Cet article a pour sujet les ruses de Satan qui se présente comme le grand économiste capable de résoudre les grands problèmes de l'économie, alors qu'en réalité notre problème est d'abord moral et spirituel devant Dieu.

Source: Le chrétien et la société. 4 pages.

Le grand économiste

Le vieux Séducteur, charlatan habile et représentant en toutes sortes de pharmacopées et autres panacées imaginaires, de son vrai nom Satan, se présente depuis toujours comme l’expert par excellence en économie humaine et mondiale. Il est grand pourvoyeur non seulement d’idées religieuses, mais encore de solutions économiques en tout genre… En jetant un regard rétrospectif sur l’histoire de l’humanité, nous nous apercevons qu’il a persuadé les hommes que les systèmes économiques repoussants et répressifs sont l’œuvre même de Dieu, tandis que lui, avec ses idées et ses théories avancées, possède la solution de choc qui s’impose ici et maintenant pour individus et sociétés.

N’est-il pas — tout au moins, c’est ainsi qu’il se présente — ange de lumière (2 Co 11.14) et comme tel, philanthrope au cœur tendre, aux intentions généreuses, à la vocation de bienfaiteur universel? Que les victimes de Dieu et les dupes de la religion — opium populaire comme chacun sait — se réveillent et s’unissent! Il est, lui, le champion de la bonté universelle, et à ses côtés ou comparé à lui, ce Dieu qu’on dit bon n’est qu’un esprit de ténèbres! C’est avec cette séduction serpentine et fort d’une très longue expérience que le vieux Lucifer se présenta à Jésus, en prenant les traits du grand économiste.

Si vous avez des vues plutôt générales sur l’Évangile, vous parlerez de cette rencontre historique entre le Christ et le Malin comme de « la tentation au désert ». L’auteur du récit, Matthieu, quant à lui, expert en matière économique et en sa qualité d’ex-percepteur d’impôts, comprend parfaitement l’importance de l’enjeu. C’est pourquoi il rapporte, en tout premier lieu, cette tentation économique de Satan : « Ordonne à ces pierres de devenir du pain » (Mt 4.3). Satan offre à Jésus cette occasion unique pour changer radicalement la situation économique du monde et mettre ainsi fin à tous les maux qui oppriment l’humanité! Il a un plan universel à la durée permanente, et non, comme c’est le cas de ses modernes acolytes, des plans à courte durée, appelés quinquennaux ou septennaux, suivant la durée du mandat présidentiel de tel ou tel d’entre eux…

Remarquons, avant même la suggestion faite à Jésus, le vocabulaire de Satan. D’après l’original grec, il lui dit : « Si tu es un fils de Dieu », et non « si tu es le Fils de Dieu ». Car il ne veut traiter Jésus que comme l’un parmi les multiples fils qui représentent le Père. Il est pluraliste par conviction et par profession, et surtout champion de l’égalitarisme absolu. Vous vous interrogiez pour savoir qui était l’artisan de la célèbre doctrine de l’égalité absolue? Ne cherchez pas plus loin ni ailleurs; Satan, le parfait niveleur, l’équarrisseur de génie, met tout le monde dans le même sac. Les distinctions de la nature, le degré des honneurs d’après mérite, la noblesse et les élites, ne résistent pas à son critère de la justice et de l’égalité. Même la distinction entre Dieu et les hommes devrait reculer et disparaître. Théologien alchimiste, il commença, on s’en souvient, par s’introduire auprès du premier couple afin de leur apprendre leurs droits et leur dignité qui, d’après lui, devaient se hausser jusqu’au niveau de ceux de Dieu lui-même. « Vous serez comme des dieux », affirma-t-il, ex cathedra

Et depuis, combien de théologies, orientales, occidentales, mystiques, exaltées, et que sais-je encore, n’ont cessé de broder là-dessus : Dieu est devenu homme afin que l’homme devienne Dieu! Voilà ce qu’on apprend dans des modernes séminaires théologico-anthropologiques, où de forts savants professeurs, disciples du grand Lucifer, dispensent leurs enseignements auréolés de leurs titres de défenseurs de l’homme et d’amis des peuples…

Mais revenons à la tentation de Jésus. « Donne l’ordre à ces pierres pour qu’elles deviennent du pain. » Dans le désert rocailleux, l’éminent représentant de la cause humaine dont le cœur saignait à la vue de l’insupportable misère des masses propose enfin une solution totale et définitive à la faim endémique dont souffrent des millions d’êtres humains. Il présente le plan de Dieu pour les hommes comme fort cruel. Dieu a-t-il vraiment du cœur? Lui Satan déborde de sentiments généreux! Comme bon nombre de modernes philanthropes, qui discourent avec libéralité et signent de fort savants articles sur la faim dans le monde, alors que dans leur « amicale », ils s’offrent quand même leur gueuleton traditionnel… Feront-ils un geste concret qui leur coûterait personnellement un sacrifice? Nous aimerions bien les voir à l’œuvre…

L’article premier du code de l’économiste à la Lucifer exprime la religieuse conviction que voici : Si Dieu il y a, il est un Dieu cruel. Dès lors, pourquoi l’homme devrait-il s’occuper de lui et lui vouer un quelconque sentiment de dévotion? Dieu laisse l’homme et les hommes se débattre et agoniser, jour après jour, dans le problème majeur de leur existence : celui de l’économie. Pourquoi Dieu et la religion seraient-ils encore au centre de leurs préoccupations quotidiennes, alors que manque l’essentiel pain du jour? N’était-ce pas Mirabeau, autre suppôt de la révolution, qui déclarait :

« En dernière analyse, le peuple jugera la révolution par une seule considération et une seule : mettra-t-elle plus d’argent dans leurs poches? Vivront-ils dans une plus grande aisance? »

Cette théorie économique reste, semble-t-il, inchangeable et inchangée, inspiratrice de toutes les révolutions sanglantes, depuis la plus typique, celle de 1789 jusqu’à celles de notre siècle. D’après elle, il n’y a pas de pèlerinage spirituel de l’homme vers Dieu ou de Dieu vers l’homme : il n’y a qu’une course de rats qui s’entre-dévorent pour survivre.

Le grand économiste Satan affirme que depuis Eden, depuis les origines de l’humanité, la situation économique de l’homme n’a aucune chance de s’améliorer. À moins qu’on lui tende l’oreille et qu’on le prenne au sérieux; à moins que la puissance du verbe transforme des cailloux en pain pour nourrir les foules affamées! Lucifer et sa troupe de charlatans ont toujours un plan dans leur poche. Résoudre le problème économique et ensuite s’occuper, si cela a encore une quelconque utilité, des mini-questions ennuyeuses de la religion…

Mais n’allez pas vous imaginer que les acolytes de Satan se trouvent aujourd’hui seulement de l’autre côté, chez les humanistes athées. Nous voyons surgir une belle promotion de disciples du grand économiste, ne serait-ce que dans les rangs des adeptes d’une théologie horizontaliste, qui prétendent que la seule crise grave qui menace l’homme est celle de l’économie; jamais celle de la foi.

Selon l’un de leurs porte-parole, parmi les plus bavards, les problèmes de l’homme n’ont qu’une dimension horizontale. Ce n’est jamais le problème entre lui et Dieu. La très moderne et très violente théologie dite « de la libération », qui secoue le tiers-monde et démolit chez nous jusqu’aux fondements de nos Églises, ne fait rien d’autre que reprendre la veille rengaine : Donne l’ordre à ces pierres de se transformer en pain et nourris d’abord le peuple de pain matériel. L’un d’eux, pourtant colombe parmi les faucons, nous donne une leçon de liberté, en déclarant que celle-ci nous est annoncée dans les graffitis des souterrains où les couloirs du métro…

Alors, sachez que votre liberté vous est offerte dans les cloaques immondes des W.C. publics de nos grandes métropoles, et que c’est à travers les obscénités de leurs graffitis que la bonne nouvelle vous parviendra… Et je me dis que Paul Eluard, tout incroyant qu’il fut, avait quand même des paroles beaucoup plus inspirées au sujet de la liberté. Il ne la voyait pas inscrite dans nos urinoirs!

Ce n’est donc pas de Jésus-Christ que certains théologiens et certaines Églises attendent leur libération. De toute manière, le catéchisme satanique vous apprend que c’est l’homme qui refaçonnera sa société, non pas l’Esprit régénérateur de Dieu ni sa Parole salvatrice. Mais cet homme, magicien du verbe et surtout apprenti sorcier, quel prix va-t-il consentir pour mener « à bien » cette besogne, cette grande transformation en vue de l’établissement de la « société nouvelle? » Toutes les révolutions qui sont essentiellement des entreprises économiques nous ont laissés devant des amoncellements de cadavres. Elles sont toujours accompagnées d’un sinistre cortège de déportations, de purges, d’exécutions, de goulags et toutes les grandes terreurs qui s’y rattachent… Dostoïevski voyait déjà au 19e siècle, avec son regard prophétique, que la prochaine révolution coûterait des dizaines de millions de victimes. Il ne s’était pas trompé. Mais lorsque l’Église devient libérale au lieu de parler comme les prophètes, oracles de Dieu, elle s’aplatit et même se couche dans le lit adultère des léviathans athées.

Je n’ai pas le temps de citer des noms ni des exemples; ce qui est frappant, c’est que les épigones des grands tyrans de jadis comme ceux des tyrans d’aujourd’hui sont toujours animés des meilleures intentions, puisqu’à l’exemple de Lucifer, ils prétendront au titre de grands timoniers et de pères des peuples, bienfaiteurs de l’humanité. Bref, ils se présentent, eux aussi, comme philanthropes de leur état. Comme le vieux Lucifer, ils décrètent que tout homme doit devenir son propre dieu et l’État le dieu suprême. Sous des cieux dits plus cléments, chacun est censé décider ce qui est bon ou mauvais pour lui-même… En dernière analyse, la tentation suggérée à Jésus voulait que tout homme reste ce qu’il est. Éviter de travailler si possible, renoncer à toute responsabilité, transformer ou détruire son environnement selon son bon plaisir; demander, revendiquer, exiger de Dieu ou de la nature un chèque en blanc… Le grand économiste est grand inspirateur d’exigences et grand fauteur de revendications. Mais gare à celui que se laisse séduire; il finira par payer lui-même la facture du chèque sans provision qu’il a reçu.

C’est à cette tentation démesurée que Jésus répond par sa célèbre phrase : « L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4.4). À ses yeux, le problème radical n’est pas de nature économique, mais morale et religieuse. La crise n’est pas premièrement économique, mais personnelle; elle est le résultat du péché. Autrement, comment expliquer le fait que, d’après les statistiques les mieux établies, ce sont les pays nantis et chez les individus les plus gavés que l’on trouve le plus grand nombre de suicides et de neurasthénies?

Je ne nierai surtout pas la gravité du problème de la faim dans le monde. Pour l’avoir connue personnellement, durant l’interminable hiver 1941-42 à l’âge de 12 ans, je sais ce que c’est que la lancinante souffrance d’un estomac toujours creux. Mais ce fut aussi et surtout lors de cette épreuve-là que j’appris, encore enfant, que l’homme n’est pas simple ventre, mais créature faite à l’image de son Dieu.

Lorsque l’économie devient le facteur unique de la vie sociale, nationale et internationale, elle dégénère en outil d’exploitation entre les mains d’hommes iniques qui jouent aux petits dieux pour mieux anéantir les autres; ils créent des enfers ou des paradis artificiels et poussent des êtres humains à devenir des fantômes…

Jésus-Christ, Dieu et homme à la fois, est venu mettre un terme à toute tyrannie, y compris celle d’une économie luciférienne. Au pain empoisonné qui nous conduit vers les sentiers de la mort, il oppose la Parole libératrice du Dieu Créature et Rédempteur.

Si nous la refusions, nous connaîtrions à chaque époque et dans chacune de nos vies individuelles une chute interminable, celle que connurent nos premiers parents, Adam et Ève, placés dans le meilleur environnement économique qui ait jamais existé.