Cet article sur les questions d'introduction à l'épître aux Romains traite de son auteur, des destinataires, de l'occasion et du but, de la date et du lieu de sa composition, de ses particularités, de son message et de l'analyse de son contenu.

Source: Introduction au Nouveau Testament. 13 pages.

Introduction à l'épître aux Romains

  1. Introduction
  2. Auteur et authenticité
  3. Date et lieu de composition
  4. L’origine de l’Église de Rome
  5. Occasion et but
  6. Destinataires
  7. Particularités : langue, style, forme littéraire
  8. Message
  9. Analyse du contenu
  10. Questions

1. Introduction🔗

Ce n’est pas sans émotion qu’on aborde l’examen des circonstances qui motivèrent la rédaction de cette épître exceptionnelle.

La date de sa composition correspond à une période où sont encore nombreux parmi les chrétiens ceux qui ont connu et fréquenté le Christ. L’auteur a noué de solides amitiés avec les coryphées des apôtres et avec de nombreux disciples de la première heure. Cette lettre nous donne une image exacte de l’Évangile chrétien de la toute première heure. Notre foi n’est donc pas différente de celle de Paul ni de celle des premiers disciples qui entendirent des lèvres du divin Sauveur les paroles de salut et de vie éternelle. Notre doctrine n’est pas fondée sur des mythes et autres légendes savamment brodées. Toute notre théologie chrétienne se réfère et se fonde sur des événements historiques de tout premier ordre, susceptibles d’être vérifiés avec la plus grande rigueur.

Paul se trouve à Corinthe. Ce doit être durant l’hiver 57-58. Durant trois années, il exerce un fécond ministère, lors de son troisième voyage missionnaire. Lors du premier, il avait visité l’île de Chypre et l’Asie Mineure. Le second l’avait vu traverser l’Asie Mineure et se rendre en Europe où il fonde des Églises à Philippes, à Thessalonique et à Corinthe. À partir de cette dernière, il adressera ses deux lettres aux Thessaloniciens. Lors de son troisième voyage, il remporte à Éphèse un grand succès missionnaire. L’Évangile venait d’être proclamé et accepté dans toute la province romaine et au-delà, dans l’Asie Mineure. C’est là qu’il rédigera sa capitale lettre aux Galates. La première lettre aux Corinthiens sera également composée ici. À présent, il forme le projet de visiter Rome. Auparavant, il lui faudra se rendre à Jérusalem pour y apporter aux « saints » l’offrande recueillie en leur faveur dans les communautés de la Macédoine et de la Grèce. C’est dans ce dessein qu’il quitte Éphèse pour se rendre plus à l’ouest jusqu’à la Macédoine. La deuxième lettre aux Corinthiens partira d’ici. Il projette maintenant de visiter l’Église « tracassière », et lorsqu’il aura accompli cette mission et estimé que son œuvre est achevée, il a l’intention de se tourner de nouveau vers l’est, dans un voyage qu’il prévoit plein de périls, notamment s’il se rend à Jérusalem, et il n’oublie pas son grand désir de visiter les chrétiens de Rome; il compose donc la lettre que voici et adresse aux disciples de la capitale impériale un message fraternel. Il leur fait part de son intention de les rencontrer chez eux, dans le dessein de leur communiquer l’essentiel de l’Évangile qu’il avait déjà proclamé ailleurs.

Il était tout naturel qu’il leur envoyât un « sommaire », si l’on peut qualifier d’un terme aussi banal cet exposé clair et vigoureux de la foi chrétienne, véritable chef-d’œuvre de la littérature biblique. La destinataire en est cette Église située au cœur même du paganisme. En outre, il désire faire de Rome un point de départ pour d’autres missions, en vue d’atteindre les extrémités de la terre civilisée de l’époque, l’Espagne. Il ferait de Rome le centre d’où rayonnerait son témoignage apostolique, le foyer permanent de ses activités de fondateur d’Églises, depuis lequel il leur transmettrait l’Évangile du salut.

Rome est un grand centre de rencontres. Ceux qui y viennent de tous les coins du monde connu de l’époque y déversent leurs cultes et leurs idolâtries, y propagent leur corruption morale et ajoutent leurs iniquités à celles déjà accablantes de la métropole mondaine. Rome est le miroir du monde païen, avec ses misères et ses impiétés. Elle est surtout vue comme la cible du courroux divin. L’apôtre a donc hâte d’y annoncer avec force et clarté la Bonne Nouvelle du Christ Sauveur. La lettre vise à encourager les chrétiens de la ville à témoigner vigoureusement de leur foi, car l’évangélisation du monde païen dépend en grande partie de leur zèle et de leurs activités.

2. Auteur et authenticité🔗

Nous n’aborderons pas la question de l’auteur et de l’authenticité de la lettre; à nos yeux, elle est sans objet; personne ne met en doute le fait que Paul, l’apôtre, fut l’auteur de cette lettre. Si au siècle dernier il y eut quand même quelques critiques qui doutèrent cette authenticité, « il ne s’agissait là que de systématisations subjectives et arbitraires », écrivent Sandy et Headlam.

3. Date et lieu de composition🔗

De l’avis unanime des spécialistes, la date de la rédaction se situe en l’an 57, et le lieu en est la ville de Corinthe, en Achaïe. Paul s’y trouve durant son troisième voyage missionnaire. Gaïus, son hôte, dont la maison servait de lieu d’assemblée pour l’Église, y avait été baptisé par lui; Éraste, qui ajoute ses salutations, est le trésorier de la ville (voir aussi 2 Tm 4.20), et Phœbé, chargée de porter la lettre, est une diaconesse de l’Église à Cenchrées, l’un des deux ports de Corinthe (Rm 16.1).

C’est un moment solennel dans la vie de l’apôtre. Son esprit est tout ému lorsqu’il regarde vers le passé à la mission déjà accomplie parmi les païens, en Grèce et en Asie Mineure. Une opposition haineuse s’était déclenchée contre lui. Une fausse interprétation de son ministère apostolique avait cours (2 Corinthiens et Galates). Nonobstant ces dures adversités, il peut se réjouir du succès remporté par « son Évangile ». Il doit pourtant faire face au légalisme juif qui le poursuit tout au long de son extraordinaire carrière.

L’apostolat qu’il exerce parmi les païens, s’il lui permet de collecter des fonds en faveur des juifs Palestiniens, fait naître chez ses adversaires judaïsants la suspicion quant à sa fidélité envers les Écritures hébraïques. Or, son humanisme biblique venant s’ajouter à sa citoyenneté romaine n’avait pas l’air de plaire à ses concitoyens aux sentiments nationalistes, exacerbés et fanatiques. Mais l’Occident comme l’Orient devront entendre la proclamation de la seigneurie du Christ et se placer sous sa souveraine autorité rédemptrice.

C’est un esprit lucide, une intelligence universelle, une âme héroïque qui rédige ce chef-d’œuvre de la littérature biblique. La note de triomphe l’emporte sur les sujets de controverse. Aux yeux de l’apôtre, le Royaume de Dieu a une portée universelle, et la nature humaine est vue et analysée sous tous les rapports.

Nous avons déjà signalé que Corinthe est le lieu de la composition de la lettre, écrite à la veille de son départ pour la Syrie. La date, également signalée (57), coïncide avec les débuts du règne inique de Néron.

4. L’origine de l’Église de Rome🔗

L’origine de l’Église de Rome est tout à fait obscure. Deux hypothèses ont été émises, mais aucune ne nous satisfait. La première voudrait que des juifs romains se trouvant parmi la multitude des pèlerins à Jérusalem le jour de la Pentecôte écoutassent le discours de Pierre et fussent les fondateurs de l’Église de Rome.

La seconde en attribue l’origine à l’apôtre Pierre. D’après cette hypothèse, celui-ci aurait été le premier missionnaire et évêque de Rome. Même en acceptant l’hypothèse d’une visite de l’apôtre Pierre, un point est clair : il ne fut pas le fondateur de l’Église. Non seulement Paul, dans sa lettre, ne fait aucune allusion à la présence de la colonne apostolique, mais il déclare encore qu’en se rendant à Rome, il ne voudrait pas bâtir sur le fondement posé par un tiers. Il n’est pas davantage probable que des auditeurs juifs romains de la Pentecôte aient pris une part active dans la formation de la communauté.

Entre Jérusalem et Rome, il existait de très bonnes voies de communication. Si le pouvoir militaire s’était fermement établi à Jérusalem, à l’inverse, l’esprit des affaires propre aux juifs ainsi que leur religion n’avaient pas tardé à pénétrer dans la capitale de l’Empire. On y trouve la trace des juifs assez tôt, vers le second siècle avant J.-C. La conquête par Pompée en l’an 63 avant notre ère y en amena d’autres, soit comme esclaves, soit comme sujets libres, bien que contre leur gré. Ils y établirent une synagogue et un certain ghetto qui jouit de la protection et de la faveur des premiers empereurs. À cause de leur morale élevée et de leur littérature religieuse, les juifs ne tardèrent pas à gagner des prosélytes. Cependant, les empereurs Tibère et Caligula leur retirèrent la faveur impériale dont ils jouissaient auparavant. Sous Claude (en l’an 52 de notre ère), plusieurs furent temporairement bannis, parmi lesquels le couple Aquilas et Priscille. Ce bannissement fut peut-être dû à des émeutes ou à des désordres suscités par la prédication du Christ parmi la population juive. Mais sous Néron, les juifs regagnèrent de nouveau leurs anciennes positions dans la capitale.

Il est certain que des nouvelles parvinrent assez tôt à Rome au sujet de Jésus, de sa mission et de sa passion. Or, tout ce qui se passait à Jérusalem passionnait les juifs de la capitale. Ni le caractère exceptionnel de Jésus de Nazareth ni la conversion extraordinaire d’un certain Saul de Tarse ne pouvaient laisser la communauté indifférente. L’expulsion de juifs sous Claude semble indiquer que l’Évangile y rencontra une forte opposition. D’abord du côté juif, ensuite du côté des Romains. Le récit de l’arrivée de Paul à Rome (Ac 28) laisse entendre qu’il y fut accueilli et qu’il y trouva des frères d’origine païenne. Il laisse également supposer que les autorités juives n’ignoraient pas l’existence de la « nouvelle secte » dont on parlait déjà partout, mais en tant que corps officiel, elles restèrent distantes et, à quelques rares exceptions, elles maintinrent cette attitude. À Rome comme ailleurs, il était plus facile aux païens prosélytes qu’aux juifs de se convertir au Christ. C’est à ces derniers que Paul adresse sa lettre en espérant, ou en anticipant, l’accueil favorable qu’ils lui réserveront, contrairement à celui plutôt froid des juifs.

L’Église semble en majorité composée d’anciens païens. Ce dut être bien des années après la première Pentecôte que des chrétiens d’origine païenne apprirent qu’ils pourraient occuper dans la nouvelle communauté de foi le même rang que ceux venant du judaïsme.

Il est probable que l’Église vit le jour à travers l’activité des prédicateurs itinérants ou celle des voyageurs chrétiens venus d’autres centres païens. Les uns comme les autres soulignaient sans doute le caractère universel du message évangélique.

Cependant, l’Église comporte également un nombre non négligeable de chrétiens convertis du judaïsme. Comme telle, elle a des rapports étroits avec la communauté juive de la capitale. Des spécialistes émettent l’idée selon laquelle l’Église aurait été composée de païens qui auparavant avaient été des prosélytes juifs. Il est certain qu’en rédigeant sa lettre Paul a en vue des juifs, ses compatriotes, et leur « sort ». Si nous ne gardions à l’esprit l’intérêt particulier qu’il leur porte, nous ne comprendrions rien à l’ensemble de son message.

D’autres Églises, par exemple celles de la Galatie, avaient été séduites par des prédicateurs judaïsants. Celle de la capitale impériale composée surtout de païens, ainsi que nous venons de le constater, tend plutôt à ignorer les juifs, et par conséquent à oublier ainsi les avantages spirituels que ce peuple particulier leur avait procurés par son appartenance à Dieu. Les chrétiens de Rome semblent plutôt indifférents quant à la destinée historique de l’ancien peuple élu.

De leur côté, les juifs devenus chrétiens se vantent encore de leurs prérogatives passées. Ils maintiennent une assurance erronée en la loi mosaïque. Paul compose sa lettre non seulement dans l’intention d’exposer le contenu de l’Évangile, mais aussi pour résoudre le problème du rapport entre juifs et païens dans la nouvelle économie du salut. Les uns comme les autres ont besoin de la grâce offerte par Dieu. Ils forment un seul corps, libérés de leurs anciens préjugés raciaux et religieux. Ils vivent le modèle et l’exemple d’une Église composée de nations, peuples, tribus et langues multiples.

Quelques mots au sujet des rapports entre Paul et Pierre.

Nous avons déjà noté que l’apôtre Paul n’avait pris aucune part dans la fondation de l’Église romaine. Cependant, il en connaît l’existence. La tradition selon laquelle Pierre aurait été le fondateur de l’Église de Rome est incompatible avec les références historiques dont nous disposons. S’il l’avait été, Paul n’aurait pas manqué de le mentionner dans son épître ou de lui adresser des salutations particulières. Il n’existe pas de preuve attestant la fondation apostolique pétrine. On est certain d’un fait : le fondement avait été posé, le Christ annoncé, il existe des Églises — communautés de maisons —, mais à strictement parler il n’y a pas d’Église unifiée. L’unique fondement apostolique dont on puisse en l’occurrence parler est constitué par notre lettre. Bien que la foi au Christ soit déjà présente à Rome et qu’elle ait précédé la visite de Paul, juifs et païens ne forment pas encore un corps uni jusqu’à ce que le génie apostolique et théologique du grand missionnaire exprime pleinement la réalité de l’unité.

Capitale prestigieuse de l’Empire, Rome était de ce fait le centre vers lequel affluaient les richesses de tous les points de celui-ci.

« À la date de composition de notre épître, on se trouve encore à l’époque heureuse du règne de Néron qui, pour l’instant, est conseillé par Sénèque. L’administration est bonne. La population est évaluée à environ un million d’habitants, des plébéiens; des affranchis aussi, vivant de la générosité des distributions faites par l’État-providence. Une masse d’esclaves y grouille également. C’est en termes incisifs que Sénèque dépeint la population cosmopolite de la capitale. La ville est surpeuplée, c’est un afflux d’aventuriers arrivant de tous les coins du vaste Empire, conduits par l’ambition des charges publiques, la soif des jouissances faciles, le désir d’y faire fortune. Je ne sais dans quelle catégorie le célèbre penseur païen aurait rangé les chrétiens. Mais ceux-ci se recrutent dans les bas quartiers, où logent des étrangers qui affluent de toutes les provinces.1 »

Les juifs formaient dans la ville un groupe particulièrement homogène et puissant; les fouilles ont mis à jour plusieurs synagogues et plusieurs cimetières existant au premier siècle.

5. Occasion et but🔗

Comme dans les autres lettres de l’apôtre, il s’agit ici encore d’une vraie lettre, et non d’un traité épistolaire. Son caractère exceptionnel est dû à la solennité et à la grandeur de la situation qui la fait dicter autant qu’aux sujets qui y seront traités. Jérusalem et Rome occupent toute sa pensée. juifs et païens, privés de la gloire de Dieu, ont besoin du Sauveur. Cette pensée ramène devant le regard brûlant de la foi l’image du Christ comme peut-être jamais auparavant. Paul revoit également sa propre expérience spirituelle et sa délivrance, lui, Hébreu d’Hébreux, pharisien de pharisiens, citoyen romain et enfant de Tarse, autre centre cosmopolite et prestigieux de culture…

Devenu cosmopolite, il doit se rendre à Rome. Là aussi, dans la synagogue juive, la loi devra renoncer à son exclusivisme et céder la place à l’Évangile rédempteur de la grâce souveraine, manifestée en Christ (ce qui s’était précisément produit dans sa propre expérience).

Il prend essentiellement le soin de se présenter aux lecteurs romains, aux membres d’une Église qu’il ne connaît pas. Parmi eux, il compte de nombreux amis. Il a entendu parler d’eux et de leur foi, de leur obéissance, de leurs divisions aussi, des difficultés qu’ils rencontrent sur le chemin de la foi, des tentations particulières qui sont les leurs. Il se pourrait aussi que ses lecteurs aient reçu de mauvais rapports à son sujet, au sujet de sa théologie et de ses missions. Il les informe qu’il ne restera pas trop longtemps parmi eux, il voudrait simplement faire de Rome le point de départ d’une nouvelle stratégie et d’une avance nouvelle vers la pointe extrême de l’Europe occidentale. Car en Orient son œuvre peut être considérée comme achevée. Il espère pourtant les fonder, les enraciner dans la plénitude de la bénédiction du Christ.

Il s’est donné aussi un autre but, plus ambitieux. Avec une vive imagination, il anticipe son arrivée à Rome. Il sait que, tôt ou tard, toutes choses convergent vers la capitale. Il y prévoit des influences négatives aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église, influences contre lesquelles il combat.

Mais les chrétiens sont ici en mesure de s’exhorter mutuellement (Rm 15.14). En tant que ministre du Christ, il ne cherche qu’à rappeler aux païens ce qu’ils ont déjà en partie reçu (Rm 15.15). Bien qu’il leur soit encore étranger et qu’eux soient en majorité d’origine païenne, il voudrait les faire bénéficier de son expérience d’apôtre des païens. Moins qu’une apologie personnelle ou qu’une apologétique polémique, sa lettre possède ainsi un caractère apostolique en mesure de répondre aux besoins spécifiques de ses lecteurs romains. Or, de la bouche et de la plume d’un apôtre, on ne pouvait s’attendre qu’à une parole d’Évangile. Toute l’épître aux Romains ne fait précisément que proclamer l’Évangile le plus pur.

« Paul va surtout exposer son Évangile, sa manière de présenter la bonne nouvelle du Christ. Dès sa conversion, il a aperçu avec une netteté exceptionnelle le rôle unique du Christ dans le salut. Appelé par vocation personnelle à l’apostolat auprès des païens, il a trouvé dans cette intuition première la règle de son attitude à l’égard de l’Écriture et des pratiques de la loi juive. Combattu par les juifs, contré dans son ministère même par des judéo-chrétiens, sa réflexion en a été aiguillée davantage vers le problème central du salut par la foi au Christ. L’épître aux Galates lui a permis déjà d’en exposer clairement la thèse, mais dans une atmosphère plutôt de polémique. Il y revient maintenant de façon plus sereine et davantage mûrie. C’est en étudiant sous cet angle que l’on voit l’épître aux Romains se rattacher de façon étroite au ministère apostolique de Paul. Ses destinataires en conditionnent assez peu le fond ou la forme. Ce n’est pas non plus une synthèse de théologie complète élaborée par Paul, au terme de vingt ans d’apostolat. Il trouve l’occasion bonne pour exposer largement un thème qu’il a longuement médité. Le salut de Dieu, apporté par la prédication de l’Évangile, aux juifs d’abord puis aux païens; le salut, force divine, nécessaire à tous et gratuit pour tous. »

6. Destinataires🔗

Tous ceux qui se trouvent à Rome, c’est-à-dire dans son Église, sont les destinataires de la lettre. Ils sont bien-aimés, appelés à être saints, à appartenir à Jésus-Christ. Il s’agit aussi bien des chrétiens d’origine juive que de ceux d’origine païenne. Nous notons cependant qu’un certain nombre de passages ont davantage trait aux chrétiens d’origine païenne (notamment les chapitres 9 à 11).

Certains à qui sont adressées des salutations portent des noms juifs, mais la majorité d’entre eux portent des noms d’origine païenne. Notons également que contrairement aux deux lettres aux Thessaloniciens, à celle aux Galates et aux Corinthiens, ces personnes ne sont pas appelées collectivement « l’Église ». Dans Romains 16.1-5, l’Église qui se trouve chez Priscille et Aquilas est soulignée. Il est fort probable qu’il existait plusieurs lieux de rencontre à Rome. Dans leur ensemble, les chrétiens romains sont un corps plutôt souple, dont la religion semble être encore celle de l’Ancien Testament et qui, en tant que chrétiens, cherchent à présent à adapter correctement à celui-ci leurs rapports cérémoniaux, moraux et spirituels.

7. Particularités : langue, style, forme littéraire🔗

« Rien d’étonnant à ce que l’épître, envoyée à Rome, soit écrite en grec. De larges couches de la population le parlent. La langue de Paul est ici celle d’un esprit formé par les bons usages, quoique sans prétention littéraire; toute l’épître est écrite sur un ton digne et évite les mots familiers. Le style peut être caractérisé ainsi : énergie et vivacité, maîtrise et flamme d’éloquence, langage rapide et incisif. On a l’impression d’avoir devant soi un lutteur qui a toujours les yeux fixés sur ses adversaires. De nombreux cas d’anacoluthes rappellent parfois que Paul dictait; plus souvent, ils sont la manifestation du tempérament de Paul, dont la pensée rapide est toujours en mouvement. La diatribe, méthode d’exposition doctrinale par mode de discussion, popularisée surtout par les stoïciens, est souvent présente ici. Il faut chercher dans les passages en question un procédé littéraire familier à Paul plutôt que des allusions à sa vie concrète. Ce fait pose le problème des dépendances de Paul à l’égard des concepts et des traditions du monde hellénistique, iranien et sémitique. Mais il sera toujours malaisé de déceler des composantes précises, car on est généralement devant des faits de culture devenus le bien commun de tout le Proche-Orient. En tout cas, le style est bien personnel. Tertius, son secrétaire, n’a dû influencer ni la langue ni la composition, contrairement aux conjectures d’une critique. Au cours du développement, la lettre présente une grande variété de formes littéraires; morceaux de style liturgique, discussion en style de diatribes, démonstration rabbinique fondée sur des textes scripturaires, passages hymniques. Ce qui domine en général, c’est l’exposé théologique du prédicateur, entremêlé de parenthèses et d’exhortation. On sent le style oral sémitique, balancé et rythmé à travers les phrases grecques de Paul. »

Luther écrit dans sa préface du commentaire consacré à l’épître :

« Cette épître est le livre capital du Nouveau Testament, le plus pur Évangile. Elle est digne non seulement d’être sue mot par mot par chaque chrétien, mais encore de devenir l’objet de sa méditation journalière, le pain quotidien de son âme. Plus on s’en occupe, plus elle devient précieuse.2 »

Si Luther fait un si grand cas de l’épître, c’est qu’il y avait découvert le message libérateur du salut par la foi. La Réforme est née de cette découverte.

Dans l’introduction de son commentaire à la lettre aux Romains, Frédéric Godet écrivait : « Il est probable que toute grande rénovation spirituelle dans l’Église se rattachera toujours, comme effet et comme cause, à une intelligence plus profonde de cet écrit… »

Si cette épître a exercé une telle influence sur l’histoire de la pensée chrétienne, la raison en est qu’elle nous offre l’exposé systématique le plus complet de l’Évangile. L’apôtre y aborde de front les grands mystères du péché et de la grâce, de la justification, de la sanctification et de la prédestination. Il faut reconnaître que l’épître aux Romains est difficile à comprendre. Cela tient autant à son sujet qu’à la dialectique hardie et parfois déconcertante de l’apôtre. Pour beaucoup de chrétiens, elle reste lettre close que l’on renonce à déchiffrer. Mais l’on se prive ainsi de l’intelligence profonde des vérités chrétiennes. « En raison de sa difficulté, l’épître a besoin plus qu’aucun autre écrit biblique d’être explicitée.3 »

Elle est la plus longue des lettres pauliniennes, ainsi que de tout le Nouveau Testament. Dans l’original grec, elle contient environ 7100 mots. Si on se rappelle que la plus longue lettre de Cicéron en contenait autour de 4500, on se rendra compte que rédiger une lettre aussi longue constituait une entreprise véritablement exceptionnelle pour l’époque. Le fait qu’elle soit placée avant les autres lettres de l’apôtre est précisément dû à sa longueur et n’a rien à voir avec la date de sa composition. La première aux Corinthiens contient 6800 mots, la seconde 4600, la lettre aux Galates 2300, celle aux Éphésiens 2400, aux Philippiens 1700, aux Colossiens 1760, la première aux Thessaloniciens 1550, la seconde aux Thessaloniciens 850.

En s’apprêtant à se rendre à Jérusalem, l’apôtre demande à ses lecteurs de prier pour lui, avant l’entreprise de ce voyage périlleux. On peut aussi lire entre les lignes qu’il leur demande de maintenir des liens étroits avec l’Église, plus ancienne, de Jérusalem qu’il a constamment devant ses yeux. Il ne veut pas rompre avec le nombril de la terre, le foyer d’où est parti le salut pour se répandre à travers le monde, car ce lien s’est développé tout au long de l’histoire du salut. Il espérait que ses compatriotes envieraient positivement les païens convertis au Dieu vivant et qu’ils se convertiraient eux aussi à Jésus leur Messie.

Toutefois, il tourne aussi son regard vers l’Occident. Non seulement les liens devront être maintenus avec Jérusalem, mais l’Évangile devra être proclamé dans le monde entier avant que Jérusalem ne soit jugée (Mt 24.14).

Il fait part à ses lecteurs de ses débats continuels avec les juifs et avec ceux qui propagent un enseignement incompatible avec l’Évangile de la grâce. Ainsi arme-t-il l’Église de Rome comme il l’a fait pour d’autres, d’origine païenne, à lutter pour la défense du pur Évangile et à ne pas succomber au milieu des juifs de la diaspora.

Il utilise ses armes en se servant d’une exégèse solide pour répondre à une Écriture dont le sens a été déformé4.

8. Message🔗

Nous renoncerons exceptionnellement à donner, même dans les grandes lignes, le message de la lettre aux Romains. Nous risquerions dans une introduction aussi limitée que la nôtre de l’appauvrir et d’aplatir ce qui, par essence, rejoint ou tend à rejoindre la hauteur, la profondeur et la largeur et toute la richesse de la grâce divine. En français, les commentaires de Frédéric Godet, peut-être trop techniques, et surtout celui de Jean Calvin, modèle de théologie évangélique et pastorale, rendront d’inappréciables services. L’analyse du contenu de la lettre permettra au lecteur de saisir l’essentiel de ce message. À celui qui souhaite effectuer une étude personnelle, nous suggérons de suivre le plan suivant et d’approfondir ainsi les thèmes tels qu’ils apparaissent dans la lettre.

  • Emploi et interprétation de l’Ancien Testament
  • Relation de l’épître avec l’enseignement du Christ
  • Besoins véritables du monde
  • Insuffisance de la loi à répondre à ce besoin
  • Nécessité d’une voie nouvelle de salut
  • Salut manifesté en Christ
  • Une justice nouvelle; la vie nouvelle en l’Esprit
  • Rapport avec Dieu; rapport avec Christ, rapport avec l’Esprit, rapport avec la société; rapport avec soi-même

Concluons ce paragraphe en soulignant avec Calvin l’immense valeur pratique de la lettre. « Elle ouvre la porte à tous les trésors de l’Écriture. »

Les trois parties du Catéchisme de Heidelberg (la misère, la rédemption et la reconnaissance) sont inspirées du contenu de la lettre de Paul aux Romains.

9. Analyse du contenu🔗

1. Introduction (1.1-17)

L’auteur se nomme Paul, serviteur du Christ (tous les hommes sont des serviteurs ou, ainsi que l’affirme l’original grec, des esclaves, soit de Christ soit de Satan); appelé à devenir ministre dans le service personnel du Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu incarné et ressuscité des morts.

Il adresse sa lettre aux membres de l’Église romaine qui sont :

  • appelés par le Christ hors du monde à devenir des héritiers du salut;
  • appelés à être saints, c’est-à-dire à vivre une vie de séparation par rapport au péché et de consécration à Dieu;
  • universellement connus pour leur foi ferme et pour laquelle Paul rend des actions de grâces;

Il désire ardemment faire personnellement leur connaissance afin de leur prêcher et de les encourager dans la foi.

Il conclut cette section d’introduction par une triple conviction missionnaire :

  • Nous sommes tenus à amener tous les hommes à l’Évangile.
  • L’Évangile est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit.
  • L’Évangile révèle la justice de Dieu reçue par la seule foi.

2. Le besoin universel de salut (1.18 à 3.21)

La pensée principale ici est que tous les hommes, sans distinction de race, de nation ou de couleur, sont pécheurs aux yeux de Dieu. Il n’y a personne qui ne commette de péché (2 Ch 6.36), tel est le jugement porté par la Bible. Paul développe sa pensée théologique dans cette ligne en démontrant que tous les hommes sont désespérément perdus et ne peuvent trouver leur salut que par l’Évangile de la justice divine. Tous les hommes ont besoin de celle-ci.

a. Les païens (1.18-32; 2.14-15)

Dans sa bonté, Dieu n’oublie pas le monde païen. Il leur a accordé :

  • la lumière de la nature ou de la création, que nous appelons la révélation générale;
  • la voix de la conscience.

Mais ils se sont montrés ingrats. Ils cherchent à vivre sans Dieu (Rm 1.28). Ils se refusent à écouter la voix de leur conscience. Aussi Dieu les a-t-il livrés à l’iniquité et à la déchéance. Les païens sont iniques et ont désespérément besoin de la justice qui est issue de Dieu et qu’ils obtiendront par la foi seule.

b. Les juifs, le peuple élu de Dieu, ont aussi besoin du salut (2.1-3 à 3.20).

Ils avaient été les bénéficiaires exclusifs des dons de Dieu. La Bible, la révélation spéciale de Dieu, leur avait été donnée, ainsi que le sacrement de l’Alliance de grâce, la circoncision. Mais ils se montrèrent ingrats envers lui. Ils commirent le péché de formalisme ritualiste (ils s’attachèrent à la simple observation des formes extérieures de leur religion) et celui de l’insincérité (ils ne pratiquèrent pas ce qu’ils prêchaient). Ainsi trahirent-ils leurs privilèges et ils devinrent propres-justes en s’imaginant qu’ils observaient la loi. Eux aussi, par conséquent, ont besoin de la justice de Dieu obtenue au moyen de la foi seule.

3. Nature de la justice par la foi (3.21-31)

Après avoir, textes bibliques à l’appui, démontré la culpabilité universelle de la race humaine et le besoin universel de justice, Paul décrit cette justice.

  • Elle est accordée par Dieu et elle est rendue possible par la mort expiatoire du Christ. Dieu couvre nos péchés par le sang du Christ. Sa justice est le don de sa grâce.
  • Elle peut s’obtenir par la foi en Christ. Cette condition s’applique à tous. Tous ceux qui croient obtiendront cette justice. Puisque la foi aussi est un don de la grâce, l’homme n’a aucune raison de se vanter au point de vue religieux.

4. Le fondement biblique de cette justice (4.1-25)

Dans 3.21, Paul déclare que la justice de la foi est enseignée dans la loi et les prophètes de l’Ancien Testament, ce qu’il démontre au chapitre 4. Il évoque l’exemple d’Abraham, la figure prééminente de toute l’histoire de l’Ancienne Alliance. Abraham a une telle importance dans l’histoire du salut que Dieu est appelé le Dieu d’Abraham. Le vieux patriarche ne fut pas justifié par ses œuvres, mais par sa foi en l’œuvre de Dieu. David aussi reconnaît ce fait dans le Psaume 32. Abraham est appelé le père des vrais croyants. Étant justifié, alors qu’il n’était pas encore circoncis, il devint le père de tous les païens convertis auxquels, pour commencer, il appartenait aussi. La circoncision vint par la suite, après son acte de foi. Par la circoncision, il devint à la fois le père ou l’ancêtre spirituel des juifs et leur ancêtre physique. Par conséquent, sa foi peut nous servir à nous tous de modèle. Par une telle foi, nous obtiendrons à notre tour la justice de Dieu.

5. Les effets bienheureux de cette justice (5.1 à 8.39)

Tous ces effets sont liés à Christ. Notez combien souvent le Christ est mentionné dans ces chapitres et de quelle manière toute cette section se termine par les mots : « Christ-Jésus est notre Seigneur ».

a. Les effets religieux (5.1-21)

  • La paix avec Dieu et les péchés pardonnés.
  • La joie dans l’espérance de la gloire, en dépit des tribulations, parce que les vertus chrétiennes y sont apparentes.
  • Le salut et la vie en Christ. La mort s’introduisit dans le monde par la faute d’Adam, mais la vie nouvelle fut infusée par le Christ (noter qu’à cinq reprises dans les versets 15-17 cette vie est considérée comme un don).

b. Les effets moraux (6 à 8)

  • Le principe du péché est tué, parce que :
    • nous sommes ressuscités à une nouvelle vie en Christ
    • nous ne sommes plus des serviteurs du péché, mais de la justice
  • Il nous est possible d’observer la loi de Dieu.
  • Les habitudes du péché demeurent, mais elles sont conquises par le Christ.
  • Nous pourrons vivre remplis de l’Esprit et conduits par lui.

En vertu du don de l’Esprit, nous avons été adoptés comme enfants de Dieu et sommes cohéritiers avec Jésus, le Fils de Dieu, depuis toute éternité (il n’est pas le fils adopté de Dieu!). Si nous prenons part à ses souffrances, nous participerons aussi à sa gloire. Rien ne nous sépare de l’amour du Dieu.

6. La justice de Dieu et le sort des juifs (9 à 11)

Paul aime ses compatriotes. Dans la présente section, il explique pourquoi une grande majorité d’entre eux sont perdus tandis que les païens trouvent le salut.

Leur présent rejet est justifié : Dieu n’agit pas de manière arbitraire lorsqu’il condamne les juifs. Après tout, ses promesses ont été faites non pas à Israël selon la chair, mais à ceux qui croient en sa Parole. En outre, Dieu est souverain. Il peut sauver ou rejeter qui il veut. Si cela vous paraît injuste, rappelez-vous qu’aucune créature n’a le droit de critiquer son Créateur. Mais il ajoute aussitôt : rappelez-vous aussi que le rejet des juifs a un objectif bénéfique, c’est-à-dire celui de donner et d’étendre le salut aux païens.

La cause réelle de leur rejet : C’est sur eux-mêmes que sera rejetée la responsabilité. Ils ont persisté dans leur incrédulité. Ils ont cherché à obtenir la justice en observant la loi de manière légaliste, se passant de la grâce divine. Or, aucun propre juste ne bénéficiera du salut.

Les limites de ce rejet : Il n’est pas définitif. Tous les juifs ne sont pas rejetés. En effet, plusieurs — parmi lesquels Paul en personne — bénéficiaient du salut par la seule grâce. D’autres aussi, au cours des âges, entreront dans le Royaume. Cette annonce devrait consoler les juifs chrétiens. Mais que les païens ne se vantent pas de leur actuel statut. Ils doivent rendre gloire à Dieu.

7. Cette justice conduit à mener une vie de juste (12.1 à 15.34)

Selon son habitude, après l’exposé magistral de la doctrine, Paul aborde la partie pratique ou morale de sa lettre. La doctrine de la justification par la foi seule sera appliquée dans la vie du disciple.

a. Justice envers Dieu, consécration et vie sainte (12.1-20)
b. Justice envers l’Église, service humble (12.3-21)
c. Justice envers l’État (13.1-7)
d. Justice envers la société, amour envers tous (13.8-10)
e. Justice par rapport au retour du Seigneur; vigilance (13.11-14)
f. Justice envers les faibles (13.11-14)

Les forts dans la foi devront faire preuve d’un esprit d’entraide mutuelle et de bonté envers les faibles dans la foi, et ces derniers ne devront pas juger durement les forts dans la foi. L’harmonie devra régner parmi tous. L’unité sera le fruit de cette justice de la foi.

8. Conclusion (15.14 à 16.27)

a. Affaires personnelles (15.14-33)
b. Salutations (16.1-23)
c. Doxologie (16.25-27)

10. Questions🔗

  1. Quelle est l’origine de l’Église de Rome?
  2. Peut-on connaître Dieu par la révélation naturelle? (1.18-25).
  3. Qu’advient-il à l’homme lorsqu’il abandonne la voie de Dieu? (2 et 3).
  4. En quel sens les juifs étaient-ils privilégiés?
  5. Quelle est l’attitude chrétienne vis-à-vis de la loi? (7.1-25).
  6. Comparer Adam à Christ d’après 5.12-19.
  7. Pourquoi Christ est-il appelé le Second Adam?
  8. Quelle est la fonction du gouvernement? (13.1-7).
  9. Expliquer les rapports entre forts et faibles dans la foi. (14.1-23)
  10. Tous les juifs, sans exception, seront-ils sauvés? (9 à 11).
  11. Que comprendre par la voix de la conscience?
  12. Évaluer l’ensemble de cette épître.

Notes

1. L. Cerfaux.

2. Cité par Gaston Deluz.

3. Gaston Deluz.

4. C. Vanderwaal, Search the Scriptures, vol. 8, Romans.