Cet article sur Exode 20.4-6 a pour sujet le 2e commandement qui nous interdit de représenter Dieu par des images, car le Dieu invisible n'utilise pas des images — si populaires de nos jours — pour se révéler, mais sa Parole.

Source: La loi de la liberté - Méditations sur le Décalogue. 4 pages.

Exode 20 - Les images - 2e commandement

« Tu ne te feras pas de statue ni de représentation quelconque de ce qui est en haut dans le ciel, de ce qui est en bas sur la terre, et de ce qui est dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles, et tu ne leur rendras pas de culte; car moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis la faute des pères sur les fils jusqu’à la troisième et à la quatrième génération de ceux qui me haïssent, et qui use de bienveillance jusqu’à mille générations envers ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements. »

Exode 20.4-6

L’image a fait une apparition fracassante dans notre monde moderne. On dit que nous vivons dans une civilisation de l’image, et cela ne nous étonne pas, car depuis quelques décennies nous assistons à un « crescendo » de celle-ci qui semble atteindre de nos jours son paroxysme. Depuis les innombrables affiches qui frappent nos yeux partout dans la cité, les journaux illustrés qui tapissent les kiosques, en passant par les salles de cinéma et jusqu’au petit écran qui trône toujours en bonne place dans la salle de séjour de nos concitoyens, l’image est la souveraine incontestée de notre vie quotidienne. Hélas!, ce n’est pas seulement l’ère de l’audiovisuel, mais nous dirons, en faisant un mauvais jeu de mots, qu’elle est surtout celle de « l’odieux visuel »…

Regarder demande moins d’effort que de lire ou même que d’écouter. Cela peut être un enrichissement ou un appauvrissement. Mais il nous semble qu’on pourrait, dans l’ensemble, en faire un bien meilleur usage, et nous déplorons l’apathie des hommes et des femmes devant le déferlement de vulgarité et de sottise, et souvent même d’obscénité et de violence, qui les submerge jour après jour. Sous cet aspect, l’image arrive à être un instrument d’asservissement et la négation consciente ou inconsciente de tout dialogue. Il ne s’agit pas, bien entendu, de dénigrer un technique qui est en soi remarquable, mais de constater simplement que l’homme, avec sa meilleure technique, est amené souvent à son insu à l’appauvrissement et parfois à la destruction de sa personnalité.

En tous les cas, une telle technique ne nous servira pas à connaître Dieu tel qu’il est. Car aucune caméra ne saurait capter Dieu, ne serait-ce qu’un seul instant… Penser qu’on le pourrait serait, bien entendu, une pensée absurde, et je pense que nous sommes tous d’accord à ce sujet. Pourtant, notre problème dans ce domaine est fondamentalement le même que celui des générations précédentes et des civilisations du passé. Il ne nous suffit pas de savoir qui est Dieu, nous aimerions encore le voir. Mais la pédagogie de Dieu n’est pas une pédagogie de l’image.

Nous savons que les mots ont toujours été suffisants pour exprimer notre pensée et pour extérioriser nos désirs. Par eux, nous communiquons à autrui ce qu’il y a en nous de plus intime et de plus précieux. Ils sont des instruments prodigieux pour forger des liens entre les êtres humains. C’est par leur moyen que nous chantons l’amour ou que nous louons la beauté.

Dieu aussi a choisi des mots pour nous communiquer son dessein et sa volonté. « Ainsi parle le Seigneur. » Cette phrase revient plus de trois mille fois dans l’Ancien Testament. Le Dieu inaccessible et invisible nous devient proche. Le Très Saint communique avec le pécheur. Il consent à employer notre vocabulaire et, par des termes que nous comprenons, il nous décrit son amour. Les mots de la Bible ne sont pas des vocables symboliques que nous pourrions changer contre d’autres; ils sont chargés d’un sens et d’une mission. Ils nous montrent qui est Dieu. Car le Seigneur n’est pas autrement qu’il se révèle dans l’Écriture sainte. C’est pourquoi nous pouvons affirmer que celle-ci est la Parole même de Dieu.

Jésus aussi a parlé le langage des hommes. Il prononça des discours, il raconta des paraboles, il donna des ordres; des malades et des malheureux furent réconfortés par ses paroles. Ses disciples aussi bien que ses adversaires furent saisis par ce qu’il disait. « Jamais homme n’a ainsi parlé », disaient ses contemporains.

Mais Dieu, qui a employé notre vocabulaire, sait pourtant combien nous sommes impressionnés par les images; nous avons une puissante faculté : notre imagination. Elle est une des sources les plus prodigues de notre inspiration. Les artistes et les poètes, les hommes de science comme les politiques, le réformateur social comme le philanthrope s’en servent pour réaliser des œuvres parfois grandioses. Pourtant, notre imagination n’est pas un guide infaillible. Excessive et maladive, elle devient un outil pervers qui déforme la vérité et en présente soit la caricature, soit son opposé : le mensonge.

Même saine et équilibrée, elle ne saurait pas toujours saisir l’image de la vérité. Et quand la bonne image n’est pas réussie, nous produisons la mauvaise. Nous voulons nous représenter Dieu, mais son authenticité nous échappe. Car il reste l’ineffable et l’intangible, l’Esprit pur que notre imagination ne pourra jamais domestiquer. Nous sommes son œuvre. Le Seigneur sauvegarde son image parfaite des atteintes que nous lui portons par les aventures de notre fantaisie et par nos inspirations douteuses. Il interdit la fausse image de sa personne en même temps qu’il nous révèle la véritable. Il est bon, car il donne toujours ce qu’il ordonne.

L’image qu’il nous fait parvenir n’est pas un dérivé de l’original, mais bien au contraire l’expression authentique et adéquate de lui-même. Non pas une imitation, mais la manifestation visible de Dieu ainsi que sa présence réelle. Il a décidé de se montrer à la face du monde entier. À côté de celle-ci, nos images ne sont que mensonge et mélange adultère. Si nous nous accrochons à nos préférences ridicules, Dieu nous avertit. Son jugement, nous dit-il, atteint les générations de ceux qui se moquent de lui. Il faut donc veiller à notre manière de représenter Dieu, qu’elle soit extérieure ou mentale. Car nous pouvons nous rendre coupables de fausseté. Ou bien nous voulons une caricature, et alors nous mourrons, ou bien nous adorons l’original et nous choisirons ainsi notre salut.

Certes, le paganisme grossier n’est pas pour nous le danger le plus imminent; mais combien de faussaires adorent, sinon la statue en pierre, tout au moins la matière et « retiennent injustement la vérité captive, […] eux qui ont remplacé la vérité de Dieu par le mensonge et qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur » (Rm 1.18,25).

Jésus-Christ seul reste l’image valable de Dieu; toutes les apparitions du Seigneur encore voilées et mystérieuses dans l’Ancien Testament préparaient et servaient cette venue définitive. Néanmoins, cette image a de quoi nous surprendre. Qui s’attend à voir Dieu dans un enfant blotti dans le sein d’une frêle jeune maman? Comment reconnaître en Jésus, qui s’identifie aux pécheurs, la présence du Dieu saint? Son humilité qui ne méprise et ne rejette personne ne serait-elle pas en contradiction avec notre idée d’un Dieu omnipotent qui domine et qui fait trembler? Comment un homme flagellé, torturé, au visage défiguré par une souffrance insoutenable, pourrait-il prétendre être le Dieu que les hommes veulent adorer? Il se laisse traiter comme le dernier des malfaiteurs et il meurt dans un abandon total.

Mais c’est par cette démonstration de sa faiblesse volontaire que Jésus-Christ nous arrache à nos illusions, à notre orgueil et à notre aveuglement devant les fausses images de la virilité et de la puissance. Il descend très bas sur l’échelle de la condition humaine afin de pouvoir renverser, à la base, toutes les idées courantes que nous nous faisons sur Dieu. Alors il se révèle dans la vraie grandeur et dans sa pleine souveraineté. C’est pourquoi aucune des images que nous nous faisons de Dieu ne peut prétendre à la fidèle représentation du Dieu souverain dont nous témoignent les pages de l’Évangile. Du même trait, Jésus cesse d’être une idée sur Dieu ou une image fidèle, mais froide et impassible de lui. Il nous apparaît comme le cœur même de celui qui désire nouer des relations de Père avec ses enfants.

Nous venons de dire « avec ses enfants », car nous aussi nous avions été créés à l’image de Dieu. Dans le livre de la Genèse, nous lisons que Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1.26-28). Mais serait-il encore possible de soutenir pareille assertion au sujet de l’homme? On ne pourrait distinguer en lui que certains traits de la divine ressemblance. Nous avons avili ce qu’il y a de vraiment spirituel en nous; nous avons voulu jouer à Dieu. En réalité, nous avons gâché son chef-d’œuvre. Si ce n’était pas pour la Bible qui affirme cette origine céleste, nous croirions plus volontiers à la théorie de l’évolution qui, elle, soutient que l’homme descend de l’animal. Car l’expérience quoditienne semble lui donner plutôt raison. Lisez les faits divers que relatent vos journaux. Crimes, sadisme, l’abus terrifiant de l’alcool et de la drogue, pornographie, cruauté, guerres… Cette façon de penser et d’agir ne serait-elle pas plutôt des preuves que l’homme s’apparente plus à la bête qu’à Dieu?

Mais Dieu ne tolère pas cette déchéance. S’il vient vers nous, c’est pour restaurer et rétablir l’original que nous avons détruit. Nous nous contentons de la caricature de Dieu et, par là, de notre propre corruption. Cependant, sur le Calvaire, les fausses images ont été détruites, et la croix du Fils de Dieu est le seul endroit où peut naître un homme nouveau, un autre homme. Car Jésus est aussi l’image parfaite de l’homme. Si nous nous conformons à sa personne et adoptons le chemin par où est passé le Sauveur du monde, Dieu peut nous regarder et se réjouir comme au début. Sous son regard, nous pouvons trouver notre pleine humanité.