Cet article a pour sujet l'histoire du calvinisme dans le protestantisme en France, en passant par la période pré-calvinienne, la période orthodoxe (Jean Calvin), la période amyraldienne (Moyse Amirauld) et la période arminienne.

Source: Études calvinistes. 7 pages.

Les destinées du calvinisme dans le protestantisme français

  1. Coup d’œil historique
  2. La période pré-calvinienne (1520-1536)
  3. La période orthodoxe (1536-1630)
  4. La période amyraldienne (1630-1689)
  5. La période crypto-arminienne et arminienne (de 1689 à nos jours)

1. Coup d’œil historique🔗

Nous nous proposons de tracer à grands traits l’histoire du calvinisme, particulièrement en France et en Suisse. Nous disons l’histoire du calvinisme et non l’histoire des calvinistes, l’histoire de la doctrine réformée et non précisément l’histoire des Églises réformées.

Esquisser dans les limites qui nous sont fixées le récit des luttes, des victoires, des défaites des huguenots serait une tâche dépassant de beaucoup nos forces. Mais nous croyons pouvoir présenter une idée exacte de la naissance, des progrès, du déclin et de la renaissance de la doctrine religieuse habituellement désignée sous le nom de calvinisme.

Nous entendons par calvinisme le système théologique élaboré par Calvin, dans son Institution de la religion chrétienne, et confessé dans les livres symboliques des Églises réformées, tels que la Confession de La Rochelle, la Belgica, les Canons de Dordrecht, la Confession de Westminster, les XXXIX articles de l’Église anglicane.

Nous ne tenterons pas de déterminer ni de formuler les principes de ce système théologique. Nous n’essaierons pas non plus d’indiquer les idées philosophiques ou les synthèses métaphysiques qu’on pourrait en déduire. Je dois me tenir strictement sur le terrain historique.

Mais l’histoire doit viser à faire comprendre les raisons des changements qu’on constate dans le cours des événements. Pour ce faire, surtout quand on traite de l’histoire des idées, on doit nécessairement faire connaître l’esprit qui pénètre et anime le mouvement qu’on décrit.

Luther, en présence de Zwingli et des réformateurs suisses, au colloque de Marbourg, perçut instinctivement l’action presque indéfinissable d’un esprit qui animait ses contradicteurs et qui semblait étranger à sa manière de penser. « Nous n’avons pas le même esprit », s’écria-t-il. Il va de soi que cette parole de Luther ne peut être acceptée sans de grandes restrictions. En un certain sens, tous les chrétiens évangéliques sont animés du même esprit, de l’esprit de fidélité et de consécration à l’autorité de Dieu, qui nous parle dans les Écritures inspirées, et avec elles. Mais, malgré cela, il doit y avoir un sentiment ou plutôt une idée, disons une vision qui imprègne l’âme et enflamme le cœur et qui fait que le calviniste s’enthousiasme en présence de certains dogmes, comme ceux de la prédestination et de la providence absolue et souveraine, qui paraissent inacceptables, que dis-je, odieux à d’autres chrétiens. Et cela est si vrai que, quand la vision déserte l’âme d’un calviniste, il peut, par la grâce de Dieu, rester honnêtement calviniste, en vertu de l’autorité formelle de l’Écriture. Mais alors ces dogmes seront un fardeau, plutôt qu’un stimulant, pour sa pensée. Sans cet esprit, il sera tout au plus un calviniste au cœur partagé, prompt à toutes les concessions, à toutes les altérations compatibles avec la lettre de ses dogmes, et nul ne peut dire où il finira par échouer et se traîner sur les hauts-fonds d’une pensée théologique superficielle et dominée par la loi du moindre effort.

Or, nous estimons que Calvin nous donne la clef de la psychologie du calvinisme quand il formule l’affirmation que voici, à propos de la question du mérite des œuvres et de la négation du « libéral arbitre » : « Dieu n’a jamais son droit, sinon que nous soyons du tout anéantis : tellement qu’on aperçoive que tout ce qui est en nous digne de louange vient d’ailleurs.1 » Et les auteurs de la Confession de Westminster ont magnifiquement revêtu cet esprit d’un corps en quelque sorte tangible, en l’incarnant dans ce premier paragraphe du chapitre VII de cet admirable résumé de la théologie calviniste : « La distance qui existe entre Dieu et la créature est si grande que, quoique les créatures raisonnables lui doivent obéissance comme à leur Créateur, elles ne pourraient cependant jamais avoir aucune jouissance de lui, comme de leur bonheur et de leur récompense, si ce n’était pas quelque acte de condescendance volontaire de la part de Dieu, qu’il lui a plu d’exprimer sous la forme d’une alliance. »

Un chrétien — un pécheur pardonné — qui croit cela, qui aime cette vérité dans son cœur, qui en vit, ne peut faire autrement que de sentir la nécessité absolue d’une Écriture surnaturellement inspirée. Il ne trouvera, dans sa pensée, aucune objection valable contre les doctrines de l’élection ou de la rédemption particulière qu’il trouve dans sa Bible.

Nous pouvons distinguer quatre périodes dans l’histoire du calvinisme français.

2. La période pré-calvinienne (1520-1536)🔗

La première période, qui s’étend, en gros, entre 1520 et 1536, est la période pré-calvinienne. Il peut sembler étrange, à première vue, de parler d’un calvinisme pré-calvinien. Mais si nous nous rendons compte de ceci, que le calvinisme n’est pas autre chose que la religion de la Bible mise en possession de ses droits, alors rien ne nous paraîtra plus naturel.

Cette première période est sous le signe de Zwingli et des réformateurs suisses.

Les protestants français de cette période étaient désignés sous le nom de luthériens. Mais ces prétendus luthériens étaient, en réalité, des zwingliens. Lorsqu’ils traduisirent le Petit Catéchisme de Luther, ils en modifièrent l’article sur l’eucharistie dans le sens de Zwingli. Caroli, futur adversaire de Calvin, était zwinglien. « Le sacrifice de l’autel, écrit-il, n’est pas autre chose que la commémoration de la rédemption.2 » Pas autre chose : cela, c’est du Zwingli dans la phase la plus primitive et la moins élevée de sa pensée. Des martyrs comme Maigret et Pavanes émettent des propositions sur le salut des païens et sur le baptême qui sont complètement en accord avec l’enseignement de Zwingli. Marcourt, qui fut le plus éminent dogmaticien de cette période en France, a écrit une très habile apologie de l’interprétation zwinglienne de l’eucharistie.

On remarque aussi chez les martyrs de cette époque, chez Jean Le Clerc par exemple, un ardent zèle iconoclaste, fort éloigné des sentiments et des idées de Luther. Ce penchant iconoclaste et ces idées ultra-spirituelles sur les sacrements peuvent être — selon nous, elles sont — imparfaites; mais elles sont certainement dans la ligne de l’esprit spécifiquement réformé, dont le calvinisme est l’expression achevée et purifiée de ces éléments excessifs.

3. La période orthodoxe (1536-1630)🔗

La première édition de l’Institution de Calvin ouvre une ère nouvelle pour l’histoire de la foi réformée, en France et en général dans les pays protestants qui ne sont pas rattachés au luthéranisme. Le réformateur français avait été élève de Bucer et il doit beaucoup à son maître. Le génie de Calvin est plutôt constructif et synthétique que créateur. Il y avait des éléments antagonistes dans la pensée de Zwingli. Sa philosophie avait une apparence quelque peu panthéiste, avec des nuances rationalistes, et sa théologie était nettement théiste et évangélique. Calvin élimina les éléments douteux, souligna ce qui était authentiquement réformé et donc évangélique, et il fut assez heureux pour mettre chaque chose à sa place. L’absoluité et la souveraineté exclusive de Dieu sont, dans son système, à leur place légitime, qui est la première; l’homme comme créature et comme pécheur est à sa place : dans la poussière; Christ est à sa place, à la tête de l’Église; le Saint-Esprit est à sa place, c’est-à-dire partout; la prédestination est à sa place, comme couronnement de la piété et de la théologie; les sacrements sont à leur place : ils ne sont pas confondus avec la grâce, comme l’avait voulu Luther, ni séparés de la grâce, comme l’avaient cru les premiers protestants français, mais distincts de la grâce souveraine et pourtant en union réelle avec elle.

Pendant une période un peu inférieure à un siècle, la foi réformée généralement désignée sous le nom de calvinisme, dans sa pureté et la plénitude de sa force, imprégna et dirigea la pensée religieuse et scientifique dans les académies, les universités, les Églises du protestantisme en France et dans les pays de langue française, pour ne pas parler des autres régions où s’affirmait le type réformé. Longtemps après cette période, le calvinisme continua à stimuler les travaux d’hommes tels que Lambert Daneau, François Turretin (ce Thomas d’Aquin réformé) à Genève, Chamier à Montauban, Du Moulin et Jurieu à Sedan.

4. La période amyraldienne (1630-1689)🔗

La troisième période, de 1630 à 1689 environ, est la période amyraldienne et pajoniste, où s’affirme l’influence de l’académie de Saumur.

En 1618-1619, le Synode de Dordrecht avait condamné les théories d’Arminius. En France, le Synode national d’Alais avait ratifié la sentence et approuvé les canons du synode néerlandais.

Mais très tôt des laïques français et hollandais, venus des Pays-Bas, se mirent à propager l’hérésie arminienne en France.

Ils trouvèrent un terrain favorable. Une sorte d’esprit humanitaire avait, en effet, réussi à s’implanter un peu partout, tant chez les catholiques romains que chez les protestants.

Moyse Amirauld, très impressionné par certaines objections élevées contre le « soli Deo gloria » du calvinisme, crut habile d’enseigner une sorte de décret hypothétique du salut universel, précédant logiquement les décrets d’élection et de réprobation. Dieu n’était plus tout à fait libre dans sa grâce. Sa raison d’être, son devoir, était de s’employer jusqu’à l’extrême limite du possible à procurer le bien-être suprême à chacune de ses créatures raisonnables. Son droit d’élection au salut ne commençait qu’au moment précis où il avait échoué dans sa futile tentative.

Un autre Salmurien, Pajon, ne pouvait pas comprendre, et par conséquent, refusait d’admettre que l’Esprit de Dieu pût agir immédiatement sur l’âme humaine. Aussi remplaça-t-il, d’accord avec le jésuite Molina, la grâce libre et souveraine de Dieu par une sorte de déterminisme cosmique et psychologique, qui ramenait, par un détour imprévu et involontaire, à Pélage.

Ainsi, quand l’orage de la persécution éclata sur les Églises réformées de France, la foi de ces Églises n’était plus partout parfaitement saine. Après la révocation de l’Édit de Nantes commence la quatrième période

5. La période crypto-arminienne et arminienne (de 1689 à nos jours)🔗

Beaucoup de huguenots réfugiés en Hollande n’étaient calvinistes qu’à contrecœur. Par exemple, l’illustre prédicateur Jacques Saurin n’est pas un partisan très enthousiaste du dogme de la corruption totale. Par contre, c’est un zélé partisan de Descartes. Comme théologien, il enseigne le terminisme. Il se croit calviniste, bien que dans son système, la grâce puisse cesser d’être souveraine dans certains cas fréquents : quand le pécheur atteint un degré donné de perversité, la grâce devient impuissante à dompter son cœur rebelle. Il y a un terme, une fin au pouvoir de Dieu sur les créatures.

À Lausanne, mais surtout à Genève, l’état de choses était pire. Dans le cours du 18siècle, la dernière dogmatique calviniste en langue française avait été donnée par Bénédict Pictet en 1721. Sous la néfaste influence de trois personnages, J. Fred. Osterwald à Neuchâtel, J.-A. Turretin, fils du grand dogmaticien calviniste, et Werenfels, arminiens au fond de leur cœur, l’esprit du calvinisme, le zèle passionné pour l’affirmation de la souveraineté de Dieu, fut banni de l’enseignement universitaire. L’orthodoxie modérée passa à l’hétérodoxie modérée, à l’arminianisme et même au rationalisme, avec Lavater, J. Vernet et d’autres.

Or, Lausanne et Genève ont été, durant la période du Désert et jusqu’au début du 19siècle, les deux Églises-mères des huguenots français.

Il est donc facile de comprendre qu’à l’exception de quelques individualités isolées, de quelques petites Églises perdues au fond des campagnes (avec, ici et là, un pasteur), fidèles, sinon à l’esprit, du moins à la lettre d’un calvinisme modéré, le corps des protestants français ait passé soit à un surpranaturalisme arien et arminien, soit au socinianisme (S. Vincent, Athanase Coquerel).

Le grand réveil du début du 19siècle, qui compte des calvinistes à la manière de Whitefield, tels que les Haldane, un Gaussen ou un César Malan, n’a pas été, dans son ensemble, en France, favorable à la foi réformée. Les méthodistes wesleyens, un J.-P. Cook, par exemple, fortement prévenus contre le calvinisme, eurent le dessus au sein des Églises réformées touchées par le réveil. Le penseur le plus influent (le plus éminent aussi) de l’époque, Alexandre Vinet, quoique franchement évangélique, fut contraire au dogme de la prédestination. De plus, ses tendances individualistes l’empêchaient de comprendre la doctrine de l’alliance de grâce, sous n’importe laquelle des formes reçues dans les écoles calvinistes. L’influence de cette personnalité, si attirante par ailleurs, si éloquente aussi, a été, en somme, nuisible au calvinisme, dans ce qu’il a de spécifiquement propre. Or, cette influence a été et est encore très grande sur les esprits des évangéliques de langue française.

Quand ces derniers se rencontrèrent avec les libéraux, en 1872, dans un synode général, ils s’arrangèrent pour faire une nouvelle « déclaration » de foi, sans couleur bien discernable, que n’importe quel arien, socinien ou arminien peut accepter et qui est tout juste assez forte pour exclure des fonctions ecclésiastiques ceux qui nient le miracle, et plus particulièrement la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ.

À l’époque où nous faisions nos études, et peu de temps encore avant la Grande Guerre, le philosophe des évangéliques était le néo-kantien Renouvier. De sorte que, fait assez paradoxal, le libre arbitre conçu comme indépendance absolue à l’égard d’un Dieu fini devint comme le mot d’ordre de la grande majorité des réformés français cultivés.

Cet état de choses désolant commence à se modifier sous nos yeux, et nous espérons que nous pourrons, quelque jour, parler de la renaissance du calvinisme dans la vie ecclésiastique et universitaire.

En attendant, nous croyons qu’il vaut la peine de consacrer quelques instants à l’investigation des causes qui expliquent le déclin de la foi calviniste parmi les protestants français.

Dans les milieux libéraux et chez les représentants de la libre-pensée, on l’explique volontiers par le progrès de la science; des sciences historiques et des sciences naturelles surtout.

Cette opinion nous semble erronée.

Il est vrai qu’à un moment donné, sous l’influence du scolasticisme médiéval, la théologie réformée a quelque peu laissé s’émousser le sens du développement historique de la révélation.

En dépit des idées de Calvin sur le caractère organique de l’inspiration des auteurs sacrés, certains de ses disciples ont pris position du mauvais côté à propos de questions ayant trait à la philologie ou à une sage et circonspecte critique, textuelle et littéraire, des documents bibliques.

Mais nous croyons que, pour ce qui concerne la France, ce fait déplorable n’a pas beaucoup d’influence nuisible sur les destinées du calvinisme. Celle-ci ne s’est manifesté qu’après le déclin du calvinisme et aux dépens du supranaturalisme arminien. Elle est plutôt la conséquence que la cause de ce déclin.

En tous cas, le défaut de sens historique, chez les calvinistes, dans le domaine de l’exégèse, n’est qu’un accident. Les beaux travaux des exégètes hollandais actuels, des Aalders, des Van Gelderen, des Groseide, montrent que le calvinisme, comme tel, est capable d’apporter une riche contribution au trésor des connaissances bibliques. Dans le passé, nous voyons que Calvin lui-même, qui croyait, certes, à la pleine inspiration des Écritures, n’estimait pas nécessaire d’envisager que les prophètes d’Israël eussent toujours écrit en un hébreu irréprochable. L’antiquité des points-voyelles n’était pas, pour lui, un article de foi. Bien loin de là, il donne des raisons fort pertinentes qui l’amenèrent à en douter. En ce qui concerne la conservation du texte, il signale tel passage corrompu par l’erreur des scribes dans tous les manuscrits que nous possédons. Il était scientifiquement en avance sur beaucoup de savants théologiens du 17siècle.

Il en est qui attachent une grande importance, pour expliquer le déclin du calvinisme aux découvertes astronomiques. Copernic, nous disent-ils, a démontré que la terre n’est pas le centre de l’univers et Galilée a découvert l’infini en 1610. Il n’est donc plus possible de croire que l’homme, atome méprisable, agglutiné sur un grain de poussière perdu dans l’immensité, puisse avoir quelque importance dans les décrets du Tout-Puissant.

Nous devons confesser en toute sincérité que nous sommes absolument incapable de comprendre cet argument. Que l’idée de la grandeur de l’univers et de l’insignifiance de l’homme puisse troubler un arminien, nous pourrions l’admettre jusqu’à un certain point. Mais il devrait être évident à toute pensée sincère que l’astronomie donne beau jeu au calvinisme. Notre foi en l’élection divine ne fonde pas l’importance de l’homme devant le décret divin sur sa valeur intrinsèque en tant que créature. Elle attribue cette importance au libre choix d’une grâce souveraine et imméritée.

En fait, bien des années avant les découvertes de l’astronomie, l’un des plus grands disciples de Calvin, Jérôme Zanchi, avait fait admettre comme un véritable lieu commun que la terre n’était qu’un point imperceptible en comparaison de la grandeur des étoiles. Il s’efforçait de démontrer qu’elle était très peu de chose dans un univers pratiquement immense, mais théoriquement clos et fini, anticipant ainsi certaines idées d’Einstein. L’un des meilleurs astronomes de la nouvelle école, David Fabricius, était un pasteur réformé, et le théologien Burman — calviniste correct après tout — s’empressa d’adopter la théorie héliocentrique de l’univers.

La cause réelle du déclin du calvinisme, la cause incarnée dans des personnes vivantes, est très différente de celles que nous venons d’écarter. Cette cause doit être reconnue dans ce que l’école de Karl Barth appelle l’humanisme. Pour éviter certaines confusions, nous disons plutôt l’anthropocentrisme.

Avec Sébastien Castelion, au temps de Calvin, cet anthropocentrisme est eudémoniste. L’esprit de cet eudémonisme a trouvé, de nos jours, son expression dans la formule que William James s’approprie : « Pas Dieu, mais la vie, toujours plus de vie. Nous ne connaissons pas Dieu, nous l’utilisons! » C’est cet esprit-là qui était à la racine de l’opposition entre Calvin et Castelion. Il anime Jean-Jacques Rousseau et il aboutit soit à la « Christian Science » — qui n’est ni chrétienne, ni scientifique, avec son Dieu tout-puissant et la négation du mal —, ou au marcionisme, d’après lequel le mal, réel et puissant, menace un Dieu fini et impotent. La « Science chrétienne » est peu de chose en France, mais l’hérésie marcionite est encore un danger sérieux pour nos Églises.

Une autre manifestation de l’anthropocentrisme est le rationalisme. Nous le voyons percer, dès le 16siècle, avec Ramus, dont la théorie platonicienne des idées innées ouvre la voie au cartésianisme. Par l’intermédiaire de quelques disciples zélés, la logique de Ramus passa en Hollande. Armimus, qui savait ce qu’il faisait, l’adopta pour son propre compte. La voie était ouverte à l’autonomie de la raison, et la religion — la religion chrétienne — devait se tenir dans les limites de la raison, selon l’expression de Kant : pas de révélation miraculeuse, pas de livres inspirés, pas de décrets mystérieux; la raison ne tolère aucun mystère, de quelque nature qu’il soit.

Et maintenant, il semble facile de voir à quoi doivent tendre nos efforts, à nous, calvinistes. Nous devons ranimer dans tous les domaines l’esprit du calvinisme. À tout prix, Dieu doit être mis en possession de son droit. La raison humaine, le moralisme humain, le sentimentalisme lui-même doivent être traînés, comme des captifs, derrière le char triomphal du Christ vainqueur. Et l’homme, en tant que rival de Dieu et que juge de Dieu, doit être « du tout anéanti ».

Notes

1. Calvin, Comm. sur I Cor., VI, 7.

2. Cité par M. John Viénot, Histoire de la Réforme Française, Paris 1926, p. 167.