Cet article a pour sujet le rôle et le pouvoir que Dieu a confiés à l'État d'exercer la juste rétribution et de punir les malfaiteurs, car selon Romains 13, l'État porte le glaive dans ce but.

Source: Pénologie - Considérations sur la peine capitale. 4 pages.

La fonction rétributive de l'État

Avant d’aborder la pénologie biblique proprement dite, examinons sommairement la fonction rétributive de l’État.

En tant que Créateur, Dieu a essentiellement le pouvoir sur toute sa création. Ce pouvoir n’est pas tyrannie, mais la manifestation de son don d’amour pour sa créature. Condition de félicité temporelle et éternelle, la créature, elle, répondra à cet amour par la foi en Christ et l’obéissance qui en découle. L’ordre voulu par Dieu se révèle dans sa Parole et en Christ. Ainsi, tout pouvoir légitime reflète la nature même de Dieu. Et comme tout pouvoir vient de lui, celui-là doit refléter les attributs de Dieu : souveraineté et justice, puissance efficace et amour…

Le but premier du pouvoir est de faire respecter l’ordre établi par Dieu. Cet ordre n’est pas, évidemment, tout ce que nous appelons l’ordre établi, qui n’est que l’ordre existant plus ou moins méchant, plutôt plus que moins…

« L’ordre que Dieu a établi et qui est imposé par le pouvoir qu’il a institué est conforme à sa volonté. C’est la loi de Dieu. Grâce à l’application de l’ordre de Dieu par ce pouvoir de droit divin, c’est-à-dire institué par Dieu, l’exigence de la justice de Dieu est manifestée pour cet âge présent. Ainsi, tout pouvoir manifestant cette justice est de nature spirituelle, manifestation du pouvoir souverain de la grâce universelle de Christ qui, par son Esprit, soutient toute l’institution de droit divin.1 »

L’institution divine de l’État lui confère le droit, le devoir et le pouvoir de prononcer et d’appliquer des peines rétributives, y compris la peine capitale. L’État est d’institution divine du même ordre que le mariage, que la famille et que l’Église. À travers des corps juridiques légalement institués, il exerce son pouvoir.

Sans entrer dans les détails des diverses interprétations relatives à l’origine de l’État, mentionnons-en trois seulement : La première en fait remonter l’origine avant la chute, la seconde après la chute et la troisième après le déluge.

Nous pensons que le mandat culturel originel contient déjà implicitement l’institution de l’État, dès avant le déluge et même avant la chute. À cet endroit, il convient de ne pas confondre la notion de gouvernement avec celle de l’État. La première inclut toutes les formes de gouvernement, par exemple celui exercé sur soi-même, sur la famille, dans l’Église, dans l’éducation, à divers niveaux de la société et, finalement, au niveau politique. Nous n’identifierons pas davantage société et État.

Sans décrire les diverses fonctions dont l’État doit assurer la charge (il serait extrêmement utile de clarifier ici nos conceptions de l’autorité en examinant le concept biblique de l’office), l’une des principales consistera à harmoniser et à intégrer les intérêts légitimes des individus et des groupes au sein d’une société donnée, en vue de fonder, d’établir et de garantir les droits et les libertés de tous les groupes qui composent le corps social. L’État doit veiller à l’établissement et au maintien d’un ordre juste dans lequel tout citoyen peut et doit mener une vie paisible et pieuse… (1 Tm 2.2). Aucun fondement biblique n’autorise à conclure à une possibilité d’anarchie chrétienne de principe, pas plus d’ailleurs que de rejoindre certains exégètes modernes qui identifient « les puissances et les autorités » (voir la lettre de Paul aux Colossiens) avec l’autorité de l’État. Même Apocalypse 13 n’autorise pas de conclure que l’autorité actuelle du Christ met fin à celle de l’État, confondu avec les principautés en question ou considéré tout simplement comme « la Bête ». Institution de droit divin, l’État n’est pas le résultat d’un contrat social.

Or, toute autorité, y compris celle de l’État, est dotée d’un pouvoir. Par exemple, l’autorité confiée par Christ à son Église comporte le pouvoir des clés en vue de l’exercice de la discipline spirituelle.

Romains 13.1-7 retiendra plus particulièrement notre attention. Ce texte classique de la politologie biblique reconnaît à l’État le droit de porter le glaive et de s’en servir. Certes, il ne faut pas en conclure de manière absolue que l’usage du glaive représente uniquement la peine capitale. Il serait toutefois non moins illogique de prétendre que le glaive ne représente qu’une valeur symbolique. Il est, de fait, le pouvoir détenu par l’État. Aussi, celui-ci a le droit et le devoir d’exécuter une certaine coercition afin de maintenir et de garantir l’ordre dans une société où, depuis la chute, le mal omniprésent sévit sans cesse et où le « méchant » viole les commandements de Dieu. Toutes les théologies chrétiennes savent que sans « ordre » la société se désagrège, et que le mal doit être sévèrement réprimé afin que la vie soit possible sur terre.

La fonction rétributive de l’État apparaîtra clairement dans l’examen du terme glaive (« machaira », dans l’original grec). Romains 13 ne précise pas toute la portée de son utilisation. Dans aucun texte du Nouveau Testament où le terme apparaît, on n’en voit d’utilisation purement figurative au sens de « simple pouvoir représenté ». Dans Matthieu 26.52, il décrit la mort violente. Selon Actes 12.2, le roi Hérode fait périr « par le glaive » Jacques l’apôtre, frère de Jean. Dans Romains 8.35, le terme comporte ce même sens de mort violente, et Apocalypse 6.4 ne laisse pas davantage de doute à ce sujet. Dans Romains 13, « machaira » (glaive) désigne sans l’ombre d’un doute un instrument d’exécution capitale. John Murray2 montre que l’enseignement du Nouveau Testament concernant le pouvoir et l’emploi du terme comporte la garantie d’infliger la peine capitale. Car il serait absurde de supposer que l’épée du magistrat fonctionne uniquement pour punir des délits de moindre gravité ou… pour égratigner et blesser simplement le coupable!

Ce serait, en effet, aller contre le bon sens. Il nous apparaît que, malgré l’absence d’explication telle que nous l’aurions souhaitée, Romains 13 accorde au magistrat, ministre de Dieu, le droit d’avoir recours à l’usage du glaive en vue de l’exécution capitale. Le fait de ne pas accepter le principe et la pratique de la peine capitale ne doit pas empêcher de reconnaître la clarté de l’enseignement du Nouveau Testament à ce sujet. Une chose est de ne vouloir souscrire qu’à une certaine conception des droits de l’homme — fût-il meurtrier — une autre chose est de refuser de se soumettre à l’autorité des Écritures. Les deux ne coïncident pas forcément. L’Église, elle, est appelée à se soumettre précisément à cette autorité-là et à ne pas souscrire à une conception de la justice qui se veut généreuse, mais qui se trouve en porte-à-faux avec les doctrines bibliques.

De même, 1 Pierre 2.13-14 soutient l’idée que le gouvernement est le bras du Seigneur, son émissaire, bien que ni ce passage ni son contexte ne précisent que le châtiment infligé par l’État puisse impliquer l’exécution capitale.

La tradition universelle de l’Église chrétienne et toute théologie qui fait une lecture fidèle de l’Écriture reconnaissent le mandat confié à l’État d’exécuter un meurtrier. Romains 13.4 est un texte clé à cet égard. Or, cette conviction est renforcée par le contexte de la péricope traitant de l’autorité civile.

  1. À titre individuel, le chrétien (il s’agit de lui!) est vivement exhorté à ne pas punir ou à ne pas se venger de l’offenseur, mais à rendre au contraire le bien pour le mal (Romains 12.19-20).

  2. C’est l’État qui détient ce pouvoir rétributif, l’ayant reçu de Dieu.

  3. L’État est le ministre de Dieu en vue du bien-être de la société.

  4. En appliquant le châtiment, l’État fonctionne comme ministre de Dieu, et dans cette fonction il exécutera la colère divine sur le malfaiteur; ce faisant, il s’acquitte correctement de sa mission.

  5. L’expression « porter le glaive » devient l’équivalent d’exercer une fonction rétributive.

Le terme rétribution rend tout à fait justice aux deux aspects du pouvoir confié à l’État. Il punit le méchant, mais il encourage le juste. Il exerce une fonction à la fois régulatrice et juridique. Non seulement l’État s’occupe de la protection des citoyens et accomplit son devoir en se maintenant au pouvoir, lorsqu’il est légitimement établi, mais il le fait encore comme instrument et ministre de Dieu afin de punir ou de récompenser (1 Pi 2.14).

Nous avons évité d’aborder ici, car cela n’entrait pas dans notre propos, la discussion de la légitime résistance que, par motif de conscience, le chrétien peut opposer à l’État totalitaire lorsque celui-ci usurpe les prérogatives d’une autorité absolue qui n’appartiennent qu’à Dieu seul. Plus que toute autre théologie chrétienne, c’est sans aucun doute la théologie réformée qui a affirmé avec force qu’une telle résistance et opposition sont légitimes. Toutefois, la même théologie réformée, parce que se voulant fidèle à l’Écriture, ne reconnaît pas de validité à une « révolution permanente » ourdie contre un État légitimement constitué.

À cet égard, il serait peut-être utile de citer Théodore de Bèze :

« Il n’y a d’autre volonté que celle d’un seul Dieu qui soit perpétuelle et immuable, règle de toute justice. C’est donc à lui seul auquel nous sommes tenus d’obéir sans aucune exception. Et quant à l’obéissance due aux princes, s’ils étaient toujours la bouche de Dieu pour commander, il faudrait aussi dire sans exception qu’on leur devrait obéir tout ainsi qu’à Dieu; mais n’advenant le contraire que, trop souvent, cette condition doit y être imposée : pourvu qu’ils ne commandent choses irréligieuses ou iniques. J’appelle commandements irréligieux ceux par lesquels il est commandé de faire ce que la première Table de la loi défend. J’appelle commandements iniques ceux auxquels on ne peut obéir ou omettre que chacun doit à son prochain selon sa vocation, soit publique, soit particulière. Piété et charité sont les limites de l’obéissance due aux magistrats.3 »

À notre avis, il est urgent que l’Église puisse, même en cette ère de sécularisation, informer l’État de sa mission et de sa fonction qui consistent à administrer la Parole de Dieu et à pratiquer la justice. En cela, l’Église chrétienne fera une tout autre politique que la politique politicienne. On se souviendra que la théologie réformée distingue un triple usage de la loi, dont l’un des aspects est d’ordre civil. Citons encore J.-M. Berthoud :

« Le pouvoir temporel, juste dans sa fonction rétributive établie par Dieu de réprimer le mal par la force du glaive, n’est pas en lui-même le Royaume de Dieu. Il peut être considéré comme une préparation du Royaume de Dieu. Le pouvoir, exerçant la fonction répressive (nous dirions rétributive) exerce la justice de la loi de Dieu, condamne publiquement l’homme pécheur et maintient visiblement, par le juste jugement des tribunaux, la distinction établie par Dieu entre le bien et le mal. Le glaive punissant le mal selon l’ordre de la loi de Dieu appelle par ce fait les hommes à la repentance. […] C’est en partie par le glaive du pouvoir temporel juste que tous les hommes sont en effet enfermés sous la garde de la loi dans l’attente de la manifestation du Royaume de Dieu. Le Royaume de Dieu est déjà dans le monde, car c’est dans le monde que le semeur répand la Parole qui crée le Royaume. […] Le Royaume de Dieu est là où la volonté de Dieu est faite. Que ton règne vienne…4 »

Notes

1. J.-M. Berthoud, « Du Pouvoir dans la vie chrétienne », Documentation chrétienne, Lausanne, brochure dactylographiée, p. 15.

2. Principes de conduite, p. 119-120.

3. Théodore de Bèze, Du Droit des magistrats sur leurs sujets, p. 3.

4. Op. cit., p. 14.