Cet article sur la christologie a pour sujet le nestorianisme qui sépare les deux natures du Christ (deux personnes). Nestorius fut condamné au Concile d'Éphèse (431) et au Concile de Chalcédoine (451).

Source: Les débats christologiques anciens. 4 pages.

Les débats christologiques anciens (12) - La controverse nestorienne

Selon Cyrille, l’opposant de Nestorius, l’union de Dieu et homme en Christ n’était pas d’un caractère moral, mais elle était « phusikè ». Il ne faisait pas les distinctions aussi nettes que la théologie postérieure fera entre « prosôpon », « hupostasis », et « phusis ». C’est pourquoi il pouvait dire que l’humanité et la divinité ont été unies en Christ « eis mian ousian » (une seule substance) et qu’alors Christ était « mia phusis » (une seule nature). Eutychès déduisit de ces expressions de Cyrille, qui ne s’opposent pas nécessairement à la doctrine orthodoxe, que les deux natures de Christ perdent leurs qualités et qu’elles changent en une seule nature qui est le résultat du mélange de la nature humaine avec la nature divine. Ce monophysisme était condamné par le Concile de Chalcédoine (451). Les monophysites parlaient quelquefois comme les apollinaristes de l’absence de la connaissance humaine de Christ. Ils parlent cependant aussi de l’omniscience de Christ. Les deux idées sont des conclusions de l’idée selon laquelle la nature humaine de Christ serait absorbée par la nature divine.

Nestorius, un moine antiochien devenu évêque de Constantinople en 428, poussa la christologie antiochienne à ses extrêmes limites. Il souleva ainsi une controverse qui fit rage de 428 à 433. Constantinople était à l’époque, avec Alexandrie, la plus importante métropole ecclésiastique de l’Orient. D’autre part, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Rome constituaient les quatre grands patriarcats de l’Église impériale. Pour bien comprendre la controverse, il convient de ne pas perdre de vue les rivalités qui les opposaient entre eux.

Nestorius, qui s’élevait contre le culte naissant de Marie, l’appelait « christotokos » (mère du Christ). Il n’acceptait de l’appeler « théotokos » (mère de Dieu), comme le faisait la piété monacale et populaire de l’époque, que dans la mesure où Marie avait donné naissance à un homme auquel le Logos s’était uni. Une distinction antiochienne trop stricte des deux natures du Christ lutte ici contre une mariologie naissante. Origène avait déjà discuté de la légitimité de l’emploi d’une telle formule. Alexandre d’Alexandrie l’utilisait, et son emploi devint de plus en plus fréquent chez les Pères post-nicéens. « Théotokos » voulait seulement confesser que l’homme auquel Marie avait donné naissance était Dieu même. La formule déplaisait à Nestorius. Il ne concevait pas le Christ comme un « psilos anthrôpos », un simple homme, mais maintint la réalité des deux natures. Il le faisait cependant en dissociant les attributs respectifs de l’une et de l’autre, niant toute interpénétration. Les deux natures sont unies « eis henos prosôpou sunapheia », dans l’union d’un seul être (Ép. 5, p. 176), en quoi la nature humaine du Christ est le simple instrument du Logos. Elle est « l’inseparabile instrumentum divinitatis » (Or. 8, p. 247). Le « theos logos » est uni à « l’organon theotètos » auquel Marie a donné naissance (Or. 9, p. 252). Chacune des deux natures conserve ses propriétés, de telle sorte que seule la nature humaine naît, souffre, meurt et ressuscite (Or. 8, p. 247; 10, p. 266 ss; Ép. 5, p. 179).

Cyrille d’Alexandrie, ferme partisan de la christologie alexandrine, est jeté dans la bataille par les adversaires de Nestorius. Il n’en demande pas plus, car il désire frapper la christologie antiochienne et en même temps vise à humilier les patriarcats de Constantinople et d’Antioche qui rivalisent avec celui d’Alexandrie. Encouragé par les bonnes relations qui existent entre Rome et Alexandrie, il fit de Célestin I, évêque de Rome, son allié. En même temps, il dénonça Nestorius comme hérétique à la cour de l’empereur à Constantinople. Il lui reprochait d’enseigner un double Christ, un Christ divin et un Christ humain, portant ainsi un coup fatal à son œuvre rédemptrice. Si Jésus est mort simplement en homme, sans que sa nature divine participe à son sacrifice, il n’a pas racheté l’humanité. Il importe à Cyrille, et on le comprend, que Jésus soit mort comme Dieu fait chair (« hôs theos en sarki »), et non pas seulement comme homme (« hôs anthrôpos »). D’autre part, en vertu de l’union hypostatique, Marie peut parfaitement être appelée mère de Dieu (« théotokos », « mètèr theou »), chose que Nestorius ne concevait que par voie de métonymie.

Ce faisant, Cyrille affirmait que l’union personnelle s’était faite sans mélange, ni confusion, ni changement des deux natures. Aucune des deux ne fut transformée dans l’autre. Et cependant, il parle d’une union de la nature (« henôsis phusikè »), d’une nature de Dieu, la Parole, faite chair (« mia phusis tou theou logou sesarkômenè »). Chaque nature demeure ce qu’elle est et pourtant les deux constituent une nature unique, comme l’homme est une nature tout en ayant un corps et une âme, corps et âme restant ce qu’ils sont. Cyrille, et c’est là le paradoxe, tout en maintenant que les deux natures se sont unies sans mélange ni transformation, s’est approprié le monophysisme d’Apollinaire. Il est monophysite, au moins dans la terminologie, mais il utilise des formules duophysites, de sorte que les monophysites autant que les duophysites de la génération suivante croiront pouvoir faire appel à lui.

À un Synode d’Alexandrie en 430, Cyrille envoya une lettre à Nestorius dans laquelle il condamnait douze de ses propositions (voir le Catalogus Testimoniorum dans le Livre de Concorde). À quoi Nestorius répondit avec douze contre-anathématismes.

L’Église était divisée en deux camps. L’empereur convoqua donc un Synode à Éphèse en 431 pour résoudre la controverse. Les 159 évêques présents, répartis en deux camps, siégèrent séparément et s’excommunièrent mutuellement. Jean d’Antioche ouvrit alors le Concile d’Éphèse proprement dit (27 juin 431). Cyrille fut destitué et ses partisans excommuniés. C’est alors seulement que parurent les légats de Rome, qui obtinrent la disgrâce de Nestorius et la réhabilitation de Cyrille et de son compagnon Memnon. Les Antiochiens, qui s’étaient entre temps distancés de Nestorius en raison de sa condamnation, et les Alexandrins souscrivirent à un document d’union que les deux partis pouvaient interpréter chacun à sa façon. Ceux qui étaient restés fidèles à Nestorius se réfugièrent en Perse où ils fondèrent leur propre Église. Le document d’union confessait ceci :

« Nous confessons donc que notre Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, est Dieu parfait et homme parfait, composé d’une âme raisonnable et d’un corps, qu’il a été engendré du Père avant tous les temps quant à sa divinité et que lui-même est né de la vierge Marie à la fin des temps pour nous et notre salut, quant à son humanité; qu’il est consubstantiel au Père selon la divinité et pareillement consubstantiel à nous selon l’humanité. Car il s’est produit une union (enôsis) des deux natures, aussi nous ne reconnaissons qu’un seul Christ, un seul Fils, un seul Seigneur. À cause de cette union exempte de tout mélange, nous confessons que la sainte vierge est mère de Dieu, parce Dieu le Verbe s’est fait chair, s’est fait homme et s’est uni, depuis le moment de sa conception, le temple qu’il a pris d’elle. En ce qui concerne les expressions évangéliques et apostoliques relatives au Seigneur, nous savons que les théologiens emploient les unes indistinctement, comme se rapportant à une seule personne (hôs eph’henos prosôpou), et distinguent les autres parce qu’elles s’adressent à l’une des deux natures (hôs epi duo phuséôs), celles qui conviennent à Dieu, à la divinité du Christ, celles qui marquent l’abaissement à l’humanité. »
(« Homologoumen toigaroun ton Kurion hèmôn Ièsoun Christon, ton huion tou théou ton monogenè, théon teleion kai anthrôpon teleion ek phychès logikès kai sômatos, pro aiônôn men ek tou patros gennèthenta kata tèn theotèta, ep’eschatou de tôn hèmerôn ton auton di’hèmas kai dia tèn hèmeteran sôtèrian ek Marias tès parthenou kata tèn anthrôpotèta, homoousion tô patri ton auton kata tèn theotèta kai homoousion hèmin kata tèn anthrôpotèta. Duo gar phuseôn henôsis gegonen : dio hena Christon, hena huion, hena kurion homologoumen. Kata tautèn tèn tès asugchutou henôseôs ennoian homologoumen tèn hagian parthenon theotokon, dia to ton theon logon sarkôthènai kai enanthrôpèsai kai ex autès tès sullepséôs hénôsai héautô ton ex autès lèphthenta naon. Tas de euaggelikas kai apostolikas peri tou Kuriou phônas ismen tous theologous andras tas men koinopoiountas hôs éph’henos prosôpou, tas de diairountas hôs epi duo phuséôn, kai tas men theoprepeis kata tèn theotèta tou Christou, tas de tapeinas kata tèn anthrôpotèta autou paradidontas. »).

Le Christ était déclaré de même substance que le Père selon la divinité et de même substance que nous selon l’humanité (« homoousios tô patri… kata tèn theotèta kai homoousios hèmin kata tèn anthrôpotèta »).

La controverse n’en était pas pour autant résolue. Théodoret (386-457) reprenait les formulations de Nestorius, qui attribuaient la croissance, les souffrances et la mort du Christ à sa seule nature humaine. En Occident, Hilaire (mort en 366) aboutissait au même résultat par un chemin différent, en utilisant le schéma christologique de Tertullien. Sa doctrine frisait le docétisme. Il affirmait que seul le corps du Christ avait souffert, que Jésus éprouvait la faim, la soif et la fatigue non pas en tant que besoins réels de son être, mais par habitude humaine. La controverse rebondit donc sous une nouvelle forme.

La pensée qui est attribuée à Nestorius (on ne connaît son opinion que par les écrits de ses adversaires!) fut préparée par Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste (école d’Antioche). Le nestorianisme dit que l’on doit distinguer entre le Fils éternel de Dieu et le Fils de David qui est né de Marie, comme on distingue entre le temple et celui qui habite dans le temple. On ne peut donc pas dire que le Fils de Dieu est la même personne que le Fils de David. La personne qui existait en forme de Dieu n’est donc pas la même que la personne qui avait la forme d’un serviteur. Dieu et l’homme existent tous les deux personnellement. C’est pourquoi Marie ne pourrait pas être appelée « théotokos » et c’est pourquoi son fils humain ne serait pas le Fils éternel de Dieu. L’homme né de Marie ne serait que le fils adoptif de Dieu. L’union entre Dieu et l’homme en Christ ne serait qu’une union de nature morale comme l’union entre époux et épouse. Il n’y aurait donc qu’une distinction graduelle entre cette union et l’habitation de Dieu en tous les croyants. Cette union entre Dieu et l’homme en Christ serait devenue de plus en plus étroite selon le progrès de vertu en l’homme Jésus, selon sa capacité de plus en plus grande d’être l’organe et l’instrument de Dieu, d’être le temple et l’habit de la divinité.

Nous signalons que les historiens ne sont pas d’accord quant à la question de savoir si Nestorius était vraiment un « nestorien ». Mais en tout cas, les Conciles d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451) ont condamné la conception que nous venons de décrire.