Cet article sur Marc 1.9-11 a pour sujet le baptême de Jésus où le ciel s'est ouvert pour que le Père révèle son affection pour son Fils et lui donne la force de son Esprit pour accomplir sa mission en vue du salut de son peuple.

Source: Jésus-Christ lumière du monde. 4 pages.

Marc 1 - Le baptême de Jésus

« En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain. Au moment où il sortait de l’eau, il vit les cieux s’ouvrir et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Et une voix se fit entendre des cieux : Tu es mon Fils bien-aimé, objet de mon affection. »

Marc 1.9-11

Mais que s’était-il donc passé? — Ce ne fut probablement que tard dans la soirée, après que les foules se fussent retirées, que le Baptiste, las de sa chaude journée et épuisé par une mission surhumaine, pouvait, enfin, se consacrer a un moment de tranquille méditation. Dans la pénombre du crépuscule qui enveloppe les flots, il avise soudain la présence d’une figure solitaire, jeune et bronzée par le soleil. Le Baptiste se relève et voit s’approcher son inopiné visiteur qu’il regarde droit dans les yeux. Il est frappé par ce clair regard, semblable à un éclair, si différent de ceux, lourds de péchés, des humains qui accourent vers lui. Nul doute qu’il est ébloui, le Baptiste, par cette lumière immatérielle qui rayonne du Fils de Dieu; rayons de pureté, faisceaux de sainteté…

Le Juste se trouve parmi les hommes, regardant Jean du regard même de Dieu, du Dieu véritable descendu vers les mortels. Voilà aussi qu’il entend sa requête presque impérieuse : « Je veux être baptisé. » L’incongruité de la situation saisit le Baptiste. Il est plus que troublé par cette demande qui, à elle seule, porte tout le poids des demandes des pécheurs avides de purification : « Mais c’est à moi, d’être baptisé par toi », répond-il avec la conscience aiguë de son indignité, dans la conviction, ne tolérant aucune objection, qu’il est lui aussi, le précurseur du Messie et Baptiste des Juifs, un pécheur en quête de purification. « Pourquoi viens-tu vers moi? » La réponse, à la fois apaisante et pleine d’autorité, le libérera enfin de son embarras.

Ils sont en tête à tête, sans qu’aucun témoin indiscret ou bavard jette sur cette scène extraordinaire un regard curieux : « Laisse donc que la justice soit accomplie. » Alors les deux hommes — ils sont d’ailleurs cousins — descendent dans le Jourdain. Ce fleuve chargé de toute l’histoire sainte, symbole plus que courant d’eau, témoin et instrument de tant d’interventions rédemptrices. Quel instant, mes amis! Ne doutons pas que les anges du ciel souhaitent plonger leurs regards dans ce mystère qui les dépasse : un homme, un mortel, un descendant de la race déchue d’Adam, baptisant le Christ, le Messie d’Israël, son Seigneur et son Dieu!

Jésus apparaissait au milieu de l’agitation suscitée par Jean Baptiste. Comme un inconnu, originaire d’un village inconnu, que l’Ancien Testament ne nomme même pas. Il est de Nazareth, et l’indication de son lieu d’origine n’est pas sans importance. Jésus n’est pas un personnage mythique, mais une personne historique, un homme parmi les hommes. Jean Baptiste, de même que l’auteur de l’Évangile, Jean-Marc, ainsi que tous les lecteurs de ces pages, savent qui il est : il est le Fils de Dieu, le seul qui n’a commis aucun péché, et par conséquent n’a pas besoin de demander un baptême pour le pardon des fautes.

Mais comment se fait-il que celui qui a été conçu du Saint-Esprit et né de la vierge Marie, d’une totale et absolue impeccabilité, vînt se placer dans les rangs des pécheurs? Il n’y vint pas poussé par une force obscure, presque sans savoir ce qu’il faisait. Au contraire, il tenait à montrer clairement, dès le commencement, en quoi consistait sa mission : celle de devenir, lui, l’innocent, précisément « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jn 1.29) et qui proclame le travail du salut. « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous », écrira plus tard saint Paul (2 Co 5.21).

On a dit du baptême de Jésus qu’il était un geste généreux à l’égard du Baptiste. Celui de la reconnaissance de la mission du précurseur. Nous voulons chercher l’explication dans l’événement lui-même, sans gloser sur des interprétations hypothétiques. Écartons d’emblée l’idée selon laquelle Jésus aurait reçu sa vocation messianique en descendant dans les eaux du fleuve. Comment pourrait-il en être ainsi? Ne va-t-il pas précisément dans le Jourdain avec la pleine conscience de sa vocation messianique? Et la voix qui l’appelle du haut des cieux ne confirme-t-elle pas aussitôt qu’il est le Fils de Dieu? Cette vision céleste et la voix divine dont Jean fut le témoin privilégié sont l’attestation que Jésus de Nazareth est le Fils bien-aimé, unique, en qui le Dieu du ciel a placé toute son affection. Celui qui de toute éternité est le Fils de Dieu, la deuxième personne de la Trinité. Il ne s’agit pas d’un demi-dieu, d’un quelconque fils de Zeus, d’un personnage de légende païenne, si fertile en fables.

Il n’y a même pas d’analogie avec les prétentions des rois et des empereurs de l’époque qui se divinisaient pour donner à leur puissance l’éclat d’une consécration religieuse. Même l’expression biblique « fils de Dieu » pâlit en comparaison avec cette filiation divine; il est Fils unique et bien-aimé. Or, nous touchons ici au plus profond mystère de la personne de Jésus-Christ, mystère que résume admirablement le Concile de Chalcédoine (451) et le Credo de Nicée-Constantinople; celui-ci d’abord : « Vrai Dieu de vrai Dieu », l’autre ensuite : « Dieu et homme, une seule personne en deux natures, divine et humaine, sans confusion ni mélange, sans séparation ni division ». Ce Jésus de Nazareth n’est autre que Dieu par essence et par nature. Et dans ce geste apparemment banal — le baptême dans les flots du Jourdain — est confirmé tout le miracle de l’incarnation.

Mais ce miracle nous renvoie plus loin encore. Quelle est en effet la raison d’être de l’incarnation du Fils de Dieu? N’est-ce pas la rédemption des humains et la réconciliation de Dieu avec le monde? Car Jésus, baptisé dans les eaux du fleuve palestinien, allait connaître un autre baptême encore, celui du feu et de la mort, afin d’achever le salut des élus pour ramener vers le Père tous les égarés. En cet instant, il apparaît comme celui dont on pourra dire : « Il est l’ami des pécheurs et le compagnon des prostituées. » Ésaïe, le prophète de l’Ancien Testament, le prédisant plusieurs siècles plus tôt, écrivait à son sujet : « Il a été compté parmi les coupables » (És 53.12) La honte du péché et de la faute, l’égarement de tous et de chacun, exigèrent donc cet autre baptême de sang : sa mort sur la croix du Calvaire.

Ainsi, ce baptême donné par Jean est un événement dans lequel Dieu révèle des réalités que nous ne saurions soupçonner. Révélation discrète, mais qui contient tout le mystère du Christ, tout le contenu de sa mission libératrice. Il importe de saisir correctement la signification de cet acte accompli par le Sauveur et de vivre au bénéfice de son œuvre. Le plus important ne se trouve pas dans la nature de la vision céleste. L’essentiel consiste dans l’affirmation de l’évangéliste : « Jésus vit le ciel s’ouvrir et à sa sortie du fleuve il entendit la voix divine. »

En un sens, Jésus vit avec le Père, et la présence de celui-ci ne quitte pas la terre. Pourtant, il vit aussi dans cet anéantissement, dans cet état d’humiliation, dans l’abandon consenti de sa gloire divine. Son humanité n’est pas transformée par la présence de sa divinité. Il demeure pleinement humain, autant qu’il demeure Fils de Dieu. Mais lorsque le ciel s’ouvre, il nous annonce qu’entre Jésus et Dieu il n’y a aucune barrière, pas celle du péché. Le Fils de Dieu est en communion constante et intime avec son Père. Sur terre, il s’est mêlé aux pécheurs. Comme tout homme devant vivre par la foi, Jésus sera, lui aussi, un pèlerin de la foi en marche vers le Père. À présent, le ciel est ouvert pour tout homme qui se met à la suite du Christ.

Ainsi, à cette heure tardive d’une soirée palestinienne, l’attente millénaire de l’humanité est exaucée. La rupture entre Dieu et l’homme, depuis que l’ancêtre commun à tous et le prototype de tout pécheur — Adam — fut chassé de la présence de Dieu, cette rupture, dis-je, est comblée. Aucun chérubin au glaive flamboyant n’interdit plus l’accès à la présence du Dieu saint et majestueux. Le courroux de Dieu qui frappe le péché épargne désormais le pécheur.

Or, depuis Adam, quelle tragique nostalgie tourmente les hommes! Ils ont tout un chacun, ainsi que l’aurait dit Nietzsche, « le mal du pays, mais ils n’ont pas de pays ». Ah, si l’on pouvait retrouver la face du Père, si l’on pouvait suivre une trace, une piste amenant vers le Dieu inaccessible!

Mais aussi quelle défiance insensée, depuis Adam : celle qui en présence de la seule source de la vie, du seul moteur de tout mouvement, du soutien unique de notre être, fuit en avant au triple galop, pour échapper à sa paternelle sollicitude… À cet endroit cependant, l’attente passionnée de la délivrance en voit enfin l’approche; l’heure a sonné où tous les barrages sautent; où s’ouvre enfin la porte de la prison : « Ah si tu déchirais les cieux et si tu descendais », implorait le prophète de l’Ancien Testament (És 63.19). Voilà à présent ce ciel ouvert sur la tête du Christ, et celui-ci n’est autre que notre Tête et notre représentant, si nous le suivons par la foi et le confessons comme Sauveur.

Le baptême de Jésus, comme d’ailleurs chaque geste accompli par lui, n’est pas un événement privé de sa carrière. À sa manière, il est, il signe notre acte de libération. Dieu a souri, l’assurance de voir le ciel ouvert ne nous sera plus jamais ôtée. Dieu s’est penché sur nous. Dans le baptême de Jésus, c’est Dieu le Père qui se révèle à nos cœurs incrédules, défiants ou endurcis. De façon mystérieuse, celle qui lui est propre… C’est pourquoi son Esprit plane là sous la forme d’une colombe. Désormais, Dieu s’est donné à nous. Sa voix de Père s’est fait entendre. La personne du Fils a été offerte dans le sacrifice suprême. La communion de l’Esprit est devenue une réalité incontestable pour celui qui vit de Dieu et qui vit pour Dieu.

Que nul ne cherche Dieu ailleurs qu’en Christ. Surtout pas dans l’abîme de son esprit déchu ou encore sur les pages indéchiffrables de la nature, où il serait égaré comme sur des pistes brouillées. Pas davantage dans une expérience mystique dans laquelle Dieu serait inévitablement écarté au profit de l’exaltation du moi arrogant.

Qu’il cherche Dieu en Christ, en qui se trouve la plénitude de la divinité et qui partage avec le pécheur repenti tous les trésors de sa sagesse. Qu’importe dès lors les charismes les plus spectaculaires de l’Esprit, puisque l’Esprit Saint est désormais le gage de notre adoption définitive comme enfants de Dieu. Qu’il entende — plutôt que de parler — la solennelle déclaration du Dieu du ciel et de la terre : « Voici mon Fils bien aimé en qui j’ai placé toute mon affection. » En qui nous avons aussi la vie et le salut, à qui nous sommes dans la vie et dans la mort, dans le temps et pour l’éternité.