Cet article a pour sujet l'attitude du chrétien à l'égard de l'argent. L'argent appartient à Dieu et nous en sommes les gérants. Ne faisons pas de l'argent un dieu (Mammon), mais utilisons-le pour le bien (travail, générosité).

Source: Le chrétien et la société. 3 pages.

Le chrétien et l'argent

Symbole de prédominance des valeurs matérielles, l’argent joue un rôle de premier ordre dans la vie économique, les revendications sociales, et prend de plus en plus une grande part dans les soucis de la vie pratique. Le goût de bien-être a remplacé d’autres aspirations plus élevées, disons plus spirituelles. Tout est envisagé sous l’angle de l’argent. Le travail, l’éducation, la famille, le patriotisme, parfois même la religion. Notre civilisation tout entière est fondée sur lui. Il la conditionne et la modifie profondément. Sans doute, l’argent a eu une place dans la pensée des hommes de tous les temps. Sans doute, il y a toujours eu des hommes cupides, mais notre temps est singulier parce que la pensée dominante de tous les hommes aujourd’hui est de trouver de l’argent. La préparation au métier, la préoccupation pour la retraite, l’obsession des réformes économiques, la lutte pour les systèmes politiques; tout ceci forme la vie de l’homme actuel, tout cela prouve aussi l’envahissement de l’homme par l’argent. Il est la mesure de toute chose, de toute valeur; sa suprématie sur notre civilisation et sur notre culture, loin de diminuer, poursuit au contraire sa marche triomphale.

Certains ont prétendu que l’économie pourrait fonctionner sans argent. Mais en réalité, cela appartient au domaine de l’utopie. Même dans un État communiste, il faudrait un signe de valeur représentant soit le travail, soit les produits. Le communisme prétend délivrer l’homme de l’emprise de l’argent, celui-ci étant identifié avec le capitalisme. Il est vrai que le capitalisme comme système est tout à fait centré sur l’argent. Il a pour mobile l’intérêt à gagner de l’argent, comme but inavoué, la domination de l’argent sur la vie tout entière. Mais il est faux que le communisme soit anti-capitaliste et qu’il détruise la suprématie de l’argent. En réalité, il substitut à un capitalisme privé le capitalisme d’État. Il substitue à une domination de fait de l’argent sur la vie des hommes, une domination de droit imposée par l’État et justifié par la loi. Le communisme met le comble à la domination de l’argent. Et en ce qui concerne les individus, leur situation économique, sociale et morale n’est en rien modifiée par un régime communiste à l’égard de l’argent.

Quelle doit être alors l’attitude chrétienne à l’égard de l’argent et quelles sont les grandes lignes de la politique économique que nous pourrions dégager de l’ensemble de la révélation biblique? Tout d’abord, nous y lisons une affirmation essentielle : l’argent appartient à Dieu. Dans un mot célèbre, prononcé lors des circonstances particulières de l’histoire du peuple Israël, le prophète Aggée affirme : « L’argent est à moi et l’or est à moi, dit le Seigneur » (Ag 2.8). La Bible ne condamne pas les richesses matérielles comme telles. Au contraire, celles-ci révèlent, dans l’Ancien Testament au moins, la splendeur et la gloire de la création. Elles renvoient notre regard vers celui qui en est l’auteur et le propriétaire. Parfois, Dieu accorde la richesse à l’homme pour le combler de sa bénédiction. S’il lui donne de la richesse, c’est pour que celui-ci en jouisse et qu’il en vive; car comme tout don de Dieu, la richesse est une grâce de Dieu. Quant au Nouveau Testament, nous voyons que Jésus avait de l’amitié pour certains riches et ne les excluait pas par des a priori sociopolitiques qu’on voudrait lui attribuer de nos jours. Ici comme dans l’Ancien Testament, l’homme n’est pas considéré comme le propriétaire, mais comme le dépositaire de l’argent. Il doit en user, car certaines choses sont nécessaires à la vie et à la marche du monde.

Dans sa grande bonté, Dieu prend soin de l’homme et il pourvoit à sa subsistance. Dieu lui octroie le droit à la dignité et à la liberté, afin que sa créature ne s’aliène jamais à la pauvreté dégradante; l’homme qui travaille doit être récompensé. L’ouvrier, écrit saint Paul, est digne de son salaire (1 Tm 5.18). Une rémunération décente et suffisante doit récompenser la peine de l’homme. Mais ici également, l’homme doit limiter l’usage de l’argent, afin de rendre gloire à Dieu. Il est simplement chargé d’administrer ce bien, pour la gloire de Dieu et les besoins des autres. Ayant donc tout subordonné à la liberté de la grâce de Dieu, aussi bien la vie morale que le domaine pratique de la vie de l’homme, la Bible ne laisse rien dans une autonomie vis-à-vis de Dieu. C’est à cause de ce principe fondamental que nous pouvons y trouver des indications encore très précises et concrètes pour l’emploi de l’argent. Qu’il soit permis d’en citer deux ou trois seulement.

Tout d’abord, il n’est pas permis d’encaisser l’or et l’argent. Dieu condamne les accumulations qui les rendraient comme la poussière. Car l’argent reste un moyen d’échange. Toute accumulation d’argent signifie avarice et méfiance à l’égard de Dieu et par conséquent, refus de servir les hommes. Il y a parfois incompatibilité entre la possession des biens et l’amour du prochain. En s’appropriant des biens, on peut se passer de Dieu, et par conséquent, ne plus tenir compte de l’éthique qu’il nous propose et de l’amour fraternel auquel il nous invite.

L’argent peut devenir une puissance démoniaque, le Mammon, comme disait Jésus, c’est-à-dire une sorte de divinité. Jésus est allé aussi loin que de personnifier l’argent, car il nous révèle quelque chose d’exceptionnel sur lui. La puissance de l’argent peut être surnaturelle. Elle tente de tenir Dieu en échec. « Nul ne peut servir deux maîtres, car ou ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Mt 6.24). La première communauté chrétienne a connu le triste cas d’un couple, Ananias et Saphira, qui par cupidité et avarice, se sont séparés des frères et du coup tombèrent sous le jugement divin (Ac 5.1-11). Et parmi toutes les puissances démoniaques qui se sont liguées contre Jésus, l’argent a aussi joué un rôle. Jésus a été vendu et trahi pour quelques pièces d’argent (Mt 26.14-16). Et trois jours plus tard, les juifs qui voulurent taire la résurrection du Seigneur achetèrent avec l’argent le silence des gardiens du tombeau! (Mt 28.11-15).

L’argent ne doit pas devenir une menace pour l’homme. C’est un autre principe d’éthique chrétien. Il ne doit pas susciter la passion sans limites. Il ne doit pas inciter à multiplier la volonté de puissance. Il ne doit pas s’intercaler entre l’homme et son prochain. Les biens de la création sont des biens de consommation. Le riche égoïste est maudit. Les biens sont pour les pauvres, non pour que ces derniers s’enrichissent, mais afin que cesse leur misère. Dieu ne tolère pas la pauvreté dégradante des hommes. Si par une sorte de fatalité l’homme met toute sa confiance en l’argent, il barre lui-même son entrée dans le Royaume. Jésus-Christ demande une renonciation radicale. Qu’il est difficile, dit-il, pour un homme riche d’entrer dans le Royaume! (Mt 19.23). Bien entendu, il en est ainsi pour le riche dont la richesse est l’unique valeur et la seule consolation.

Pourtant, tout contact avec l’argent n’est pas interdit. Pour celui qui connaît la seigneurie de Jésus, l’argent a perdu sa puissance. Il est dévalorisé. Ce qui compte c’est la capacité d’en disposer librement. Alors l’argent peut devenir signe de communion fraternelle. Les premières Églises chrétiennes ont pratiqué avec une extraordinaire efficacité des collectes en faveur des nécessiteux. Subordonné à Dieu, l’argent est utilisé pour subvenir aux besoins de l’homme.

Saura-t-on tirer profit d’un tel enseignement et dont l’actualité n’échappe sans doute à personne? Nous avons ici des données et des indications, des prescriptions et des appels, telles que notre vie et nos relations pourraient, si elles s’y conformaient, connaître une transformation totale. Aussi bien à l’échelle privée que sociale et internationale, nous trouverions pour notre temps des solutions inespérées. Car personne ne peut prétendre ignorer les misères qu’il côtoie tous les jours, et rester indifférent en face des appels urgents qui nous parviennent des pays en voie de développement. Mais alors, le vrai problème n’est pas celui de l’argent, ni de l’organisation de l’économie, ou la question de la répartition des richesses, mais celui de faire passer l’économie et l’argent au second plan de la civilisation et des sociétés ainsi que de la préoccupation des hommes. À cette condition-là, les solutions apparaîtront.

En terminant, disons-le aussi clairement. L’Écriture ne décrit pas avant tout une ligne de politique économique. Elle rend témoignage à celui qui nous a acheté par son sang précieux et dont la Parole nous est offerte gratuitement. Nous ne pouvons nous délivrer d’aucune puissance qui nous asservit, ni même de celle de l’argent. Mais nous savons que le Mammon aussi a été jugé et condamné sur la croix. Devant Dieu, nous tous sommes des pauvres, démunis de toute richesse terrestre, afin de revêtir la seule richesse que la rouille n’atteint pas et que les valeurs ne convoitent point. Dieu a payé le prix pour nous racheter. Nous pouvons entrer dans le monde de Dieu où tout est grâce. Nous sommes dans le monde de l’amour de Dieu qui nous invite :

« Vous tous qui avez soif, venez aux eaux, même celui qui n’a pas d’argent! Venez, achetez et mangez, venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer! Pourquoi pesez-vous de l’argent pour ce qui ne nourrit pas? Pourquoi travaillez-vous pour ce qui ne rassasie pas? Écoutez-moi donc, et vous mangerez ce qui est bon, et votre âme se délectera de mets succulents » (És 55.1-2).