Cet article a pour sujet la doctrine de l'Écriture selon Jean Calvin. La révélation de la Parole est consignée dans l'Écriture et le canon, écrite sous l'inspiration de Dieu et attestée par le témoignage intérieur du Saint-Esprit.

Source: La doctrine de l'Écriture. 8 pages.

La doctrine de l'Écriture (5) - La doctrine de l'Écriture sainte selon Jean Calvin

  1. La révélation de la Parole
  2. La Parole et l’Écriture sainte
  3. L’Écriture sainte est dans le canon
  4. La lettre de l’Écriture et son inspiration
  5. Le témoignage rendu à l’Écriture sainte

1. La révélation de la Parole🔗

« Combien donc que la clarté qui se présente aux hommes haut et bas, au ciel et en terre, suffise tant et plus pour ôter toute défense à leur ingratitude : comme de fait, Dieu a voulu ainsi proposer sa majesté à tous sans exception, pour condamner le genre humain, en le rendant inexcusable : toutefois, il est besoin qu’un autre remède et meilleur y intervienne pour nous faire bien et dûment parvenir à lui. Parquoi ce n’est point en vain qu’il a ajusté la clarté de sa Parole, pour se faire connaître à salut. […] Parquoi, combien que les hommes doivent dresser les yeux pour contempler les œuvres de Dieu, d’autant qu’ils en sont ordonnés spectateurs, et que le monde leur est dressé comme un théâtre à cet effet, toutefois le principal est, pour mieux profiter, d’avoir les oreilles dressées à la Parole pour s’y rendre attentifs. » (Jean Calvin).

Cette révélation de Dieu par sa Parole est une révélation particulière… « C’est un privilège, lequel il a fait grâce à ceux qu’il a voulu recueillir à soi de plus près et plus familièrement. » C’est « un don singulier », « une école particulière », « une providence singulière ». Cette révélation singulière procure une connaissance non seulement plus intime, plus familière, mais aussi plus certaine. Par elle, notre regard débile est à même de voir distinctement des vérités qu’il pressentait confusément.

« Car comme les vieilles gens […] ou ayant comme que ce soit les yeux débiles, quand on leur présentera un beau livre et de caractères bien formés, combien qu’ils voient l’écriture, toutefois à grand-peine pourront-ils lire deux mots de suite sans lunettes : mais les ayant prises, en seront aidés pour lire distinctement : ainsi l’Écriture recueillant en nos esprits la connaissance de Dieu, qui autrement serait confuse et éparse, abolit l’obscurité, pour nous montrer clairement quel est le vrai Dieu. Parquoi c’est un don singulier, quand Dieu pour instruire son Église, n’use pas seulement de ces maîtres muets dont nous avons parlé, à savoir qu’il nous produit, mais daigne bien aussi ouvrir sa bouche sacrée non seulement pour faire savoir et publier que nous devons adorer quelque Dieu, mais aussi qu’il est celui-là. »

Calvin distingue deux degrés dans la révélation de la Parole, suivant qu’elle fait connaître le Dieu Créateur ou le Dieu Rédempteur. Car pour passer de mort à vie dit-il des patriarches :

« Il n’a pas fallu seulement qu’ils connussent Dieu pour leur Créateur, mais aussi pour Rédempteur : comme aussi ils ont obtenu tous les deux par la Parole. Car cette espèce de connaissance par laquelle il leur a été donné de savoir quel était le Dieu qui a créé le monde et le gouverne a précédé en premier degré : puis après celle qui est plus privée et qui emporte pleine foi avec soi a été ajoutée en second lieu. C’est elle seule qui vivifie les âmes, ou par laquelle Dieu est connu non seulement Créateur du monde, ayant l’autorité et conduite de tout ce qui se fait, mais aussi Rédempteur en la personne de notre Seigneur Jésus-Christ. »

Ainsi donc, la seconde révélation de la Parole se distingue de la première non seulement par ses effets intellectuels plus forts et plus certains, par une compréhension plus juste de la nature de Dieu, par une intelligence nouvelle de ses desseins miséricordieux en Christ, mais également par la foi pleine qu’elle emporte et par la vie qu’elle donne aux âmes. Cette entrée en scène de la foi dans ce cadre doit être soulignée, car il s’agit d’un rapport direct et vraiment organique entre la Parole et la foi plutôt que d’une subordination de la foi à la connaissance. Les déclarations de Calvin sont formelles et bien faites pour ôter tout soupçon d’intellectualisme abstrait :

« En premier lieu, soyons avertis qu’il y a une correspondance de la foi avec la parole dont elle ne peut être séparée ni distraite, non plus que les rayons du soleil; la parole, de quelque part qu’elle nous soit apportée, est comme un miroir auquel la foi doit regarder et contempler Dieu. »

Ainsi, pour Calvin, la foi cherche l’intelligence et la conduit autant qu’elle est menée par elle; elle entretient avec elle un compte de doit et avoir où tout n’est pas à son crédit. « L’intelligence est conjointe avec la foi. » La foi précède souvent et ouvre la voie.

« Notre ignorance reste grande ici-bas, et l’expérience nous enseigne que nous ne comprenons pas ce qui serait à désirer jusques à ce que nous soyons dépouillés de notre chair et par cette bride Dieu nous retient en modestie, c’est d’assigner à chacun certaine mesure et portion de foi, à ce que le plus grand docteur et le plus habile soit prêt d’être enseigné. »

Et même quand la foi paraît suivre l’intelligence, cela ne veut pas dire qu’elle fût inexistante antérieurement, mais seulement « enveloppée ».

« Il est dit qu’ayant aperçu à l’œil la vérité des paroles de notre Seigneur Jésus-Christ finalement ils ont cru : non pas que lors ils aient commencé de croire, mais parce que la semence de foi laquelle était comme morte en leur cœur, a repris vigueur pour fructifier. Il y a eu donc vraie foi en eux, mais enveloppée. »

Il y a donc avant toute intelligence « un commencement de foi »; car nous pouvons appeler foi ce qui, à proprement parler, n’est qu’une préparation à celle-ci. Qu’est-ce à dire sinon que nous nous trouvons de nouveau en présence de l’un de ces processus qui, sur le plan statique, serait figuré par un cercle, un cercle vicieux, mais qui, saisi dynamiquement, est un élan, un mouvement d’esprit, dont le cours circulaire se détache du plan et monte comme en spirale; ici, de foi en connaissance, de connaissance en foi, de « foi préparation » à « pleine foi », de « foi enveloppée » à « foi révélée »; sensiblement, de connaissance rudimentaire et incertaine à connaissance de plus en plus complète et assurée.

Dans ce mouvement de la révélation, il y a toujours de la foi et de l’intelligence, de la foi dans l’intelligence, et de l’intelligence dans la foi; à vrai dire, l’âme entière se trouve engagée dans une action que Dieu mène par sa Parole. La foi est également une obéissance de la volonté et un don du cœur. Son assentiment « est au cœur plutôt qu’au cerveau, et d’affection plutôt que d’intelligence »…

« Nous confessons que l’entrée que nous avons à si grands trésors et si grandes richesses de la bonté de Dieu qui est répandue en nous, c’est par la foi; quant en certaine confiance et certitude du cœur nous croyons aux promesses de l’Évangile et recevons Jésus-Christ tel qu’il nous est présenté du Père et qu’il nous est décrit par la parole de Dieu. »

La foi est donc une réalité bien plus profonde et plus haute que toute intelligence notionnelle, que toute connaissance rationnelle. Elle est en relation directe avec l’Esprit, comme la Parole elle-même; c’est dans cette relation commune que se comprend leur secrète affinité. L’une et l’autre sont révélées à notre entendement et scellées dans nos cœurs par le Saint-Esprit. « Parquoi il faut que l’entendement de l’homme soit d’ailleurs illuminé, et le cœur confirmé, avant que la Parole de Dieu obtienne pleine foi en nous. » Maintenant, nous avons une entière définition de la foi si nous déterminons que c’est une ferme et certaine connaissance de la bonne volonté de Dieu envers nous : laquelle étant fondée sur la promesse gratuite donnée en Jésus-Christ, est révélée à notre entendement et scellée en notre cœur par le Saint-Esprit.

2. La Parole et l’Écriture sainte🔗

Dieu a voulu répandre, perpétuer et fixer sa Parole. L’Écriture sainte est le produit de cette volonté de Dieu.

« Finalement, afin que d’un train continuel, la vérité demeurât toujours en vigueur d’âge en âge et fut connue en la terre, il a voulu que les révélations qu’il avait commies en la main des Pères comme en dépôt fussent enregistrées. […] Car si on regarde combien l’esprit humain est enclin et fragile pour tomber en oubliance de Dieu, combien aussi il est facile à décliner en toute espèce d’erreurs, […] de là on pourra voir combien il a été nécessaire que Dieu eût ses registres authentiquement pour y coucher sa vérité. »

Cette décision divine est en relation directe avec la forme que doit désormais revêtir l’Église :

« Or quand il a plu à Dieu d’ordonner et dresser une forme d’Église plus apparente, il a quant et quant voulu que sa parole fut couchée par écrit, afin que les prêtres prennent de là ce qu’ils voudront enseigner au peuple; et que toute doctrine laquelle on prêcherait fut compassée et examinée à cette règle. »

Ainsi, la Parole de Dieu est dans l’Écriture. « Parquoi la souveraine preuve de l’Écriture se tire communément de la personne de Dieu qui parle en elle. » Cette contenance de la Parole dans l’Écriture ne doit pas être envisagée statiquement, comme une contenance matérielle, mais dynamiquement, comme une charge spirituelle. C’est ce que montre, en poursuivant le processus de la révélation, l’association organique et profonde de la Parole et de l’Écriture.

Si la révélation générale se précise autant qu’elle s’enrichit dans la révélation particulière de la Parole, la Parole acquiert elle-même une précision plus grande en se fixant dans l’Écriture. La principale analogie, c’est qu’une sûre connaissance de la Parole nous est actuellement donnée dans l’Écriture, comme la connaissance de la révélation fut assurée par la Parole. La Parole et l’Écriture sont tellement unies qu’elles constituent un tout organique; elles sont entre elles comme l’âme et le corps inséparables l’une de l’autre. Par une métonymie insensible et presque inévitable, elles sont employées l’une pour l’autre.

Ainsi, contenant la révélation, la Parole s’est elle-même concentrée en Israël, avec la loi et les prophètes; puis elle s’est assurée décidément et définitivement en Christ, qui a tellement parlé qu’il n’a rien laissé à dire aux autres après lui. C’est l’essentiel, bien clair et suffisant de cette Parole, qui, par la volonté de Dieu, est consignée dans l’Écriture, où nous trouvons désormais la substance de toute révélation. L’analogie entre les deux passages, de la révélation générale à la Parole, de la Parole à l’Écriture, est donc plus que formelle; elle est réelle : dans les deux cas, la connaissance de Dieu se précise en se déterminant; dans le deuxième, cependant, si elle risque de perdre en spiritualité, par les tentations de la lettre, elle regagne en pouvoir d’extension ce qu’elle avait perdu. L’Écriture devient non seulement la substance de la révélation, de la Parole même; elle en est la monnaie courante.

« Parce que Dieu ne parle point journellement du ciel, et qu’il n’y a que les seules Écritures, où il a voulu que sa vérité fût publiée pour être connue jusques en la fin, elles ne peuvent avoir pleine certitude envers les fidèles à autre titre, sinon quand ils tiennent pour arrêté et conclue, qu’elles sont venues du ciel, comme s’ils entendaient là Dieu parler de sa propre bouche. »

3. L’Écriture sainte est dans le canon🔗

La fixation de la Parole dans l’Écriture a été suivie de la fixation de l’Écriture dans le canon, par conséquent, de la Parole dans le canon des saintes Écritures. « Nous ne devons point tenir en l’Église pour Parole de Dieu, sinon ce qui est contenu en la loi et aux prophètes, puis après aux écrits des apôtres. » La loi et les prophètes englobent naturellement tout l’Ancien Testament :

« Tout ce corps d’Écriture composé de la loi, des prophètes, Psaumes et histoires, a été la Parole de Dieu au peuple ancien ou l’Église d’Israël. De même, les écrits des apôtres sont tout le Nouveau Testament. »

Ainsi, Dieu a enfermé dans le canon de l’Écriture tout ce qui est nécessaire au salut, la substance même de sa Parole; il ne faut rien y modifier, y ajouter, en retrancher. Le canon des saintes Écritures est définitivement clos. Toute la Parole que Dieu avait à dire, il l’a parlée en Jésus-Christ! « Que toute bouche d’homme soit close depuis que celui qui a parlé auquel par la volonté du Père sont cachés tous les trésors de la science et sagesse. »

Calvin estime que le canon n’a pas été abandonné par Dieu aux fantaisies humaines; mais il n’aliène pas à son endroit toute liberté de jugement et d’appréciation. Tout n’a pas la même valeur dans le canon, et cela non seulement du fait que la révélation ne fut souvent comprise que progressivement, mais également de celui qu’elle fut dispensée graduellement. À la notion des étapes de la foi, Calvin associe d’une manière étonnante et quasi prophétique celle des étapes de la révélation. Dieu s’est mis à la portée de l’homme. « Dieu bégaie, comme par manière de dire, avec nous, à la façon des nourrices pour se conformer à leurs petits enfants. » La révélation de Dieu a donc été progressive, et d’une pédagogie parfaitement adaptée à la parfaite connaissance que Dieu a du cœur humain. La valeur relative que Calvin attribue à chaque livre de la Bible se juge également à la fréquence et à la qualité de son emploi. L’usage qu’il fait de l’Écriture peut être l’objet d’une statistique, dont les indications ne sont pas dénuées d’intérêt, car elles répondent exactement aux préférences qu’il manifeste pour tel ou tel ouvrage canonique. Calvin considère la révélation du Nouveau Testament comme plus excellente que celle de l’Ancien Testament; mais même dans le Nouveau Testament, il établit des différences et ne s’en cache pas. Il y a des degrés dans l’inspiration, suivant la profondeur et la valeur de la révélation.

4. La lettre de l’Écriture et son inspiration🔗

De même que la fixation du canon n’a pu être abandonnée aux fantaisies humaines, ainsi la fixation la plus matérielle, celle de la lettre, a fait l’objet d’un dessein providentiel. La logique de Calvin n’hésite pas devant cette conséquence; mais elle est loin de le conduire, « summum jus », à la « summa injuria » que le littéralisme extrême consomme vis-à-vis de l’Écriture, en pensant la sauver. « Les registres authentiques de Dieu » n’ont certes pas été livrés à l’arbitraire des hommes, car leur rédaction même n’était nullement indifférente à la révélation des desseins rédempteurs, et par la suite, à leur effective réalisation. De même que la Parole transmise oralement a fait l’objet d’une inspiration spéciale dont les analogies avec d’autres ne doivent point égarer sur sa nature et sur son origine, ainsi la rédaction de la Parole écrite et la conservation de sa lettre même ont fait l’objet de directions spéciales dont les parallèles humains font éclater la fermeté divine. Comme les prophètes de la Parole, les écrivains sacrés ont donc été des instruments de Dieu, les uns « bouches de Dieu », les autres écrivant comme « sous la dictée », « notaires jurés du Saint-Esprit ». Entre les livres canoniques et les apocryphes de l’Ancien Testament,

« il y a telle différence […] comme entre un instrument passé reçu de tous, et une cédule d’un homme particulier. […] Toutefois, c’est bien raison que ce qui nous a été donné par le Saint-Esprit ait prééminence par-dessus tout ce qui est venu des hommes. »

C’est ainsi que Calvin paraît incliner vers un littéralisme radical. Dans son commentaire sur le passage classique de la théopneustie, 2 Timothée 3.16, le réformateur écrit :

« Les prophètes n’ont pas parlé de leur propre sens, mais comme organes et instruments du Saint-Esprit. […] La loi et les prophètes ne sont point une doctrine qui a été donnée à l’appétit ou volonté des hommes, mais dictée par le Saint-Esprit. […] Telle révérence que nous portons à Dieu, est due aussi à l’Écriture, parce qu’elle est procédée de lui seul et n’a rien de l’homme mêlé avec soi. »

Malgré la première apparence, le littéralisme extrême n’est pas impliqué dans ces passages, où il est question de doctrine inspirée. Si la lettre n’échappe pas à la maîtrise de l’Esprit, c’est pour son contenu seul, pour son contenu spirituel, qu’est revendiquée l’infaillibilité divine. La lettre, enveloppe, organe de la Parole et de l’Esprit, doit être respectée comme le corps, sanctuaire de l’âme; elle exige des ménagements et des égards semblables. Calvin n’a qu’indignation et sarcasme brutal pour certains airs d’indépendance que l’on se donne vis-à-vis de l’Écriture; mais il ne craint pas de pratiquer lui-même une indépendance plus effective en toute simplicité, toute vénération. On peut simplement regretter que le souci admirable de logique et de précision qui caractérise Calvin n’ait pas été jusqu’à éviter d’employer indifféremment la Parole, l’Écriture et parfois la doctrine, qui sont trois choses différentes, et que leurs multiples rapports ne permettent pas d’identifier.

Mais quel est le langage où les variétés et tropes, et notamment les métonymies et les métaphores, ne soient d’un usage courant? Le littéralisme aveugle du lecteur inintelligent n’est pas imputable à l’auteur, qui n’est même pas à excuser. Calvin demande que les lecteurs pratiquent à l’égard des évangélistes la méthode qu’ils ont eux-mêmes pratiquée dans les citations libres de l’Ancien Testament, « afin qu’ils ne s’attachent scrupuleusement à chaque mot ». Ne peut-on demander pour lui le bénéfice de cette liberté qu’il invoque? À la doctrine de l’inspiration littérale et plénière, attribuée gratuitement par certains auteurs à Calvin, s’oppose non seulement la pratique exégétique du réformateur, mais sa doctrine du témoignage intérieur du Saint-Esprit, qui, de l’aveu de tous, tient une place essentielle dans la théologie du réformateur.

5. Le témoignage rendu à l’Écriture sainte🔗

La lettre où se prend la Parole assure sa conservation et facilite sa transmission; elle maintient du même coup son autorité, mais sans la certifier, car elle n’a pas qualité pour cela. Organe de la Parole, elle témoigne à sa manière, mais son témoignage est insuffisant. Insuffisant aussi le témoignage de l’Église, car c’est elle qui est fondée sur l’Écriture, non l’Écriture sur elle. Insuffisants aussi les témoignages de la raison, de l’expérience, de la vie et même de la mort, du martyre. L’autorité toute spirituelle de la Parole de Dieu ne peut être confirmée que par l’Esprit de Dieu. La préface du témoignage que l’Esprit Saint vient rendre à la Parole est celui que lui rend notre esprit; mais ce n’est qu’une préface; il ne faut pas la confondre avec ce qui suit, comme le feront plus tard les disciples d’Arminius; ils réduisent ainsi et menacent de détruire l’importance de l’acte divin.

« L’Écriture a de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur et les choses douces et amères de montrer leur saveur. »

Cette évidence intérieure est cependant insuffisante :

« Car bien qu’en sa propre majesté elle ait assez de quoi être révérée; néanmoins, elle commence lors à nous vraiment toucher quand elle est scellée en nos cœurs par le Saint-Esprit. Étant donc illuminés par sa vertu nous ne croyons pas à notre propre jugement ou celui des autres que l’Écriture est de Dieu, mais par-dessus tout jugement humain nous arrêtons indubitablement qu’elle nous a été donnée de la propre bouche de Dieu par le ministère des hommes, comme si nous contemplions à l’œil l’essence de Dieu en elle. »

Le témoignage suffisant, mais nécessaire de l’Esprit est rendu à la Parole dans son esprit, mais aussi dans sa lettre, en tant que cette lettre est conforme à l’esprit. Contre les anabaptistes, qui établissent entre le corps et l’âme de la Parole une distinction radicale, et qui perdent l’esprit pour avoir voulu isoler, Calvin n’a que sarcasme et indignation. Il leur consacre tout un chapitre sous ce chef vigoureux1.

Calvin signale également le danger de la distinction établie par les anabaptistes entre la Parole écrite et la Parole non écrite, qui serait celle du Saint-Esprit. Tout ce que l’Esprit dit, scelle et confirme se trouve en substance dans l’Écriture. La conception ultra spiritualiste du témoignage a donc été avec les fantaisies des anabaptistes. Calvin n’a aucune sympathie pour le subjectivisme outrancier qui en vient à identifier le témoignage divin avec la voix de la conscience, en confondant ainsi l’esprit de l’homme et l’Esprit de Dieu. Si dans les termes de Paul, dont Calvin rend l’écho, l’Esprit de Dieu rend témoignage à notre esprit comme à l’Écriture, cela ne veut pas dire qu’il s’identifie soit avec l’un soit avec l’autre. Le testimonium est objectivement donné, mais cette objectivité n’est pas celle de la lettre; elle reste ce qu’elle est : spirituelle! Autant qu’il proscrit le subjectivisme, Calvin condamne cet objectivisme littéraliste ou doctrinaire qui aboutit à supprimer pratiquement le testimonium en la réduisant à la lettre, ou plus exactement, à une doctrine de cette lettre, c’est-à-dire à un intellectualisme et à un rationalisme déguisés. La pensée de Calvin interprétée par Calvin ne laisse place à aucune des équivoques dont le nuage s’est étendu sur sa doctrine du testimonium. Il s’agit du Saint-Esprit, du Saint-Esprit de Dieu, et cette affirmation suffit pour écarter tout ultra subjectivisme évanescent.

Il s’agit d’un témoignage, c’est-à-dire d’un acte de justice par lequel Dieu lui-même se constitue témoin, et témoin de lui-même. Le même Esprit qui parle ouvertement dans l’Écriture, après avoir chanté, murmuré, soupiré dans la nature ou dans la conscience, rend témoignage à la valeur de sa révélation. Il s’agit d’un témoignage interne, c’est-à-dire d’un témoignage reçu, perçu par notre esprit. Cette intériorité est un caractère constant du témoignage de l’Esprit, qui est ici à sa deuxième puissance. Il se faisait déjà entendre secrètement quand la Parole confirmait les leçons de la révélation générale dans la nature ou dans notre âme; mystérieusement, il rendit témoignage à notre parenté divine, suivant la déclaration de l’apôtre dans Romains 8.16; et maintenant, c’est en faveur de sa révélation claire et définitive que l’Esprit de Dieu témoigne intérieurement. Il témoignera encore lorsqu’il s’agira de la prédication de la Parole, quand les « bouches de Dieu » ne seront plus les prophètes ou les apôtres, mais tout simplement les ministres de l’Évangile.

Ce témoignage surnaturel n’a donc rien de rare ni de prodigieux; il est intérieur, et par cet intérieur, il faut entendre notre esprit tout entier, notre âme de cœur et de conscience autant que de raison. Si notre esprit enregistre en son intelligence le témoignage du Saint-Esprit, c’est en nos cœurs qu’est confirmée et scellée la Parole. Si dans l’Écriture sainte, la doctrine devient singulièrement l’objet du témoignage, cette doctrine doit être engravée dans nos cœurs. Calvin n’est donc pas suspect d’abstractionnisme intellectualiste; le doctrinarisme apparent, comme une écorce, se fend sous la poussée de la sève mystique. Et l’on retrouve ici la significative collusion de la Parole, de l’Esprit, de la foi. Il n’y a pas de révélation sans inspiration; il n’y a pas d’inspiration sans une révélation susceptible d’inspirer à son tour.

Et c’est de nouveau, en présence de la pensée puissante et entraînante de Calvin, la sensation, la contagion d’un mouvement irrésistible de l’Esprit, d’inspiration en révélation et de révélation en inspiration, de l’Esprit à l’Esprit et de Dieu à Dieu. Entre la Parole et l’Esprit, la collusion n’est pas fortuite; elle est aussi naturelle que surnaturelle. L’Esprit se retrouve dans la Parole de son inspiration et témoignant, c’est de lui-même qu’il se constitue défenseur. C’est dans son plein accord avec lui-même que réside notre certitude, et cette certitude qui ressortit au cœur autant et plus qu’à l’intellect est celle de la foi. Toutes ces réalités spirituelles, que le témoignage interne rassemble et met à l’œuvre, entrent par là dans l’expérience chrétienne. « Je ne dis autre chose que ce que tout fidèle expérimente en soi. » Telle est l’évidence de la foi, de la foi qui, comme la Parole, comme la doctrine, est scellée par l’Esprit en nos cœurs2.

Il y a entre la Parole et l’Esprit un accord divin. L’autorité de la Parole est celle de son auteur, la maîtrise de l’Esprit, la souveraineté de Dieu.

Notes

1Institution, I.9; voir IV.8.7 et IV.8.14.

2Institution, I.9.3.