Cet article sur Jean 9 a pour sujet la guérison de l'aveugle-né par Jésus qui est la lumière du monde et qui dénonce en même temps l'aveuglement spirituel des hommes.

Source: Les miracles de Jésus. 4 pages.

Jean 9 - Guérison de l'aveugle-né - Lumière et cécité

Jean 9

L’homme avait été réveillé ce matin, comme chaque matin, par le vacarme assourdissant des rues de Jérusalem grouillant de monde. Des enfants avaient déjà commencé à criailler et les adultes, marchands ambulants ou modestes échoppiers, à vociférer pour vendre leurs marchandises. Les ménagères s’étaient mises à allumer le feu, tandis que des Juifs pieux adressaient leur prière quotidienne au Dieu d’Israël.

Quant à lui, il ne saurait jamais distinguer une journée radieuse d’un ciel assombri. Si ce n’avait été pour le tohu-bohu du quartier qu’il habitait, il n’aurait même pas su qu’un jour nouveau s’était levé. Il était aveugle, aveugle de naissance. Sans doute était-il entouré d’autres miséreux comme lui; des boiteux, des sourds-muets, des paralysés et autres éclopés des bas-fonds de Jérusalem la sainte… Ses parents, habitant un quartier sans doute plus convenable, ne s’étaient jamais affranchis du poids du blâme secret de l’opinion publique, bien lourd à porter, puisqu’à l’époque, on considérait les parents comme responsables des tares frappant leurs descendants… N’étaient-ils pas responsables du malheur frappant leur fils? Mais peut-être se demandaient-ils, à leur tour, si ce n’était quand même pas la faute de leur enfant; avant même qu’il n’ait commis de péché, Dieu l’avait puni en prévision du futur, de son comportement ultérieur… tout en ne sachant pourtant pas s’expliquer comment un aveugle pourrait commettre des péchés entraînant un si lourd châtiment. Quant à la victime, elle devait échafauder sans doute d’autres hypothèses; peut-être qu’un seul de ses parents avait-il commis une faute grave à l’insu de l’autre, la dissimulant au regard de son conjoint…

Ces pensées tristes et accablantes, peut-être même d’amers ressentiments, s’éveillaient avec lui chaque matin. Des âmes charitables devaient lui apporter de temps à autre quelque chose à se mettre sous la dent… Mais les gens religieux, tout au moins ceux appartenant aux classes supérieures, étaient d’habitude moins généreux que le commun du peuple, tels ces pèlerins venus du fond de la campagne pour s’acquitter de leurs devoirs religieux et qui lui jetaient quand même une maigre aumône. Malgré leur modeste offrande, ils semblaient plus attentifs aux malheurs de ces mendiants traînant chaque jour, et parfois même la nuit, leur misère dans les sombres ruelles de la capitale. Meilleurs en tout cas que les pharisiens et les scribes, qui avec ostentation et outrecuidance, satisfaits d’eux-mêmes, déposaient avec scrupule leur dîme — même celle de la menthe et du cumin — dans le tronc du temple. D’ailleurs ils étaient tellement persuadés que d’être tombé dans le rang des mendiants était un signe du péché, qu’ils avaient hâte de sortir des ruelles malodorantes après avoir, avec une satisfaction égoïste et seulement les apparences de la charité, obéi aux prescriptions de la Torah.

L’aveugle se mit en route s’appuyant sur sa canne, et frappant avec elle le sol crasseux, il se guidait tout seul. De nos jours, on a « des chiens d’aveugle », qui rendent d’inestimables services aux non-voyants. Mais il est fort peu probable que notre aveugle en eut un pour le guider, car les chiens n’étaient guère acceptés chez les Juifs… En tournant le coin de la sombre rue, un rayon de soleil réchauffa son visage. Cela le réjouit. Aujourd’hui, c’était jour de sabbat, ce qui signifiait plus de monde dans les rues, et par conséquent plus d’aumônes tombant dans son écuelle…

Je vous conseille vivement de lire, ou de relire, le chapitre 9 de l’Évangile selon Jean. L’évangéliste se sert de ce récit pour révéler la tragédie d’une cécité plus grave encore que celle qui frappe la vue physique : tout en révélant le miracle qui redonna la vue à celui qui en était privé, il dénonce l’aveuglement spirituel des autres.

Jésus et ses disciples se trouvaient aux alentours du Temple; c’est là qu’ils aperçurent le malheureux. Vint alors la question de routine : « Maître, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle? » (Jn 9.2). « De qui expie-t-il la faute? » La réponse de Jésus est saisissante. D’après lui, pas plus l’aveugle que ses parents n’avaient commis un péché exigeant ce châtiment; la situation de ce malheureux est là afin que la gloire de Dieu puisse éclater au grand jour. L’incident lui offrira l’occasion, une nouvelle fois, de prouver que lui, Jésus, est la lumière véritable du monde. Aussi, sans même que le mendiant le supplie, il s’approche de lui, pétrit avec sa salive de la boue et l’applique sur les yeux de l’aveugle. Ensuite, il lui demande d’aller se laver dans une piscine appelée Siloé. L’aveugle ne se le fera pas dire deux fois. Accouru à Siloé, il reviendra complètement guéri de sa cécité.

La vue de l’homme miraculé plonge ses voisins dans la plus totale confusion. S’agit-il vraiment de leur compagnon d’infortune de tout à l’heure? Lui, il ne peut qu’expliquer ce qui s’est produit. Qui était-ce donc le bienfaiteur, l’auteur du miracle? Pour l’instant, la question restera sans réponse. Jésus et les siens s’étaient déjà éloignés des lieux.

Afin de vérifier l’événement, on amena l’homme auprès des pharisiens. À leur tour, les respectables représentants de l’ordre religieux lui posent la question : Qui est l’auteur de l’acte miraculeux? Le détail de la boue miraculeuse retient leur attention. Car, grave offense; Jésus l’avait concoctée un jour de sabbat, jour de repos, transgressant ainsi le saint commandement. N’aurait-il pas pu attendre que le jour du Seigneur décline pour accomplir sa bonne action? Après tout, l’aveugle-né n’était pas en danger de mort. Or, l’observation du jour de repos interdisait formellement de pétrir quoi que ce soit… Bientôt, les pharisiens se trouvent dans le même embarras que les voisins du miraculé. Un geste de cet ordre, qui révèle un pouvoir surnaturel, divin, pourrait-il être accompli par un pécheur? Lorsqu’ils interrogent l’homme, celui-ci n’hésite pas à donner son avis. Pour lui, Jésus est un prophète. La réponse ne satisfait pourtant pas les interrogateurs-inquisiteurs. Les pharisiens cherchent ensuite à vérifier si l’homme avait été véritablement aveugle depuis sa naissance. C’est pourquoi ils demandent à ses parents de le reconnaître officiellement. D’expliquer aussi, si possible, ce qui vient de se passer.

L’évangéliste fait remarquer un détail intéressant : ces derniers avaient peur des pharisiens à cause de Jésus. Ils refusent d’expliquer, ils esquivent un interrogatoire qui leur paraît un piège. Ils osent pourtant leur tenir tête à leur façon; ce n’est pas leur affaire de vérifier la chose ni de s’y mêler, leur fils étant assez âgé pour témoigner de lui-même. Ils n’ont qu’à l’interroger! L’homme est appelé de nouveau; on lui demande de remercier Dieu pour le bienfait dont il vient d’être l’objet et non pas Jésus, qui n’est qu’un pécheur mortel!

L’ex-aveugle affirme ne rien savoir de la condition morale de Jésus. Il sait qu’il était aveugle, mais que maintenant il voit. On l’interroge de nouveau sur le comment de sa guérison. Sans doute, excédé par tant de malveillante obstination, il leur demande s’ils veulent devenir ses disciples. Eux le reprennent rudement, en rétorquant qu’ils sont les disciples de Moïse et qu’ils savent que Dieu s’était puissamment servi de ce dernier, mais ne sauraient pas en dire autant au sujet de ce Jésus! L’homme reprend sa propre argumentation avec force et simplicité; il exprime son étonnement pour leur attitude. Dieu n’exauce pas les pécheurs, ajoute-t-il. Si Jésus avait accompli un miracle, ce ne pouvait être que par la puissance divine. Alors, les pharisiens le chassent du milieu d’eux. Il n’est qu’un pauvre pécheur et il ose les instruire, eux, les observateurs zélés et irréprochables de la loi!

Plus tard, Jésus, ayant appris que les pharisiens l’avaient chassé, lui demande s’il croit au Fils de l’homme. L’homme hésite. Il le voudrait bien, certes, mais qui est ce Fils de l’homme? D’où vient-il? Ce n’est qu’alors que Jésus se révèle à lui. L’homme confesse alors, sans hésiter, sa foi. Jésus lui révèle également le sens de sa mission. Mission à vrai dire paradoxale, car il est venu accorder la vue à ceux qui en étaient privés et révéler la cécité de ceux qui prétendent être clairvoyants. Quelques pharisiens se trouvant près de lui demandent s’ils sont, eux aussi, des aveugles. Jésus réplique que s’ils avaient été des aveugles leur péché aurait été moins grave, mais parce qu’ils prétendent avoir la vue spirituelle et religieuse, leur péché est impardonnable.

Le passage du quatrième Évangile rapportant ce fait extraordinaire est construit avec une remarquable maîtrise, qui révèle de manière progressive la condition réelle et profonde des parties en présence. Il commence en signalant la condition d’une personne aveugle de naissance et finit par pointer vers ceux qui sont spirituellement privés de lumière. Le premier reconnaît qu’il n’est qu’un ignorant. Les seconds s’imaginent posséder toute la connaissance sur Dieu. Aussi s’éloignent-ils de plus en plus de la vérité.

Jésus y est d’abord appelé « l’homme qu’on appelle Jésus », ensuite il est dit prophète, et, finalement, tel le sommet d’une confession de la foi lucide et informée, il est reconnu comme le Fils de l’homme. Cette progression révèle le sens de la vie de Jésus. Au début du récit, Jésus aperçoit un homme né aveugle. À la fin, les pharisiens qui s’imaginent clairvoyants sont traités d’aveugles privés de la lumière qui vient d’en haut. Mais au centre de l’histoire il y a la question de savoir si quelqu’un comme Jésus pouvait être doté de la puissance divine.

L’évangéliste se sert de ce récit pour susciter dans nos esprits la même question que posaient les pharisiens, en offrant en même temps la réponse correcte : « Nous ne savons pas d’où est cet homme. » En effet, d’où vient Jésus? Quel est le sens de sa mission et qui est le véritable aveugle? Qui est le pécheur véritable?

Ce sont là des questions qui surgiront inévitablement à chaque rencontre avec la personne de Jésus de Nazareth, le Christ de Dieu, le Sauveur des hommes. Mais à travers les signes, par moments opaques, présentés sur les pages du quatrième Évangile, il nous interpelle tous. Il se révèle à notre foi.

À présent, le chrétien connaît d’où vient Jésus. Car avant de lire ce passage saisissant, il a été déjà ébloui par la lecture du prologue de l’Évangile. Il y a appris que Christ est le Fils de Dieu. Quelques lignes seulement avant le récit de la guérison de l’homme aveugle, il a entendu de la bouche même de Jésus qu’il est la lumière du monde (Jn 8.12). Pour quelle raison est-il encore rejeté? Pourquoi les chefs religieux l’ont-ils exécuté? Pour l’évangéliste, il n’y a qu’une seule explication : ils ont été tous frappés d’aveuglement. En effet, « il était venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1.11). Mais il alla vers ceux qui n’auraient même pas osé quêter une miette de grâce. Il alla de lui-même vers l’homme né aveugle pour l’arracher aux doubles ténèbres, physiques et spirituelles.

Une fois de plus, il donna la preuve que Dieu n’attend pas que nous nous élevions vers lui, mais que nous comprenions que c’est lui qui vient à notre rencontre, et qu’avec sa grâce et sa vérité, sa tendre compassion et son infinie miséricorde, il nous apporte son secours divin. Il l’a fait par la vie, le ministère, la passion et la résurrection de son Fils unique, afin que ceux qui ne voient pas voient, et que le pécheur trouve son salut.

C’est pourquoi le Christ s’appelle Jésus, c’est-à-dire Sauveur.