Cet article a pour sujet l'éthique chrétienne et réformée, fondée sur l'autorité de la Bible qui est la norme de la volonté de Dieu et qui révèle le lien entre la loi et la grâce, afin que nous vivions la vie nouvelle selon la morale biblique.

Source: L'Esprit de la loi - Éléments pour une éthique chrétienne et réformée. 10 pages.

Introduction à l'éthique chrétienne et réformée

  1. L’Église de Jésus-Christ écoute la Parole de Dieu
  2. La loi et la grâce
  3. Un style nouveau de vie
  4. Nous sommes au Seigneur

1. L’Église de Jésus-Christ écoute la Parole de Dieu🔗

L’Église de Jésus-Christ ne connaît d’autre révélation concernant son salut et sa conduite, sa mission dans le monde et sa destinée historique en dehors de celle accordée par Dieu, une fois pour toutes, dans la totalité de l’Écriture sainte, parole de grâce, à la fois Évangile et commandement. Toute autre voie pour atteindre la vérité et pour en vivre contrevient à celle-ci, norme claire, suffisante, définitive, autorisée de la volonté du Dieu trine, Sauveur et Seigneur de l’Église et du monde.

C’est à la fois une grâce infinie et une mission redoutable que de rendre témoignage à celui qui est Auteur de l’ordre créationnel, visible et invisible, et qui se présente à nous comme la lumière du monde et comme l’unique Sauveur de son peuple élu et racheté; c’est lui qui trace la voie parfaite de la vie éternelle, lui dont le Fils est devenu, « pour nous les hommes et pour notre salut », « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14.6). « Tout pouvoir m’a été donné dans les cieux et sur la terre », déclare le Fils éternel de Dieu (Mt 28.18). Universel, permanent et invincible, ce pouvoir absolu demeure à toutes les époques, pour tous les domaines de l’existence, parmi lesquels la vie morale, individuelle et communautaire en forme une partie essentielle.

Le corps du Christ reconnaîtra humblement cette suprême autorité et se soumettra joyeusement à son service. Ce sera là le service primordial que l’Église rendra à celui qui, assis à droite de Dieu le Père, a été désigné comme souverain Juge des vivants et des morts, dont la Parole, Évangile et commandement, nous assure la liberté authentique par rapport à toute forme d’aliénation religieuse.

L’Église réformée par l’Esprit et par la Parole cherchera à saisir toutes les implications de la sainte vocation que Dieu lui adresse aujourd’hui, après l’avoir purifiée de toute souillure et affranchie de toute servitude. La proclamation de l’Évangile et l’enseignement de ses vérités propositionnelles contenues dans l’Écriture sainte, la déclaration des grandes œuvres libératrices de Dieu sont le fondement sur lequel se déroule l’existence renouvelée, là où nous entendons la gracieuse vocation de lui appartenir et de conduire notre existence selon le régime en vigueur dans son ordre nouveau. Corps et âme, avec toute notre force et de toute notre pensée, nous sommes appelés à nous conformer à la volonté clairement exprimée de notre Dieu.

La Réforme du 16siècle fut autre chose que la simple formation de nouvelles dénominations ecclésiastiques. Ainsi que le rappelle opportunément R. Mehl :

« Les Églises de la Réforme sont nées d’un mouvement théologique, dont les inspirateurs et les chefs étaient des docteurs de l’Église. Contrairement à une opinion fort répandue et qui encombre, bien inutilement, la plupart des manuels scolaires, la Réforme n’a pas été un simple mouvement de protestation contre certains abus ecclésiastiques, lesquels étaient d’ailleurs dénoncés depuis longtemps. Par-delà ces abus, les réformateurs visaient une réévaluation de la doctrine chrétienne. Leur intention était fondamentalement théologique. […] La floraison des textes doctrinaux qui servirent de base aux Églises de la Réforme est d’ailleurs également un fait symptomatique. […] La multitude de ces documents est l’aboutissement d’un travail intense des réformateurs ayant eu le sentiment qu’ils ne trouvaient qu’un faible appui dans la littérature théologique contemporaine ou dans celle des siècles de scolastique. C’est dire que l’intention théologique de la Réforme est manifeste et que la doctrine devait jouer un rôle décisif aussi bien dans l’édification de nouvelles communautés que dans les âpres discussions confessionnelles qui allaient en suivre.1 »

La Réforme chercha à conformer fidèlement l’existence du croyant aux saintes Écritures et à appliquer ses directives dans toutes les sphères des activités humaines, aussi bien ecclésiales que culturelles, sociales que théologiques, politiques que scientifiques. Nourrie et éclairée par la Bible, la foi devenait une « conception globale de la vie et du monde ». Cela explique le motif réformé majeur « À Dieu seul la gloire », qui est interprété et mis en application par l’autre formule célèbre : « Par la foi seule vivre devant la face de Dieu » (sola fide coram Deo vivere).

Que la Réforme se soit préoccupée de Dieu et de sa relation avec l’homme, refusant toute spéculation et tout terrain hors de la révélation reçue, nous n’avons pas à le prouver. Ainsi le nom de Dieu n’a pas été retenu au service d’une spéculation relative à un être suprême inaccessible parce qu’inconnu. Il n’est donc pas correct d’estimer que chaque nouvelle formation théologique et ecclésiastique au 16siècle s’octroyait la liberté d’opter entre tel ou tel article de la foi pour le tenir comme « majeur », par rapport à d’autres articles qu’elle tiendrait pour « secondaire ». Il n’est pas permis, sous aucun prétexte, de fragmenter la vérité évangélique, comme s’il eût été possible de souligner dans tel aspect indépendant la justification par la foi, ou la sanctification, ou les sacrements dans tel autre. Une telle approche partiale et fracturée de la véritable universalité de la foi redéfinie par nos pères spirituels sera le propre d’une secte, non celle d’une Église régénérée par l’Esprit et instruite par la Parole.

La Réforme ne fut donc pas la poursuite obsédée de la liberté en soi, le fameux « libre examen » du libéralisme protestant, dans le domaine des idées et de la conduite, sans tenir compte de la norme révélée d’en haut et établie pour la conduite concrète; elle n’est donc pas responsable de l’interprétation romantique, éminemment subjective et hautement humaniste de la foi qu’on lui prête. Bien au contraire, elle s’engagea dans un combat passionné, saint et sincère en faveur de la vérité tout entière, une et indivisible. Toute autre interprétation qui en réduit le caractère décisif en déforme la réalité, pervertit la nature profonde de la vérité, ce qui revient à trahir l’Évangile du Dieu souverain et Sauveur. La « vérité » ne se trouve pas quelque part sur une voie « moyenne » dont on chercherait à découvrir le « juste milieu ». Une telle conception donne inévitablement naissance à des groupes qui s’arrogeront le droit de la posséder en apanage et de parler en porte-parole officiels, autorisés et exclusifs de la vérité. C’est là une dialectique dangereuse, voire une schizophrénie intellectuelle qui, au lieu de dépasser des barrières pour accéder à la vérité, ne fait qu’en briser l’unité.

Dans une perspective réformée qui se voudrait fidèlement biblique, la reconnaissance et la confession de la présence universelle du Dieu souverain se fondent sur la déclaration biblique initiale : « Au commencement Dieu. »

C’est à la lumière de cette révélation des origines que nous chercherons la vérité afin d’en comprendre la nature et d’être en mesure aussi bien d’en vivre que de l’appliquer. Une perspective biblique qui affirme la souveraineté de Dieu reconnaîtra la valeur égale de tous les articles de la foi chrétienne. La question essentielle est alors : Qu’est-ce qui est fondamental pour la foi, la conduite et l’action chrétiennes? La réponse est que Dieu se révèle tel qu’il a décidé, de manière claire, suffisante et nécessaire; la Bible en reste le procès-verbal véridique et autorisé; sans les lunettes de celle-ci, nous ne connaîtrions ni le monde qui nous entoure ni celui qui en est l’Auteur, même pas notre propre moi.

La révélation nous déclare ce que Dieu est pour nous et ce qu’il attend de nous. Dieu n’est pas un principe de vie impersonnel ni une pâle figure morale. Il n’est pas un être limité dans son « amour » et dans sa tentative de s’opposer à l’opiniâtre rébellion et à l’apostasie de ses créatures. Il s’est fait connaître comme une personne, en tant que l’être en soi (Ex 3.14). Il entretient des rapports personnels dans une alliance, d’abord avant la chute, celle des œuvres, ensuite dans l’Alliance de grâce, avec son peuple élu et libéré. Sa Parole de grâce qui donne la vie, le mouvement et l’être est la même qui régira et contrôlera notre conduite, et qui réclame de notre part une soumission loyale. Transcendant et immanent, Dieu ne se révèle jamais de façon abstraite, irrationnelle, à la manière des religions dites spirituelles les plus élevées! Il est la cause première de tout.

Comme corollaire à cette révélation de sa personne, il ne fait pas de nous un simple effet, mais des êtres responsables, appelés à lui rendre compte. Rien donc ni dans la pensée ni dans l’imagination, ni théoriquement ni pratiquement, ne saurait se substituer à lui.

Cette autorité de la Parole est-elle reconnue et confessée dans l’Église? Ici et là, cela ne semble pas être le cas. Un certain discours théologique usurpe à son profit et pour son propre intérêt la suprématie qui appartient à Dieu. Panthéisme, humanisme athée, athéisme renaissant virulent, subjectivisme obsessionnel sont devenus actuellement les éléments d’une certaine théologie qu’il faudra qualifier de « trans-chrétienne », de « méta-évangélique » et évidemment, ou tout naturellement, « d’anti-éthique »! Ses critères, dans sa façon de penser et de parler, sont à l’opposé de ce que propose la révélation biblique.

Dans la situation présente, il est urgent de revenir à la fidèle soumission de toute notre pensée chrétienne, de tout discours, de toute action, à cette suprême révélation. Celui qui nous a créés à son image, qui nous a affranchis du péché, de l’angoisse de la mort et du pouvoir de l’Adversaire, nous donne sa grâce en se donnant à nous en son Fils éternel. Il nous fait don de ses commandements, qui sont sages, bons et parfaits. Il attend de notre part la confession de nos péchés, le repentir de nos fautes et aussi cette conversion qui nous fait vivre désormais dans la certitude joyeuse de la réconciliation opérée et du pardon accordé.

Pour entreprendre une telle tâche, nous estimons qu’il est nécessaire de rappeler les grandes lignes de la théologie réformée, celle dont Jean Calvin reste le génial initiateur. Il est nécessaire alors de déblayer le terrain et de bien distinguer l’interprétation calvinienne d’autres théologies protestantes, ou d’autres interprétations de la loi, pour pouvoir convenablement examiner le rapport entre la loi et la morale biblique. Ce n’est qu’en ayant effectué au préalable une telle clarification que nous pourrons mieux nous exhorter mutuellement par un authentique ministère parénétique et connaître les fondements et la source de l’éthique chrétienne et réformée.

2. La loi et la grâce🔗

L’alternative d’une éthique légaliste n’est certainement pas l’éthique situationniste et toute relativiste moderne. L’alternative de ces deux déformations est une éthique théologique qui se fonde en la grâce divine, en l’Évangile qui transcende la loi, mais qui la transforme aussi par la grâce.

Cette éthique-là est celle qui fut illustrée parfaitement dans la vie, la mort et la résurrection du Christ. Elle est donc différente d’une morale rigidement codifiée d’une part, des conventions anarchistes et laxistes modernes d’autre part. Tandis que la morale ordinaire nous incite à concéder à des revendications rivales les unes aux autres, l’éthique de la grâce, soutenue par la loi gracieuse, recherche le bien du prochain et exalte la gloire de Dieu. Par conséquent, la morale chrétienne n’est nullement le développement d’une morale qui dériverait d’une morale naturelle, comme s’il peut exister dans ce domaine également une révélation générale, acceptable comme un palliatif et comme justification. Certes, la grâce n’oblitère nullement la loi, mais elle la pose sur un fondement nouveau. Car il s’agit de la loi biblique entendue en tant que commandement divin, et dès lors comme promesse. C’est ainsi, car la grâce et la loi sont intimement unies, de sorte que la Parole de Dieu retentit à nos oreilles comme la promesse et le don de puissance en vue de notre obéissance.

La loi n’est plus le pédagogue contraignant, voire sévère et cruel, pour arracher à nos volontés rebelles et obtuses une obéissance sous contrainte. C’est une parole de grâce et d’espérance. Elle affirme et elle ratifie l’Esprit de vie. C’est pour cela que nous dénoncerons l’idée selon laquelle le commandement divin n’aurait aucun contenu concret. Et c’est la raison pour laquelle l’éthique biblique ira sans cesse à contre-courant des idées moralistes ou relativistes populaires. Elle s’y opposera sans confirmer ou donner main-forte à une sagesse culturelle, sans se lancer, en même temps qu’une morale humaniste, sur la voie du monde. Car le grand Tertullien le disait bien par sa célèbre question : « Qu’est-ce qu’Athènes a de commun avec Jérusalem et l’Académie avec le Temple? » Car la force de la loi en tant que fondement de l’éthique chrétienne puise en le divin Législateur à qui elle est aussi liée. C’est une grâce insigne que de vivre la loi par l’Esprit qui la vivifie et nous rend capables de la respecter comme un don de reconnaissance.

L’avertissement s’impose; il nous faut prendre garde de ne pas tomber ni sur la Charybde du légalisme ni sur la Scylla de l’antinomisme.

Or, la grâce de Dieu, manifestée pleinement en Jésus-Christ, disparaîtrait irrémédiablement si elle venait à se dissocier de la loi de Dieu.

L’œuvre rédemptrice du Fils de Dieu, et plus précisément sa mort expiatoire, atteste pleinement le caractère absolu de la loi. Cette œuvre rédemptrice n’a pas mis fin à la fonction de la loi, elle l’a plutôt rétablie, ainsi que l’affirme saint Paul : Nous sommes sauvés « pour que la justice prescrite par la loi soit accomplie en nous » (Rm 8.4). L’intention des origines demeure toujours dans la nouvelle dispensation. Si le salut est obtenu par la grâce, au moyen de la foi, la sanctification, elle, est assistée au moyen de la loi. Lorsque les chrétiens en abandonnent la pratique et s’y refusent, la conséquence est que la sainteté de la vie ne concernera que des domaines restreints, individuels et privés seulement de l’existence. La sanctification commence d’abord dans le cœur du chrétien, mais elle ne se limitera pas à la seule vie individuelle. Celui qui cherche à « sanctifier » son existence voudra aussi sanctifier son foyer, l’éducation de ses enfants, la culture et la société, la science comme l’art. Il cherchera à interpréter sa mission d’homme créé à l’image de Dieu et racheté par le Christ, avec l’aide de toute la Parole de Dieu qui est d’un bout à l’autre Évangile, mais également commandement précis. Il cherchera à placer la totalité de l’ordre créé sous la seule seigneurie de Jésus-Christ, non seulement sa vie individuelle et privée, mais également sa vie ecclésiale et sociale.

Selon Zacharie 14.20-21, la sainteté n’est pas le privilège de l’homme seul, elle affecte jusqu’aux « clochettes » que portent les chevaux! L’idée exprimée dans ce texte est celle de la consécration totale et universelle de toute créature à Dieu. Or, nous pensons, à la suite du message biblique et de toute la théologie réformée, que la loi de Dieu exige l’obéissance de la part de tous les hommes, dans toutes leurs structures et institutions. Nous sommes également persuadés qu’aucune réforme, soit celle de nos vies personnelles, soit celle de nos Églises, ne sera effective si nous nous cantonnons dans des activités spirituelles, même frénétiquement menées, ou en des renouveaux dits « charismatiques », avec ses explosions psychiques, ou bien en organisant des campagnes d’évangélisation telles qu’on les pratique couramment, sans prendre au sérieux toutes les exigences du commandement divin.

Dieu ne répond pas à des prières qui ne sont pas conformes à sa volonté expressément exprimée. Nos réunions de prières, multiples et hebdomadaires, seront inutiles si nous n’apprenons pas cette leçon élémentaire (voir Dt 28.8-9). Une vie spirituelle, piétiste, qui se tourne entièrement vers l’intérieur de l’homme et qui, dans un paroxysme mystique, se substituerait au Dieu révélé dans sa Parole en tant que Législateur et Auteur de toute grâce, serait la pire forme des oppositions à la grâce de Dieu, et cela d’autant plus dangereusement qu’elle s’imaginera être baptisée biblique! Les chrétiens qui ne tiennent pas compte de leur privilège et de leur devoir envers la loi pour obéir au commandement ne pourront amener captive à l’obéissance du Christ aucune pensée, en dépit de leurs bonnes intentions et de leurs ferventes oraisons.

3. Un style nouveau de vie🔗

La théologie et la morale sont étroitement associées. Aussi, l’anomie (être sans la loi) et l’antinomie (s’opposer à la loi) qui se manifestent au sein d’Églises modernes, toutes confessions confondues, illustrent négativement cette association, et il n’est pas impensable de conclure que les ravages ainsi causés mettent en péril l’existence de l’Église.

La société moderne est inspirée par le principe et la pratique hédonistes du maximum de plaisir pour un minimum d’effort, ainsi glissant vers la lâcheté sans retenue. Le chrétien qui parle de morale biblique ne prône pas un retour en arrière vers une ère révolue, pour maintenir un statu quo ante, celle d’un conservatisme figé. L’obéissance à la Parole n’est pas fonction de « temps » ou » d’époques » en soi. Nous ne défendrons donc pas une certaine morale-alibi, hypocrite même, face à la liberté des mœurs actuelles. L’essentiel consiste à écouter encore aujourd’hui, et pour les besoins de notre époque, la même Parole de Dieu. Cependant, il est aberrant que des chrétiens saluent la morale dite nouvelle comme étant le glorieux affranchissement des tabous anciens, le salut inespéré qui émancipe l’homme parvenu à l’âge adulte et qui se déclare autonome. Si un certain moralisme étriqué de jadis s’est beaucoup trop occupé de vétilles, en revanche la nouvelle morale, elle, a choisi, avec l’abandon sans recours de tout principe biblique, le dévergondage sans limites.

Ces attitudes, comportements, pensées, paroles et actes compromettent aussi bien notre vocation à la sanctification, sans laquelle nul ne verra Dieu, qu’ils portent atteinte à l’honneur du Dieu trois fois saint.

Il n’est pas conforme à la volonté de Dieu de faire entendre dans son Église une parole, une idéologie, un discours qui ne témoignent de la Parole. Il n’est pas conforme à sa Parole que seul l’amour, sans ossature morale et dénué de tout principe régulateur, doit présider la conduite du chrétien. Il n’est pas exact que « rien n’est mauvais en soi ». Il n’est pas vrai que le chrétien doit se comporter comme bon lui semble. Il est tout contraire à la volonté de Dieu de céder aux désirs et aux passions que l’Écriture qualifie de chair, c’est-à-dire de la nature du péché. Dieu nous ordonne de combattre toute convoitise qui corrompt notre personne, désagrège la vie communautaire et déshonore son nom.

Dresser l’amour contre la loi, alors qu’ils sont complémentaires comme les deux faces du même commandement, c’est choisir l’anarchie. Or, Dieu est un Dieu d’ordre. Ce serait livrer l’homme à l’escalade de la violence, le précipiter dans une course au suicide et le livrer mains et pieds liés à sa propre mort. L’amour s’exprimera dans le cadre de la loi. La loi sera pratiquée comme le commandement même d’aimer. L’amour nous préserve certes des pièges du légalisme, mais la loi, elle, protège l’amour des risques d’une prostitution qui aime ce qui est précisément interdit d’aimer.

Ainsi, c’est avec une profonde tristesse que nous prendrons connaissance de la manière dont des communautés locales, des membres d’Églises, des conducteurs spirituels, des instances ecclésiastiques ignorent, rejettent ou bafouent ouvertement les normes bibliques de la conduite morale. Le divorce, l’adultère, les relations extra-conjugales, la prostitution, l’homosexualité, l’avortement, etc., sont traités avec une désinvolture choquante. Sous peine d’encourir le jugement de Dieu, nous ne saurions garder le silence. Des rapports sur la question, présentés et adoptés presque invariablement à l’unanimité, donnent la plus affligeante et la plus humiliante illustration d’un glissement théologico-moral qui pousse l’Église au bord du précipice de l’anarchie morale.

Il est ahurissant que des rapports ecclésiastiques ou synodaux consacrés à l’éthique sexuelle et familiale, par exemple, n’aient pas conservé la moindre trace d’une éthique réformée, tout au contraire rendant claire leur option, voire leurs obsessions pour des positions sexuelles ouvertement laxistes, allant dans le sens du courant de l’immoralité, le courant de l’histoire, dit-on à présent. Serait-ce trop d’attendre que des sessions synodales, qui, en principe, sont placées sous l’invocation du Saint-Esprit et où on lit la déclaration de foi d’Églises réformées, donnent des signes de plus de consistance biblique? Serait-ce trop d’attendre qu’un Synode, qui se place sous la direction de l’Esprit et déclare écouter la Parole, reprenne courageusement à son compte le texte de Deutéronome 28.27, aux vigoureuses imprécations contre les déviations morales et religieuses?

Nous avons le devoir de signaler le grave hiatus entre la théologie biblique et la morale dite nouvelle. La licence et le laxisme de celle-ci sont les conséquences inévitables, empoisonnées de la théologie sécularisée. Si la théologie a cessé d’être un discours sur Dieu, ce qu’elle doit invariablement être, si elle a cessé de se référer à l’Écriture, du même coup elle renversera ou sapera les fondements de la morale biblique. Le concept théologique d’un Dieu dépersonnalisé ne peut engendrer qu’un homme déshumanisé. À partir de l’homme déshumanisé, créé par un dieu dépersonnalisé, cette théologie offre un automate à l’image et à la ressemblance de son fabricant, c’est-à-dire le robot dépourvu de sens moral qu’est l’homme moderne, lequel se prétend « adulte ». Celui-ci, père de sa nouvelle idole, s’offre un dieu qui n’est ni Créateur, ni Père, ni Rédempteur, et bien entendu point Législateur. Cela amène inévitablement à la répudiation de toutes les valeurs chrétiennes, de toute norme de conduite et de tout commandement divin. Grâce à son herméneutique (science et méthode d’interprétation) qui parle pour elle-même tel un ventriloque, la théologie moderne prête sa voix à ses chimères privées de vie en cherchant à concilier ce qui est irréconciliable. Ayant répudié à la fois le Dieu Créateur et le Dieu Rédempteur de la croix, elle s’en est prise aussi à la morale, dont la source se trouve également en la révélation du Dieu Créateur et l’Auteur de notre rédemption. Certainement, elle est l’une des manifestations la mieux dissimulée, mais aussi la plus dangereuse de l’esprit de l’Antichrist.

Le chrétien à l’écoute de la Parole refusera de se laisser immuniser au scandale théologique ainsi qu’aux scandales moraux ouvertement pratiqués. Il refusera d’appeler bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien. Il refusera d’admettre que les péchés sexuels ne puissent faire l’objet d’une définition biblique ni être sanctionnés d’après les critères bibliques et l’esprit d’une saine éthique réformée. Il refusera d’admettre que le consentement pur et simple entre partenaires suffit comme critère et qu’il soit l’unique norme pour la conscience individuelle.

Or, le bien et le mal ne sont pas des options également envisageables. La Parole de Dieu nous invite à choisir le bien et à refuser le mal, la vie contre la mort. L’individu, nous ne le disons jamais assez, ne constitue pas sa propre loi, il n’est pas autonome par rapport aux commandements de Dieu; pas un seul iota de la loi ne disparaîtra quand même les cieux et la terre viendraient à disparaître.

Allant jusqu’au bout de sa logique théologique, l’éthique réformée affirme qu’il n’existe même pas des « adiaphora », c’est-à-dire des choses indifférentes dans la vie chrétienne, car tout y a son importance pour la sanctification. Plus simplement, il existe des choses considérées comme moyennes, mais la moindre trace de laxisme et de permissivité n’y a pas droit d’asile. Dans l’anarchie et la dissolution des mœurs, l’Église chrétienne est appelée à rester le témoin de Dieu. Or, une grande partie de cette Église ne sait plus ce qu’elle veut, ou ce que Dieu veut d’elle. Elle ne sait assurément plus ce qu’est la conversion personnelle au Seigneur et au Sauveur de la vie, et par conséquent ce qu’est le fondement de l’éthique chrétienne. Si le chrétien est un pécheur gracié et racheté, il reste néanmoins un pécheur, qui doit constamment être exhorté à abandonner et à fuir l’ancienne manière de vivre. La vérité chrétienne ne peut être saisie que si elle est aussi pratiquée (2 Tm 2.19). Autrement, elle serait une utopie invraisemblable. La morale ne lui est pas surajoutée comme un appendice dont on pourrait se dispenser, mais comme une partie intégrante.

L’Église du Nouveau Testament, comme celle de la Réforme, est exhortée à une vie morale exemplaire. À notre époque de sécularisation (rejet du christianisme) et d’anarchie morale, la même parénèse (exhortation-consolation) nous est adressée et la même grâce nous est faite, celle de vivre d’après les normes d’une éthique biblique. Pas un seul domaine n’échappera au contrôle divin pouvant se réclamer d’une quelconque neutralité par rapport à Dieu. Son Esprit et sa Parole sont les sources de l’unique vérité qui sauve. Le Christ a non seulement offert sa vie pour le pardon des offenses, mais encore en vue de notre totale régénération, en vue de la confession et déclaration publique de sa seigneurie universelle et pour nous sanctifier totalement.

Appelé par son Dieu, Seigneur et Sauveur, le chrétien l’est pour une vie totale de sanctification. À cette fin, l’Église, par le moyen de son ministère de proclamation, de prédication et d’enseignement inculquera à ses membres tous les principes d’une vie de piété qui soit agréable à Dieu. L’antithèse radicale entre le peuple racheté de Dieu et le monde irrégénéré ne saurait être escamotée. Comme Israël dans l’Ancien Testament, l’Église est appelée à vivre séparée du monde pour se consacrer exclusivement au service de Dieu (Rm 12.1-2; Tt 2.11-15; 1 Jn 3.7-10). Elle veillera à ce que le respect de la loi, conçue et ordonnée par une obéissance fidèle, soit la règle de sa conduite.

Or, l’esprit prétendu de liberté chrétienne, sous divers prétextes, mais de manière systématique (à vrai dire l’unique système admis à présent!) a tourné à un libertinage sans bornes. Sous le couvert d’une « glorieuse liberté des enfants de Dieu », on excuse et on justifie ses péchés les plus grossiers, on s’en vante même.

Quant à nous, nous tenons pour sûr l’avertissement apostolique contre cette déformation ou perversion de la glorieuse liberté des enfants de Dieu (Ga 5.13). Libérés par le Christ, nous le sommes en vue du service et de l’édification mutuelle. Tout fidèle qui délibérément se placerait sous la domination du péché, quel qu’il soit, sera exhorté et invité à la repentance; parfois, il sera nécessaire de le soumettre à une discipline ecclésiastique, puisque l’Église a reçu le pouvoir des clés (Mt 18.15-18). La prédication, la catéchèse, les soins pastoraux avertiront sans cesse contre toute tentation et, d’une manière plus spécifique, contre certains péchés plus fréquents, que curieusement l’Église ou certains chrétiens de notre époque ne considèrent plus comme tels. Pourtant, ils sont mentionnés spécialement par l’Écriture parce qu’ils profanent le saint nom de Dieu et qu’ils provoquent sa colère.

Certes, nous resterons très attentifs au dixième commandement, le plus troublant d’entre tous, qui, d’une manière pénétrante, fait irruption dans les recoins les plus éloignés de notre esprit. Il nous met en garde contre les apparences et les faux semblants. Il balaie les cendres de notre justice, nous met à nu sous le regard scrutateur de Dieu, en dévoilant les pensées les plus secrètes et les désirs les mieux dissimulés, pour révéler toute l’étendue du pouvoir dévastateur du péché. Pour conclure le Décalogue, Dieu nous adresse une parole dont l’exigence profonde et totale nous laisse complètement désarmés, en dépit même de notre « morale », qui parfois nous engage à si peu de choses. Or, nous sommes incurablement pervers, et le faisceau lumineux du projecteur divin éclaire les derniers recoins de nos sentiments. La convoitise, qui y est interdite, est le vice que nous dissimulons le mieux, mais que Dieu atteint et explore pour mieux confronter avec le test définitif et sans appel de sa loi.

Reconnaissons-le, notre manière d’établir une certaine hiérarchie dans les degrés des péchés peut devenir dissimulation spirituelle et légalisme pharisaïque.

Nous aurons à nous opposer, à combattre sans relâche, à nous engager dans une guerre totale et sans répit, contre toutes les « survivances » du mal qui nous rappellent l’ancien régime, celui d’avant le Christ, d’avant la croix et la résurrection. Ces survivances (fortes et apparemment non biodégradables!) opèrent dans tous les domaines de l’existence : social, culturel, politique, économique, écologique, ainsi qu’en chaque individu. Les maux sociaux, contre lesquels s’élèvent avec violence certains chrétiens contemporains, ne nous laissent pas indifférents. Toutefois, dans la présente introduction, ce ne sont pas des maux sociaux en soi que nous dénoncerons, mais nous tiendrons compte du mal dans notre vie personnelle, de ce mal inhérent au cœur pécheur, d’où sort le mal, tout mal, ce cœur si pervers que, selon l’admirable expression de Jérémie, nul ne connaît, si ce n’est Dieu. Nous ne nous élèverons pas en censeurs pour nous en prendre à des détails, mais seulement dans le souci d’attirer l’attention sur les notions théologiques fallacieuses servant de prétexte et de justification à la pratique régulière et éhontée d’une certaine immoralité, aussi bien individuelle que collective.

4. Nous sommes au Seigneur🔗

Concluons ces notes préliminaires par la célèbre page de l’Institution de la religion chrétienne de Calvin, chrétien, pasteur, théologien et réformateur de l’Église. Il nous fait entendre et saisir le message de Dieu dans toute sa simplicité, mais aussi dans la totalité de ses exigences.

« … Que l’office des fidèles est d’offrir leurs corps à Dieu en hostie vivante, sainte et agréable, et qu’en cela gît le service légitime que nous avons à lui rendre (Rm 12.1-2). De là s’ensuit cette exhortation : que les fidèles ne s’accommodent point à la figure de ce siècle, mais soient transformés d’une rénovation d’entendement, pour chercher et connaître la volonté de Dieu. C’est déjà un grand point de dire que nous sommes consacrés et dédiés à Dieu, pour ne plus rien penser dorénavant, parler, méditer ni faire, sinon à sa gloire; car il n’est licite d’appliquer chose sacrée à usage profane.
Or, si nous ne sommes point nôtres, mais appartenons au Seigneur, de là on peut voir ce que nous avons à faire de peur d’errer, et où nous avons à adresser toutes parties de notre vie. Nous ne sommes point nôtres : Que donc notre raison et volonté ne dominent point en nos conseils et en ce que nous avons à faire. Nous ne sommes point nôtres; ne nous établissons donc point cette fin de chercher ce qui nous est expédient selon la chair. Nous ne sommes point nôtres : Oublions-nous donc nous-mêmes tant qu’il sera possible, et tout ce qui est alentour de nous. Au contraire, nous sommes au Seigneur : Que sa volonté donc et sa sagesse président en toutes nos actions. Nous sommes au Seigneur : Que toutes les parties de notre vie soient référées à lui, comme à leur fin unique. Ô combien a profité l’homme qui, se connaissant n’être pas sien, a ôté la seigneurie et le régime de soi-même à sa propre raison, pour les résigner à Dieu! Car, comme c’est la pire peste qu’aient les hommes pour se perdre et ruiner, que de complaire à eux-mêmes, aussi le port unique du salut est de n’être point sage en soi-même, ne vouloir rien de soi, mais suivre seulement le Seigneur (Rm 14.8).2 »

Notes

1. R. Mehl, La théologie protestante, P.U.F., 1983, p. 5-6.

2. Jean Calvin, Institution chrétienne, III.7.1.