Cet article a pour sujet la christologie d'après l'école de la critique des formes (Dibelius, Bultmann, Schmidt et Klostermann) qui dit que les évangiles ne nous présentent pas le Jésus de l'histoire, mais plutôt le Christ cru par l'Église.

Source: Les débats christologiques modernes. 3 pages.

Les débats christologiques modernes (2) - La critique des formes

Depuis le temps des libéraux du 19siècle puis d’A. Schweitzer, les Évangiles sont de plus en plus considérés comme étant des écrits missionnaires, par lesquels l’Église témoigne de Jésus du point de vue de l’expérience de la résurrection. Selon cette conception, les Évangiles ne seraient pas l’écho de la conscience de Jésus, mais celui de la foi christologique de l’Église primitive. Souvent, on n’ose rien dire de la conscience de soi-même de Jésus. Cette évolution dans l’exégèse du Nouveau Testament est accompagnée par l’apparition de la « méthode » de la « critique de la forme » (Formgeschichtlich en allemand), qui veut étudier les Évangiles d’une manière nouvelle.

Cette méthode veut commencer par enlever les différents passages du cadre dans lesquels les évangélistes auraient placé les traditions, mais qui ne seraient pas originels. Ensuite, on veut examiner en elles-mêmes ces diverses unités que l’on trouve ainsi. On essaie de découvrir de quelles différentes manières on s’est servi dans la prédication de l’Église des données primitives avant qu’elles fussent jointes dans les Évangiles, que nous avons dans le Nouveau Testament. On veut aussi montrer comment cet emploi en a changé la forme, comment les idées théologiques de l’ancienne Église ont influencé l’évolution de la tradition primitive d’une telle manière qu’elle peut souvent ne plus être reconnue dans la forme telle que nous l’avons maintenant dans les Évangiles.

Cette école croit qu’il est naïf de penser que les Évangiles nous donnent la tradition originelle sur Jésus, le Christ qui aurait été la base de la christologie de l’Église. Il faudrait concevoir les Évangiles justement comme l’expression de la christologie de l’Église. Les représentants les plus importants de cette école sont M. Dibelius, R. Bultmann, K.G. Schmidt et Klostermann.

Ici, on pense très différemment du Jésus historique qui est à l’origine de ces témoignages de l’Église. On affirme souvent qu’il n’y a aucune certitude à obtenir en ce qui concerne la personnalité historique de Jésus. Cela ne serait cependant pas important. Il importe seulement de connaître la prédication du Nouveau Testament. Cette prédication ne perdrait pas sa valeur, bien que l’on ne sache rien de certain du Jésus de l’histoire. Les Évangiles n’envisageraient d’ailleurs pas de nous donner une description historiquement exacte de Jésus, qui devrait fonder notre foi. Ils voudraient dessiner une image de Christ qui n’est pas d’une nature biographique. Cette opinion implique souvent que l’on peut combiner l’acception des Évangiles comme des témoignages de foi avec une attitude très critique vis-à-vis des Évangiles quant à leur valeur historique.

Cette école ne s’intéresse donc pas comme l’exégèse libérale au Jésus historique qui aurait été un homme comme nous. Elle s’intéresse uniquement à l’idée de Christ de l’Église primitive. Il ne s’agit pas de considérer l’histoire, mais la prédication. Il peut sembler que cette dernière école s’accorde davantage avec le dogme traditionnel que la théologie libérale. On reconnaît que le Jésus des Évangiles n’est pas seulement homme, on admet l’unité essentielle entre Paul et les Évangiles synoptiques. On n’essaie pas de montrer, par la suppression des éléments qui seraient mythiques, qu’il s’agit dans les Évangiles synoptiques au fond de Jésus comme d’un homme ordinaire. On reconnaît que Jésus est considéré partout dans les Évangiles synoptiques comme le Fils ontologique de Dieu.

On a sans doute raison de dire que les Évangiles ne veulent pas nous offrir une biographie de Jésus. Leur but n’est pas d’un caractère historique. Les Évangiles ont parlé de Jésus du point de vue de la foi. Leur but est de prêcher. Tout cela est vrai. Mais il faut ajouter que les évangélistes voulaient prêcher Jésus comme il était réellement, comme il a vécu dans notre histoire. Luc nous dit qu’il a écrit son Évangile après avoir fait des recherches exactes (Lc 1.3-4). Paul invite à l’imitation de la vie humaine et historique de Christ. L’épître aux Hébreux veut nous décrire l’évolution historique de l’homme Jésus. On peut dire que le manque d’intérêt historique de l’école kérygmatique et de l’école de la critique de la forme est une nouvelle apparition du docétisme!

Adolf Harnack appartient à cette même école. Dans son Histoire des origines du christianisme, il a voulu démontrer la présence d’influences philosophiques étrangères sur la formulation de la foi. La doctrine du Logos dériverait d’une idée païenne et amorcerait l’inversion métaphysique du christianisme. L’image authentique et originelle du Christ serait ainsi mutilée et pétrifiée. Chalcédoine n’aurait fourni que des définitions très négatives.

L’école dite historico-critique a tenté de séparer, d’arracher la figure de Jésus aux nombreuses formulations confessionnelles et doctrinales qui l’auraient « défigurée »… L’homme Jésus serait suffisant en soi. Il n’est pas nécessaire de se préoccuper de « théantropie » (Dieu et homme). Ainsi, on pouvait critiquer le témoignage du Nouveau Testament, et en particulier celui rendu par les évangélistes. Cette école niera la possibilité, comme d’ailleurs la légitimité, de reconstituer une image historique de Jésus, celle dont les Évangiles n’auraient guère de souci; ceux-ci ne parleraient pas de l’humanité de Jésus, mais du « Christ de la foi ».

Martin Kahle, qui ne saurait être classé parmi les théologiens libéraux du siècle passé, en dépit de ses louables intentions, a préparé, par cette même interprétation, l’avènement de Bultmann. Il lui a fourni d’excellents outils qui ont permis à ce dernier son entreprise de démythologisation. On se rappelle que, pour le théologien de Marburg, c’est le kérygme qui est l’élément essentiel. Il serait impossible de rédiger une vie de Jésus, puisque nous ne possédons pas suffisamment de documents ni de sources sur lesquels nous pourrions nous appuyer pour un tel travail. La foi ne dépend pas de la recherche historique; il nous suffit d’entendre la prédication au sujet du Christ.

Mais le chrétien a le droit de poser quelques questions à Bultmann. Comment savoir si notre foi est bien dans le Christ présent dans les documents qui, selon notre auteur, n’ont aucune valeur historique? Certes, les Évangiles n’offrent pas de matière pour écrire une biographie complète de Jésus, puisqu’ils furent écrits « afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant, vous ayez la vie éternelle en son nom » (Jn 20.31). Herman Ridderbos, qui n’est pas suspect de libéralisme, a écrit que les synoptiques ont été rédigés en vue de la proclamation du Christ aux générations postérieures aux premiers témoins. Mais ceci, selon le spécialiste du Nouveau Testament, n’ôte rien au fait que le Christ de l’Église primitive est bien celui de l’histoire.