Cet article sur Ecclésiaste 5.1-6 a pour sujet le danger mortel de s'approcher de Dieu par sa propre religion, car Dieu est saint et nous sommes pécheurs. Mais maintenant par Jésus, nous avons accès à la présence de Dieu et au trône de la grâce.

Source: Vanité et sagesse - Méditations sur le livre de l'Ecclésiaste. 5 pages.

Ecclésiaste 5 - Une zone dangereuse

« Ne te presse pas d’ouvrir la bouche, et que ton cœur ne se hâte pas d’exprimer une parole devant Dieu; car Dieu est au ciel et toi sur la terre : que tes paroles soient donc peu nombreuses. En effet, le rêve vient de la foule des soucis et la voix de l’insensé se fait entendre par une foule de paroles. Lorsque tu as fait un vœu à Dieu, ne tarde pas à l’accomplir, car il n’y a point de faveur pour les insensés : accomplis le vœu que tu as fait. Mieux vaut pour toi ne pas faire de vœu, que d’en faire un sans l’accomplir. Ne permets pas à ta bouche de faire pécher tout ton corps, et ne dis pas en présence de l’envoyé que c’est une inadvertance. Pourquoi Dieu devrait-il s’irriter de tes paroles, et ruiner l’œuvre de tes mains? Car dans la foule des rêves il y a des vanités; de même quand il y a beaucoup de paroles; c’est pourquoi, crains Dieu. »

Ecclésiaste 5.1-6

Les premières lignes de ce chapitre nous décrivent une scène bien vivante. Des hommes d’affaires quittent le marché, le bazar faudrait-il dire, et ceux de la vie politique le divan, c’est-à-dire leur assemblée, pour se diriger vers la maison de Dieu. Pourtant, leurs esprits sont préoccupés par d’autres soucis que celui de l’exercice d’une piété authentique; aussi ils n’inspirent ni admiration ni confiance. Les voici offrant sur l’autel leurs sacrifices rituels; ils se gardent pourtant de donner le moindre signe d’une humble et joyeuse soumission. Leurs prières sont des redites volubiles, aussi vaines que les moulins à prières du Tibet bouddhiste! Elles véhiculent des désirs impurs et sont souillées de mille convoitises. Ils ont hâte de prononcer devant Dieu des vœux pieux, mais une fois le danger écarté, ils ne feront rien pour les honorer! Cette maison de Dieu a davantage l’apparence d’un bazar oriental ou d’une bourse à l’occidentale, où s’affairent des monnayeurs cupides et autres agents de change à l’affût de nouveaux gains, que celle d’un sanctuaire rempli d’une atmosphère de sainte adoration.

Alors, l’Ecclésiaste leur tend un miroir et les invite à se regarder et à se reconnaître tels qu’ils sont. Ils formulent des vœux qu’ils n’accompliront jamais; ils prononcent des prières irréfléchies d’où le cœur est absent; ils sacrifient des holocaustes dans le dessein calculateur et mesquin de se racheter à bon compte des forfaits commis au cours de la journée sans la moindre velléité de repentir sincère.

Quelle assurance pourraient-ils espérer de cette bondieuserie de clown? Leurs magouilles religieuses les condamneront sûrement! À vrai dire, il n’y aurait pour eux, ni pour nous, de consolation, si ce n’était pour le compatissant Qohéleth qui les avertit solennellement, après avoir fait un diagnostic correct des mobiles et en avoir dévoilé les intentions secrètes coupables. Le verset 2 du chapitre a pu étonner maints lecteurs. Il dit de quelle manière l’esprit harassé de multiples occupations et étouffant de soucis ne trouve de repos même pas durant la nuit, mais est agité de rêves troublants et de pénibles cauchemars. Ainsi en est-il, affirme-t-il, de l’adorateur insensé qui, par manque de réflexion et de crainte respectueuse envers Dieu, s’épanche en une multitude de pensées désordonnées, déverse ses désirs illégitimes et tient des propos incohérents.

Vous, hommes d’affaires, vous puiserez peu de consolation du culte de pacotille que vous célébrez à chaque fête solennelle, parce qu’en vous approchant du sanctuaire, vos cœurs sont asservis à vos soucis païens, appesantis de mille préoccupations indignes de la majesté divine. Vous êtes comme cet homme qui, le soir venu, se jette dans son lit dans l’espoir de se relaxer, mais durant toute la nuit il est agité par des rêves inquiétants. Vous promettez plus que vous ne pouvez tenir; vous prononcez des prières de dévots, mais, Tartuffe avant la lettre, vous manquez d’honnêteté. Vous comptiez à vos risques et périls que la prière volubile vous épargnerait le prix de l’obéissance concrète!

Rendez-vous à la maison du Seigneur avec un pied droit, pour y faire quotidiennement l’apprentissage d’une humble soumission! Veillez sur votre cœur, de peur qu’il ne se satisfasse d’une piété d’apparat! Puissent vos paroles être peu nombreuses et plus respectueuses; ne vous laissez pas emporter par l’émotion facile; c’est devant le grand Roi que vous vous présentez. N’excitez pas son ire, même pas celle de son ange qui préside à l’autel; ne vous hâtez pas de prononcer des vœux que vous regretterez plus tard. Ayez donc une sainte crainte de la présence du Tout-Puissant, et alors, même dans les périodes d’oppression, vous saurez que la maison de Dieu est un sanctuaire, le lieu dont vous pouvez attendre réconfort et renouveau.

Qohéleth est un Israélite, familier des normes et des règles cultuelles. Il se rend fréquemment au Temple; dès sa jeunesse, il a suivi son catéchisme; grâce à une longue pratique et à une expérience personnelle, il a assimilé l’esprit des exigences de la loi sainte, sage et parfaite du Dieu de l’alliance. Le lieu très saint symbolise dans le Temple la présence quasi intangible du Dieu révélé, là où des chérubins veillent pour que sa majesté ne soit lésée et qu’une approche irrespectueuse ne jette de discrédit sur son saint nom. Là est tendu le splendide morceau de voile d’une seule pièce, lourdement brodé de bleu, de pourpre et d’écarlate, suspendu à l’entrée. L’on est tenu de rester en deçà, de peur de transgresser la loi et de profaner le lieu saint. Saint et redoutable! Seul le souverain sacrificateur a le droit d’y pénétrer, une fois par an! Le plus ardent des adorateurs ne peut rêver d’y avoir accès, comme si une inscription géante suspendue au-dessus indiquait : « Danger, interdiction d’entrer. »

Ces dispositions rituelles ont de quoi nous surprendre, voire nous dérouter, nous autres hommes du Nouveau Testament. Nous nous demandons, quelque peu étourdis par autant de précaution et de mystère : la religion ne pourrait-elle pas être simplifiée, voire devenir un peu plus spirituelle, moins primitive? Certains lecteurs de l’Ancien Testament ont prétendu qu’il existerait une opposition irréductible entre la religion ritualiste des prêtres et lévites, aux exigences si sévères, et la noble et très élevée spiritualité des prophètes. L’Ecclésiaste ne nous permet pas d’établir une telle dichotomie dans l’expression de la foi du Vieux Testament. Il rejoint l’idée centrale des auteurs les plus spirituels de l’Ancienne Alliance et qui anime la vie cultuelle de son peuple. Il souligne la place capitale du rituel correctement célébré. Hors des dispositions prises par Dieu et des prescriptions cultuelles réglant la piété, nul n’a le droit de s’approcher de la sainte, juste et redoutable majesté du Seigneur tout-puissant. Une zone dangereuse le sépare de l’homme mortel; un chérubin à l’épée flamboyante garde toujours l’entrée de l’Eden d’où le premier transgresseur fut chassé. Nous aurions de la peine à trouver une contradiction entre cette page de l’Ecclésiaste et le reste de la Bible.

Mais au-delà des abus que l’Israélite de jadis put pratiquer et contre lesquels il fut mis en garde, cette page de l’Ecclésiaste dénonce également la vanité de toute pratique religieuse inventée par l’homme chassé du jardin d’Eden. La religion inventée par son esprit arrogant fait partie, elle aussi, de la vanité humaine que fustige notre auteur.

Cette vaine tentative de s’approcher de Dieu, de se l’approprier, de disposer de lui et d’en faire sa chose, voilà la suprême vanité de l’homme. Il n’y a pas que la sécularisation foncière, l’athéisme virulent ou le matérialisme grossier qui s’opposent à Dieu. La suprême vanité de l’homme consiste à se faire une religion sur mesure, à se couvrir d’une feuille de figuier pour cacher sa misérable nudité spirituelle lorsqu’il ose paraître, quelle outrecuidance!, en présence de Dieu. Pourtant, le regard de celui-ci perce les masques les plus épais et déchire nos oripeaux ridicules. La religion fabriquée, celle qui ne correspond pas au modèle déposé une fois pour toutes par le divin Maître, devient un blasphème jeté à la face de sa sainteté, au lieu de fonder un rapport harmonieux et d’entretenir des relations affectueuses.

L’homme oublie et encore plus souvent, ce qui est plus grave, refoule le fait que Dieu ne se laisse jamais enfermer dans les carcans de nos pratiques, même les plus sincères et les plus nobles, si elles n’ont pas été dictées et établies par lui; il n’est vraiment pas disposé à gober nos bavardages religieux! Au contraire, il se réserve le droit de prescrire lui-même la religion. Il demande qu’on l’adore en Esprit et en vérité. Pour bien lui parler, il faut au préalable l’écouter attentivement, religieusement convient-il de dire.

C’est pourquoi le message percutant de l’Ecclésiaste vient nous secouer et nous éveiller de nos torpeurs. Il tire une sonnette d’alarme. Vous foulez un terrain dangereux, semé de mines; vous dépassez la ligne de démarcation sans prendre des précautions, et même avec inattention, désinvolture ou indifférence; cela vous coûtera cher… Vous êtes en danger de mort, le Dieu de la révélation biblique est un feu dévorant. On ne s’approche pas impunément de lui. Il n’est pas « le copain du ciel » que chantent certains de vos mièvres cantiques.

En général, l’homme ne se soucie guère d’un tel Dieu. Voyez Goetz, dans Le diable et le bon Dieu, de Jean-Paul Sartre. Ayant rejeté l’idée de Dieu et la foi en lui, il jette contre le ciel son alléluia blasphématoire, un anathème triomphant. Selon Sartre, lorsque l’homme se libère de Dieu, il a enfin la chance de devenir homme!

Pour avoir enfreint les règles intangibles de la conduite religieuse et ignoré sa majesté, des hommes de l’Ancien Testament furent lourdement châtiés, d’autres frappés de mort. Ayant illégalement franchi le seuil du danger en allumant un feu étranger au culte, Nadab et Abihou, deux fils du premier souverain sacrificateur Aaron, furent consumés par le feu (Lv 10.1-3). Ozias, souverain israélite pourtant pieux, pour avoir brûlé de l’encens et usurpé les prérogatives réservées aux seuls prêtres, fut atteint par la lèpre (2 Ch 26.16-21). Saül, le premier monarque du peuple élu, fut rejeté, maudit et finalement dut mourir de mort violente pour s’être permis d’offrir des sacrifices sans tenir compte des vœux de son Dieu (1 S 13.6-14).

D’ailleurs, le pire des châtiments ne serait-il pas de nous livrer à notre propre vanité jusqu’à ce que, ruinés, nous sombrions dans une absurdité totale et irrémédiable? Lorsque, dans notre rébellion, c’est à la créature périssable que nous vouons le culte dû au Créateur, que faisons-nous si ce n’est nous livrer à une vanité intégrale?

Rappelons-nous pourtant de l’une des pages les plus saisissantes et des plus dramatiques de la Bible : celle qui nous rapporte l’épisode du buisson ardent; Dieu, s’adressant au pâtre Moïse, qu’il enverra libérer Israël, lui dit : « Ôte tes sandales de tes pieds, car l’endroit sur lequel tu te tiens est une terre sainte » (Ex 3.5). Ce buisson qui brûlait sans se consumer était le symbole d’une présence à la fois mystérieuse et sainte, et si le feu dévorait, c’était soit pour consumer l’impur, soit pour purifier l’élu divin. Le prophète Ésaïe fit à son tour la même expérience de la sainteté divine. Détail remarquable, sa vision eut lieu dans les parvis du Temple. Saisi de frayeur et bouleversé par son état de perdition, le jeune Ésaïe avouera son péché, implorera la miséricorde divine. Il venait d’apprendre qu’il était dangereux de s’approcher de Dieu (És 6.1-7).

Redisons-le; c’est une zone bien dangereuse que cette religion biblique, et elle ne peut être assimilée ou annexée à d’autres religions. L’amalgame des religions de l’humanité que l’on prône actuellement est chimérique sur le plan pratique, mais surtout illégitime sur le plan spirituel. La religion biblique n’est pas une religion parmi d’autres, même celles dites monothéistes ou spirituelles. Les autres ne seront jamais des religions dangereuses comme celle de l’Ecclésiaste et de Jésus-Christ. Elles peuvent satisfaire des besoins dits religieux, combler certaines aspirations spirituelles, mais elles ne permettront pas la rencontre décisive et salutaire avec le Dieu de vie et de mort. Seule la religion de la Bible chrétienne, Ancien et Nouveau Testaments, révèle la nature de l’homme et pose les conditions de notre rencontre avec le Dieu révélé.

Il existe toujours un voile, peut-être même plusieurs, qui cachent aux yeux de l’homme l’accès vers Dieu. Pourtant, le Dieu du ciel et de la terre nous est à présent accessible. Le lourd voile massif a été déchiré en deux, l’accès dans le lieu très saint de la majesté divine a été rendu possible. À l’heure même où expirait le Fils de Dieu, le Sauveur des hommes, la zone dangereuse était déminée. Comme si deux mains géantes l’eussent empoigné, l’immense rideau fut déchiré en deux morceaux, de haut en bas. C’était le signe que Dieu lui-même offrait l’accès jusqu’à sa personne. L’homme mortel et pécheur, un aveugle tâtonnant dans les ténèbres, ne pouvait trouver d’issue autre que la mort et le châtiment. Le Christ est mort pour que Dieu s’approche de nous; pour que nous puissions invoquer son nom, sans crainte de le profaner et de périr. La zone jadis dangereuse porte à présent un autre nom; elle s’appelle « trône de grâce ». À l’interdiction d’accès à la présence de Dieu d’autrefois a succédé l’invitation pressante d’y pénétrer sans crainte. À tel point que saint Paul ose même affirmer que, par la foi, nous sommes déjà dans les lieux célestes.

Avez-vous regardé de près la croix? Non pas ces ornements de prix, si bien ciselés, qui parent la poitrine des vaniteux ou des vaniteuses. Mais la croix comme instrument de supplice, le plus hideux et le plus méprisable, face à laquelle l’on devrait ressentir une profonde aversion. Or, c’est précisément elle qui ouvrit l’accès, qui devint la porte, le terrain sur lequel il n’est plus besoin d’ôter ses sandales pour invoquer le saint nom de Dieu. À la croix, nos vœux peuvent être purifiés et les promesses peuvent être tenues; l’Esprit vient à notre secours et transmet à Dieu les requêtes prononcées avec foi.

Le culte de l’Église annonce cette possibilité nouvelle. Tout culte chrétien devrait premièrement proclamer ce libre accès, grâce à la médiation unique et exclusive de Jésus-Christ.

L’Ecclésiaste a donc eu raison. Il a dénoncé la vanité mortelle de toute pratique religieuse superficielle pour nous préparer à rencontrer Jésus-Christ. Comment hésiter alors à rejoindre saint Paul et jubiler avec lui? « Qui nous séparera de l’amour du Christ? » (Rm 8.35). Sera-ce la mort? Le Christ a traversé la zone dangereuse pour la rendre sûre et sans danger pour nous, pour en faire le chemin qui mène jusqu’à la maison du Père; nous suivrons donc le Chef et Guide de notre foi, de notre espérance et de la charité divine, pour le temps et pour l’éternité. Le chemin vers Dieu est frayé pour celui qui cherche, frappe, demande. Dieu est devenu notre proche en Christ, dans la communion de son Saint-Esprit.