Cet article a pour sujet la christologie de la Définition de Chalcédoine de 451 qui a répondu aux débats christologiques de son temps et qui résume notre foi en Jésus-Christ, ayant deux natures et une seule personne, pour notre salut.

Source: Les débats christologiques anciens. 7 pages.

Les débats christologiques anciens (14) - Commentaires sur la Définition de Chalcédoine

  1. Le texte de la Définition de Chalcédoine
  2. Une expression fidèle de la foi en Jésus-Christ
  3. Quelques difficultés pour aujourd’hui
  4. L’incarnation
  5. L’autorité de l’Écriture
  6. Christologie et sotériologie

1. Le texte de la Définition de Chalcédoine🔗

Voici ce que le Concile de Chalcédoine a confessé en 451 :

« À la suite des saints pères, nous enseignons tous à l’humanité un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, parfait en sa divinité, parfait aussi en son humanité, vrai Dieu et en même temps vrai homme, composé d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel (homoousios) au Père par sa divinité, consubstantiel à nous par son humanité, en tout semblable à nous, excepté le péché; engendré du Père avant tous les siècles quant à sa divinité; quant à son humanité né pour nous et pour notre salut, dans les derniers temps, de la vierge Marie, mère de Dieu (théotokos); il est un seul et même Christ Jésus, Fils unique et Seigneur, qu’on doit reconnaître en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation entre elles, sans que la distinction des deux natures soit en rien supprimée par leur union, mais au contraire les attributs de chaque nature étant sauvegardés et subsistant en une seule personne (prosôpon) et une seule substance (hupostasis); il n’est ni partagé ni divisé en deux personnes, mais un seul et même Fils, Fils unique et Dieu la Parole, le Seigneur Jésus-Christ, tel qu’il a été prédit jadis par les prophètes, tel que lui-même le Seigneur Jésus-Christ nous l’a enseigné sur lui-même et tel que le Symbole des Pères nous l’a fait connaître. »
(« Hena kai ton auton homologein huion ton kurion hèmôn Ièsoun Christon sumphônôs apantes ekdidaskomen teleion ton auton en theotèti kai teleion ton auton en anthrôpotèti, theon alèthôs kai anthrôpon alèthôs ton auton, ek psuchès logikès kai sômatos, homoousion tô patri kata tèn theotèta kai homoousion ton auton hèmin ton auton kata tèn anthrôpotèta; kata panta homoion hèmin chôris hamartias; pro aiônôn men ek tou patros gennèthenta kata tèn theotèta, ep’eschatôn de tôn hèmerôn ton auton di’hèmas kai dia tèn hèmeteran sôtèrian ek Marias tès parthenou tès theotokou kata tèn anthrôpotèta, hena kai ton auton Christon, huion, Kurion, monogenè, en duo phusesin [texte original : “ek duo phuseôn”] asugchutôs [sans confusion, sans abolition, de “sugchusis”], atreptôs [sans changement], adiairetôs [sans division, de “diairoô”, séparer], achôristôs [sans séparation] gnôrizomenon; oudamou tès tôn phuseôn diaphoras anèrèmenès dia tèn henôsin [sans qu’il y ait en aucune façon suppression de la différence entre les deux natures], sôzomenès de mallon tès idiotètos hekateras phuseôs [en sauvegardant plutôt la particularité de chaque nature] kai eis hen prosôpon kai mian hupostasin suntrechousès, ouk eis duo prosôpa merizomenon è diairoumenon, all’hena kai ton auton huion monogenè theon logon, Kurion Ièsoun Christon, kathaper anôthen hoi prophètai peri autou kai autos hèmas Ièsous Christos exepaideusen kai to tôn paterôn hèmin paradedôke sumbolon. »).

2. Une expression fidèle de la foi en Jésus-Christ🔗

Cette définition fut préparée par la lettre de Léon 1er, pape de Rome, à Flavien, patriarche de Constantinople (449). Le Concile réuni en 451 ne pouvait pas éliminer toute la différence d’opinions, même entre ceux qui étaient d’accord avec la décision.

Les théologiens occidentaux ont lu que le Christ est venu « en duo phusessin (en deux natures), asughutos, atreptos, adiairetos, achoristos » (sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation); les orientaux seulement « ek duo phusessin… » (de deux natures). Ceci s’explique par le fait que l’Église orientale considérait la déification de l’homme comme le but suprême de l’incarnation. La divinité du Christ y occupe la place première. Les limites entre les natures demeurent vagues. En Orient, à la différence de l’Église occidentale, on a réfléchi davantage sur l’incarnation que sur l’œuvre rédemptrice du Christ. Pourtant, si on ne tient pas suffisamment compte du but rédempteur de l’incarnation, on oublie facilement l’importance essentielle de la distinction entre les deux natures, distinction en vigueur, ainsi que nous le disions plus haut, même après son exaltation.

Des décisions postérieures de l’Église ont souligné de nouveau l’humanité véritable et complète du Christ. Le Concile de Constantinople (680) condamna le monothélisme, cette hérésie qui interprétait les affirmations de Constantinople de 553 sur l’unité de la personne comme si ce Concile avait énoncé que quelque chose manquait au Christ, comme si celui-ci n’avait pas aussi une volonté humaine. Constantinople maintint la doctrine de l’unité de la personne dans la ligne d’Éphèse (431), et condamna l’idée selon laquelle Marie n’était que la mère de l’humanité du Seigneur (ce qui isole la divinité de l’humanité).

Aucune décision ecclésiastique, concernant la christologie, n’a ajouté quoi que ce soit d’essentiel à celles des grands conciles des premiers siècles. Cela ne veut pas dire que ces conciles ont exprimé le mystère de la personne du Christ d’une manière tout à fait satisfaisante. Les conciles n’ont parlé du Christ qu’en balbutiant. Mais jusqu’à présent, on n’a pas trouvé de formules qui expriment mieux les données bibliques que celles de Chalcédoine et de tout le dogme christologique traditionnel.

« Ce fut le mystère de l’incarnation du Fils préexistant de Dieu que les théologiens de l’Église ancienne ont cherché à défendre contre toutes les tentatives de faire de l’Évangile compréhensible, ou le faire accepter par leurs contemporains, en réduisant gravement soit la divinité, soit l’humanité de Jésus », écrit Klaas Runia dans la conclusion de son opuscule. Aussi, le Concile de Nicée a parlé de Jésus de Nazareth comme « vere Deus » et « vere homo ». Les Pères conciliaires se rendaient toutefois compte qu’ils ne rendaient pas ce mystère moins opaque et plus accessible. Même Chalcédoine ne l’a pas tenté.

On a également cherché à se prononcer sur la relation entre la divinité et l’humanité de Jésus. Car il circulait des opinions qui ne rendaient pas justice à l’un ou l’autre de ces aspects ou aux deux à la fois. L’école d’Antioche, représentée par Nestorius, s’exprimait incorrectement sur l’unité en distinguant en Christ une personne divine et une personne humaine. L’école d’Alexandrie, représentée par Eutychès, se prononça avec erreur sur la véritable humanité en laissant au moins l’impression qu’après l’incarnation il n’y avait qu’une seule nature dans laquelle l’humanité du Christ fut absorbée par sa divinité. D’où l’accent répété sur l’unité des deux natures, « un et même Fils », « un et même Christ », de même que sur les deux natures. Ceci explique les quatre propositions négativement formulées de Chalcédoine : « sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation ». Ce furent là, selon l’expression de G.C. Berkouwer, des balises qui signalaient et avertissaient des dangers menaçant la foi du côté gauche ou du côté droit.

Simultanément, le Concile a voulu autant que cela se pouvait rendre justice à des écoles de pensée différentes contemporaines. Pour cette raison, le Concile de Chalcédoine a été appelé l’un des plus fidèlement œcuméniques des conciles de toute l’histoire de l’Église. Rome, Alexandrie, Constantinople et Jérusalem contribuèrent à l’expression commune de la foi.

3. Quelques difficultés pour aujourd’hui🔗

Il est évident que les Pères conciliaires exprimèrent leurs vues en termes et concepts propres à leur époque. Des termes tels que « ousia » (substance, être), « phusis » (nature), « prosôpon » (personne), « hupostasis » (subsistance) appartenaient au vocabulaire hellénistique contemporain.

La critique libérale moderne a objecté à cela en prétextant que le vocabulaire hellénistique aurait gauchi la pensée de l’Évangile. Actuellement cependant, peu nombreux seraient ceux qui adopteraient une vue aussi extrême. On reconnaît que même si des termes comme ceux-là furent empruntés et employés à la pensée grecque, le résultat pour la christologie ne fut nullement pour autant une idée hellénistique. Les doctrines chrétiennes ne furent pas conformes au moule des terminologies existantes, mais des termes déjà existants furent adoptés par le discours chrétien et reçurent un contenu nouveau.

Nous ne nions pas que les formulations du Concile ne soient pas difficiles pour nous aujourd’hui, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les termes n’ont pas un sens non équivoque. En fait, même au moment du Concile, ces termes revêtaient des sens différents. C’était notamment le cas pour les mots « ousia », « phusis » et « hupostasis ». Toutefois, il reste possible de comprendre ce que les Pères ont voulu exprimer correctement et en conformité avec les données bibliques.

Selon John Macquarrie, que cite Klaas Runia, « ousia » est une indication de « substance ». Ce terme avait déjà joué un rôle important dans la formulation de la doctrine trinitaire. « Ousia », parlant de manière métaphorique, est le matériau d’un objet donné. Appliqué aux trois personnes de la Trinité, il signifie que le même matériau ou la même substance de la déité possède trois représentations différentes, ou inversement, que chaque personne possède la même et complète substance de la déité. Appliqué au « homoousios », concernant le Christ dans la formule chalcédonienne, il signifie qu’il possède le « matériau » ou la substance complète de la divinité et celle de l’humanité.

« Phusis » indique la somme totale des propriétés fondamentales qui fait d’une chose ceci et pas une autre. Appliqué au Christ dans la formule chalcédonienne, il veut dire qu’il possède toutes les propriétés qui font de Dieu Dieu et des propriétés qui font de l’homme un homme.

« Hypostase » est peut-être le plus difficile parmi eux. Étymologiquement, il signifie ce qui sous-tend ou qui soutient. À travers les siècles, il fut employé d’une variété de modes, mais graduellement il obtint le sens d’une existence positive, concrète et distincte, d’abord dans l’abstrait et ensuite dans le particulier. En ce sens, il s’approcha du sens de « prosôpon », qui renvoie à l’individu particulier. Dans la formule, les deux termes sont utilisés côte à côte; tous deux indiquent le « porteur » et (dans le cas présent) le principe d’unité des deux natures.

Un autre problème soulevé par Chalcédoine pour nos contemporains est que certains termes ont actuellement un autre sens que dans le passé. Par exemple, de nos jours « personne » relève du domaine de la psychologie plutôt que de l’ontologie. En y ayant recours, nous pensons, à la personnalité et aux qualités psychologiques d’un homme ou d’une femme. Dans l’ambiance chalcédonienne, le terme avait un sens ontologique (ce qui appartient à l’être), indiquant un sujet derrière les phénomènes psychologiques. Aussi Chalcédoine ne peut-il parler du Logos étant une seule personne comme sujet aussi bien de qualités divines qu’humaines.

Un troisième problème, peut-être le plus compliqué encore pour notre époque, dû au fait de la terminologie et de la nature ontologique et philosophique, le langage de Chalcédoine sonne trop abscons, voire irréel. L’homme moderne est incapable de découvrir le Seigneur vivant dans ce genre de langage. Celui dont l’être mystérieux est décrit dans et par cette formule semble être une abstraction plutôt qu’une personne vivante. Combien, dit-on, différente du portrait dessiné par l’Évangile! Là, sur ses pages, nous voyons un homme vivant, dont les discours et actes sont vibrants de vie et de puissance! La formule chalcédonienne semble une pâle copie de ce portrait. Cependant, ne commettons pas l’erreur d’attribuer aux Pères conciliaires des intentions qu’ils n’ont jamais eues. Pour eux, les débats qui avaient précédé le Concile et qui y ont abouti étaient très vifs, traitant des problèmes véritablement existentiels. Ils ne discutaient pas d’un problème simplement théologique, leur préoccupation profonde demeurait la réalité de la rédemption par Dieu. Au Concile de Nicée, l’Église avait confessé que Jésus-Christ était le Fils de Dieu, qui est d’une même substance (« homoousios ») avec le Père. Mais ceci ne constituait pas toute la vérité relative au mystère de la rédemption. Si le Fils vint à nous par le Père, a-t-il réellement pénétré notre vie humaine? Si oui, comment ces deux aspects de sa vie pourraient-ils se réconcilier? Ces questions difficiles ont troublé l’Église entre Nicée (325) et Chalcédoine (351).

Ce dernier a cherché à parvenir à une intelligence générale. Quoi que l’on pense de la terminologie employée, l’on ne peut nier que Chalcédoine a réussi deux choses : Il établit une norme de doctrine dans un champ dans lequel il y avait une grande confusion; ensuite, il rendit justice à la conviction fondamentale de l’Église selon laquelle en Christ une révélation complète de Dieu a été effectuée en termes d’une authentique vie humaine.

Est-ce dire que Chalcédoine aurait prononcé le dernier mot christologique, qu’il serait le point final au-delà duquel l’Église ne saurait plus avancer? On l’a soutenu plus d’une fois. Une telle position ne nous semble pas justifiée. Car, d’une part, elle oublie que le témoignage que l’Écriture rend au Christ est tellement riche et profond qu’il ne peut pas être épuisé par une formulation unique. D’autre part, elle oublie la nature limitée de la formule de Chalcédoine. Ainsi que l’écrit Jean Galot, la formule chalcédonienne de foi ne s’engage pas dans des explications de ce qu’est la nature ou la personne ou l’hypostase. Elle ne s’intéresse même pas à définir l’acte d’incarnation, mais se contente de déclarer ce qui existe en Christ. Elle ne spécifie pas la relation entre la constitution ontologique du Christ et sa mission rédemptrice, mais se limite à une affirmation générale : « Pour nous et pour notre salut ». Ce qui est largement clair, cependant, est le fait que l’Église a cru que le mystère de l’avènement du Christ peut s’exprimer seulement en des termes incarnationnels.

4. L’incarnation🔗

Il est indéniable que le terme « d’incarnation » est difficile et non transparent de manière immédiate. Au cours des derniers siècles, il fut l’objet de nombreuses interprétations. Ici même, nous nous intéresserons à l’interprétation classique, définie comme « l’autorévélation de Dieu sur terre, non seulement en, mais par l’homme Jésus de Nazareth », ou bien comme l’acte unique et non répétable de Dieu dans l’une de ses personnes, venant parmi nous, vivant une vie humaine et mourant d’une mort humaine. C’est ce que l’Église du passé voulut exprimer en parlant simultanément du « vere Deus » et du « vere homo ».

Ainsi que nous l’avons vu, la même idée de parler de quelqu’un qui soit à la fois Dieu et homme pourrait manquer de cohérence interne. Parler d’un Dieu qui fait partie de sa propre création ou bien de la création devenant Dieu implique une contradiction logique, a-t-on dit. En réponse, la théologie orthodoxe s’est souvent adressée à l’incompréhensibilité de Dieu et à la nature mystérieuse de l’acte unique de Dieu en Jésus-Christ… Nous devons admettre que Dieu, le Créateur de l’univers, y compris le Créateur de l’homme, est capable de vivre une vie humaine totale, sans cesser d’être Dieu. Pour cela, nous devons aller vers trois directions différentes :

Pour commencer, nous allons confesser la nature trinitaire de Dieu. Sauf s’il y a une plénitude de relations personnelles dans la divinité, on ne peut comprendre que Dieu puisse vivre une vie humaine à partir d’un centre en lui-même et se rapporter à lui-même de manière où nous lisons les prières que Jésus adresse au Père.

En deuxième lieu, nous devons réfléchir plus profondément à ce que signifie que Dieu ait assumé une vie humaine, dans la relation de la déité et de l’humanité de Jésus. Si nous prenons la divinité de Jésus sérieusement, cela ne signifie-t-il pas qu’en réalité rien n’est ajouté au Fils, parce que Dieu connaît déjà pleinement l’humanité? Dieu n’est-il pas parfait dans son être profond, et la perfection si elle est prise sérieusement ne signifie-t-elle pas que quelque chose lui est surajouté? Nous n’avons rien à soustraire à la perfection divine.

En troisième lieu, nous devons encore explorer ce que signifie la personne du Sauveur, à savoir le sujet humain de sa vie, que fut le Fils éternel de Dieu. Cet aspect plus particulièrement fut la pierre d’achoppement pour accepter la christologie traditionnelle de Chalcédoine. Est-ce que l’exclusion de la personne humaine en tant que sujet de sa vie humaine ne veut pas dire qu’inévitablement nous arrivions à une position docétiste? Le fait de « personne » n’est-il pas essentiel à une humanité pleine? De telles questions doivent être prises au sérieux. Même si en traitant de l’incarnation nous avons affaire à un mystère, nous n’avons pas le droit d’esquiver des questions embarrassantes. En les envisageant, nous ferons justice à la personne du Sauveur.

Jean Galot rappelle qu’ordinairement lorsque nous parlons de personne et de nature nous ne les distinguons pas, mais par ces termes nous entendons l’être. Disons que dans l’incarnation la nature humaine de Jésus est totalement dotée de réalité humaine et d’existence humaine. Il a une âme humaine et se comporte selon les lois de la personnalité humaine et avec une volonté humaine. Sans perdre aucune de ses qualités propres, cette nature humaine est personnalisée par l’être relationnel de la Parole. L’activité humaine de Jésus n’est pas gouvernée par un « Je » humain, mais par un « Je » du Fils de Dieu qui l’inspire et le guide. C’est pourquoi l’homme Jésus possède une personnalité filiale totale, capable de rehausser de manière la plus complète tout ce qu’en lui est humain. Simultanément, en devenant homme, l’être relationnel du Fils a inauguré une relation horizontale avec les hommes. Ses contacts n’étaient plus dirigés seulement d’en haut vers le bas. Ils étaient en égalité avec la nature humaine.

Tout ceci ne veut certainement pas prétendre que nous aurions expliqué le mystère. Nous avons simplement cherché à comprendre ce que Chalcédoine voulut exprimer. Tout ce qui nous reste c’est d’écouter attentivement ce que l’Écriture veut dire, ce que les Pères voulurent conserver à tout prix. Si Jésus n’est que simple homme, il n’y a plus de place pour une doctrine de la Trinité, Dieu en trois personnes. Nous ne pourrions plus parler d’une Trinité ontologique ou essentielle.

5. L’autorité de l’Écriture🔗

Ceux qui tiennent à une christologie différente de l’orthodoxie ont également une vue autre de l’Écriture qu’avaient les Pères conciliaires à Chalcédoine. Même s’ils regardent le témoignage des Écritures comme indispensable, néanmoins celui-ci n’est autre qu’un témoignage humain. Il ne serait que la tentative de l’Église ancienne d’exprimer en mots humains ce qu’elle a vu en Jésus. Mais nous poserons alors la question pour savoir d’où les auteurs du Nouveau Testament dérivèrent leur propre interprétation. Serait-elle l’expression de leur expérience personnelle, subjective du Seigneur ressuscité? Ou bien remonte-t-elle en réalité à l’auto-interprétation de Jésus durant sa vie et sa carrière terrestres? La question est : Pouvons-nous faire justice à la conscience de soi de Jésus si nous l’expliquons en catégories fonctionnelles seulement? Ou bien a-t-elle un fondement ontologique? Les auteurs du Nouveau Testament transgressent-ils les limites du fonctionnel et de l’ontologique dans leur témoignage rendu à Jésus? Si c’est là l’opinion courante, il nous faut dire qu’elle est une opinion beaucoup trop dogmatique.

6. Christologie et sotériologie🔗

Tout ceci n’est pas un problème simplement théorique. L’Église ancienne a mené la bataille christologique parce qu’elle savait que l’enjeu en était l’Évangile lui-même. La divinité de Jésus n’est pas un supplément dont on peut aisément se passer parce que sans rapport ou importance pour notre salut. Au contraire, notre salut en dépend. Nous pouvons être sauvés seulement par Dieu. Nombre de Pères le répètent fréquemment. L’idée et la conviction furent reprises par la Réforme. Nous ne nierons pas que les adhérents de la christologie moderne croient eux aussi que Jésus est leur Sauveur et Rédempteur. Nous ne voyons pas chez eux des traces de l’ancien moralisme libéral. Néanmoins, cette christologie dévie, et il faut ajouter est forcée à dévier par rapport à la position orthodoxe. Entre elle et la théologie arienne, il existe des analogies, même si les positions ne sont pas identiques. On peut déceler des éléments d’un néo-arianisme.

Une fois de plus, l’Église est tenue de répondre : Qui dites-vous que je suis? Actuellement autant qu’aux 4e et 5siècles, notre salut dépend de la christologie fidèlement exposée. Car selon le Nouveau Testament notre salut n’est rien moins que « la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui de riche qu’il était se fit pauvre pour vous, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis » (2 Co 8.9). Ces paroles apostoliques ne montrent aucune trace de spéculation mythologique, mais contiennent le cœur de toute la christologie du Nouveau Testament. Ce fut cette même christologie que l’Église a défendue à Nicée et à Chalcédoine.