Cet article sur les questions d'introduction au livre d'Abdias traite de sa structure, de son plan, de son style, de sa date de composition, de son auteur, de sa situation et de la politique internationale de l'époque.

Source: Introduction à l'Ancien Testament. 10 pages.

Introduction au livre d'Abdias

  1. Généralités
  2. Structure
  3. Plan
  4. Style
  5. Date
  6. Auteur
  7. Situation
  8. Politique internationale
    a. L’insécurité des nations
    b. L’observateur coupable
    c. À qui appartient le Royaume?

1. Généralités🔗

Le livre du prophète Abdias est un bref recueil d’oracles qui traitent du peuple d’Édom. C’est le plus court des livres prophétiques, mais il ne faudrait pas en conclure qu’il est dépourvu de valeur. Bien au contraire! Il se compose de très beaux oracles, où passe un grand souffle et dont le genre littéraire s’apparente à celui de tous les oracles des prophètes sur les nations, notamment de ceux qui annoncent la venue du jour du Seigneur.

2. Structure🔗

Du point de vue de sa structure, le recueil se présente comme une vision, précédée d’un en-tête et suivie d’une déclaration concluante. Un problème se pose du fait que les versets 2 à 6 se retrouvent dans Jérémie 49.7-16, quoique sous une forme légèrement différente. C’est ce qui a amené certains à penser que le livre d’Abdias serait antérieur à Jérémie et remonterait au neuvième siècle.

On signale que la composition des livres prophétiques est une affaire de haute complexité et qu’il est souvent difficile de la comprendre. Nombre d’entre eux, tel notre livre, semblent avoir été arrangés de manière qui cadre avec une présentation liturgique. Lus dans l’ordre, comme une cantate, ils présentent un ensemble artistique d’une grande efficacité.

3. Plan🔗

  1. L’en-tête - 1.1a
  2. La vision - 1.1b
  3. Une proclamation de l’Éternel - 1.2-9
  4. Un discours du prophète expliquant la faute d’Édom - 1.10-15
  5. Une déclaration de l’Éternel à son peuple - 1.16-18
  6. Commentaires ajoutés au livre - 1.19-21

Des dénonciations prophétiques d’Édom se trouvent dans les passages suivants de l’Ancien Testament : Ésaïe 34.5-17; 63.1-6; Jérémie 49.7-22; Lamentations 4.21-22; Ézéchiel 26.12-14; 35; Joël 33.19; Amos 1.11-12.

Plusieurs phrases du livre d’Abdias se retrouvent aussi dans le livre du prophète Joël :

  • Abdias 1.10 = Joël 3.19
  • Abdias 1.11 = Joël 3.3
  • Abdias 1.15 = Joël 1.15; 2.1; 3.4,7,14
  • Abdias 1.18 = Joël 3.8

4. Style🔗

Quant au style du livre, les spécialistes en font remarquer le langage poétique et vigoureux. La métrique poétique prévalente est le pentamètre (3+2), mais d’autres métriques apportent une variété de style. Une grande partie du discours est attribuée au seigneur qui personnifie Édom, ce qui donne au livre un ton direct et personnel. La vivacité du discours est accentuée par le temps du parfait (passé) décrivant le jugement à venir.

Le livre est plein de comparaisons et de métaphores : la solidité de la montagne d’Édom est comparée au nid de l’aigle (1.4); les pilleurs d’Édom à des voleurs qui entrent de nuit par effraction, ou à des vendangeurs de grappes (1.5); le jugement des nations est semblable à une coupe amère que celles-ci doivent avaler (1.16); les Israélites vengeurs sont appelés « un feu » et les Édomites « du chaume » (1.18). Les crimes d’Édom sont mentionnés dans un ordre ascendant (1.10-14), la restauration intégrale d’Israël est exprimée par l’assurance de sa future expansion vers les quatre points cardinaux (1.19-20).

Dans les versets 17 à 21, le péché et le jugement sont contrastés à l’espérance et à la victoire. Le prophète procède du particulier au général; du jugement d’Édom, il passe au jugement universel qui attend tous les peuples, et après l’annonce de la restauration d’Israël il prédit l’établissement du Royaume de Dieu.

5. Date🔗

Édom est apparenté à Israël, ce qui rend compréhensible l’intensité, voire la farouche et invétérée haine d’Israël à son égard. Durant la période où il se trouve sous la souveraineté de David (1 R 11.15), et sous la monarchie unie, la politique israélite veille à exercer un contrôle serré sur lui. Les Édomites ont amèrement ressenti cette domination imposée, spécialement du fait qu’ils ne pouvaient imposer des taxes et des impôts sur le lucratif commerce qui traversait Ebion-Géber pour se rendre au port d’Aqaba, à travers un territoire édomite, vers la Palestine propre. Bien qu’Édom fut maintenu sous sujétion même durant la monarchie divisée, ce ne fut pas sans payer un prix élevé qu’Israël ou Juda maintinrent leur souveraineté, et plusieurs batailles opposèrent, avant l’Exil babylonien, ces deux peuples « frères-ennemis » (voir 2 S 8.13; 1 R 11.14; 2 R 14.22; 16.5; 2 Ch 20.1; 21.8). Édom fut également assujetti durant une période antérieure aux raids répétés de ses voisins arabes (voir Jg 6.1; 2 Ch 21.16). Mais il reconquit son indépendance en 734 (2 R 16.6) et salua avec enthousiasme la chute du royaume de Juda.

Parmi les troupes de Nébucadnetsar qui, en 586, étaient montées à l’assaut de Jérusalem (voir Lm 4.21), il y avait des contingents édomites qui, en général, se comportèrent d’une manière vengeresse à l’encontre de la nation écrasée (Éz 25.12; 35.10). D’autres passages bibliques jetteront aussi une lumière sur les rapports tumultueux entre les deux nations (Gn 27.41-45; 32.1-21; 33.36; Ex 15.15; Nb 20.14-21; Dt 2.1-6; 23.7; 1 S 21; Ps 52; 2 S 8.14-14; 2 R 8.20-22; 14.7; Ps 83; Jl 3.18-19; Am 1.11-12; 9.12).

Les références aux souffrances causées par l’invasion babylonienne et la déportation sont si vivantes que le message d’Abdias dut être rédigé à peine après 586. (D’autres estiment que le livre date de la période post-exilique, quelque part au cours du cinquième siècle avant notre ère). Après la catastrophe babylonienne, ces mêmes Édomites avaient envahi le territoire du Néguev qui, dès lors, sera appelé Idumée, mais vers la fin du sixième siècle les Arabes les expulsèrent de la région de Séla qui, jadis, avait été la capitale d’Édom. Quant au territoire occupé par les Juifs, il se trouve à l’entour de Jérusalem, ainsi que nous est indiqué par le rapport de l’époque de Néhémie (Né 11.25-36).

6. Auteur🔗

Nous ne savons absolument rien du prophète qui a prononcé les paroles du livre si ce n’est son nom, bien biblique; mais nous ne recueillons aucun renseignement sur sa personne. Son nom est courant dans l’ancien Israël, et quelques douze personnages sont mentionnés dans la Bible portant ce même nom qui signifie serviteur de l’Éternel. L’essentiel est son message.

Certains pensent (se basant peut-être sur le Talmud babylonien) que notre recueil a été édité sous le nom d’Abdias, ce haut fonctionnaire de la maison d’Achab dont il est question dans 1 Rois 18.3-16, passage qui révèle sa fidélité au Dieu de l’alliance. Ce haut fonctionnaire, ayant la charge du palais du roi Achab d’Israël (royaume du Nord), avait été depuis sa jeunesse un ardent adorateur de l’Éternel. Lorsque la reine païenne Jézabel persécutera les prophètes de l’Éternel, Abdias en cachera une centaine dans deux cavernes. Durant la période de sécheresse qui va s’ensuivre, tandis qu’Abdias cherche de l’herbe pour les chevaux et les mulets de l’écurie royale, le prophète Élie le rencontrera et lui demandera d’organiser une entrevue avec le monarque; c’est à la suite de cette rencontre qu’aura lieu la célèbre et décisive confrontation avec les prêtres de Baal sur le mont Carmel et la confusion et la ridiculisation de l’idolâtrie.

7. Situation🔗

Le sort de l’ancien Israël est étroitement lié à ses proches voisins, et plus profondément marqué par son antipathie et par sa farouche opposition à leur égard que par la sympathie. Cependant, aucune des antipathies éprouvées par le peuple de l’Ancien Testament n’aura été aussi amère et constante que celle à l’égard d’Édom. Tous ses autres ennemis se lèveront pour aussitôt disparaître sans laisser de trace permanente, comme des vagues éphémères sur une mer houleuse : les Cananéens seront suivis des Philistins, ceux-ci des Syriens, les Syriens par des Grecs. Un tyran cruel abandonnera son emprise cruelle sur Israël à un autre plus sanguinaire que lui : Égyptiens, Assyriens, Babyloniens, Perses, Séleucides et Ptolémées défileront les uns plus violents que les autres; Édom, quant à lui, sera toujours présent sur le tableau, crachant la haine et vomissant la cruauté.

Qui est Édom? C’est le peuple issu d’Ésaü. Comme tel, ce peuple se trouvait au bénéfice d’une promesse qui lui assurait une certaine participation à la vie d’Israël. Mais depuis le jour où les deux ancêtres se querellaient (déjà) dans le ventre de leur mère Rébecca, l’épouse d’Isaac, jusqu’au premier siècle avant J.-C., quand un roi juif placera les Iduméens (autre nom pour les Édomites) sous le joug de la loi, les deux peuples se haïront et se mépriseront d’une manière si implacable, si impitoyable, qu’il est difficile d’en trouver d’analogue au cours de l’histoire des relations entre nations voisines.

Édom se trouve sans cesse exposé à la tentation de revendiquer pour lui-même la terre promise. Au tournant du dernier millénaire avant le Christ, à l’ère davidique et jusqu’en l’an 130 sous la dynastie juive des Asmonéens, des conflits armés et des guerres dévastatrices marqueront les rapports des descendants de ces deux jumeaux. Peu nombreux seront donc les prophètes hébreux durant cette période à n’avoir pas crié vengeance.

En ce sens là, le livre du prophète Abdias reste unique dans le recueil prophétique. Il ne prononce pas le mot de péché ni de justice, pas même de miséricorde; il déclare seulement l’imminence d’une terrible calamité devant s’abattre sur Édom comme le juste châtiment qui attend ses multiples actes de cruauté, mais aussi comme un cri d’exultation à cause de sa conviction que la nation sœur, qui a tant contribué à déstabiliser et à démolir la vie nationale d’Israël, sera à son tour démantelée et déshéritée.

En effet, un tel livre dans le recueil prophétique de l’Ancien Testament a de quoi nous surprendre. Il se manifeste comme un sursaut rageur, un violent et sombre tourbillon au cours même de la révélation, laissant sur son parcours, ici et là, des taches sombres. Ses torrents tumultueux, bouillonnant à côté d’affluents limpides et saints, semblent lancer des imprécations contre tout ce qui, dans les rapports humains, est immonde et intolérable.

Édom s’est fixé sur une terre riche; il jouit d’une civilisation qui dépasse celle des pauvres hères que sont les tribus nomades essaimant sur l’étendue du désert à ses pieds, tout à l’entour. S’autocontemplant, satisfait et superbe, Édom regarde avec mépris ces Arabes sur lesquels, grâce à sa position géographique d’un exceptionnel intérêt stratégique, il exerce une domination sans contestation, tantôt d’une main légère, tantôt avec une poigne de fer; il méprise ses frères palestiniens qui, à cause de leur position territoriale, sont tenus soit à conclure entre eux des fragiles et hypocrites alliances, soit à s’entre-déchirer dans des conflits sanglants. Il attise l’exacerbation des sentiments des Bédouins et leur haine aveugle. Quant à lui, il ignore tout sentiment de pitié; il n’est ému par aucun souvenir de parenté de sang, ce dont précisément l’accusent les prophètes hébreux.

Cette complaisance envers soi est aggravée par la position du pays, placé au carrefour de routes et d’axes de communication de première importance. Les maîtres du mont Séïr ont la haute main sur le port d’Aqaba, où se déversent des cargaisons d’or et d’autres métaux précieux acheminées depuis le lointain Ophir. Ils interceptent les caravanes arabes, les dépouillent de leurs marchandises, coupent les routes et bloquent de manière arbitraire tous les axes vitaux des communications terrestres.

Cependant, le plus profond ressentiment d’Israël a pour cause le mépris d’Édom pour les liens de sang. En ce qui concerne le génie, le tempérament et les ambitions, les deux peuples se trouvent à deux extrêmes opposés. Ainsi, nous sommes surpris de ne pas trouver dans l’Ancien Testament la moindre mention des dieux édomites. Israël succombait facilement à la fascination des idolâtries voisines. Pourtant, nous n’entendrons pas parler d’Édom comme ayant sa religion propre. Un tel silence n’est certainement pas accidentel. Nous pouvons en conclure qu’il témoigne, si l’on peut parler du témoignage du silence, qu’une situation de fait correspond parfaitement à ce que nous savons d’Ésaü, leur ancêtre.

N’est-il pas dit de lui qu’il était profane? Un impie sans Dieu ni loi? Il n’a ni conscience morale ni d’intérêt pour ses droits d’aînesse; aucune foi en son avenir, pas de vision spirituelle; mort quant à ce qui est l’invisible, indifférent vis-à-vis de la réalité transcendante, plus réelle pourtant et plus concrète que tout ce que peuvent toucher nos sens et goûter nos palais. Il s’adonne à la satisfaction immédiate de ses appétits sensuels. Tel donc l’ancêtre, tels aussi les descendants; ils ont hérité du caractère moral de celui qui, pour un plat de lentilles, avait vendu tout ce qu’il y avait de plus précieux pour un fils de sa position.

Sans doute ceux-ci possédaient-ils leurs divinités, à l’instar de tous les peuples et peuplades sémitiques contemporains; néanmoins, ils sont profondément irréligieux. Vivant pour le ventre, pourvoyant à leurs besoins par des rapines, assurant leur survie grâce à des vengeances sur le plan national, sans nationalisme bien défini ni idéaux bien professés, les membres du peuple d’Édom, plus encore que les Philistins, méritaient leur nom comme symbole d’obscurantisme et de brutalité. Seul trait commun avec Israël : la ruse et la malice mondaines. C’est de cette race-là que seront issus les Hérodes; Hérode le Grand, assassin des membres de sa propre famille et infanticide tristement célèbre; les petits-fils de celui-ci, dont l’un sera qualifié par le Seigneur Jésus de renard; toute une dynastie malfamée de criminels couronnés, de roitelets parricides, de diplomates assassins, mais immunisés.

En dépit de ses chutes et de ses retentissantes rechutes, Israël possède, quant à lui, la vision correcte de l’invisible et un idéal pour une vie plus juste; il s’attache à la loi, à laquelle, dans la repentance, il peut se convertir. Israël nourrit une espérance, est assoiffé de justice, s’accroche au Dieu Sauveur, même après l’avoir honteusement bafoué ou misérablement trahi. Édom est dépourvu même du moindre sentiment du divin.

Esquissons brièvement aussi l’histoire subséquente des relations entre Édom et Israël aux temps bibliques.

À leur retour de l’Exil babylonien, les Juifs trouvèrent les Édomites en possession de l’ensemble du Néguev et de la montagne de Juda, au-delà de l’Hébron. Les vieilles querelles ne tardèrent pas à se rallumer; ce ne fut pas avant l’an 130 avant notre ère, avec la dynastie asmonéenne, qu’un roi juif placera son voisin sous la loi de l’Éternel. Les scribes juifs transcrivent le nom d’Édom comme le symbole de leur perpétuelle hostilité à l’égard du monde païen, contre lequel en qualité de peuple élu de Dieu, ils doivent lutter.

Pourtant, Israël n’a pu venir à bout d’un ennemi aussi féroce et dangereux que la dynastie hérodienne. La sauvagerie implacable de certains Édomites durant les derniers conflits contre Rome démontrera que le feu qui avait dans le passé, pendant tout un millénaire, roussi seulement les frontières, brûlait à présent d’une flamme plus fatale et dévastatrice. Plus que tout autre facteur, ce fut le fanatisme édomite qui, au début du second siècle, provoqua le suicide d’Israël à partir de l’insurrection en Galilée, laquelle se consumera sur les rochers de Massada, à mi-chemin entre Jérusalem et le mont Ésaü.

Qu’il me soit permis ici un avertissement nécessaire. Aucune des déclarations prophétiques de l’Ancien Testament ne saurait être exploitée actuellement pour encourager une prise de position politique ou militaire en faveur de tel ou tel protagoniste des conflits surgissant dans cette région du monde. Cette mise au point est d’autant plus nécessaire que certains interprètes s’imaginent trouver dans les anciennes prophéties des applications appropriées pour la situation actuelle d’Israël et de ses voisins. L’Israël de Dieu, actuellement, est l’Église de Jésus-Christ.

L’application de cette prophétie et l’évaluation de son actualité et de sa pertinence, nous la chercherons ailleurs, dans la partie qui suivra.

8. Politique internationale🔗

a. L’insécurité des nations🔗

Le prophète Abdias nous rappelle qu’il n’existe pas, comme tel, une sécurité nationale. Certes, il appartient aux gouvernements de veiller à la sécurité de leurs citoyens, d’exercer la justice, de maintenir la paix publique, de protéger leurs ressortissants contre toute agression, de veiller sur le peuple dont ils ont la charge et de mener une politique nationale et internationale qui permet aussi bien la protection des frontières qu’un développement harmonieux à l’intérieur du pays et qui assure, dans la mesure du possible, une relative prospérité. L’État, tout État, est avant tout un gardien vigilant contre l’agression extérieure et contre l’anarchie ou l’insurrection intérieures pouvant mettre en péril la vie et la propriété de ses citoyens. Il n’entre pas dans ses attributions de prescrire des ordonnances pharmaceutiques, de mettre sur pied des programmes d’éducation sexuelle dans les écoles ni de dicter ses propres goûts artistiques ou religieux…

Même s’il assume ses fonctions, l’État risque de se faire des illusions quant à la solidité et la fiabilité de sa défense et de sa force. Édom, solidement installé dans sa forteresse naturelle, la tenait pour imprenable et s’imaginait invincible. Pourtant, voici qu’une voix étrange, un oracle ignoré, peut-être méprisé, annonce et prédit sa ruine. Le mal qu’il a perpétré, lui assure-t-on, se tournera contre lui tel un boomerang. L’arroseur sera arrosé. Il subira le sort qu’il avait infligé à son voisin-frère. Toute sa sagacité et toutes ses ruses ne sauront le protéger contre la catastrophe imminente.

Le prophète s’en prend avec une virulence toute prophétique à la convoitise sans vergogne des Édomites et à la cruauté avec laquelle ils traitent les réfugiés et autres rescapés d’une calamité hors du commun. Or, quiconque a eu affaire un jour au Dieu de la promesse et de l’alliance, comme c’est le cas d’Édom, ne peut échapper à ses justes et redoutables jugements. Il ne reste à Édom que de choisir entre deux possibilités : ou bien accepter d’avoir part à la promesse, ou bien poursuivre une action qui, fatalement, aboutira à la malédiction. Il n’y a pas d’autre issue.

Ce message est d’ailleurs adressé au peuple de Dieu lui-même, qui ne doit pas ignorer la sentence qui atteint ses ennemis. Si le peuple élu veut bien reconnaître la royauté de son Seigneur et vivre dans la perspective de son jugement, il trouvera aussi la force de supporter l’esprit de convoitise et l’attitude odieuse de ses adversaires. Le prophète a parlé pour expliquer la faute d’Édom, à la fois trahison et cupidité à l’égard d’Israël et prétention orgueilleuse de ses sages. L’orgueil mène inexorablement à la ruine. Il précède celle-ci. Par son orgueil, Édom a provoqué Dieu. Dieu donc l’exterminera. Le peuple présomptueux s’est rendu coupable de fratricides en reniant Israël au temps de sa détresse et en l’abandonnant à son misérable sort. L’Éternel appliquera à Édom la loi du talion; la cause de son peuple est la sienne. En revanche, son peuple sera réhabilité. Sion, emplacement du temple de jadis, redeviendra le lieu de l’habitation divine et de culte dans la capitale du futur Royaume de Dieu sur la terre.

Notons cependant que si Édom est jugé, Israël, lui, a été châtié avant lui. Le jugement de Dieu commence toujours par sa propre maison. Et en dernière analyse, tous les peuples seront jugés lors du jugement final. Au regard du croyant israélite, un tel jugement passé au cours de l’histoire signifie bien plus qu’une vengeance sur l’ennemi. Pour l’Israël fidèle, la suite des événements implique une fin, un terme au sens d’accomplissement de tous les desseins de Dieu relatifs à ses élus. Abdias insiste sur le fait que Dieu accomplira ses desseins à travers et au-delà des circonstances tragiques du moment présent. La justice qui prononce une sentence implacable sur Édom est la même qui promet et offrira à Israël un avenir dans Sion.

Notons bien que cette destinée n’est pas directement attribuée à une force ou à une cause surnaturelles. Ce n’est pas une instance d’intervention divine et miraculeuse, là où la force humaine se serait montrée impuissante. Ce n’est que par la conspiration et la trahison de ses voisins que se consumera sa chute. Il existe des forces historiques qui opèrent dans le monde et qui font que la position de n’importe quelle nation, aussi puissante soit-elle, reste extrêmement précaire. Le message du prophète Abdias est, à cet égard, d’une grande pertinence pour notre époque. Son discours prophétique devrait être médité par toute nation opulente et puissante, solidement établie dans des positions prétendument imprenables.

Bien qu’il n’existe point d’intervention miraculeuse en perspective, le prophète n’attribue pas moins la chute d’Édom au jugement divin. Le Seigneur tout-puissant déclare qu’il prépare et qu’il précipitera sa chute définitive. Ainsi, même au cours de l’histoire, l’Écriture nous exhorte à apercevoir la main de Dieu derrière le déclin et la chute des puissants empires. Notre insécurité fondamentale réside dans le fait que nous n’échapperons pas à Dieu, lui qui fait surgir des instruments pour rendre effectives ses justes rétributions morales. En outre, cette condamnation de la nation puissante décèle une qualité qui va au-delà de l’infortune occasionnelle au cours de l’histoire d’un pays. Il existe des faits tels que la ruine nationale, l’effondrement des empires, la disparition d’un monde arrogant, l’écrasement d’une force militaire et l’émergence d’un autre monde ou d’un autre ordre mondial. À travers ces faits, nous sommes invités à discerner l’opération réelle et surprenante de la justice et de la toute-puissance de notre Dieu.

D’ailleurs, un trait dominant des livres prophétiques de l’Ancien Testament se trouve dans les oracles prophétiques qui concernent des nations autres qu’Israël et Juda. Ils confessent, sans omettre une seule occasion, la seigneurie universelle de l’Éternel.

b. L’observateur coupable🔗

Le prophète accuse Édom par la formule répétée, redoutable en dépit de son laconisme : « tu n’aurais pas dû » (voir versets 10 à 14). Édom s’écarte, tourne le dos à la misère de sa sœur; pire, il se réjouit de la souffrance endurée par celle-ci; il en tire même de substantiels bénéfices. Un comportement aussi inhumain appelle inexorablement la rétribution divine.

Ici réside la tragédie des relations de l’homme avec son prochain. L’on décide de demeurer l’observateur neutre du mal qui s’abat sur lui, voire de devenir complice de l’injustice et de la douleur qui le frappent. On en vient même à se féliciter de sa détresse… En dépit de la grandiloquence avec laquelle on exalte la soi-disant bonté naturelle de l’homme et sa générosité congénitale, la réalité est qu’aussi bien dans la vie sociale et internationale qu’individuelle, l’on assiste à des exemples de comportement terriblement égoïstes, parfois même sadiques. Il nous faut alors nous interroger sur les prétendues attitudes de neutralité face au mal qui ronge la société qui nous entoure. Il nous faut surtout et sans tarder remettre en question nos propres cruautés intérieures, notre brutalité à peine contenue, notre inhumaine indifférence face à l’insoutenable misère qui accable notre prochain.

Abdias nous offre une excellente application, avant la lettre, et ce sur une échelle nationale et internationale, de la célèbre parabole du bon Samaritain que racontera plus tard le plus grand des Prophètes, le bon Samaritain en personne, Jésus-Christ, fils d’Israël, Sauveur tant d’Édomites que de Philistins (Lc 10.25-37). De même se trouve appliquée ici par anticipation, pour la vie personnelle aussi bien que sociale et politique, la parabole des brebis et des boucs (Mt 24.41-43).

Se comporter en brute dépourvue d’entrailles de miséricorde envers l’homme, même sous prétexte de sécurité nationale, c’est mépriser notre frère humain; et faut-il oublier qu’en dernière analyse ceci revient à mépriser Jésus-Christ lui-même qui se présente sous les traits de toute personne démunie et sans défense?

c. À qui appartient le Royaume?🔗

À qui appartient le Royaume? La dernière déclaration nous l’apprendra. Au moment où tout semble perdu (temple détruit, peuple déporté), l’homme de Dieu a une vision : le Royaume ultime appartient à notre Dieu et Seigneur. Dieu proclame la venue de son jour, il est le Maître qui intervient dans l’histoire pour régner (Ap 11.15). L’espérance du prophète pour la restauration de son peuple s’élève au-dessus d’un patriotisme étriqué, fanatisé, car en la victoire de celui-ci il discerne par la foi l’établissement définitif du Royaume divin, caractérisé par la délivrance et la sainteté.

Cette véritable confession de foi détermine l’ensemble de ce passage et du message du prophète Abdias. Autrement, ce discours pourrait passer pour un rêve utopique concernant les ambitions nationales d’Israël, rêves grandioses et ambitions démesurées inspirées par un amer patriotisme. Édom tombera, Israël s’élèvera. Certes, cela fait partie du tableau. Mais il ne s’agit pas ici de la conquête des nations par le peuple élu de Dieu. Il s’agit de la conquête des païens par Dieu en personne. En définitive, il s’agit du salut de ceux qu’il a élus d’avance.

Mais tel est le péché humain, que même cette déclaration finale du prophète risque d’être pervertie, d’être exploitée pour « sanctifier » toutes sortes de triomphes militaires ou nationaux, en identifiant ainsi la cause de sa propre nation avec celle de Dieu. Il nous faut prêter une oreille attentive à ce qui est exprimé dans cette clause. Là où le Seigneur règne, là l’homme le servira; il ne règne pas de son propre droit. Il ne peut y avoir simultanément deux souverains, l’homme et Dieu, sur le même territoire, revendiqué par l’un et par l’autre. Là où le Seigneur remporte la victoire, nous n’affirmerons pas notre triomphe. Il nous est seulement permis de prendre plaisir aux bénéfices procurés et offerts, nous rassembler sous le bouclier de la protection divine, en toute humilité et avec gratitude. Il y aura de nombreuses bénédictions tant ici que dans l’au-delà pour le peuple de Dieu.

Le message du Nouveau Testament confirmera cette conviction : le donateur de ces bénédictions est Dieu lui-même. Tout ce que nous possédons est le don du ciel. Les grands actes rédempteurs de Dieu remporteront la victoire ultime. Nous bénéficierons du butin amassé par lui.

Mais que signifient cette bataille et son butin du point de vue chrétien? Elle ne dresse pas une nation contre une autre, ne forme pas des blocs de peuples pour les opposer à d’autres blocs, ne soulève pas une tribu contre une autre pour la massacrer. Il n’est même pas question de conflits entre deux idéologies opposées. Au contraire, il s’agit de la bataille du Vendredi saint et du dimanche de Pâques. Le Royaume est à notre Dieu; la royauté a été confiée à notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Aussi il ne faut pas l’identifier ni la confondre avec une autorité temporelle exercée par une quelconque instance humaine, terrestre, qu’elle soit politique, nationale, sociale, voire ecclésiastique. Au-delà de tous nos conflits, de toutes nos révolutions, de toutes nos guerres, demeure seul inébranlable, et sans cesse triomphant, le Royaume où Dieu règne sans partage, par le pouvoir de sa grâce.

Tel est le témoignage de toute la Bible, Ancien et Nouveau Testament, et à cet égard le petit livre du prophète Abdias apporte à sa façon sa lumineuse contribution. L’ensemble du livre de ce message prophétique constitue donc un oracle réconfortant pour la communauté découragée des rescapés. L’auteur du livre d’Abdias connaît, lui aussi, le Dieu de l’alliance; il attend le jugement qui sonnera l’heure de la délivrance. En pleine défaite humaine et tandis que le désespoir menace, il proclame le message tonique de la rétribution divine et prédit l’établissement du Royaume des cieux.