Cet article a pour sujet l'importance décisive de l'histoire dans la révélation biblique. Les Écritures témoignent de l'authenticité des évangiles et de l'historicité des événements qu'ils rapportent pour fonder notre foi.

Source: La vie de Jésus. 4 pages.

Une foi ancrée sur les Écritures saintes

Une recherche objective dans le domaine des sources de notre connaissance de Jésus-Christ tiendra compte à la fois de la nature particulière des faits que l’on examine, incarnation, rédemption, résurrection, ascension, et des documents qui les contiennent, à savoir le quadruple Évangile et le Nouveau Testament dans son ensemble.

Des théologiens modernes comme Oscar Cullmann et Herman Ridderbos, pour ne citer que les plus familiers, ont souligné l’importance du facteur temps et, par conséquent, l’importance de l’histoire dans la révélation biblique. D’après la Bible, il est inconcevable d’ignorer les événements qui constituent et qui établissent la rédemption. Il est même impossible de tenter de retourner en arrière les aiguilles d’une horloge pour effacer le temps.

Pour comprendre la révélation, le temps devient indispensable, car il fait partie de la création. Jésus souligne l’importance de ce facteur. Il a parlé de « mon temps », « mon heure », « tant qu’il fait jour ». L’apôtre Paul écrit « des temps de l’ignorance », « du jour fixé », de la « plénitude du temps ».

Tout en refusant la méthode historiciste, nous conviendrons que la foi chrétienne se fonde autant sur la décision éternelle de Dieu que sur son action historique, entreprise au cours du temps et dans l’espace. Nulle part, les Évangiles ne se présentent comme des témoignages portés à des aspirations humaines. Ils rapportent des faits historiques irréfutables, bien qu’il faille reconnaître que l’intention première des auteurs n’était pas d’écrire l’histoire pour l’amour de l’histoire, mais de proclamer Jésus-Christ, Fils incarné de Dieu, mort sur la croix et ressuscité des morts pour la justification du pécheur élu. À cet égard, les écrits du Nouveau Testament contiennent l’essentiel. Ce qu’ils transmettent est aussi valable pour le premier siècle que pour aujourd’hui.

Prenons garde cependant à ne pas absolutiser comme tels l’histoire et les événements qui composent l’histoire de notre salut. Un autre danger nous guetterait. On peut insister tellement sur l’incarnation du Fils que celui-ci, nous l’avons déjà dit plus haut, une fois descendu sur terre cesse d’être Dieu pour finalement disparaître même de l’histoire en n’y laissant que des bribes de son enseignement, sans plus. À vrai dire, les étranges hérauts de la mort de Dieu n’ont rien innové; certains théologiens qui les avaient précédés leur avaient préparé le terrain. Dieu avait cessé d’être la Trinité ontologique. Il ne dépendait que de sa rencontre avec l’homme. Il ne lui restait donc plus qu’à attendre et mourir… Certes, le Nouveau Testament reconnaît que Dieu se limite temporairement. Mais pour décrire l’étape de l’incarnation du Fils, le Nouveau Testament a recours à un terme malheureusement négligé, celui de son « humiliation ». À celui-ci, de très nombreux théologiens avaient préféré celui de « dépouillement » qui, en vérité, a fini à la longue par signifier « anéantissement » (kénose) de la divinité du Fils de Dieu.

Rappelons en passant quelques indications de valeur historique contenues dans le Nouveau Testament : le décret de César Auguste, les noms des administrateurs romains, la souffrance endurée par le Christ, sa mort, son ensevelissement, les nombreux témoignages rendus à sa résurrection. Pour étudier l’histoire de la vie de Jésus, les principales sources à notre disposition sont les livres du Nouveau Testament. C’est la raison pour laquelle toute personne désirant étudier la vie de Jésus doit prendre connaissance de la nature exacte des documents dont elle dispose. Même des théologiens non suspects d’une orthodoxie excessive reconnaissent qu’il est légitime, voire possible d’entreprendre une recherche historique concernant la vie du Seigneur.

Légitime et possible, un tel examen ne peut que confirmer notre foi et nous rendre capables de réfuter les critiques négatives, venant aussi bien de la part des chrétiens que des non-chrétiens. Un terme du Nouveau Testament retiendra notre attention, celui de « témoignage » (« marturia », en grec). Notre époque a usé et abusé d’un autre terme, celui de « proclamation » (« kerygma »), qui trahit davantage le souci du théologien de communiquer ce qu’il lui semble bon de transmettre, que ce qui doit être effectivement transmis. L’apôtre Paul transmet des faits historiques concernant la personne et l’œuvre du Christ. Il parle de sa conception, de sa naissance, de son ascendance davidique, des paroles qu’il a prononcées, de la célébration de la Cène, de sa crucifixion, de sa résurrection et d’une foule d’autres renseignements extrêmement précieux pour reconstituer l’histoire de la vie de Jésus.

S’il ne faut pas négliger l’importance des sources non chrétiennes qui font mention de la personne de Jésus (l’historien juif Josèphe, Pline le Jeune, Suétone et Tacite notamment), nous ne saurions pas nous contenter d’une recherche historique pour connaître Jésus et vivre au bénéfice de son œuvre.

Mais, sans l’histoire, nous ne pouvons ni comprendre sa révélation ni la rédemption. L’histoire de la vie de Jésus ne dépend pas, d’ailleurs, de la quantité de détails que nous avons à notre disposition. Le Nouveau Testament parle de la figure historique de Jésus et, à moins d’être de mauvaise foi, nous ne saurions ignorer ou minimiser ce témoignage unique.

Dans une remarquable étude, le Suédois Birger Gerhardsson1 a apporté une contribution originale à la question de la conservation et de la transmission de l’enseignement de Jésus, d’où l’authenticité du contenu de l’Évangile étroitement lié a l’autorité des Écritures. Parmi toutes les récentes théories avancées pour expliquer l’origine des Évangiles et la transmission des discours de Jésus, ou encore des récits de son ministère, celle-ci nous paraît jouir d’une incontestable supériorité, et notre sympathie va vers elle.

Cette thèse se résume très succinctement en ceci : la communauté chrétienne primitive a eu recours à une méthode de mémorisation, une mnémotechnique qui, chez les verbomoteurs que sont les anciens Palestiniens, était normale; elle a de quoi nous surprendre et nous ébahir, nous autres occidentaux!

Cette méthode peut remonter jusqu’au judaïsme contemporain de Jésus et des premiers disciples. Grâce à elle, la transmission du Nouveau Testament a été possible et fidèle dans les moindres détails. Narrateur comme auditeur ont été formés pour la transmission et la réception du récit ou du discours. Docteur comme élève étaient donc en mesure de retenir l’enseignement reçu. Elles portaient également sur le commentaire du texte. Or, ce ne fut que progressivement qu’on permit de prendre des notes, voire de rédiger des collections de sentences ou de récits, dont la pratique restait liée à l’obligation absolue, pour le disciple, de répéter les mots prononcés par le maître. La compréhension et l’exposition de l’enseignement du maître ne pouvaient intervenir qu’une fois obtenue la mémorisation parfaite de l’intégralité de la tradition. Ceci explique le caractère concis des textes que nous possédons : des sentences elliptiques, ainsi que les traits de l’enseignement de Jésus dans leur forme didactique.

L’exemple de l’apôtre peut encore éclairer cette méthode; il considère la tradition évangélique reçue comme une « Mishna » et celle qui provenait de la prédication apostolique comme un « Talmud », susceptibles d’être opposées à des initiatives prises par les communautés qu’il avait fondées. À examiner de près cette méthode, on s’aperçoit aisément qu’il est impossible de partir d’un kérygme primitif pour expliquer la formation des Évangiles. Car les évangélistes ont rédigé leurs textes d’après les données précises que leur fournissaient les traditions : celles provenant directement de Jésus ou de ses proches; partiellement mémorisées et partiellement rédigées en notes, elles devenaient des aide-mémoire collectifs. Gerhardsson nous offre ainsi le maximum d’assurance sur la fidélité du texte, partant de Jésus et atteignant la première communauté chrétienne.

En concluant ce chapitre, gardons tout de même à l’esprit que Jésus a parlé en araméen et que ses discours furent par la suite traduits en grec. La présence de certaines divergences doit être attribuée à ce fait. Il est possible encore que les auteurs des Évangiles se soient intéressés, plus qu’à des mots — et la mnémotechnique évoquée ci-dessus favorise plutôt que n’infirme cette explication — à l’ensemble du message de Jésus comme à un discours qui possède le sens de ce qu’il a voulu enseigner.

De toute manière, nous ne chercherons pas dans les textes évangéliques une précision froidement scientifique et pas forcément absolue. Aux yeux de la foi chrétienne, ils détiennent une autorité indubitable. Car toute l’Écriture, de sa première à sa dernière page, est parole et événement. Elle est histoire, mais aussi interprétation de celle-ci. Elle explique et interprète ce qui s’est déroulé pour nous et pour notre salut. Comme telle, elle nous interpelle sans cesse de la part de celui qui en est le centre.

« Qui dites-vous que je suis? » Puisse cette interrogation nous tenailler constamment, afin que l’Église qui se réclame de lui croie d’abord afin de comprendre, et qu’elle puisse proclamer dans la vérité absolue le seul nom sans lequel il n’y a de salut pour personne.

Note

1. Traduction française parue dans La Revue Réformée, n54, 1963, à laquelle nous renvoyons le lecteur pour une bonne compréhension de cette thèse.