenu et donne le ton à toute une section de l’Ancien Testament et de la littérature de la période intertestamentaire, appelée littérature de sagesse, tels que dans le livre de Job, dans les Psaumes, les Proverbes, Ben Sira, l’Ecclésiastique (à ne pas confondre avec le livre canonique de l’Ecclésiaste), l’Ecclésiaste, la Sagesse de Salomon. Dans ce domaine aussi, les racines avaient été plantées dès les temps préexiliques, mais son développement prit son essor par la réflexion des temps ultérieurs. Elle exprime de manière très spéciale la pensée et la volonté de Dieu pour ses manifestations supérieures; la sagesse s’associa à la parole de Dieu, laquelle fut même personnifiée de manière poétique et évidemment non ontologique, c’est-à-dire sans lui assigner des attributs de l’être de Dieu. La sagesse est l’agent ou le messager de Dieu à travers lequel il révèle sa volonté et accorde au monde l’expression de sa bienveillance et de sa puissance (Prov. 8). Elle est la première de toutes les créations divines, l’amie de tous ceux qui l’aiment (Ecclésiastique 1.4-10).

Ses pensées sont plus profondes que les mers, ses conseils plus vastes que l’étendue des océans (Ecclésiastique 24.29). Dans un style très vivant, le livre de la Sagesse décrit l’origine et le caractère de la sagesse, en rappelle les louanges et insiste sur les avantages qu’elle procure (Sagesse 7 à 9). Que ce mode de pensée s’imposa à la théologie juive ressort parfaitement de la lecture des Targums qui sont des expositions araméennes de l’Ancien Testament, largement répandues au cours des premières années chrétiennes. Dans les Targums, la Parole de Dieu apparaît comme une personne concrète qui se tient à la place même de Dieu comme véhicule de son auto-expression, l’instrument par lequel le monde exécute ses desseins.

Une doctrine presque semblable, mais davantage influencée par la pensée hellénistique se développera à Alexandrie par le penseur juif Philon. Acceptant la conception juive de la transcendance divine, Philon découvre dans la Parole (le Logos) des écrits de l’Ancien Testament le pouvoir et le véhicule à travers lequel sa raison et son énergie se mettent en rapport avec le monde. Le Logos est le fils premier-né, qui a été formé par l’Ange le plus élevé, second de Dieu. C’est par lui que le monde a été créé.

4. L’hellénisme🔗

L’influence de la pensée grecque peut se découvrir dans un certain nombre de croyances juives tardives. En dépit de sa tendance exclusiviste, le mouvement hellénistique qui, à la suite des conquêtes d’Alexandre le Grand, s’est répandu dans le bassin méditerranéen n’a pas laissé sans toucher les Juifs, plus particulièrement ceux de la Diaspora, du fait de leur contact et de leurs rapports immédiats avec la nation la plus intellectuelle de l’Occident. La connaissance de leur langue et la familiarité avec leurs coutumes et leurs idées donneront un souffle nouveau, non seulement à la littérature juive tardive, mais encore aux styles des écrits du Nouveau Testament.

Par exemple, le livre de la Sagesse est largement imprégné d’hellénisme dans la manière de penser et par les emprunts qu’elle fait à la phraséologie d’écoles philosophiques grecques. Il énumère en approuvant les quatre vertus cardinales de la morale grecque exprimées en termes platoniques de la création du monde, à partir d’une matière sans forme; il appelle la manne la nourriture ambrosiaque et représente la vertu couronnée tel un vainqueur des joutes athlétiques. Le livre de l’Apocalypse de Jean (Ap 7.9), dans la description qu’il fait des saints, se sert d’une illustration propre aux compétitions grecques qui dans les temps précédents auraient pourtant répugné aux Juifs.

Ce sont là quelques-unes des indications d’un échange non négligeable de pensée qui eut lieu et au cours duquel non seulement les idées morales et politiques, mais également philosophiques et religieuses se communiquaient et étaient reçues. Les Juifs ont contracté à leur égard une grande dette conceptuelle. Sans doute trouvaient-ils chez les penseurs grecs des affirmations claires et précises de vérités telles que l’immortalité de l’âme ou la récompense et le châtiment réservés dans l’au-delà. Les plus grandes conséquences, cependant, de cette familiarité avec la langue occidentale et la pensée furent l’adoucissement de l’ancienne division entre Juifs et païens et la préparation à la prédication de l’Évangile universel. C’est à la lumière de cette exceptionnelle influence hellénistique et grecque qu’il est possible de comprendre le non moins extraordinaire succès qu’atteignirent les travaux de Paul et des autres apôtres missionnaires.

5. L’espérance messianique🔗

Évoquons pour terminer l’espérance messianique qui anime les Juifs de la période intertestamentaire et les contemporains de Jésus.

À strictement parler, l’espérance messianique est l’attente qu’a Israël d’un Messie, l’assurance certaine dont témoignent des hommes de foi inspirés par les prophètes, qu’un libérateur-roi, de la lignée de David, sera envoyé par Dieu pour les sauver des mains des étrangers oppresseurs et redonner au peuple de l’alliance son ancienne gloire, effacer toute trace de calamités subies, inaugurer une nouvelle ère de paix et de prospérité, telle que jamais encore le monde n’avait connue auparavant. Une interprétation plus large nous permettra de la comprendre comme une indication de la foi en un avenir radieux où les délivrances futures divines et la bénédiction de Dieu reposeront sur le peuple en dehors même de toute considération spécifiquement monarchique.

L’ensemble du sujet est vague et varié. L’espérance prend d’abord telle forme, ensuite telle autre. Tandis qu’une école théologique, celle des prophètes, la favorise, une autre école qui se manifeste chez d’autres auteurs de la littérature dite sapientiale (de sagesse) semble l’ignorer totalement. Dans ce cas, l’école possède son propre idéal, celle de sa conception de la sagesse qui n’est pas une espérance messianique, mais une pensée que des chrétiens ont vu réalisée et achevée en Jésus-Christ, au même titre et degré que comme libérateur royal. Pour dire la chose autrement, notre Seigneur a réuni en sa personne un certain nombre d’espérances et d’idées propres à la foi et à la religion d’Israël en les accomplissant à sa manière, mais qui n’était pas la réplique exacte de celle attendue par les premiers rêveurs. Cependant, elle est plus complète et plus parfaite. Avec cette notion générale du sujet, nous sommes prêts à émonder ses branches et à suivre son développement dans les rayons dispersés de la révélation primitive, qui seront ensuite réunis et accentués dans l’Évangile.

En premier lieu, nous rencontrons le caractère sacré de la royauté primitive d’Israël. Ceci est vivement souligné dans le récit primitif de l’onction de Saül (1 S 9.16; 10.1). Ici, nous voyons un roi choisi par Dieu pour être oint par le prophète de Dieu en signe de l’approbation divine et chargé de la mission de délivrer la nation des mains ennemies. Ainsi, le trône porte de très grandes espérances. Mais l’espoir s’est vite tourné en désillusion. Saül poursuivit sa propre voie ambitieuse et, dans sa juste désapprobation, le prophète Samuel annonça son rejet.

Le même processus est répété dans le choix et l’onction de David (1 S 16.1-13), cette fois-ci avec des résultats plus heureux. Le second monarque d’Israël étant le premier guerrier devint aussi un très grand souverain. La nation fut non seulement délivrée de l’oppression et des ravages causés par des nomades de maraudeurs voisins, mais étendit ses frontières pour fonder un véritable empire et offrir les signes d’une promesse d’une grande puissance impériale.

Pendant quelque temps, les regards seront éblouis par l’éclat de cet empire temporel. Hélas!, le peuple ne tarda pas à éprouver une nouvelle déception. À ses débuts, le règne de Salomon fut plus glorieux encore que celui de son père. Mais il se prouva onéreux et excessivement lourd. Entouré de mauvais conseillers, son fils et héritier Roboam se comporta en autocrate et provoqua un soulèvement contre lui. Finalement, la révolte aboutit à un schisme qui divisa Israël en deux royaumes, celui du Nord, appelé Israël, celui du Sud portant le nom de Juda. La suite donna un mélange de bons et de mauvais souverains. À l’époque du prophète Ésaïe, Israël regardait vers son passé, vers l’ancienne gloire splendide et magnifique qui semble à jamais révolue.

David, le souverain idéal (ou idéalisé?) devenait à présent une personne plus grande que le David de la réalité historique. On avait oublié les crimes que ce héros national avait pourtant commis. On se souvenait uniquement de ses succès militaires. Alors vit le jour un second espoir qu’un second David apparaîtrait pour réaliser définitivement ce que le fondateur de la dynastie légitime n’avait pu achever en son temps.

Étant donné que l’Assyrie était un adversaire plus redoutable que la Phénicie ou la Philistie, un David plus grand que le roi guerrier devenait nécessaire pour briser le joug assyrien. À ce stade, les prophètes vinrent au secours du peuple avec leurs discours inspirés répondant aux besoins populaires, plaçant l’espérance à un autre niveau, supérieur à un simple niveau politique (És 11.1-10). Ce grand oracle est le premier qui exprime avec précision que le Messie sera un descendant de David.

Des indications et des suggestions d’une délivrance future avaient déjà été accordées antérieurement, mais enfin nous avons la promesse distincte d’un second David. La valeur religieuse de cette prophétie est tracée dans le portrait du caractère moral et spirituel du futur Messie. Celui-ci est plus que conquérant. Il est roi juste, plein de compassion, pacifique parce qu’animé de la crainte du Seigneur.

À la lumière de ce grand oracle qui, à vraie dire, constitue la clé de l’espérance messianique, nous pouvons nous tourner vers des oracles primitifs plus obscurs. Le premier se trouve dans Ésaïe 7, et c’est l’annonce de la naissance d’Emmanuel. Une difficulté surgit cependant, car on devra déterminer avec exactitude qui il y est prédit. On se rappellera que cette prophétie est profondément ancrée dans l’histoire immédiate d’Israël. Certains l’interprètent comme faisant allusion à la naissance d’un fils qu’attendrait le prophète lui-même; d’autres y voient un jeune prince dans le palais royal. En allant vers le second de ses oracles primitifs, nous voyons un enfant mystérieux acclamé avec les titres les plus magnifiques en Ésaïe 9.6; cette nouvelle description est la plus glorieuse qui soit faite du Messie de l’Ancien Testament. Devrait-on appliquer ses attributs et titres seulement à un enfant contemporain du prophète? L’oracle du chapitre 9 renvoie à celui du chapitre 11 pleinement contemporain. La solution de la difficulté se trouvera dans un aspect important de la prophétie messianique. Nous devons distinguer entre les idées d’une part et l’application locale, temporelle et personnelle de celle-ci d’autre part.

Les prophètes de l’Ancien Testament étaient inspirés pour percevoir les idées qui brillaient sur eux comme des luminaires éclatant dans le firmament. Mais il ne leur était pas accordé de connaître avec précision les temps de l’avènement. Même le Seigneur Jésus-Christ a avoué qu’il ne lui était pas donné de connaître le jour et l’heure de son propre avènement futur.

À plus forte raison doit-on s’attendre à cela des prophètes de l’Ancien Testament lorsqu’ils parlent du Fils de l’homme. Par conséquent, il ne faudrait pas être surpris de ce qu’ils s’attendaient à l’apparition du libérateur plus tôt qu’il ne fût venu. Étant des hommes d’un grand enthousiasme, certains d’entre eux étaient prêts à saluer un jeune prince ou un autre comme celui prévu par les promesses divines.

Ésaïe dut rêver que l’enfant qui devait naître durant la crise syrienne devait posséder toutes les qualités décrites au chapitre 9. Par conséquent, il apparaît comme le prince pacifique et vainqueur du chapitre 11. L’histoire n’a pas vu la réalisation de son rêve. Dieu n’éduquait pas son peuple, même pas ses prophètes, à travers des illusions dues à leurs visions limitées dans le temps. Mais il n’y avait aucune illusion dans les idées prophétiques; l’illusion était limitée au cadre historique seulement.

Ici, nous parvenons à la vitalité merveilleuse de l’espérance messianique. La désillusion ne l’a point anéantie. De nombreuses personnes ont été désignées comme celles en qui allait se réaliser la promesse : ainsi Ézéchias, Zorobabel, même le païen Cyrus, et plus tard le patriote Judas Maccabée. Tous ont été actifs et leurs actions se trouvent conformes à l’espérance messianique. Mais l’idée en était beaucoup trop grande et sa vaste application n’était pas réservée à eux seuls. Ainsi, à la fin on dut reconnaître que l’attente ne fut pas honorée. Pourtant, elle survivra. On reconnut que Dieu mettait à l’épreuve la patience de la nation par le retard de l’accomplissement, sans pour autant que l’espérance et son invincible vitalité s’éteignent. C’est en vue de cette remarquable combinaison de la foi et de la déception que nous devons lire de nombreux passages qu’ordinairement on appelle passages messianiques, bien que dans leur forme ils ne soient pas prophétiques. Par exemple, le Psaume 2 a été appliqué à plusieurs personnages, tels que David, Salomon, Josaphat, Ahaz, Ézéchias, Alexandre Jannée. Force nous est de constater, avec les Israélites de cette période, que le glorieux royaume divin ne fut pas réalisé au cours de l’histoire par aucun de ces personnages.

L’espérance, elle, demeura telle une ferme confession de foi! Le psalmiste ne cherchait pas simplement à exprimer une loyauté exubérante. En se confiant en Dieu, il voyait clairement ce qui devait être accompli en la personne du vrai roi élu de Dieu. En décrivant le Roi comme fils de Dieu, il n’a pas atteint la vision du mystère de Paul et de Jean, perçue dans le Christ incarné. Mais, en son temps, il a été transporté sur une nuée lumineuse celle de l’espérance, et crut que le jour des pleines bénédictions de la révélation de la Nouvelle Alliance était imminent.

De la même manière, le Psaume 72 a été appliqué à Salomon, à Ézéchias, à d’autres. Mais il n’épuisait pas pour autant sa riche et profonde signification dans aucun d’entre eux. Les grands souverains d’Israël ont chacun réalisé, de façon partielle seulement, l’idéal national; la pleine réalisation ne sera atteinte que lors de l’avènement du Christ. Parfois, ce que nous appelons espérance messianique se résume à peu de chose, à plus qu’une ligne sans fin des rois de la descendance davidique. Certaines des prophéties sont citées au jour du Seigneur; le Psaume 89 est écrit dans cet esprit-là. Même ici il est remarquable que l’espérance qu’on accroche à la racine de David soit si persistante et tellement assurée. D’autre part, il existe une catégorie de prophéties qui n’a pas de lien avec l’espérance messianique bien définie, mais qui est fixée au jour du Seigneur et qui annonce la rédemption future. Ici, Dieu en personne est appelé le Libérateur. Il ne se trouve nulle place pour un agent humain.

Un prince de la maison de David qui n’était plus que prince ne pouvait accomplir ce qui était attendu. Les maux des temps étaient beaucoup trop vastes et les espérances d’un âge d’or à venir trop brillantes même pour le plus illustre des souverains, quoiqu’ils fussent choisis et oints par Dieu. Les Juifs furent déçus dans leur assurance placée sur le trône de David. Cette espérance leur avait coûté un prix élevé. Aussi, bien souvent, ils s’abandonnèrent à la lassitude et au découragement, jusqu’à ce que leur espoir fut ravivé dans un autre secteur.

Dieu, et lui seul, en personne, deviendrait leur Rédempteur. C’est la note dominante de la seconde partie du livre d’Ésaïe, lorsqu’aucun secours humain ne pourra soulager le peuple de ses maux. Mais l’idée du jour du Seigneur (le « yom Jahvé ») est antérieure à ça. Amos avertit du jugement de Dieu. Sophonie voit un jour de vengeance divine, les ennemis d’Israël seront écrasés et Israël sera exalté. Nous y trouvons l’idée la plus élémentaire de la rédemption. Une note plus profonde encore est celle selon laquelle le jugement s’abattra également sur Israël, le peuple même de Dieu qui sera sauvé; seul un reste sera épargné. Alors la grande espérance sera le privilège pour ce reste fidèle. Ces deux idées, celle du fils glorieux de David et celle de l’intervention divine directe, ne sont jamais unies avec précision dans l’Ancien Testament. On les comparera à deux lumières brisées qui attendent leur réunification dans l’accomplissement de la révélation du Nouveau Testament.

Trois autres idées importantes ne furent pas reconnues à l’époque comme espérance messianique :

1. L’idée de l’apparition d’un futur prophète, d’après Deutéronome 18.18, n’est jamais liée au Messie dans l’Ancien Testament, ainsi qu’elle le sera dans le Nouveau où Jésus apparaît d’abord comme Prophète et ensuite est salué comme le Christ-Messie.

2. La grande pensée du Serviteur souffrant du Seigneur, dans la seconde partie du livre d’Ésaïe, concerne-t-elle Israël dans son ensemble, ou bien Jérémie, ou une autre figure historique, ou bien encore le reste fidèle d’Israël? L’idée du Messie n’y est même pas effleurée. Mais puisque l’idée est inspirée de Dieu, peu importe la manière de sa réalisation concrète au cours de l’histoire; l’essentiel est qu’elle soit inscrite sur les pages du Livre prophétique.

3. La prophétie de Jérémie relative à une Nouvelle Alliance (Jr 31.31-34) n’est pas directement associée à l’espérance messianique, mais constitue une anticipation typique et claire de l’attente dans l’Ancien Testament. Jésus en parlera lors de l’institution de la Cène, et l’Évangile l’appliquera à la constitution du nouveau peuple de Dieu, l’Église.

Lorsque nous considérons l’accomplissement de la prophétie en Jésus-Christ, nous devons voir qu’il n’a pas essayé de faire cela de manière extérieure. Il vint tel un Roi, parce qu’il introduisit le Royaume de Dieu; il est venu comme Libérateur, Sauveur du péché, ce qui est la pire des oppressions; il est également venu en tant que la suprême et ultime révélation que Dieu fait aux hommes. Il est à la fois Serviteur souffrant et Fondateur de la Nouvelle Alliance. Qu’il réclamât pour lui le titre de Messie, on ne peut le nier sans détruire tout l’Évangile; ainsi, l’essence spirituelle de la messianité constitue l’élément vital de son ministère. Il y a ajouté les grandes idées du jour du Seigneur, celle du Dieu Rédempteur de même que l’élément prophétique de la souffrance et de l’alliance qui n’avaient pas été associés dans l’Ancien Testament; tous ces aspects verront leur accomplissement dans sa mission.

6. Le monothéisme🔗

Israël interpréta l’Exil babylonien comme la discipline de Dieu imposée afin de lui apprendre à ne pas adorer d’autres dieux. À partir de l’Exil, le monothéisme caractérisera toute sa vie religieuse et nationale. Le grand « Shema », « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Dieu » (Dt 6.4), devint le credo fondamental de la religion et des fidèles et il ne fut jamais sérieusement mis en question. Avec les fidèles et les théologiens juifs de cette période, on insiste sur la sainteté et la transcendance de Dieu, mais cette insistance n’exclut pas une relation personnelle avec lui. Cet attachement au monothéisme absolu a causé la mort violente de très nombreux Juifs, prix extrêmement élevé pour refuser l’idolâtrie sans compromission.

7. L’élection🔗

Comme avec le monothéisme, la conviction que les Hébreux étaient le peuple élu de Dieu sera davantage renforcée comme résultat de l’Exil. Depuis l’époque d’Esdras, l’exclusivisme et la séparation auront caractérisé la nation. Cette séparation se voit dans des pratiques religieuses spécifiques relatives à la circoncision, le sabbat, la loi, le sacerdoce, le refus de mariages avec des étrangères, etc. L’élection d’Israël est liée à la terre palestinienne; la terre devenait ou était considérée comme leur possession permanente. L’ascendance politique était la leur aussitôt que les exigences de l’obéissance étaient respectées.

8. La destinée éternelle🔗

Le judaïsme du premier siècle ne connaît pas d’unanimité autour de la foi dans l’au-delà. Certains auteurs apocryphes, tels que Sirak, font l’écho de la foi qui est partagée par une grande partie de l’Ancien Testament selon laquelle l’entrée dans les enfers (shéol) permet une existence dans les ombres, quoique l’idée en est très peu précisée. Aussi bien le livre de la Sagesse que le 4livre des Maccabées affirment l’immortalité de l’âme. La résurrection est affirmée dans 2 Maccabées. Ceux qui affirment la résurrection ont des points de vue divergents quant à sa nature. Pour certains, la vie à venir viendra comme une expression glorieuse de l’âge présent. D’autres dénient les plaisirs physiques (fêtes, sexe, etc.) qui seraient inclues dans la résurrection. Le shéol (en grec hadès), est de plus en plus considéré comme le lieu de séjour des iniques où ils sont torturés, d’ordinaire par le feu. Parfois, le châtiment est remplacé par l’annihilation et, pour des pécheurs moindres, il y aura libération après une période limitée. Ainsi qu’on le voit, la théologie juive de l’au-delà n’était pas un dogme bien établi et fixe.

Note

1. F. Michaéli, L’Ancien Testament et l’Église chrétienne d’aujourd’hui, Delachaux et Niestlé, p. 24- 26.