Cet article a pour sujet le conseil éternel de Dieu, en particulier ses décrets d'élection et de réprobation d'après la Confession de La Rochelle et d'après Jean Calvin.

Source: La connaissance de Dieu. 8 pages.

Le conseil de Dieu - Textes réformés sur l'élection et la réprobation

  1. La Confession de foi de La Rochelle (1559)
  2. Jean Calvin

1. La Confession de foi de La Rochelle (1559)🔗

La pensée de Calvin a été exprimée principalement dans la formule que les Églises réformées en France ont reconnue dans leur Synode à Paris, en 1559, comme résumant fidèlement, sur ce point, l’ensemble des données scripturaires. Cette formule est donnée dans l’article 8 du projet de confession de foi que Calvin fit présenter au Synode de Paris, et qui est devenu, avec des modifications rédactionnelles insignifiantes, l’article 12 de notre confession dite de La Rochelle.

« Nous croyons que de cette corruption et condamnation générale en laquelle tous les hommes sont plongés, Dieu retire ceux lesquels en son conseil éternel et immuable il a élu par sa seule bonté et miséricorde en notre Seigneur Jésus-Christ, sans considération de leurs œuvres, laissant les autres dans cette même corruption et condamnation pour démontrer en eux sa justice comme dans les premiers il fait luire les richesses de sa miséricorde. Car les uns ne sont pas meilleurs que les autres, jusques à ce que Dieu les discerne selon son conseil immuable, qu’il a déterminé en Jésus-Christ avant la création du monde. Et nul aussi ne pourrait introduire à un tel bien de sa propre vertu; vu que de nature nous ne pouvons avoir un seul bon mouvement, affection ni pensée, jusques à ce que Dieu nous ait prévenus et nous y ait disposés. »

La pensée est claire : elle a le tranchant du glaive; certains pécheurs ont été prédestinés à sortir de la corruption où ils sont plongés et à parvenir au salut, et cela en dehors de toute prévision d’œuvres quelconques, méritoires ou simplement utiles. Ceux qui ne sont pas les objets de cette élection gratuite sont prédestinés, du fait même de cette prétérition, à recevoir le juste salaire de leur rébellion. C’est la réprobation. Il est évident que, de la part du Tout-Puissant, une telle prétérition a la signification d’un acte positif. Ce qu’il prévoit comme devant arriver certainement et qu’il n’empêche pas, il en décrète, par cela même, l’avènement.

Que cette doctrine de l’élection gratuite et d’une juste réprobation soit conforme à l’Écriture, les passages des lettres de Paul aux Romains (Rm 9) et Éphésiens (Ép 1) le rendent clair. Ils sont contraignants. Mais si la formule est claire et si elle est déjà dure pour la raison naturelle, dans sa clarté, il ne faut pas lui faire dire plus qu’elle ne dit.

Il n’y est pas question de prédestiner le plus grand nombre des hommes au mal, pour pouvoir les damner ensuite. Calvin a expressément protesté contre ce travestissement de sa pensée.

2. Jean Calvin🔗

« Le nom de Calvin est resté attaché à la mention de ce mystère, sans doute parce qu’il en a été l’expositeur le plus profond et le plus résolu, le plus courageux, dirons-nous. Mais avec des nuances diverses, depuis saint Augustin, nous retrouvons cette doctrine enseignée soit chez les catholiques romains, soit chez les luthériens, et parfois avec un sentiment moindre de la mesure que celui qu’y apporte le docteur de Genève.1 »

Nous le suivrons dans ce qu’il y développe. Ci-dessous, nous donnons de larges extraits des pages de l’Institution chrétienne de Calvin dans sa version en français moderne2.

Livre 3, chapitre 21 : Exposé de la doctrine; ses difficultés.

1. « Si le fait que le salut est gratuitement offert aux uns et que les autres en sont exclus doit à l’évidence être attribué à la volonté de Dieu, il n’en soulève pas moins des questions difficiles, qu’on ne peut éclairer qu’en expliquant aux fidèles ce qui concerne l’élection et la prédestination, matière fort ardue aux yeux de plusieurs, qui n’arrivent pas à comprendre que Dieu prédestine les uns au salut, les autres à la destruction. […] Nous ne serons jamais assez clairement persuadés que notre salut a sa source dans la miséricorde gratuite de Dieu si nous n’avons pas d’abord discerné tout aussi clairement son élection éternelle. En effet, l’action de sa grâce est ici manifeste, puisqu’il n’ouvre pas à tous l’espérance du salut, mais donne aux uns ce qu’il refuse aux autres… »

« Avant de traiter la question, je dois faire une remarque préalable destinée à deux sortes de personnes. Alors que ce sujet de la prédestination est en lui-même difficile, il est rendu plus ardu pour ne pas dire périlleux, parce que souvent l’intelligence humaine ne veut pas accepter de limites, qu’elle s’égare dans de longs détours et qu’elle veut monter trop haut et sonder les secrets de Dieu. […] Prenons donc bien garde à ceci : désirer savoir sur la prédestination plus qu’il n’en est dit dans l’Écriture est une aussi grande folie que […] d’espérer voir dans les ténèbres. Il n’y a pas de honte à ignorer quelque chose en cette matière, où une certaine ignorance est plus savante que la science… »

3. « Par ailleurs, pour éviter cette difficulté, d’autres personnes voudraient enterrer la question, ou du moins interdire qu’on examine un sujet qu’ils jugent dangereux. […] Pour raison garder entre ces deux extrêmes, il nous faut revenir à la Parole de Dieu dans laquelle nous avons une règle sûre d’interprétation exacte. Car l’Écriture est l’école du Saint-Esprit, dont l’enseignement n’omet rien de ce qui est salutaire, et ne mentionne rien d’inutile. Gardons-nous d’empêcher les fidèles d’examiner ce que l’Écriture dit de la prédestination afin qu’on ne puisse pas nous reprocher de les priver d’un bien que Dieu veut leur communiquer, ou de censurer le Saint-Esprit comme s’il avait publié ce qu’il aurait été bon de supprimer… »

4. « Évitons de scruter ce que Dieu a tenu caché et de négliger ce qu’il a révélé, de peur qu’il ne nous convainque ou d’excessive curiosité, ou d’ingratitude. »

5. « La prédestination, par laquelle Dieu a destiné les uns au salut et les autres à la mort éternelle […] est entortillée dans des arguties diverses, par ceux-là surtout qui veulent la fonder sur la prescience de Dieu. La prédestination et la prescience appartiennent l’une et l’autre à Dieu, mais il est absurde de faire dépendre l’une de l’autre. Quand nous parlons de la prescience de Dieu, nous voulons dire que toutes choses ont toujours été, et demeurent toujours, sous son regard, de sorte que pour lui il n’y a ni passé ni futur, mais que toutes choses sont pour lui présentes. Elles ne lui sont pas présentes en apparence, comme les choses dont nous nous souvenons sont présentes à notre pensée; pour lui elles sont présentes en toute vérité : il les voit comme étant devant sa face. […] Et nous appelons prédestination le dessein éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque homme. Car il ne les crée pas tous pour la même fin, mais destine les uns à la vie éternelle et les autres à la mort éternelle. Selon la fin assignée à chacun, nous disons qu’il est prédestiné à la mort ou à la vie. Ainsi, Dieu a manifesté sa prédestination non seulement en chaque homme, mais dans toute la lignée d’Abraham… »

7. « Comme l’Écriture le montre clairement, nous disons donc que Dieu a une fois pour toutes arrêté en son dessein éternel et immuable qui il voulait sauver et qui il vouait à la perdition. Nous disons que ce dessein en ce qui concerne les élus est fondé sur sa miséricorde, indépendamment de tout mérite humain; qu’au contraire, pour ceux qu’il voue à la condamnation, la porte de la vie est close, et que cela se fait par son jugement secret et incompréhensible, et cependant juste et équitable. Nous affirmons au surplus que l’appel qu’entendent les élus est une preuve de leur élection et que la sanctification en est un autre témoignage, jusqu’au jour où ils entreront dans la gloire, dans laquelle leur élection trouvera son accomplissement. De même que le Seigneur marque ceux qu’il a élus en les appelant et en les justifiant, il montre à l’inverse quel jugement est préparé aux réprouvés en les privant de la connaissance de sa parole et de la sanctification de son Esprit… »

Livre 3, chapitre 22 : Fondement scripturaire de l’élection.

1. « Beaucoup de gens contestent ce que nous venons de lire, surtout en ce qui concerne la gratuité de l’élection. Car ils imaginent que Dieu choisit tel ou tel selon ses mérites, qu’il connaît d’avance. Il adopterait donc ceux dont il sait qu’ils ne seront pas indignes de sa grâce et abandonnerait à leur condamnation ceux dont il prévoit la méchanceté et l’impiété […] ce qui revient à nier l’élection. […] Mais écoutons ce que dit l’Écriture. Il est clair que lorsque saint Paul enseigne que nous avons été élus en Christ avant la fondation du monde (Ép 1.4), il écarte toute idée de mérite de notre part, car c’est comme s’il disait : Ne trouvant rien qui soit digne de son élection dans toute la descendance d’Adam, Dieu a tourné les yeux vers son Christ afin de choisir pour être membres de son corps ceux qu’il voulait sauver. Les fidèles retiendront donc cette vérité : Dieu nous a adoptés en Jésus-Christ pour être ses héritiers parce que nul d’entre nous n’avait en lui les mérites qui pouvaient justifier cette faveur… »

3. « Puisque Dieu nous a élus afin que nous soyons saints, il ne nous a pas élus à cause de notre sainteté future qu’il prévoyait. En effet, il y a entre ces deux propositions une contradiction absolue : ou bien les fidèles tirent leur sainteté de l’élection, ou bien ils ont été élus à cause de leur sainteté. Le sophisme de nos contradicteurs est dénué de valeur : si Dieu, disent-ils, ne rétribue pas des mérites qui ont précédé la grâce de l’élection, il confère l’élection en raison des mérites à venir. Car, ajoutent-ils, quand l’Écriture dit que les fidèles ont été élus afin qu’ils soient saints, cela veut dire que toute leur sainteté à venir tire son origine de l’élection. Mais, je le répète, c’est confondre l’effet de l’élection et la cause de l’élection. »

7. « Écoutons maintenant ce qu’en dit le souverain Maître et son souverain Juge. Trouvant ses auditeurs si complètement endurcis que son enseignement ne servait presque à rien, […] Jésus s’est écrié : Tout ce que le Père me donne viendra à moi, car la volonté du Père est que je ne perde rien de ce qu’il m’a donné (Jn 6.37,39). Notez bien que lorsque nous sommes confiés à la protection de notre Seigneur Jésus, c’est le Père qui nous donne à lui. La cause initiale est en Dieu. […] Les paroles du Christ sont parfaitement claires et tous les sophismes n’y peuvent rien changer : Nul, dit Jésus, ne peut venir à moi si le Père ne l’attire à moi; mais quiconque a entendu le Père et a reçu son enseignement vient à moi (Jn 6.44-45). […] Notons bien que lorsque Jésus dit qu’il connaît ceux qu’il a élus, il désigne une partie du genre humain qu’il met à part, non en raison des mérites qu’elle pourrait avoir, mais en vertu d’une décision de Dieu. Les élus ne sont donc pas choisis en raison de leur initiative ou de leur zèle, puisque Jésus-Christ affirme que c’est de Dieu que vient leur élection. […] En résumé, c’est Dieu qui crée par adoption gratuite ceux qu’il veut avoir pour enfants. La cause intrinsèque, comme on dit, de l’élection est en lui seul, puisque l’élection ne dépend que de son bon plaisir. »

10. « Certains objectent que Dieu se contredit en appelant à lui tous les hommes et en n’accueillant que peu d’élus, […] puisque la prédication de l’Évangile appelle tout le monde à la repentance et à la foi et que l’esprit de repentance et de foi n’est pas donné à tous. […] Je réfute ces arguments, car ils sont doublement faux. Dieu, lorsqu’il menace de faire pleuvoir sur une ville et de frapper l’autre par la sécheresse, ou lorsqu’il annonce qu’il enverra ailleurs une famine de sa Parole (Am 4.7; 8.11), ne s’astreint pas à une loi qui obligerait à appeler tous les hommes indifféremment. En défendant à Paul de prêcher en Asie et en le détournant de la Bithynie pour le conduire en Macédoine (Ac 16.6-10), il montre qu’il est libre de distribuer le trésor du salut à qui bon lui semble. Dans Ésaïe, il déclare plus explicitement encore qu’il réserve la promesse du salut aux seuls élus; car c’est d’eux, et non de toute l’humanité indistinctement, qu’il dit qu’ils seront ses disciples (És 8.16ss). On voit donc que ceux qui soutiennent que le salut est prêché à tous pour que tous sans exception en profitent se trompent lourdement. Seuls les enfants de l’Église goûteront le fruit de cet enseignement. […] Nous dirons donc que la Bonne Nouvelle s’adresse à tous, mais que le don de la foi est accordé à quelques-uns. […] Ce n’est pas une nouveauté pour nous que la semence tombe souvent parmi les épines ou sur les pierres, non seulement parce que la plupart des hommes sont rebelles à Dieu et agissent en rebelles, mais parce que tous n’ont pas les yeux pour voir et des oreilles pour entendre. […] La foi a un rôle à jouer à côté de l’élection, mais ce rôle est second, comme cela ressort clairement de cette parole du Christ : c’est la volonté de mon Père que je ne perde rien de ce qu’il m’a donné, car sa volonté est que quiconque croit au Fils ne périsse pas (Jn 6.39-40)… »

11. « La même chose est vraie des réprouvés. Car si Dieu fait miséricorde à ses élus par son libre choix, le rejet des réprouvés n’a pas non plus d’autre cause que sa volonté. Lorsque l’Écriture dit que Dieu endurcit les cœurs ou fait miséricorde selon son bon plaisir, elle nous avertit de ne pas chercher de raisons en dehors de sa volonté… »

Livre 3, chapitre 24 : L’élection est attestée par la vocation.

1. « Pour mieux élucider la question, il convient de parler ici de l’appel, ou de la vocation, des élus ainsi que de l’aveuglement et de l’endurcissement des réprouvés. […] Dieu manifeste par la vocation qu’il adresse à ses élus la grâce qu’il tenait auparavant cachée en lui-même. On peut donc dire qu’en appelant il déclare le choix qu’il a fait. Car il a connu d’avance ceux qu’il a prédestinés à être semblables à l’image de son Fils. Et ceux qu’il a prédestinés il les a aussi appelés; et ceux qu’il a appelés il les a justifiés pour qu’ils soient en leur temps glorifiés (Rm 8.29-30). Bien qu’en choisissant le Seigneur ait adopté les siens pour ses enfants, nous voyons qu’ils ne prennent possession de leur héritage que lorsqu’il les appelle; mais dès qu’ils sont appelés, ils jouissent des bienfaits de l’élection. […] En associant la vocation à l’élection, l’Écriture montre bien que la vocation ne dépend de rien d’autre que de la miséricorde gratuite de Dieu. Car si nous demandons qui il appelle et pourquoi, l’Écriture répond : ceux qu’il a élus. Et quand nous remontons jusqu’à l’élection, nous ne voyons de toute part que la miséricorde de Dieu… »

3. « Il nous faut ici éviter deux erreurs. Certains font de l’homme un collaborateur de Dieu qui rend l’élection efficace en l’acceptant. Cela revient à subordonner la décision de Dieu à la volonté de l’homme. Comme si l’Écriture disait que Dieu nous donne seulement la possibilité de croire, et non que la foi elle-même est pleinement un don de Dieu! D’autres, je ne sais par quelle raison poussés, font dépendre l’élection de la foi, comme s’il n’y avait rien de ferme et d’assuré jusqu’à ce que l’on croie. Or il est bien vrai que la foi confirme l’élection et que la décision, auparavant secrète, de Dieu, nous est ainsi dévoilée, mais il faut nous garder d’aller au-delà de ce que nous avons dit, à savoir que l’adoption de Dieu, qui nous était inconnue, est manifestée et authentifiée par la foi. Ce serait une contre-vérité d’affirmer que l’élection reçoit son efficacité lorsque nous acceptons l’Évangile et que c’est dans son Évangile que nous devons trouver la certitude de l’élection, car si nous tentions de pénétrer jusqu’au décret éternel de Dieu, nous nous engloutirions dans un abîme. Mais lorsque Dieu nous a révélé que nous sommes parmi ses élus, il faut lever les yeux en haut de peur que l’effet n’ensevelisse la cause. Car lorsque l’Écriture nous dit que Dieu nous a donné l’illumination de la foi parce qu’il nous avait préalablement élus, il serait absurde de nous laisser éblouir par cette illumination au point d’oublier notre élection… »

5. « Si nous cherchons la clémence paternelle de Dieu et sa bienveillance envers nous, nous devons tourner les yeux vers le Christ, en qui repose la joie du Père (Mt 3.17). Si nous désirons le salut, la vie et l’immortalité, nous ne devons pas non plus chercher ailleurs, car lui seul est la source de la vie, l’ancre du salut, et l’héritage du royaume des cieux. Vers quel but en effet tend l’élection, sinon que, étant adoptés par Dieu comme ses enfants, nous obtenions par sa grâce le salut et l’immortalité? […] Le Christ est le miroir où il nous appartient de contempler notre élection, et ce miroir ne saurait nous mentir… »

6. « Si nous voulons savoir si Dieu se soucie de notre salut, demandons-nous s’il nous a remis au Christ, auquel il a donné en garde tous ceux qui lui appartiennent. Si nous sommes inquiets de savoir si le Christ nous a acceptés en sa tutelle, il apaise notre inquiétude en se présentant à nous comme le bon Berger et en déclarant qu’il nous mettra au nombre de ses brebis si nous entendons sa voix. Accueillons donc Jésus-Christ, puisqu’il vient à nous avec tant de douceur et s’avance pour nous recevoir. Nul doute qu’il nous fera place dans son troupeau et nous gardera dans son bercail… »

8. « La parole du Christ, qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, est souvent mal comprise. Elle est sans ambiguïté si nous nous rappelons […] qu’il y a deux sortes d’appels. Il y a une vocation universelle, la prédication publique de l’Évangile, par laquelle le Seigneur appelle à lui tous les hommes, même ceux pour qui cet appel doit être une odeur de mort (2 Co 2.16), et aggraver leur condamnation. Il y a d’autre part une vocation spéciale, qu’il destine, pour l’essentiel, aux seuls croyants, et par laquelle il fait pénétrer sa parole dans leur cœur au moyen de la lumière intérieure de son Esprit. Il arrive pourtant que cette vocation soit adressée à des hommes qu’il éclaire pour un temps et qu’il abandonne ensuite, à cause de leur ingratitude, à un aveuglement plus grand qu’avant… »

10. « Cependant, les élus ne sont pas tous réunis au troupeau du Christ par la vocation du Seigneur dès le ventre de leur mère, ni au même moment, mais quand il plaît à Dieu de leur accorder sa grâce. Avant d’être convertis au souverain Berger, ils sont errants comme les autres, dispersés dans la dissipation universelle de ce monde; rien ne les distingue des autres, sinon que Dieu les préserve par une miséricorde spéciale, de tomber dans l’abîme de la mort éternelle. […] S’ils ne s’enfoncent pas dans une impiété désespérée, ce n’est pas en raison de quelque bonté naturelle, mais parce que le Seigneur veille sur leur salut et étend la main pour les y conduire… »

11 « Retenons fermement ce que nous dit l’Écriture; nous avons été semblables à de pauvres brebis égarées, chacun descendant son propre chemin (És 53.6), son chemin de perdition. Ceux que le Seigneur a décidé de retirer du gouffre, il les secourt à son heure, et jusque-là il les préserve de tomber dans le blasphème impardonnable. »

Les réprouvés

12. « De même que le Seigneur conduit au salut par son appel ceux qu’il a prédestinés de toute éternité, de même il exécute envers les réprouvés les jugements pour lesquels il les a réservés. Ceux-là donc qu’il a destinés à la mort éternelle pour qu’ils soient des instruments de sa colère et des exemples de sa sévérité, il les conduit à leur fin en les endurcissant; car il les prive de la possibilité d’entendre sa parole, ou il fait en sorte qu’en l’entendant ils soient confirmés dans leur aveuglement… »

13. « Pourquoi fait-il grâce à l’un en abandonnant l’autre? De ceux qui sont appelés, Luc dit qu’ils étaient destinés à la vie éternelle (Ac 13.48). Que penserons-nous alors des autres, sinon qu’ils sont des instruments de colère voués à la ruine? N’ayons donc pas honte de dire avec saint Augustin : Dieu pourrait à coup sûr convertir au bien la volonté des méchants, car il est tout-puissant. Il le pourrait, évidemment. Pourquoi donc ne le fait-il pas? Parce qu’il ne le veut pas. Cela est caché en lui. Car nous ne devons pas en savoir plus qu’il ne convient. »

14. « Il est certain que Dieu agit ainsi. Reste à savoir pourquoi. Si l’on répond que les hommes l’ont mérité par leur perversité et leur ingratitude, on aura fort bien répondu. Mais comme cela ne nous dit pas pourquoi le Seigneur courbe les uns à l’obéissance et fait persister les autres en leur endurcissement, il faut bien nous rallier à ce que dit saint Paul citant le témoignage de Moïse à propos de Pharaon : il les a suscités dès l’origine afin de faire connaître son nom à toute la terre (Rm 9.17). Si les réprouvés résistent à la parole qui leur ouvre le Royaume, c’est à juste titre qu’on l’imputera à leur perversité, à condition que l’on ajoute que c’est le jugement équitable, mais incompréhensible, de Dieu qui les a suscités pour manifester sa gloire dans leur condamnation. […] Acceptons avec patience de n’en pas comprendre la raison et devant la sublime hauteur de la sagesse de Dieu résignons-nous à ne pas tout savoir… »

16. « Mais on viendra me dire : s’il en est ainsi, les promesses de l’Évangile sont incertaines, puisque leur caractère universel est contredit par ce que Dieu a décidé en secret. Je regrette cette objection, car si nous envisageons les effets des promesses du salut, nous constatons que leur universalité n’est pas incompatible avec la prédestination des réprouvés. En effet, nous savons que les promesses de Dieu nous sont destinées uniquement quand nous les faisons nôtres par la foi; inversement, quand la foi est absente, elles sont abolies. Si telle est bien la nature des promesses, nous voyons qu’il n’y a aucune contradiction entre le fait que Dieu a choisi de toute éternité ceux qu’il voulait prendre en grâce et ceux qu’il voulait rejeter et le fait qu’il promet le salut à tous les hommes. J’affirme au contraire qu’il y a là une cohérence parfaite. Car les promesses de Dieu signifient que sa miséricorde est offerte à tous ceux qui la recherchent. Or nul ne la recherche sinon ceux qu’il a éclairés et il donne sa lumière à ceux qu’il a prédestinés au salut. Ceux-là expérimentent la vérité inébranlable de ses promesses. On peut donc affirmer qu’il n’y a aucune contradiction entre l’élection éternelle de Dieu et le fait qu’il manifeste sa grâce aux fidèles. »

« Mais pourquoi l’Évangile dit-il : tous les hommes? C’est afin que la conscience des fidèles soit apaisée en constatant qu’il n’est fait aucune différence entre les pécheurs dès lors qu’ils ont la foi; et que d’autre part les iniques ne se plaignent pas de n’avoir nul refuge où abriter leur misère, puisqu’ils s’en sont privés par leur propre ingratitude. Ainsi donc, alors même que la miséricorde de Dieu est offerte aux uns comme aux autres par l’Évangile, il n’y a que la foi, c’est-à-dire l’illumination de Dieu, qui distingue les fidèles des incrédules, de sorte que les premiers jouissent des bienfaits de l’Évangile, tandis que les seconds n’en tirent aucun profit. Or cette illumination est régie par l’élection de Dieu… »

« Nos contradicteurs répliquent que rien n’est moins conforme à la nature de Dieu que d’avoir deux volontés. Je leur accorde, à condition qu’ils tirent de cette affirmation des conséquences correctes. […] La conclusion que j’ai déjà formulée me paraît répondre à l’objection : bien que pour nos sens il y ait une apparente diversité dans la volonté de Dieu, il ne veut pas cependant telle et telle chose en elle-même. Ce qu’il veut, c’est que nous soyons émerveillés, selon les termes de saint Paul, de l’infinie diversité de la sagesse, jusqu’à ce qu’il nous soit donné de comprendre, au dernier jour, de quelle manière admirable il veut ce qui semble aujourd’hui contraire à son vouloir. »

« Nos adversaires ont encore recours à des arguties qui ne méritent pas de réponse. Puisque Dieu, disent-ils, est Père de tous, il n’est pas juste qu’il déshérite aucun de ses enfants, sinon ceux qui par leur propre faute se sont rendus indignes du salut. Qui ne sait, ajoutent-ils, que la bonté de Dieu s’étend jusqu’aux chiens et aux pourceaux. Tenons-nous-en au genre humain. Qu’ils me disent pourquoi Dieu a choisi un seul peuple pour s’allier à lui, pour être son Père, à l’exclusion des autres peuples; et pourquoi de ce peuple qu’il s’est choisi il ne s’est réservé qu’un petit nombre, la fleur de tous, pour ainsi dire. »

« Dernière objection : Dieu, dit-on, ne hait rien de ce qu’il a fait. Je peux l’accorder sans m’écarter de ma doctrine, puisque les réprouvés sont haïs de Dieu, et à bon droit, parce qu’étant privés de son Esprit ils ne peuvent rien faire qui ne mérite malédiction. On dit encore que la grâce de Dieu est pour tous les hommes indifféremment, puisqu’il n’y a aucune différence entre le juif et le païen. Je l’accorde à nouveau, mais dans le sens où l’entend Paul, c’est-à-dire que Dieu appelle, non seulement d’entre les Juifs, mais d’être les païens (Rm 9.24), qui bon lui semble, sans avoir d’obligation envers quiconque. Nous ferons la même réponse aux objections tirées d’un autre texte qui dit que Dieu a tout enclos sous le péché afin d’avoir pitié de tous (Rm 11.32). Oui bien, mais parce qu’il veut que le salut de tous les sauvés soit attribué à sa miséricorde, quoique ce bienfait ne soit pas accordé à tous les hommes. Quand on aura bien débattu et échangé tous les arguments, il faudra bien conclure en nous émerveillant avec saint Paul : laissant les langues débridées répandre leurs sarcasmes nous n’aurons pas honte de nous écrier : Ô homme, qui es-tu pour contester Dieu? (Rm 9.20). Car saint Augustin dit très justement que ceux qui mesurent la justice de Dieu à l’échelle de la justice humaine font preuve de beaucoup de perversité. »

Notes

2. Jean Calvin, L’Institution chrétienne. Édition abrégée en français moderne rédigée par Henri Evrard, Presses bibliques universitaires, 1985.