Cet article a pour sujet Irénée de Lyon (130-200). Il a combattu le gnosticisme et le docétisme qui s'opposaient à l'incarnation et il a enseigné que Jésus a uni la nature humaine à sa nature divine pour sauver l'homme perdu.

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Irénée de Lyon Vers 130 – 200

« Et ce péché auquel le bois avait donné naissance a été effacé par le bois de l’obéissance, sur lequel a été cloué le Fils de l’homme, obéissant à Dieu. »

Irénée, Démonstrations de la prédication apostolique, 4

Dans la ville de Lyon, en France, se trouvent les restes d’un amphithéâtre romain qui a été le site de la mort de plus de quarante chrétiens en l’an 177 apr. J.-C. La servante Blandine est la plus célèbre des martyrs torturés à cette occasion. Irénée, un ancien qui était absent, a échappé à ce bain de sang approuvé par l’empereur Marc-Aurèle (161-180). Celui qui allait bientôt devenir évêque de Lyon était alors à Rome en mission de paix, « se montrant digne de son nom » (c’est-à-dire « irénique »). Souverainement exempté de l’arène des martyrs, Irénée a survécu pour devenir le principal théologien du deuxième siècle. Irénée cataloguait les hérésies et s’y opposait. Il est le premier hérésiologue dont le travail nous soit parvenu. Irénée ouvre une fenêtre sur la théologie biblique du siècle subséquent aux apôtres.

Dans sa lutte contre les gnostiques, Irénée a écrit un livre en cinq tomes contre ces hérétiques, qui existe toujours aujourd’hui. Les émanations gnostiques décrites dans les chapitres de ce livre sont remarquables. Ce livre s’oppose de manière tranchante à la « connaissance faussement appelée gnose » et à sa christologie aberrante qui réduit le christianisme à ne prêcher que l’apparence d’un Sauveur.

Les gnostiques croyaient que le Fils de Dieu avait pris chair humaine en apparence seulement, qu’il avait seulement « semblé » prendre chair humaine. Ils ont donc souvent été appelés docètes et leur christologie s’est appelée le docétisme [du verbe grec « dokein » qui signifie « paraître » ou « sembler »]. L’antithèse gnostique radicale entre le monde de la chair (visible, qui relève du domaine matériel) et le monde de l’esprit (invisible, qui relève du domaine immatériel) rendait impensable l’incarnation du Fils de Dieu. Par conséquent, pour le gnosticisme, l’humanité de Jésus de Nazareth ne l’était qu’en apparence. La réalité était un monde spirituel nettement séparé, n’ayant aucun rapport concret avec la nature humaine. L’incarnation était une chimère, un feu follet, un fantasme, une illusion.

Irénée a répondu en défendant vigoureusement le salut de l’homme tout entier — corps et âme — par « l’homme venu du ciel », qui a véritablement uni la nature humaine à sa nature divine pour pouvoir racheter l’homme perdu. Irénée a rétorqué à ses opposants en défendant le fait que le Fils de Dieu n’a pas « semblé » devenir chair (Jn 1.14). Il n’a pas simplement « semblé » se faire homme. Le Fils de Dieu a assumé la véritable nature humaine dans le sein de la vierge Marie et il l’a fait pour notre salut. Pour Irénée, la christologie et la doctrine du salut sont fondées sur l’incarnation.

La théologie gnostique qui s’opposait à l’incarnation n’était pas la seule erreur menaçant l’Église à l’époque d’Irénée. Marcion (vers 140-150 après J.-C.) et ses disciples troublaient également le Royaume visible de Dieu. Marcion croyait que Dieu le dirigeait à rééditer la Bible de manière à la rendre plus acceptable aux yeux de ceux qui se « développaient » (qui étaient en « croissance ») en deçà du judaïsme et du christianisme apostolique. Actif à Rome vers 145 après J.-C., Marcion a éliminé l’Ancien Testament des Écritures inspirées (le Dieu « juif » de l’Ancien Testament étant prétendument cruel et vicieux) et en a limité le canon aux écrits du Nouveau Testament. Toutefois, même les vingt-sept livres du Nouveau Testament n’étaient pas suffisamment à son goût. Marcion a donc éliminé les parties qu’il jugeait offensantes. Il a rejeté tous les Évangiles sauf Luc, car il estimait qu’ils étaient des « fraudes judaïques », et a même abrégé le troisième Évangile. Il a rejeté les épîtres pastorales. Il a aussi revu et abrégé le reste des lettres de Paul. Le « canon dans le canon » de Marcion était fondé sur ses propres critères subjectifs de ce qui devait constituer la Parole de Dieu.

Irénée s’est porté à la défense du canon biblique, affirmant la continuité entre le Dieu de l’Ancien Testament et le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ. L’intégrité de la Parole écrite était tout aussi cruciale pour Irénée que l’intégrité de la Parole incarnée. (Irénée avait promis de traiter en détail des erreurs de Marcion, mais s’il a réellement effectué ce travail, cette œuvre n’existe toutefois plus aujourd’hui.)

Irénée est né en Asie Mineure (possiblement à Smyrne), il a séjourné à Rome pendant un certain temps (possiblement en tant qu’élève de Justin Martyr), mais il a passé ses années d’homme d’âge mûr en Gaule (la France actuelle), où il est probablement mort. Les spécialistes ne connaissent pas l’année exacte de sa naissance (il a laissé peu d’indices autobiographiques dans ses écrits), mais Irénée fait mention du célèbre martyr chrétien Polycarpe, disant l’avoir vu et entendu prêcher dans sa jeunesse. Puisque la plupart des chercheurs pensent que Polycarpe a été brûlé sur le bûcher à Smyrne vers 155-156 après J.-C., Irénée doit être né quelque temps avant le milieu du siècle (autour de 130-140 après J.-C.). Nous ne savons pas comment il en est venu à s’installer dans la partie occidentale de l’Empire romain. Ses livres ont été écrits en grec, sa langue maternelle, alors qu’il vivait dans la partie occidentale de l’Empire, où l’on parlait le latin. Lorsque les martyrs de Lyon ont été exécutés (en 177), l’évêque Potbinus faisait partie des victimes de ce pogrom. Quand Irénée est revenu de Rome, il a été choisi pour être son successeur. Irénée a travaillé à Lyon jusqu’à sa mort (environ 200 après J.-C.). Selon une tradition plus tardive, il serait lui aussi mort martyr, mais il n’y a pas de preuves à l’appui.

Nous connaissons Irénée principalement à travers ses deux œuvres qui subsistent encore (la seconde, bien que connue de nom depuis l’antiquité, a été découverte pour la première fois dans une édition arménienne complète en 1904). La première a pour titre Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur (connue sous le nom de Contre les hérésies) et la seconde Démonstrations de la prédication apostolique. La première, et la plus célèbre, est un exposé détaillé du gnosticisme ainsi qu’une défense tout aussi détaillée de l’incarnation du Fils de Dieu. La deuxième œuvre est une brève présentation de l’Évangile, sous forme presque catéchétique, résumant l’histoire de la rédemption, d’Adam jusqu’au Christ. Au cœur de ces deux œuvres, nous retrouvons le concept de récapitulation qu’enseignait Irénée.

La récapitulation ou le « résumé » est l’approche historico-rédemptrice appliquée par Irénée au développement organique de la révélation de Dieu. Toute l’histoire et toute l’humanité se résument (« sont récapitulées ») en deux Adam : le premier Adam (Gn 2-3) et le dernier Adam (1 Co 15.45; voir Rm 5.12-21).

« Récapitulant donc en lui-même toutes choses, il [Christ] a récapitulé aussi la guerre que nous livrons à notre ennemi : il a provoqué et vaincu celui qui, au commencement, en Adam, avait fait de nous ses captifs, et il a foulé aux pieds sa tête, selon ces paroles de Dieu au serpent que l’on trouve rapportées dans la Genèse » (Contre les hérésies, 5.21.1).

Irénée explique le salut comme étant la restauration (par le dernier Adam) de ce qui a été perdu (par le premier Adam).

« Tout comme au début de notre formation en Adam, le souffle de vie issu de Dieu, en s’unissant à l’œuvre modelée, a animé l’homme et l’a fait apparaître animal doué de raison, ainsi, à la fin, la Parole du Père et l’Esprit de Dieu, en s’unissant à l’antique substance de l’ouvrage modelé, c’est-à-dire d’Adam, ont rendu l’homme vivant et parfait, capable de comprendre le Père parfait, afin que, comme nous mourons tous dans l’homme naturel, ainsi nous soyons tous vivifiés dans l’homme spirituel. Jamais, en effet, Adam n’a échappé aux mains de Dieu, auxquelles parlait le Père lorsqu’il disait : “Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance”. Et c’est pourquoi, à la fin, “non par la volonté de la chair ni par la volonté de l’homme”, mais par le bon plaisir du Père, les mains de Dieu ont rendu l’homme vivant, afin qu’Adam devienne à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Contre les hérésies, 5.1.3).

Cette approche biblique et théologique du développement de la révélation, qui vient en réalité de l’apôtre Paul, est foncièrement rattachée à la notion d’alliance. Irénée voit deux représentants, deux pères de l’alliance, deux humanités résumées (ou récapitulées) dans les deux Adam. Tous ceux unis au premier Adam sont perdus par la chute; tous ceux unis au dernier Adam sont sauvés par l’incarnation, la mort et la résurrection du Fils de Dieu.

« Il faisait ainsi connaître par avance la rémission des péchés qu’a procurée la venue du Seigneur, cette rémission par laquelle “il a détruit le document” qui attestait notre dette “et l’a cloué à la croix” (Col 2.14), afin que, comme par le bois nous étions devenus débiteurs à l’égard de Dieu, par le bois nous recevions la remise de notre dette » (Contre les hérésies, 5.17.2).

Les hérétiques du temps d’Irénée répudiaient l’histoire de la rédemption, la réalité de l’incarnation du Fils de Dieu ainsi que l’unité de la Bible. Irénée a résolument et brillamment défendu contre eux la doctrine orthodoxe du salut par le second Adam, véritablement homme, afin que, par ce second Adam, les âmes et les corps des hommes puissent être unis à Dieu pour toujours au ciel.

« Quel autre doit régner sans interruption et à jamais sur la maison de Jacob, sinon le Christ Jésus notre Seigneur, le Fils du Dieu très-haut, de celui qui, par la Loi et les prophètes, avait promis de rendre son salut visible pour toute chair, de sorte que ce Fils de Dieu deviendrait Fils de l’homme pour qu’à son tour l’homme devînt fils de Dieu? » (Contre les hérésies, 3.10.2).