Cet article sur Jean 19.30 a pour sujet la parole de Jésus en croix "Tout est accompli". Au terme de ses souffrances et de son humiliation pour payer notre rançon, Jésus a célébré la victoire de son accomplissement du plan rédempteur de Dieu.

Source: Celui qui devait venir. 4 pages.

Jean 19 - Sixième parole de la croix

« Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : Tout est accompli. »

Jean 19.30

La sixième parole exprime à son tour la force d’âme du Sauveur crucifié. C’est une courte phrase. En fait, dans le grec original, il ne s’agit que d’un seul mot (« tétélesthai »), mais un mot lourd de vérité divine, gros de réalités terrestres. La sixième parole de la croix annonce, elle aussi, que notre Souverain Sacrificateur et Prophète ne sombre pas dans le néant d’une nuit sans fin, mais qu’il pénètre dans ce que nous devons appeler la prolongation de la journée éternelle qui appartient au Seigneur. Elle est l’aveu, la reconnaissance qu’il est sur le point de traverser le seuil du jour de la rédemption.

Tout est accompli. De quel accomplissement s’agit-il? Non seulement de celui des saintes Écritures ou celui d’avoir vidé la coupe amère jusqu’à la lie. Certes, l’un et l’autre de ces accomplissements peuvent le remplir de joie, d’une très grande joie. Sa mission céleste et rédemptrice a été menée à bien, sans faillir. À présent, ceci est une certitude et, pour le Christ, motif de jubilation, même s’il est encore attaché sur la croix. Depuis la crèche jusqu’à la croix, sa vie a été le continuel accomplissement des desseins et des projets divins. En tant que serviteur de Dieu et en tant qu’homme, il a répondu à l’attente du Père et achevé ce qui était exigé de lui. Nous pouvons dire que son cri, formulé à l’aide de ce simple participe parfait du grec que nous rapporte l’Évangile, est l’expression d’une joie tout humaine.

Mais devons-nous en conclure que son œuvre messianique est à présent totalement et définitivement achevée? Non, certes. Car à moins qu’il ne ressuscite d’entre les morts, cette mission demeurera inachevée, et tout ce qu’il a fait jusque-là aura été vain. Et nous-mêmes, sans la certitude de sa résurrection corporelle, nous serions les plus misérables des créatures. Il ne s’agit même pas de la satisfaction que la justice divine reçoit au prix de son sacrifice expiatoire. Cela ne sera réel que lorsque le Christ aura placé le Royaume entre les mains de son Père et que la gloire du Dieu unique, trinitaire, resplendira dans l’univers tout entier. A-t-il cessé d’être le Serviteur souffrant? Non, puisque durant le temps nécessaire et jusqu’à la consommation des siècles, le Christ demeurera soumis au Père.

Cependant, en entendant le cri de Jésus « Tout est accompli », nous sommes assurés d’un fait : Un terme est mis à la souffrance du Christ dans son état d’humiliation. Il n’aura plus à souffrir physiquement pour payer notre rançon et pour subir notre châtiment.

Essayons, dans la foi et dans un recueillement émerveillé, de saisir le sens de cette sixième parole prononcée par le Christ sur la croix.

Elle est à la fois une déclaration prophétique au sujet de Dieu et une déclaration jubilante à son propre sujet.

Cette exclamation est aussi la manifestation d’une joie mesurée. Il ne dit pas « j’ai tout achevé »; il n’affiche pas un orgueilleux « eurêka! » (j’ai trouvé), mais il affirme « Tout est accompli », sans ostentation ni arrogance. Il ne se place pas au centre de l’œuvre accomplie, que, pourtant, il reconnaît et déclare avec une forte conviction.

Il ne signe pas là une autobiographie, comme tant d’illustres personnages de l’histoire, exaltant la somme de leurs œuvres. Il ne souligne pas ses propres qualifications; ce n’est pas sa liberté qui est mise en évidence comme un sujet de glorification : « J’ai si bien réussi que j’ai même échappé à la contrainte… » Bien au contraire, il entonne un hymne de triomphe à cause des desseins éternels de Dieu qui ont trouvé finalement leur accomplissement. Dieu en soit loué! Dieu seul en soit loué! Soli Deo gloria!

Rappelons seulement en passant, bien que cela ait une importance décisive, qu’en un temps où d’une manière générale on semble penser que la foi est une sorte d’engagement risqué, le Christ, lui, pense tout autrement. Vivre selon la lettre des commandements de Dieu a constitué toujours à ses yeux l’essentiel, et ceci depuis les origines. Cela n’est pas l’équivalent d’un saut dans le vide ni d’un risque fortuit. C’est une question d’obéissance lucide et de soumission sereine et joyeuse, car Jésus-Christ connaît l’issue de sa mission.

Le Verbe incarné avait été emmailloté de langes et placé dans une crèche. À présent, le même Verbe accepte l’infect liquide dont est imbibée l’éponge que lui présente le soldat romain, parce qu’il lui fournira la force de faire sa déclaration jubilante.

C’est en tant que Fils de Dieu que le Christ prononce d’abord ce « Tout est accompli ». En somme, il rend compte à son Père de l’achèvement de sa mission. Il présente un rapport d’activité à la sainte Trinité, s’il m’est permis d’employer cette expression banale. Le Fils se met en relation, en communion avec le Père et avec l’Esprit. Il se réjouit de ce que Dieu, à présent, ait déposé un fondement encore plus sûr et plus solide sous son œuvre de création; comme si le Fils, à l’instar des premières paroles prononcées lors de la création, déclarait : « J’ai vu tout ce qui a été fait, et voici tout est bon. »

À l’origine, Dieu avait pris plaisir en son acte divin. Il avait déjà décrété une fois « tout est achevé » et il s’était reposé de ses œuvres (Gn 2.1-3). À présent, dans une autre œuvre parfaite, le Fils vient de déclarer avec la même satisfaction : « Tout est bien, tout est bon, tout est accompli. » Il vient de terminer le renouveau créateur et la rédemption du grand jour du Seigneur. Désormais, le jour du repos, le grand sabbat de l’Éternel Dieu, ne sera plus placé à la fin de la semaine, mais au début. On n’y parviendra pas à la suite d’un effort acharné, mais il sera obtenu telle une grâce, une autre grâce plus excellente encore. Aussi le repos commencera le premier jour de la semaine, appelé désormais le dimanche, c’est-à-dire jour du Seigneur, et non à la fin, comme s’il s’agissait d’un repos gagné et mérité.

Dans cette sixième parole, le Christ s’adresse aussi aux siens, c’est-à-dire à son peuple racheté, à l’Église.

J’ose affirmer que, dans ce sens-là, cette déclaration est également celle de sa justification. Il avait été condamné à cause de notre péché. Bien plus, il avait été considéré comme péché. À présent, ayant satisfait à la justice de Dieu, il a obtenu sa propre justification, et du même coup la nôtre. Aussi nous pouvons nous réjouir avec lui. Car Dieu ne s’est pas repenti de l’avoir établi Roi et Seigneur. Celui que les hommes ont rejeté, le déclarant indigne d’être leur Roi, est devenu l’Oint de Dieu, le Berger suprême et unique de son peuple. Le Christ peut par conséquent déclarer : « Je sais que j’ai accompli les Écritures, car je crois fermement à ce qui avait été prédit et écrit d’avance. »

Pourquoi? À quoi une telle foi me sert-elle? La réponse à cette légitime question sera formulée par le célèbre Catéchisme de Heidelberg, chef-d’œuvre de piété et de théologie chrétienne : « À être justifié en Christ devant Dieu et à être héritier de la vie éternelle » (Q&R 59).

Au soir de sa vie terrestre et à la fin de sa carrière publique, ce jeune homme de trente-trois ans peut chanter un hymne de jubilation; ce faisant, il prédit également l’aurore de Dieu. Il est riche dans sa justification.

Au regard du monde, il avait été bien pauvre. En vérité, à quoi cela rime-t-il de s’écrier « Tout est accompli »? A-t-il achevé une œuvre à la manière des grands de ce monde, à l’instar de ces hautes figures de l’histoire universelle, ces personnages exceptionnels auxquels nous vouons parfois une adoration infantile? Or, le Christ n’affirme pas « j’ai achevé », mais « Tout est accompli ». Il ne prononce rien à son propre sujet. Il n’a pas rédigé une autobiographie pour se justifier aux yeux de la postérité. Le Christ suspendu sur la croix, pas plus que lorsqu’il marchait sur terre solide, ne se présente sous les traits d’un « grand homme » selon les critères humains… Comment l’aurait-il pu, lui qui a déclaré « Je suis doux et humble de cœur » (Mt 11.29)?

Dieu soit loué de ce que son Christ ne fut pas un « grand homme », dépassant par sa hauteur les mortels ordinaires que nous sommes.

Il est plus que cela; il est infiniment plus qu’un grand homme; il est le totalement autre; il est le fondement et la base; il est la condition et la pierre d’angle de toute vie humaine. Aussi lui seul peut déclarer, même sur le gibet : « Tout est accompli! » C’est ainsi qu’il est devenu mon Sauveur.

Aucun César, aucun monarque, aucun penseur ni personnage illustre ne finirait son existence terrestre de cette manière-là. Ils auront tous trouvé le moyen de laisser leurs mémoires d’autoglorification. Mais le Christ, lui, ne nous lègue pas une biographie exaltant ses faits et gestes. En tant qu’homme, il fut totalement absorbé dans l’accomplissement de l’œuvre divine. Il dit, à une certaine occasion, que sa nourriture consistait à faire les œuvres de Dieu, à accomplir sa volonté. Le zèle de la maison de son Père l’avait dévoré bien avant qu’il parcourut le chemin de la croix et qu’il grimpa la colline du Calvaire.

En ce qui le concerne, les « vies de Jésus » écrites ou filmées, qui cherchent à rendre vivante sa brève carrière faisant appel à notre sentimentalisme ou à notre émotivité, n’ont pas de raison d’être. Nous devrions nous interdire de nous adonner aux émotions infantiles que ce genre d’œuvres cherche à faire naître.

Le Christ sur la croix et le Christ marchant sur les chemins de Galilée, celui de la crèche comme le Seigneur ressuscité, réclame de nous la foi, et non une vénération ni une admiration truquées. Il ne supporte de comparaison avec personne, visible ou invisible, dans les cieux et sur la terre. Pour cela, il nous suffit de méditer avec recueillement et gratitude les pages de nos quatre Évangiles. Alors seulement nous connaîtrons le Christ véritable et les bénéfices de son œuvre.

Le Christ est mort dans un monde qui se meurt en donnant naissance à des hommes illustres. Lors de sa mort, la terre a pourtant tremblé. Des hommes ont secoué leur tête et ils s’en sont allé sceptiques, effrayés, incapables d’expliquer ni de comprendre de tels événements.

Le ciel, lui, a réagi différemment. Lorsqu’il termine sa carrière terrestre par l’impersonnel « Tout est accompli », dans le ciel se fait entendre un hymne de louange nouveau. Un « Dieu soit loué pour le Christ », le Fils de Dieu, Sauveur des hommes, de ce qu’il a achevé sa mission. Le premier Adam est devenu une âme vivante, à présent, le deuxième Adam est devenu un Esprit vivifiant.