Cette fiche de formation a pour sujet la discipline et l'amour qui commencent à la maison, dans les familles, et qui se prolongent dans la vie en Église et la pastorale, fondés sur la saine doctrine et les marques de l'Église.

Source: La discipline de l'amour. 9 pages.

La discipline et l'amour (1) - Une approche globale

  1. Introduction
  2. Deux exemples
    a. Premier exemple
    b. Deuxième exemple
  3. Discipline ou pastorale?
    a. Une action continue
    b. Le fondement doctrinal
  4. Quelques éléments tirés de Calvin
    a. L’Église visible
    b. La profession de foi
    c. La Parole de Dieu purement prêchée
    d. L’administration des sacrements
  5. D’abord dans la maison
  6. Quelques situations particulièrement sensibles

1. Introduction🔗

Je me suis dit qu’avec un titre comme ça, tout le monde viendrait. Si on avait mis seulement « la discipline »? Mais ce n’est pas qu’une ruse; c’est aussi une conviction. La Bible nous permet — nous contraint? — d’associer les deux. En Dieu, la sainteté, l’autorité et l’amour sont parfaitement unis1!

En fait, c’est un premier présupposé qu’on pourrait proposer, ou poser sous forme de question : Y a-t-il une circonstance où le chrétien soit appelé ou autorisé à sortir de l’amour?

Ici, il est question de l’amour « agapé » : l’amour de Dieu pour ses enfants et de ses enfants entre eux. Normalement, c’est le même… (On y reviendra).

Le mot « discipline » peut aussi être entendu de plusieurs manières selon qu’on se situe à la maison, à l’école, en sport, en musique, à l’armée… Dans les Églises, généralement, la discipline constitue un code de marche commune, au niveau synodal notamment, avec ce que cela implique de repères, de contraintes et de protection.

Dans les Églises de la Réforme, le mot discipline ne renvoie pas nécessairement au règlement des litiges ou des situations problématiques. Il désigne aussi l’action pastorale dans son ensemble, y compris dans sa dimension régulière et même préventive. Quand nous lisons que les anciens de l’Église de Genève étaient chargés de la discipline, cela renvoie à la visite pastorale ordinaire, au cours de laquelle les anciens allaient s’assurer que les fidèles avaient compris la prédication et étaient en mesure de la mettre en pratique. Dit comme cela, ça fait peur. Mais… n’est-ce pas ce que fait l’apôtre Paul tout au long de ses lettres? Ne pas se contenter d’un discours… Et est-ce que cela suppose qu’on le fasse nécessairement méchamment, sans amour, en dominant? Si on pense cela, évidemment, on déteste le mot « discipline ».

Y a-t-il un moyen d’aimer ce mot, de le regarder comme désirable, sans le vider de son sens?

2. Deux exemples🔗

a. Premier exemple🔗

Une mère attend au bureau de poste avec un enfant de 5 ans. L’enfant fait un caprice et ses pleurs importunent les personnes présentes. La mère ne dit rien. Réaction instinctive : Une bonne fessée! (…) Peut-être? Mais est-ce sûr? Cet enfant s’est peut-être couché à 23 h la veille. Peut-être est-il fiévreux? Peut-être que sa mère le trimbale de bureau en bureau depuis ce matin. Faut-il commencer par la fessée? Peut-être, mais pas sûr. Peut-être par un câlin ou un verre d’eau… Et la mère? Et le père?

b. Deuxième exemple🔗

Un couple sympathique d’une cinquantaine d’années assez nouvellement converti arrive dans l’Église. Zélés, l’homme et la femme sont présents à toutes les réunions, aident pour les repas, participent aux voyages d’Église, donnent leur témoignage… Au bout de 7 à 8 ans, à la suite d’un enseignement lors d’un week-end d’Église, ils découvrent que leur situation n’est pas régulière : ils ne sont pas mariés officiellement. Personne ne leur avait parlé de cela. Ils font part de la situation au pasteur qui en parle aux anciens. Décision du conseil : ils doivent s’abstenir de prendre la cène jusqu’à ce que le mariage ait lieu, mais aussi se séparer physiquement jusque-là. Je ne sais comment la chose leur a été dite, mais le résultat est que ce couple a quitté l’Église et je ne suis pas sûr qu’ils en aient rejoint une autre… Le fait qu’ils aient quitté l’Église signifie-t-il que les anciens ont mal agi? Pas sûr, mais peut-être.

Au cours de ce deuxième exposé, nous réfléchirons aux conditions et aux limites de la discipline. Sans doute est-elle nécessaire, mais sans doute aussi peut-elle faire du mal si elle n’est pas bien pratiquée.

Ces deux exemples, à mes yeux, démontrent que la discipline ne peut pas être un moment particulier de l’activité pastorale, un recours en cas de problème ou de crise seulement.

Souvent, quand il y a problème ou crise… c’est déjà trop tard : il n’y a plus qu’à limiter les dégâts et… on y arrive mal. Voire, on les aggrave. Alors, pour ne pas les aggraver, on s’abstient en trouvant des excuses.

3. Discipline ou pastorale?🔗

a. Une action continue🔗

En préparant ces études, il m’est apparu que la discipline dans l’Église ne pouvait pas être seulement un moment dans la « pastorale ». À bien des égards, on peut considérer ces deux notions (discipline et action pastorale) comme synonymes. Prier le soir avec ses enfants avant d’éteindre la lumière, est-ce de la discipline ou du pastorat? Mettre en place un programme catéchétique, cela relève-t-il de la discipline ou du pastorat? Depuis quand, bibliquement, peut-on dissocier l’instruction et sa mise en pratique? « Enseignez-leur à observer… » (Mt 28.19-20). Le mot doctrine ne comprend-il pas ces deux aspects de la vie chrétienne? Les Frères de la vie commune, aux Pays-Bas au 16siècle, interdisaient qu’on étudie la Bible autrement que pour la mettre en pratique.

En comparant tour à tour son ministère à celui d’une mère qui prend soin et à celui d’un père qui exhorte, l’apôtre Paul (1 Th 2.5-14) montre que le travail de nature pastorale, s’il ne couvre pas tout ce qui se fait dans l’Église, balaie un champ assez large et complet qui comprend l’instruction, la consolation, l’exhortation et la discipline. Noter au verset 13 le principe de délégation : c’est de la part de Dieu. Noter au verset 14 le cadre fraternel : les ministères ne prennent la place ni de Dieu ni de l’assemblée.

C’est ainsi que l’on peut parler de discipline préventive, de discipline curative, de discipline corrective, de discipline restauratrice. Cela confirme que la discipline commence tôt (au berceau!) et… ne s’arrête jamais. Je ne vais pas aborder chacune de ces catégories l’une après l’autre, mais retenir l’idée qu’elles sont dépendantes les unes des autres : d’autant plus faciles à exercer qu’elles existent à ces différents échelons, d’autant plus difficiles qu’il y aura eu des lacunes, des fractionnements, des interruptions2. Ce qui est dur, c’est la discipline qui surprend! « Ah, mais je ne savais pas! Ah, mais on n’a pas fait comme ça jusqu’à maintenant! Ah, mais pour lui, pour elle, on n’a rien dit! Ah, mais dans cette Église-là, ou avec ce pasteur-là, on laisse faire… » Neuf fois sur dix, on a recours à la discipline trop tard, quand le feu a déjà commis des dégâts irréparables.

Je pourrais résumer mon propos ainsi : Si la discipline est intégrée à la pratique pastorale régulière de l’Église, on n’aura pas besoin d’user de discipline; et si on devait le faire, cela se passerait dans des conditions moins difficiles et plus fructueuses.

b. Le fondement doctrinal🔗

L’action pastorale confiée par Dieu aux anciens ne peut pas être envisagée indépendamment des doctrines. Doctrine, un autre mot mal aimé aujourd’hui, regardé comme contraire à l’amour, à la liberté et même à la foi. On préfère la relation d’aide nourrie de psychologie en vue de l’épanouissement personnel. Faisons de la relation d’aide et pourquoi pas de la psychologie, mais ne délaissons pas les doctrines!

Regardons comment sont construites les lettres de Paul : toujours, nous voyons le rappel d’un enseignement fondamental (qui occupe entre un quart et les deux tiers de la lettre selon les cas) suivi des implications pratiques qui lui correspondent. « Donc, ainsi donc, c’est pourquoi, aussi, à cause de cela… » La maturité du prédicateur se démontre par sa manière d’articuler ces deux registres en évitant le risque de la moralisation. On craint d’aborder les implications pratiques. « Chacun doit voir pour lui-même », dit-on. Il est vrai qu’il n’est pas aisé de savoir quand et comment en venir aux implications. C’est prendre des risques! C’est une vraie discipline! C’est là toute la différence entre l’enseignement dans l’Église et l’enseignement dans une école.

On comprend pourquoi l’apôtre Paul recommande qu’il y ait peu d’enseignants, pourquoi ils ne doivent pas être jeunes dans la foi. On comprend pourquoi l’apôtre Pierre affirme qu’il n’est pas convenable que ceux qui ont cette charge courent le risque de se disperser, et pourquoi il associe la prière à l’enseignement3.

Le pasteur Stuart Olyott indique trois doctrines qui doivent servir de cadre à l’exercice de la discipline :

1. La doctrine de la persévérance des saints : un pécheur élu ne peut pas se perdre. Le Père donne à son Fils ceux qui doivent hériter la vie éternelle, et le Fils les garde jusqu’à la fin. Cependant, personne ne peut être considéré comme enfant de Dieu à moins de persévérer dans la foi.

2. Dieu a voulu l’Église locale pour aider ses membres à persévérer dans la foi selon Actes 2.42. Ces quatre engagements (enseignement des apôtres, communion fraternelle, fraction du pain et prières) constituent la discipline ordinaire de la vie de l’Église.

3. Les ministères agissent par délégation reçue du Seigneur : par des serviteurs humains, le Seigneur lui-même enseigne, visite, exhorte, console, reprend. Toute discipline — comme toute autorité — devrait s’exercer au nom du Christ.

Ces trois principes permettent à la discipline de s’exercer avec une motivation légitime, non pour suspecter ou punir, mais pour aider, avec compassion, humilité, sagesse, avec amour.

Nous constatons de nos jours un engouement pour l’événementiel. Cela devient même une manière programmée d’organiser la vie de l’Église. Il semble que cela corresponde aux attentes de notre époque. C’est aussi, disons-le, une manière de s’affranchir des contraintes de toute discipline. Le propre d’une discipline, c’est d’être exercée de manière continue. Le propre d’une discipline, c’est de ne pas séparer la parole et la pratique, les principes et l’application, et cela dans tous les domaines de la vie. Mais cela va en l’encontre de la notion moderne de liberté, notion nourrie par la mentalité « laïque » qui sépare les domaines. On se heurte là à une forte résistance, consciente ou pas. La discipline distingue entre les domaines, mais ne les sépare jamais.

Si je devais résumer ce point, je dirais ainsi : pas d’enseignement sans les implications (Mt 7.21, 24; Jc 1.22; 1 Jn 2.6); pas d’application sans l’enseignement (Ac 17.11; 1 Co 2.10-15; 15.2). Les notions bibliques d’intelligence et de foi imposent la meilleure cohérence possible entre un enseignement juste (orthodoxie) et l’engagement juste (orthopraxie).

4. Quelques éléments tirés de Calvin🔗

Certains se souviennent sans doute de la définition que Calvin donne de l’Église, ou plutôt des critères qu’il propose pour reconnaître qu’il y a ou pas l’Église :

« Voilà d’où nous avons l’Église visible. Partout où nous voyons la Parole de Dieu être purement prêchée et écoutée, les sacrements être administrés selon l’institution de Christ, là il ne faut nullement douter qu’il n’y ait Église. […] Les personnes qui sont reconnues en être par profession de foi, bien qu’à la vérité elles ne soient point (de) l’Église, néanmoins sont estimées y appartenir jusqu’à ce qu’on les ait rejetées par jugement public. […] Car il peut advenir qu’il nous faudra traiter comme frères et avoir pour fidèles ceux que nous ne penserons pas dignes d’être de ce nombre, à cause du consentement commun de l’Église qui les souffrira et endurera encore au corps de Christ. Nous n’approuverons donc pas de telles gens comme membres de l’Église quant à notre estime personnelle, mais nous leur laisserons le lieu qu’ils tiennent dans le peuple de Dieu, jusqu’à ce qu’il leur soit ôté par voie légitime.4 »

Relevons quelques points dans ce passage.

a. L’Église visible🔗

Calvin parle là de l’Église visible qu’il ne dissocie pas, mais qu’il distingue de l’Église que Dieu seul connaît (2 Tm 2.19).

« Touchant ceux qui portent extérieurement la marque de Dieu, il n’y a que ses yeux qui voient ceux qui sont saints et sans feintise, et doivent persévérer jusques à la fin, ce qui est principal de notre salut. […] De fait, pour que la témérité des hommes ne s’avançât jusque-là, il y a mis bon ordre, nous avertissant journellement par expérience combien ses jugements secrets surmontent notre sens. Car d’une part ceux qui semblaient totalement perdus et qu’on tenait pour désespérés, sont reconduits au droit chemin; d’un autre côté, ceux qui semblaient bien fermes trébuchent. C’est pourquoi, selon la prédestination de Dieu, cachée et secrète, comme dit saint Augustin, il y a beaucoup de brebis hors de l’Église, et beaucoup de loups dedans.5 »

Quand il écrit qu’il y a « de nombreuses brebis hors de l’Église visible et de nombreux loups dedans », Calvin ne dit pas que cela est bien : c’est le résultat de la faiblesse des pasteurs et de l’insuffisance de la discipline. Il serait hautement préférable qu’il y a moins de brebis dehors et moins de loups dedans! Cependant, nul ne peut, sans risquer de commettre de graves erreurs, prendre à cet égard la place de Dieu. Du cœur, Dieu seul juge. Quant à la discipline, elle se détermine sur ce qui est ouvert et visible par tous.

b. La profession de foi🔗

Ainsi, Calvin parle de la profession de foi. Cela paraîtra étonnant à certains. Voilà ce qu’il écrit encore :

« Toutefois, parce que le Seigneur voyait être nécessaire de savoir quels sont ceux que nous devons tenir pour ses enfants, il s’est accommodé à cet endroit à notre capacité. Et d’autant qu’il n’était pas besoin en cela de certitude de foi, il a mis en place un jugement de charité, selon lequel nous devons reconnaître comme membres de l’Église tous ceux qui, par confession de foi, par bons exemples de vie et participation aux sacrements, confessent un même Dieu et un même Christ avec nous.6 »

Ce point donne suite au précédent : si les membres de l’Église déclarent publiquement leur appartenance au Seigneur et leur désir de marcher avec lui dans l’obéissance de la foi, point ne sera besoin de juger ce qui est intérieur et caché pour se réjouir de ce qui est conforme à cette obéissance et s’inquiéter au sujet de ce qui ne l’est pas. Ce point qui est capital : la discipline ne détermine pas si une personne est ou pas un(e) enfant de Dieu; elle considère seulement si le comportement d’une personne est conforme ou contraire à ce qu’elle a déclaré être.

c. La Parole de Dieu purement prêchée🔗

Calvin donne encore comme marque de l’Église la Parole de Dieu purement prêchée. C’est une discipline également, avec des règles. « Toutes les doctrines sont importantes », dit Calvin, « mais toutes ne sont pas aussi importantes ». Il ne suffit pas de citer un ou même dix versets bibliques pour qu’un enseignement soit conforme au message biblique pris dans son intégralité (Ac 20.26-27). Un travail théologique sérieux, soumis à l’autorité de l’Écriture Parole de Dieu, respectant des règles d’interprétation précises, et enfin sensible au Saint-Esprit, est nécessaire pour que la Parole de Dieu soit « purement prêchée ». Dans de nombreuses unions d’Églises, il y a des Confessions de foi historiques qui sont estimées exprimer de manière fidèle les enseignements majeurs de l’Écriture et les pasteurs sont tenus d’y soumettre leur enseignement. Quant aux anciens, ils ont pour charge de vérifier la fidélité de la prédication et de l’enseignement apportés. Il y a là un rapport de soumission mutuelle de la plus haute importance.

d. L’administration des sacrements🔗

Ensuite, Calvin parle de l’administration des sacrements selon l’institution de Christ. Toute l’activité pastorale (et donc toute la discipline) dans l’Église pourrait se construire autour de l’administration des sacrements. Le baptême naturellement, avec sa signification et ses implications : l’union avec Christ dans sa mort et sa résurrection, la communion et l’amour fraternels, la marche par l’Esprit; la cène et le renouvellement de l’alliance qu’elle constitue, alliance de grâce et de consécration. Instruire, appliquer, exhorter : encourager ceux qui n’osent pas s’approcher alors qu’ils le devraient, dissuader ceux qui viennent légèrement, rappeler les implications pratiques, personnelles et communautaires.

5. D’abord dans la maison🔗

Une des convictions qui se sont forgées lors de mon temps de ministère pastoral est la suivante : ce qui se vit à la maison influence fortement la vie de l’Église, plus que l’inverse. En d’autres termes, l’Église peut avoir un excellent enseignement sans que cela transforme la vie des couples, les relations parents/enfants, etc. Par contre, tout problème non réglé, mais aussi toute bénédiction, vécus dans la maison (même en secret) se répercute dans la vie de l’Église.

Un des premiers commandements de Jésus n’est pas de se rendre au culte en Église, mais d’aller dans sa chambre : « Ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le secret; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6.6). Que les pasteurs se rassurent : le culte communautaire aussi est important. Mais je crois que le premier rendez-vous avec Dieu, la première rencontre, la première prière — qu’elle soit de louange ou de supplication —, la première fidélité, la première persévérance, c’est dans notre chambre qu’il faut les vivre. Disons, dans la maison. Le temple, aussi important soit-il, n’est qu’un lieu de rencontres ponctuelles. La maison est le lieu de vie habituel. Le temple peut malheureusement devenir un lieu d’apparence; la maison est nécessairement un lieu de vérité.

On a souvent pensé que ce qui se vivait au temple allait rejaillir sur les maisons. C’est le contraire qui est plutôt vérifié : beaucoup d’empêchements, de blocages, de refus, de problèmes irrésolus dans la vie des Églises ont leurs racines dans les problèmes irrésolus à la maison, dans les couples et les familles. C’est là qu’il faut les reconnaître et les résoudre dans l’écoute de la volonté de Dieu, la repentance et l’obéissance de la foi. De même, tout apprentissage, tout progrès, toute victoire, toute bénédiction vécue dans la maison rejaillissent automatiquement sur la communauté chrétienne. Tout ce qui se vit dans les maisons, visible ou secret, influence la vie de l’Église. Les problèmes comme les bénédictions!

Au temps de Calvin, la prédication publique était suivie par la prédication privée : dans les maisons, pasteurs et anciens reprenaient les éléments de la prédication publique pour encourager les fidèles à mettre la Parole de Dieu en pratique dans leur vie (Mt 28.20). C’est cela que l’on appelle la discipline pastorale.

À la maison ne signifie pas que celle-ci soit plus importante que l’Église. En un sens, l’Église est plus importante… Mais c’est à la maison que la vie chrétienne doit s’apprendre et s’appliquer premièrement. L’apôtre Paul le dit à Timothée assez clairement : « Il faut que l’ancien dirige bien sa propre maison, […] car si quelqu’un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l’Église de Dieu? » (1 Tm 3.4-5). On est loin du tabou sur la vie privée que l’on observe aujourd’hui! Ce tabou peut constituer un très sérieux obstacle au développement de l’Église. L’interdit qui causa la défaite du peuple d’Israël devant la ville d’Aï était caché sous le tapis d’une tente et personne ne le savait (Jos 7.8-13)7.

Nul n’ignore les liens forts qui existent entre le domaine familial et la vie de la communauté. Il y a là des héritages, des pouvoirs, des attachements qui s’avèrent intouchables et qui peuvent peser sur l’Église, la verrouiller, miner son unité, incliner ses choix. L’Église alors peut devenir un club sympathique où on aime se retrouver, qui invite le Seigneur quand ça lui plaît… C’est un sujet délicat, mais qui ne devrait pas devenir tabou. Pour que l’Église soit sanctifiée, il faut que les maisons le soient. Ici comme là, le Seigneur doit être placé en premier, de telle sorte que les sentiments et les passions ne prédominent pas. Jésus donne à cet égard un exemple éloquent : nous le voyons tout à la fois respectueux pour sa famille et soucieux de ne pas dépendre d’elle pour ce qui est de sa fidélité à son Père (Mt 10.37; Lc 2.48-52; 11.27-28; Jn 2.3-4; 19.26-27).

L’Église n’est pas une réalité située à côté des maisons : l’Église est le prolongement direct de ce qui se vit dans les maisons. Ainsi, je me demande si on peut réellement prier au temple, chanter des cantiques et écouter la Parole de Dieu, si on ne l’a pas d’abord fait à la maison, tout seul ou en famille. Peu de chrétiens imaginent à quel point le culte rendu à Dieu serait différent (y compris la prédication) si chacun s’était déjà mis à genoux chez lui, avant de se réunir avec les frères et les sœurs.

De nombreux passages bibliques confirment cette priorité. C’est dans les maisons que les Hébreux ont partagé le premier repas de la Pâque, le sang de l’agneau placé sur le linteau des portes (Ex 12.3); c’est dans les maisons que l’instruction devait se transmettre premièrement (Dt 6.7-9; Pr 1.8-9). C’est dans les maisons que les vocations et les apprentissages élémentaires se forgent (Ac 20.20-21; 2 Tm 1.3-5; 3.14-15) : pour les maris, serviteurs à la manière du Christ qui donne sa vie; pour les épouses, servantes à la manière de l’Église rachetée; pour les parents, bergers de leurs enfants; pour les enfants, disciples respectueux et respectés, etc. (Ép 5.23 à 6.4; 1 Tm 5.4-8; 1 Pi 3.1-7). L’apôtre Pierre enseigne que la piété ne peut pas être dissociée de la vie de tous les jours quand il rappelle que si un homme se conduit de manière irrespectueuse avec son épouse, cela constituera un obstacle à la prière (1 Pi 3.7).

L’écoute, le respect, l’obéissance, le pardon, où cela va-t-il s’apprendre, si ce n’est dans la maison? La responsabilité, la générosité, l’hospitalité, où cela va-t-il s’exercer d’abord, si ce n’est dans les maisons? Les dons reçus de Dieu, le devoir partagé, le souci des autres, où cela va-t-il se développer en premier, si ce n’est dans la maison? Pas seulement dans la maison, mais d’abord dans la maison! La maison est le lieu par excellence de la démarche pastorale préventive, comme le livre des Proverbes l’atteste abondamment. Nous comprenons l’importance de la visite pastorale dans les maisons où les situations personnelles peuvent être évoquées et amenées à la lumière de Dieu, où la responsabilité de chacun peut être rappelée avec les promesses qui l’accompagnent.

Il est vrai que la maison peut aussi devenir un lieu de repli frileux, égoïste. Ce n’est pas la volonté de Dieu. La maison doit être un lieu de repos, certes, mais aussi un lieu d’accueil, ouvert particulièrement aux personnes seules, aux personnes ayant besoin de réconfort, aux personnes qui ont soif de grandir.

Pour grandir justement, en maturité et en nombre, l’Église a besoin que de nombreux chrétiens (tous si possible) deviennent peu à peu des pères et des mères spirituels, c’est-à-dire des chrétiens en mesure de veiller, de prendre soin, d’accueillir, de visiter, d’instruire, d’accompagner. Le premier lieu où cela se prépare et se vit, c’est la maison!

6. Quelques situations particulièrement sensibles🔗

Chaque situation est singulière, toutes nécessitent une grande attention. L’expérience acquise s’avérera précieuse, sans toutefois garantir qu’une résolution sera trouvée dans tous les cas. Certains domaines, certains cas de figure présentent des caractères qui peuvent se répéter, s’avérer particulièrement sensibles ou confiner au tabou. Je note ainsi :

  • les questions liées aux couples, à la sexualité, etc.
  • les liens de famille : parents-enfants, frères et sœurs dans l’Église
  • la question des habitudes, qui peuvent porter sur des points fort divers
  • la question du pouvoir : autoritarisme, instinct de propriété; les personnes « intouchables »
  • le rapport entre le pasteur et le conseil d’Église
  • le culte, le baptême
  • certains points de doctrine liés à des présupposés non dévoilés
  • certains points de doctrine liés à… des questions de personnes (rivalité, jalousie, rejet…)

Dans de nombreuses situations, le blocage réside dans le non-dit : la cause véritable n’est pas celle qui est dévoilée. Il est fréquent que cette cause soit liée à un présupposé hérité de la famille ou à une blessure non guérie. Sans mise en lumière, il n’y aura pas de véritable résolution : seulement un refoulement ou une blessure supplémentaire.

L’amour, le discernement spirituel, l’autorité bienveillante peuvent permettre certaines mises en lumière progressives et salutaires.

L’usage des délais associe à la fois la grâce et l’appel à la responsabilité. Une seule rencontre suffit rarement; le temps qui passe ne résout rien. La pédagogie des délais tend à associer l’action de l’homme et celle de Dieu.

Le pardon reçu et accordé est souvent, sinon toujours, une voie d’affranchissement.

Notes

1. Voir mon article intitulé L’amour et la sainteté.

2. Stuart Olyott distingue entre discipline préventive (éviter la crise), corrective (en vue d’une guérison, d’une libération) et formative (en vue de la croissance). En général, on se focalise sur la discipline corrective (à laquelle on adjoint la discipline restauratrice), en oubliant qu’elle peut difficilement s’exercer correctement sans les deux autres.

3. Nous sous-estimons certainement le malaise et le risque qu’il y a à pratiquer « le pastorat touche à tout » qui se pratique un peu partout aujourd’hui, et son inévitable corollaire, « le pastorat minimum ».

4. J. Calvin, Institution, IV.1.9.

5. J. Calvin, Institution, IV.1.8.

6. J. Calvin, Institution, IV.1.8.

7. Voir mon article intitulé L’interdit.