Cet article sur Ecclésiaste 9 a pour sujet l'invitation que Dieu nous fait à prendre plaisir à la vie, qui n'a rien à voir avec l'hédonisme, mais qui est sagesse d'en haut. Nous pouvons goûter à la joie dans ce monde de souffrance, car le Dieu plus fort que la mort nous donne une espérance.

Source: Vanité et sagesse - Méditations sur le livre de l'Ecclésiaste. 7 pages.

Ecclésiaste 9 - Plaisir et sagesse

« Tout cela je l’ai pris à cœur et voici ce que j’ai éprouvé, c’est que les justes, les sages et leurs labeurs sont dans la main de Dieu, et l’amour aussi bien que la haine; l’homme n’en sait rien; tout peut être envisagé. Tout arrive également à tous : même sort pour le juste et pour le méchant, pour celui qui est bon et pur et pour celui qui est impur, pour celui qui offre un sacrifice et pour celui qui n’offre point de sacrifice; il en est du bon comme du pécheur, de celui qui prête serment comme de celui qui craint le serment. Voici un mal parmi tout ce qui se fait sous le soleil; c’est qu’il y a pour tous un même sort; et, aussi, le cœur des humains est rempli de mal, et la démence est dans leur cœur pendant leur vie; après quoi, ils vont chez les morts. En effet, celui qui est associé à tous les vivants peut avoir confiance, et même un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort. Les vivants, en effet, savent qu’ils mourront; mais les morts ne savent rien et pour eux il n’y a plus de salaire, puisque leur souvenir est oublié. Leur amour, leur haine et leur jalousie ont déjà péri; et ils n’auront plus jamais aucune part à tout ce qui se fait sous le soleil. Va, mange avec joie ton pain, et bois de bon cœur ton vin; car Dieu a déjà agréé tes œuvres. Qu’en tout temps tes vêtements soient blancs, et que l’huile ne manque pas sur ta tête. Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, pendant tous les jours de la vaine existence que Dieu t’a donnés sous le soleil, pendant tous tes jours de vanité; car c’est ta part dans la vie au milieu de la peine que tu te donnes sous le soleil. Tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le; car il n’y a ni activité, ni raison, ni science, ni sagesse dans le séjour des morts où tu vas. J’ai encore vu sous le soleil que la course n’est pas aux plus agiles, ni la guerre aux plus vaillants, ni le pain aux plus sages, ni la richesse aux plus intelligents, ni la faveur aux plus savants, car les circonstances bonnes ou mauvaises surviennent pour eux tous. L’homme ne connaît pas plus son heure que les poissons qui sont pris au filet néfaste, ou que les oiseaux qui sont pris au piège; comme eux, les humains sont enlacés à l’heure néfaste qui s’abat sur eux tout à coup. J’ai aussi vu sous le soleil cet exemple de sagesse qui m’a paru remarquable. Il y avait une petite ville, avec peu d’hommes; un roi puissant marcha sur elle, l’investit et construisit contre elle de vastes retranchements. Il s’y trouvait un homme pauvre et sage qui aurait pu délivrer la ville par sa sagesse. Et personne ne s’est souvenu de cet homme pauvre. J’ai dit : La sagesse vaut mieux que la vaillance. Cependant, la sagesse du pauvre est méprisée, et ses paroles ne sont point écoutées. Les paroles des sages écoutées dans le calme valent mieux que le cri de celui qui domine parmi les insensés. La sagesse vaut mieux que les armes de combat; mais un seul pécheur anéantit beaucoup de bien. »

Ecclésiaste 9

Dans la conclusion de notre dernier chapitre consacré au chapitre huitième de l’Ecclésiaste, nous écoutions l’auteur nous inviter à prendre plaisir à la vie. Ce livre de l’Ancien Testament nous présenterait-il une forme plus ou moins déguisée d’hédonisme, théorie selon laquelle la fin de toute action serait la recherche du plaisir? Selon l’hédonisme psychologique, l’homme serait fait de telle sorte qu’il ne pourrait éviter de rechercher le plaisir et de faire de celui-ci la fin ultime de son existence et de chacun de ses actes. Même lorsqu’il essaie de se persuader qu’il se sacrifie pour une cause, il ne chercherait, en réalité, que son propre plaisir.

On serait tenté de chercher des affinités entre la foi chrétienne et l’eudémonisme, autre nom de la même philosophie de vie, car la foi attend le salut définitif, un état final qui sera la plénitude du bonheur dans un ciel de félicité. Mais c’est aller un peu vite en besogne que de chercher des parallèles entre la foi biblique et la philosophie hédoniste. Car cette dernière exclut toute liberté réelle et toute action morale. L’Évangile, lui, procure une joie réelle, profonde et pure, tout en nous invitant à renoncer au monde non pas comme une fin en soi, mais à cause de Dieu. Renoncement et félicité tournent, pour le chrétien, autour de la seule présence de Dieu dans la vie.

Toutefois, la question du plaisir se pose actuellement, me semble-t-il, avec une acuité sans précédent. Notre société est une société de jouisseurs, adonnée à un ludisme anarchique, livrée à un laxisme total. Écoutez Jean Brun dans Le retour de Dionysos :

« Depuis des siècles, Dionysos, le dieu du plaisir et des jeux ludiques, étend le cercle de sa ronde. Il ne s’est pas contenté d’être le dieu de quelques mystiques. Il est devenu l’animateur et l’inspirateur, l’éminence grise du ludisme de toutes sortes, l’âme de la cité moderne.
Aujourd’hui, en effet, les sociétés repues de solutions, gavées de nourritures de toutes sortes, cherchent sans cesse des épices nouvelles pour donner davantage de goût à une existence qu’elles trouvent de plus en plus fade. C’est pourquoi les professionnels des médias de masse sont à l’affût du sensationnel, du “scoop” comme on dit en argot du métier. Aujourd’hui, Dionysos a enveloppé le monde d’un réseau qui lui tient lieu de champ orgiastique… Il triomphe en exigeant des hommes qu’ils ne se jugent plus, mais qu’ils acceptent de tout cueillir parce que la vie est une valeur en soi-même. »

L’Ecclésiaste répugnerait au retour de Dionysos. Car il appartient à un peuple qui doit se réjouir uniquement en Dieu et trouver en lui seul son bonheur, dont les fêtes et festivités religieuses marquent le sommet de sa joie, purifiée en et par le Dieu Créateur et Libérateur. Examinez la Bible, vous serez surpris par le nombre de fêtes célébrées par les Israélites. « Nouvelle année », « nouveau mois », « semaine nouvelle », etc., parlent de ce que les Hébreux appelaient « ro hodesh », c’est-à-dire jour saint. À chaque changement de lune, il y avait une fête, ce qui signifiait que le temps est la création de Dieu et qu’il est régi par ses lois.

Ouvrons ici une parenthèse pour examiner la joie que procurent les fêtes religieuses du peuple de l’Ancienne Alliance. Madeleine Chasles, que je suivrai ici, nous conseille :

« Si nos fêtes religieuses sont évocatrices de mille souvenirs heureux, toutes les journées d’une vie vraiment chrétienne devraient porter le sceau de la joie. Joie est synonyme de fête! C’est la pensée qu’exprimait Origène, au troisième siècle : “Il y a des chrétiens qui ne le sont que de nom parce qu’ils ne veulent ou ne peuvent se résoudre à passer toute leur vie comme un seul jour de fête.” Origène ne veut donner le nom de chrétien qu’à ceux qui ont conscience de la grandeur de leur vie, rachetée par le sang de l’Agneau, et qui vivent dans l’esprit de la résurrection, la fête des fêtes…
Dans la Bible, une grande joie accompagne toujours les fêtes et le chant des psaumes. Les fêtes juives étaient les “types” de nos fêtes chrétiennes; elles étaient la figure anticipée des réalités que nos cérémonies cultuelles évoquent et de l’allégresse qui doit jaillir de nos cœurs vers le trône de Dieu.
Les fêtes, en Israël, étaient représentatives de l’universelle liturgie, celle qui réunit la terre et le ciel, qui nous transporte en espérance dans le Royaume de Dieu. Le cœur humain, déjà entré dans le secret de la face du Père, est à la fois le temple et l’autel, l’offrande et le sacrificateur. Si nous savons plonger notre regard dans ce mystère de la fête du ciel, entendre, telles les “grandes eaux”, les harpes harmonieuses décrites dans l’Apocalypse et dont le son monte devant le trône de l’Agneau immolé, nous percevons alors que toute la vie des rachetés est une fête…
Pendant les jours où on célébrait les fêtes juives, en présence de Dieu, on ne devait être “que joyeux”. Le Nouveau Testament répondra, en vibrant écho, à l’Ancien : “Soyez toujours joyeux, priez sans cesse.” (1 Th 5.16-17). “Entretenez-vous par des psaumes et par des cantiques spirituels, chantant et célébrant de tout cœur les louanges du Seigneur” (Ép 5.19).
La plupart des fêtes juives avaient un caractère très joyeux. À la Pâque, la joie n’était-elle pas demandée? Elle devait demeurer plus voilée, car cette fête évoquait le souvenir douloureux de la captivité en Égypte et de l’immolation de l’Agneau… Mais il était demandé d’être joyeux pour la fête des Semaines, ou la fête de la Pentecôte : “Tu célébreras la fête des Semaines, […] tu te réjouiras devant le Seigneur ton Dieu” (Dt 16.10-11). Et pour celle des Tabernacles, qui durait sept jours : “Tu te livreras entièrement à la joie” ou “tu ne seras que joyeux” (Dt 16.5).
Cette fête des Tabernacles était précédée de celle des Trompettes. Si l’appel de la trompette pouvait parfois marquer le rassemblement pour la guerre et l’angoisse, il était surtout le signal du rassemblement pour les fêtes et la joie. C’est pourquoi le psaume proclame : “Heureux le peuple qui entend le son de la trompette; il marche à la clarté de ta face, ô Éternel” (Ps 89.16). Israël fut un peuple heureux en ses cérémonies, ses fêtes et ses chants. »

Arrêtons là la citation de Madeleine Chasles; il y a un grand profit à lire et à méditer son livre consacré à La joie par la Bible, et ceci malgré les réserves, en tant que chrétien réformé, que j’ai vis-à-vis de certaines interprétations théologiques et ecclésiastiques que je ne partage pas.

Pourquoi cette importance du calendrier du peuple élu? Dans le paganisme, les journées qui divisaient le temps en périodes revêtaient une grande importance, car elles reflétaient les changements de la nature. Les religions païennes étaient une forme de culte voué à la nature, suprême bienfaitrice et source de vie. Par conséquent, des jours tels que le solstice d’hiver et le solstice d’été annonçaient le changement du temps. C’était « le jour du soleil ».

Les croyants israélites, eux, célébraient les fêtes non par rapport à la nature, mais par rapport à Dieu. Si le mois marquait un nouveau changement du temps, Dieu en était loué. Il y avait donc de la joie réelle sous le regard de Dieu et sous sa protection. Avouons qu’une telle conception de l’existence permet de respirer profondément, surtout au sein d’une société comme la nôtre, foncièrement matérialiste et, pour cette raison, morbide et macabre.

Il est donc permis, voire loisible, de célébrer la vie et d’y prendre plaisir, non parce que les temps auraient changé ou que la mode, puissante et omniprésente, nous y entraîne, mais parce que l’Ecclésiaste nous y convie en tant que porte-parole divin. Il nous donne des raison profondes de prendre goût à la vie, ce qui est toute autre chose que de se vautrer, à la manière des païens, anciens ou modernes, dans la fange d’un hédonisme exacerbé, de nature dionysiaque. Lisez attentivement le chapitre neuvième de son livre. Vous y découvrirez de grands contrastes. Optimisme et pessimisme y alternent à tel point que l’on s’interroge s’il est prudent de se fier au message d’un homme à l’humeur aussi changeante, s’il peut vraiment nous servir de guide. Mais les changements d’humeur de l’Ecclésiaste sont dus au fait qu’il se place tantôt d’un côté de la réalité, tantôt de l’autre, afin de nous avertir et de nous préparer au bonheur.

Il s’interroge sur la nature des événements, ainsi que nous l’avons fait nous-mêmes maintes et maintes fois. Comment savoir si Dieu nous aime ou s’il nous hait? Puis-je en juger d’après les circonstances extérieures? Nous voyons souffrir aussi bien des fidèles chrétiens que des incroyants. Les uns et les autres peuvent être victimes du crime, périr dans la guerre ou dans un accident de la circulation, connaître de graves conflits personnels et familiaux, souffrir d’incompréhension, être victimes de l’oppression et cibles du terrorisme intellectuel, souvent solitaires et abandonnés de tous…

J’ai assisté à l’agonie de mon vieux père, âgé de quatre-vingt-quatorze ans, témoin de sa souffrance durant les dernières semaines de sa vie. Il était chrétien et il avait même derrière lui une longue carrière de ministre de l’Évangile. Devrais-je expliquer le combat des derniers jours de sa vie comme un signe de la réprobation divine? Certainement pas.

« On voudrait haïr la vie — écrit dans son livre de méditations à vrai dire remarquable le prédicateur suisse allemand, Walter Lüthi, que je vous recommande bien vivement —, on voudrait la haïr et finalement on l’aime, parce que Dieu l’aime. On voudrait se détourner d’elle, se refuser à elle, et il se trouve que, grâce à Dieu, on l’accepte. C’est un grand miracle. Il y a chez l’Ecclésiaste quelque chose de ce miracle de la foi. Il croit que “les justes et les sages et leurs œuvres sont entre les mains de Dieu”. Sa figure, telle que nous la révèle notre livre, nous rassérène et nous réconforte profondément : Il connaît la situation du monde; il voit dans toutes les pommes le ver qui s’y trouve; l’odeur de pourriture qui s’exhale de toutes choses l’a aussi profondément effrayé et troublé, mais malgré tout, comme le dit Luther, “il veut donner ses soins à l’arbre tout entier, ne serait-ce que pour en obtenir une ou deux bonnes pommes”. Il voudrait renier la terre; dans tous les chapitres, on l’entend proférer de catégoriques dénégations, et pourtant, à son propre étonnement, il acquiesce au monde. Il ne connaît évidemment pas le Christ, ne parle guère de foi, mais il croit au Dieu “entre les mains de qui se trouvent les justes et les sages et leurs œuvres”, et le Dieu de l’Ancien Testament est le Père de Jésus-Christ. Nous voyons aussi dans ce neuvième chapitre quel indicible effort lui vaut cette terre. Ses plaintes se suivent telles des vagues; par trois fois, nous entendons retentir son “non, oh non, pas un monde pareil!” et par trois fois, se débattant, il aboutit au “oui”. C’est par trois fois le puissant “et pourtant” que lui suggère la foi. C’est un miracle auquel nous assistons, le grand miracle grâce auquel un homme vit la vie que lui a donnée le Créateur, parce que cette vie est dans la main de Dieu » (Walter Lüthi).

Mais la question ne cesse de nous talonner, de nous troubler profondément : Comment nous assurer que Dieu nous aime? Les Israélites du Vieux Testament s’en étaient souvent préoccupés, inquiétés même. « Dieu vous aime », leur annonçait le prophète Malachie, et les auditeurs de répondre : « Vraiment? À quoi le saurions-nous? » L’Ecclésiaste, lui aussi, se place de ce côté-ci, à nos côtés d’inquiets et de douteurs. Il observe parfois les événements d’après leurs apparences immédiates. Il se rend compte que les mêmes faits surviennent dans la vie des justes comme dans celle des injustes. Bien avant le Britannique George Bernard Shaw, il savait qu’un homme sur un doit mourir!

Mais il ne s’arrête pas devant cette constatation. Il prend position en faveur de la vie et de la foi. « Va, mange avec joie ton pain, et bois de bon cœur ton vin; car dès longtemps Dieu prend plaisir à ce que tu fais » (Ec 9.7). Il n’ignore pas le côté sombre que peut suivre le cours des événements. Mais il ne permettra pas aux tristesses et aux misères de le submerger définitivement ni aux énigmes et aux mystères de l’encercler d’obscurité. L’existence tout entière est placée entre les mains sûres de Dieu; tout est mis à notre disposition pour que nous puissions en tirer profit. Son message n’est rien d’autre que l’actualisation du programme initial du livre de la Genèse : « Prenez possession de la terre, mangez des fruits du jardin. » C’est une confirmation de la joie et du plaisir initial pour lesquels l’homme a été précisément formé.

J’aime parfois imaginer les chrétiens vivant sur terre, habillés de couleurs vives, coiffés avec soin, parfois même, pourquoi pas, parfumés… Non par futile vanité, mais parce que l’esthétique est, elle aussi, un aspect de la réalité créée, et que le bon goût et le soin portés à notre apparence reflètent la joie que nous avons de vivre sous le regard de Dieu. N’est-ce pas lui qui nous promet de dresser une table en face de nos adversaires, de nous accorder une onction sainte? Ma vie, même triste, peut-être ratatinée, peut, dès à présent, devenir une célébration permanente, une festivité joyeuse; je peux manger et boire sans ronger mon frein, sans ruminer, sans mêler du fiel à mon vin.

Le réalisme de l’Ecclésiaste est un réalisme… réel. Il nous étonne par une raison qu’il prend soin d’évoquer. Après la vie viendra le « shéol ». Là, il n’y a ni amour ni haine, aucune pensée ni aucune œuvre ne peuvent s’y manifester ou agir. Sages et sceptiques y seront recueillis indifféremment. L’Ecclésiaste est l’homme de l’Ancien Testament, de cette partie de la Bible qui n’en dit pas trop sur l’au-delà. N’en concluons pas à la hâte que cet homme est un unidimensionaliste, jouisseur invétéré à la manière de ceux qui déclarent : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. » Il est loin d’être cela, car il nous convie à une espérance et à un avenir.

Il possède une intuition cachée, mais très sensible, de la dimension verticale de l’existence qui se prolonge dans l’au-delà. Une chose est certaine : Dieu est plus fort que la mort. Dieu nous aime. Cet amour n’est pas une assurance tout risque contre l’épreuve. L’échec peut frapper à notre porte au moment même où nous nous imaginions avoir atteint le succès. La vie n’est pas un « succès » permanent pour le disciple du Christ. Ceux qui croient que la foi offre des solutions simplistes et toutes prêtes aux problèmes complexes de l’existence se trompent lourdement. La joie chrétienne n’est pas fonction de circonstances extérieures. Elle découle d’une connaissance solidement ancrée dans le Dieu Libérateur.

Plaisir et sagesse, voilà le titre de notre chapitre et la conclusion à laquelle nous parvenons. Pourtant, dans cette conclusion même, l’auteur nous étonne une fois de plus. Tout en vantant les vertus de la sagesse, il cite le cas d’un homme sage qui, ayant été le seul à avoir détourné de sa cité un danger la menaçant, fut aussitôt oublié dans l’ingratitude la plus totale. Personne ne se souvint plus de lui; nul n’éleva de monument en souvenir de ce sage conseiller. Peu importe, dirait l’Ecclésiaste, la sagesse est préférable à la force. Les paroles du sage écoutées tranquillement valent mieux que les cris de ceux qui régentent les fous.

« Nous devons croire fermement que l’esprit, même lorsque l’opinion du jour ne lui prête qu’une maigre attention et n’élève pas de monument à son honneur, même quand il n’est pas proclamé sur la place publique, vit cependant dans le silence, rayonne et l’emporte. Nietzsche a dit : “Les mots les plus paisibles sont ceux qui déclenchent les tempêtes. Des pensées qui viennent sur des pattes de colombes régissent le monde” » (Walter Lüthi).

La sagesse? Qu’en pensons-nous, nous autres chrétiens? Je crains qu’à notre tour, à la manière du monde, nous ne la confondions avec la malice. La sagesse, elle, est liée à Dieu, tandis que la malice et la ruse sont les œuvres du Malin. « Les paroles des sages écoutées dans le calme valent mieux que le cri de celui qui domine parmi les insensés. La sagesse vaut mieux que les armes de combat » (Ec 9.17-18).

Sagesse et plaisir; chrétiens, mes amis, amis sceptiques, amers ou moroses, c’est pour nous que Dieu offre les dons de sa création et la grâce de sa rédemption. Le Fils de l’homme, Fils d’homme comme vous et moi, est venu manger et boire. Ni austère ni ascète, il nous a montré que l’on peut rester sage tout en prenant goût à la vie. On peut être réaliste et prudent. Il en a donné l’exemple, mais aussi la possibilité. À nous de le choisir et de le suivre.