Cet article sur Ecclésiaste 11 a pour sujet le bonheur et la sagesse de vivre une vie active et de savoir prendre des risques, malgré les adversités, en profitant des joies présentes et en se préparant pour le jugement à venir.

Source: Vanité et sagesse - Méditations sur le livre de l'Ecclésiaste. 4 pages.

Ecclésiaste 11 - Le bonheur, pour quoi faire?

« Jette ton pain à la surface des eaux, car avec le temps tu le retrouveras; donne une part à sept et même à huit, car tu ne sais pas quel malheur peut arriver sur la terre. Quand les nuages sont gonflés de pluie, ils la déversent sur la terre; et si un arbre tombe, vers le sud ou vers le nord, c’est à la place où l’arbre tombera, qu’il restera. Qui observe le vent ne sèmera point, qui fixe les regards sur les nuages ne moissonnera pas. Comme tu ne connais point le mouvement du vent, ni de l’embryon dans le ventre de la femme enceinte, tu ne connais pas non plus l’œuvre de Dieu qui fait tout. Dès le matin sème ta semence, et le soir ne laisse pas reposer ta main; car tu ne sais point ce qui réussira, ceci ou cela, ou si l’un et l’autre sont également bons. La lumière est douce, et c’est bon pour les yeux de voir le soleil. Si donc un homme vit beaucoup d’années, qu’il se réjouisse en elles toutes, et qu’il se rappelle que les jours de ténèbres seront nombreux; tout ce qui arrive est vanité. Jeune homme, réjouis-toi pendant ton adolescence, que ton cœur te rende heureux pendant les jours de ta jeunesse, marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux; mais sache que pour tout cela Dieu te fera venir en jugement. Écarte de ton cœur le tracas, et éloigne le mal de ton corps; car l’adolescence et l’aurore sont vanité. »

Ecclésiaste 11

Le marché des livres regorge actuellement de publications d’un genre nouveau : « Les guides pour… » « La clé de… » « Comment réussir votre… » « Le secret du parfait… », etc. En passant devant le libraire de votre quartier, votre regard sera accroché par des titres de ce genre. La ménagère trouvera de nouvelles recettes pour son poisson, l’épouse coquette saura faire toute seule une mise en plis sans avoir recours à son coiffeur, l’homme quelque peu adroit s’initiera, à l’aide de son nouveau manuel de bricoleur, à mille petits secrets. Le couple marié, lui, ne peut pas se plaindre d’être oublié, car on lui réserve une pléthore d’ouvrages pour réussir un mariage heureux et comment, par une nouvelle technique, orientale bien entendu, s’épanouir dans le domaine que vous devinez…

Je ne lis pas de tels ouvrages, aussi j’ignore l’utilité et la qualité de leur contenu; j’ignore aussi si le lecteur chercheur peut faire confiance aux auteurs de ce genre de littérature. Mais ce que je sais, c’est que ces derniers se présentent à l’heure actuelle comme des autorités compétentes pour donner leur avis et vous gratifier de leurs conseils d’experts en la matière.

D’autres spécialistes commencent également à nous proposer leurs précieux services et à se mêler étroitement à notre existence quotidienne. Leur liste s’allonge, en commençant par le sociologue, l’orienteur professionnel, l’économiste, le conseiller juridique et, bien entendu, l’omniprésent psychologue! Je n’ai rien contre d’honorables professions et leurs tenants, et je ne sous-estimerai pas leurs compétences. Mais à quel avis professionnel se fier? Qui sera le plus compétent d’entre eux pour nous aider à nous sortir des embarras en tout genre et nous placer sur les rails de la réussite en amour et en affaires?

L’auteur du livre de l’Ecclésiaste n’est pas un spécialiste du genre que je viens de mentionner. À première vue, son livre pourrait être assimilé à un propos sur le bonheur, ou porter encore comme titre : « Maximes pratiques pour avoir une conduite sage dans la vie. » Sa place dans le canon biblique en fait à son tour le porte-parole autorisé de l’Auteur même de la Bible, celui qui est aussi l’Auteur de nos jours, Dieu en personne.

Des paragraphes précédents, nous avions surtout retenu la description des ombres épaisses planant sur la tête de tous et de chacun, bien que, par moments, de rares éclaircies apparussent ici ou là au cours de cette journée appelée existence, consumée dans la vanité. À présent, informés de cette règle invariable, il nous est plus facile, réalistes et résolus, de regarder la vie en face. Tant mieux pour nous si nous connaissons par expérience ces ombres redoutables; nous saurons mieux nous orienter et marcher avec une plus grande fermeté sur les sentiers de la vraie connaissance, qui aboutissent à celui qui se trouve au début comme à la fin de tout sentier; lui qui se tient également à côté de nous pour nous accompagner sans jamais faillir à ses promesses.

Dans le chapitre précédent, nous apprenions que le temps peut renverser et détruire les projets les plus audacieux et les plus beaux. Mais ce savoir selon l’Ecclésiaste devrait devenir le plus puissant des stimulants en vue d’une action positive. Si nous apercevons des risques de tous côtés, il vaut mieux les courir en luttant au lieu de nous recroqueviller sur nous-mêmes en maugréant contre la mauvaise fortune. À cet endroit, quelque chose comme l’Évangile résonne à nos oreilles, quelque chose qui ressemble à ces paradoxes si chers à Jésus : « Quiconque en effet voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 16.25). Dans une vie transformée et éclairée par l’Évangile, il n’y a pas de place pour le paresseux, le timide, le lâche, le résigné. Il faut agir en temps et hors temps, en dépit de l’adversité, sans calculer le prix de ce qui pourrait advenir d’imprévisible. Deux exemples tirés de la nature illustrent le propos de l’auteur : des nuages menaçants et des troncs d’arbres renversés. Ni les premiers ni les seconds ne prennent notre avis. Par conséquent, n’agissez pas, conseille l’Ecclésiaste, avec des « si », des « si » et des « si » hypothétiques, autrement, il n’y aura jamais d’œuvre valable, d’entreprise utile ni d’aventure qui vaille la peine d’être vécue.

Dieu anime et régit les événements, nous le constations à la suite de l’Ecclésiaste. Le voici tout d’abord dans la formation du corps humain, cette merveille qui échappe au contrôle de nos esprits, en dépit de ce que, de nos jours, on appelle planification, voire manipulation génétique. Quel est, en effet, le savant généticien qui prétendrait déterminer entièrement la formation du zygote, le développement de l’embryon, la naissance d’un enfant? À moins qu’il ne veuille détruire dès sa conception l’œuf fécondé et l’être humain que Dieu appelle à la vie.

Agir avec zèle et audace ne signifie pas faire preuve d’une bravoure suicidaire, se comporter de manière irresponsable, foncer à toute allure vers l’infarctus du myocarde ou la dépression nerveuse. Toutefois, malgré la connaissance que nous avons des réalités temporelles et des difficultés de l’existence quotidienne, faisons preuve de courage. Un tel état d’esprit nous aidera à glaner à bon escient, sans avidité, les joies normales de la vie, et ceci avec un maximum de profit.

La joie, celle à laquelle nous invite non seulement l’Ecclésiaste, mais la Bible tout entière, n’est pas une fuite en avant éperdue et irrationnelle, mais une mesure revigorante que Dieu place à notre disposition. La lumière est douce, et sa douceur peut durer longtemps, mais pas indéfiniment. Rappelez-vous qu’il y aura une fin. Pourtant, la joie proposée n’est pas un décor factice. Elle peut survivre même en face de la mort, résister au milieu des frustrations, car telle est sa force. Elle possède un aspect souvent négligé. Même le tyran le plus cruel ne peut détruire la beauté de l’aurore ou celle du coucher du soleil. Il ne pourra pas empêcher que des rayons filtrent à travers les feuilles d’un arbre ni changer la finesse des pétales de la rose. Réjouissez-vous donc tant qu’il est temps. Vous ne savez pas comment les choses tourneront. L’échéance qui vous est accordée est-elle longue ou brève? Vous n’en savez rien.

L’Ecclésiaste ne pense pourtant pas à la mort avec morbidité, même s’il n’a pas reçu, en tant qu’homme de l’Ancien Testament, toute la révélation divine, qu’il ne sait pas encore que la mort est destinée à disparaître, qu’elle sera le dernier ennemi vaincu. Par conséquent, il y songe de manière négative, car, pour l’instant, l’espérance du Nouveau Testament ne l’anime pas. Mais la joie à laquelle il invite n’est ni immorale ni artificielle. Elle possède une force parce qu’elle est en rapport avec ce qui est droit, droit aux yeux de Dieu. La joie n’oublie ni n’écarte la pensée du jugement.

Vous objecterez peut-être qu’une telle pensée vient justement tout gâcher et que la perspective d’un jugement à venir se trouve suspendue au-dessus de nos têtes, telle une épée de Damoclès. Cela aurait pu être ainsi si la joie comme la liberté d’action n’étaient que des parodies. Or, la joie biblique, elle, est authentique et elle doit atteindre un but. Autrement, la trivialité, voire le vice s’installerait sous le pseudonyme de joie. Mener une vie sans rapport avec Dieu, hors de sa présence, sans tenir compte ni de son amour ni de ses réprobations, ferait de l’homme le plus enjoué l’être le plus misérable. La joie ne s’altère que si elle est superficielle et, dans ce cas, elle se muera en désespoir lorsqu’elle devra affronter des situations sans issue.

Notre prochain et dernier chapitre traitera plus spécialement des jeunes. Qu’il suffise dès maintenant de dire un mot à leur sujet. Les jeunes peuvent sans honte ni complexe profiter au maximum des joies saines et pures que leur réserve l’existence. C’est bien leur temps de vivre. Les adultes, eux, devraient le comprendre. Mais la jouissance païenne à laquelle s’adonne une certaine jeunesse est un leurre. La recherche obsessionnelle du plaisir facile et instantané dans une société et une culture essentiellement orientées vers la jeunesse a quelque chose de friable, d’éphémère, de ruineux. Elle aussi est vanité. Pourtant, Dieu a pourvu chaque saison de la vie d’une joie particulière; nous devons donc accorder à celle des jeunes une place tout à fait légitime dans la vie, à condition de ne pas idolâtrer la jeunesse.

Le monde dur et décevant peut provoquer vexation, chagrin et amertume, et celles-ci peuvent survenir à n’importe quel moment, mais elles ne doivent pas faire de nous des pessimistes invétérés. En toute conscience, l’Ecclésiaste acquiesce à la vie et au monde. Ici, dans le chapitre présent, son acquiescement a été le plus vibrant. La confiance en Dieu sera active, hardie, entreprenante. Car l’action de Dieu est mystérieuse et agissante en tous lieux. La puissance de Dieu pénètre et vivifie la vie du fidèle. Dieu veut que ses enfants soient heureux. Il se réjouit du rire des enfants. Ce verset doit donc bannir toute déprime : « Éloigne le mal de ton corps » (Ec 11.10), c’est-à-dire refuse et répugne le mal moral. Rappelle-toi, dit l’Ecclésiaste, nos voies sont en rapport avec Dieu. C’est lui qui reste le Juge de toute action humaine. Mais il est aussi le Dieu de la grâce, et tout don parfait et toute grâce excellente proviennent de sa main. Il fait accompagner nos joies de ses bontés dont il est la source unique, toute suffisante.