Cet article a pour sujet la crise des jeunes, leur révolte et désir de révolution, et la réponse que l'Église doit proposée par la puissance de transformation par l'Évangile.

Source: L'homme en question. 3 pages.

Les jeunes en question

« Je m’appelle Ishmael », dit le héros de Moby Dick, le célèbre roman de Herman Melville. Ishmael n’est pourtant pas son vrai nom, car celui-ci n’a pas d’identité véritable. Et le roman sera consacré précisément à la description de la lutte gigantesque pour gagner son identité. Le nom Ishmael pouvait expliquer beaucoup de choses à une époque où on était plus familiarisé avec le symbolisme biblique. Car Ishmael est l’outsider par excellence. Ainsi, donc, il y a plus de 100 ans, Melville examinait la crise des jeunes. Il en a aperçu toutes les tensions intérieures, celles qui les dirigent soit vers la violence sans but, soit vers la totale autodestruction. Le seul moyen d’éviter l’un et l’autre, d’après lui, c’était de changer complètement de milieu, de fuir les structures, comme on le dirait aujourd’hui.

Pour Melville, la solution ne consistait pas dans l’attaque violente, bien que la tension fut alors aussi grande qu’aujourd’hui. Pour le moment, il fallait sauver les institutions; mais aussi mettre à l’épreuve sa capacité d’homme en luttant avec les éléments naturels et dans tous les problèmes humains. À l’époque, la chose était encore possible sur plusieurs fronts. On pouvait voyager, aller à l’est ou à l’ouest, explorer les océans ou choisir les tropiques comme lieu d’habitation. Il ne fallait pas rompre avec les structures, mais trouver plutôt sa place véritable dans la société et améliorer celle-ci par la force de la virilité. C’est là sans doute l’une des grandes différences entre son époque et la nôtre. Ce qui a changé ce ne sont pas les crises des jeunes ou les pressions sociales, mais les moyens de les résoudre ainsi que le but ultime qu’on veut atteindre.

Les jeunes d’aujourd’hui nous laissent parfois l’impression qu’ils voudraient tout bâtir non sur un fondement mûrement réfléchi, mais sur ce qu’ils ressentent. Ceci explique que des révolutionnaires n’ont pas un programme à nous proposer lorsque leur entreprise aura réussi. L’absolutisme moral de certains d’entre eux leur donne, semble-t-il, le droit de rompre, de perturber, d’attaquer physiquement et de détruire tout ce qui se dresse comme un obstacle devant eux. Selon leurs critères, militer de la sorte est non seulement juste, mais encore une obligation. Beaucoup de jeunes n’ont de réponses à donner aux problèmes qui les troublent profondément qu’en ayant recours aux armes. D’autres tentent de s’évader de leurs conflits intérieurs par d’autres moyens. De plus en plus nombreux sont les morts, soit en sursis, mourant lentement, par les drogues, soit par la mort rapide et violente, provoquée par la vitesse ou le suicide.

Même si les jeunes dans un tel état d’esprit évitent de se tuer, ils détruisent à la longue leur propre moi, et l’autonomie à laquelle ils prétendent par une vie dissolue et disloquée. Ils sont persuadés qu’ils luttent activement pour leur autonomie, mais en fait ils la détruisent et se trouvent dans un isolement total. Ils croient lutter contre le conformisme de leurs parents en vue de l’avènement d’une meilleure société, par un néo-conformisme souvent plus borné que celui qu’ils combattent. Certains problèmes d’actualité, comme la guerre ou les armes nucléaires leur donnent le sentiment qu’ils n’ont pas d’avenir. Ils sont persuadés que la technologie moderne les a rendus complètement caducs. Qu’ils sont socialement voués à être des êtres sans signification et inactuels. Non pas que leur avenir soit bouché, mais ils pensent que personne ne les désire. Plus fondamentale encore semble être pour le malaise des adolescents le fait que des adultes les tiennent beaucoup trop longtemps et contre leur gré, dans une situation de totale dépendance.

Mais voyons quelque peu cet avenir sombre qui les attend. Les jeunes d’aujourd’hui doivent diriger les prochaines décennies. Plusieurs d’entre eux vont probablement marcher sur les traces des premiers astronautes sur la lune ou plus loin encore. Depuis les nouvelles frontières de la terre, ils pourront regarder en arrière sur celle-ci, qui leur offrira une perspective différente. La population aura sans doute doublé. Une douzaine de supervilles auront chacune 20 millions, sinon plus d’habitants. Les gens seront de plus en plus mobiles. Les transports supersoniques pourront atteindre les 10 000 km/heure. Les grands centres du monde seront distants les uns des autres à peine de deux heures. Ce sera sans doute aussi la période des transplantations des organes, du contrôle génétique et de la vie toujours plus organisée. La longévité sera plus grande, les maladies actuelles à virus et à bactéries auront probablement disparu, quoique remplacées par d’autres. Contrôle scientifique du climat, contrôle par des médicaments de la personnalité, voilà en gros le monde à venir dans lequel vont s’aventurer les jeunes d’aujourd’hui.

Cybernétique, ordinateurs, miniaturisation, dominance technocratique, voilà ce qui provoque aussi la révolte des jeunes. Ils ne se concilient pas avec l’idée de la déshumanisation complète de l’homme et ils protestent, avec véhémence, contre le progrès dans la science qui n’enregistre aucun progrès dans les relations humaines. Pour beaucoup d’entre eux, le rêve d’un grand peuple ou d’une nation libre tourne au cauchemar. Ils se dressent contre la machine; mais celle-ci peut être aussi bien politique, militaire, industrielle, culturelle et ecclésiastique.

Face à un tel avenir, plusieurs tendances se dessinent parmi eux. Celle du pur retrait et de l’isolement, sans espoir aucun pour un ordre social meilleur. Refus de participation, recours à la drogue et aux expériences psychédéliques diverses. Tendance à la destruction et au nihilisme. Il faut détruire et non pas se retirer. Piller, créer des conflits, déclencher la violence, au besoin, répandre du sang. Finalement, il y a la tendance à la réforme. Des jeunes cherchent le maintien dans les relations, et la recherche des réponses à partir de l’intérieur. Eux aussi sont impatients, mais ils travaillent à l’intérieur pour la transformation et ils optent non pour la violence, mais pour l’action pacifique.

C’est ici que les Églises et les chrétiens ont à apporter leur contribution. L’heure présente est toujours « le temps de Dieu » pour montrer au monde comment le plan déjà réalisé en Jésus-Christ est actuel et qu’il possède une valeur non seulement « intérieure, d’expérience mystique », mais aussi de programme d’action dans notre monde. Les yeux des révolutionnaires pourraient tourner vers Dieu et attendre de lui aussi bien l’ordre d’action que le programme qu’il propose. Mais il nous faut nous rappeler aussi, nous autres chrétiens, que parfois, dans sa sagesse mystérieuse, Dieu utilise des étrangers afin d’éveiller la conscience et la sensibilité de son peuple. Alors, n’est-ce pas le moment propice de témoigner en faveur de la plus grande révolution qui a été opérée par Jésus-Christ? Alors aussi le plus grand danger, celui de la révolution totale, pourrait se transformer en bénédiction pour l’Église et pour le monde, si des chrétiens se rendaient bien compte des implications globales de l’Évangile auquel ils croient.

Les énergies révolutionnaires peuvent être canalisées en activité positive si l’Église offre un témoignage clair au plan total de Dieu pour une action de transformation. Cependant, les Églises semblent être souvent dans une relation maladroite avec la jeune génération. Tandis que des tendances radicales agitent les structures d’une société qui cherche le royaume de Dieu sur la terre, les Églises chrétiennes gardent le silence ou bien s’identifient ici-bas avec le royaume de Dieu. Que pouvons-nous espérer? Si Dieu nous a vraiment saisis, il y a une puissance de salut et de transformation en lui. Il existe aussi une loi pour sa création, dont nous prenons connaissance par la Bible. Il faut refuser une fois pour toutes la malheureuse dichotomie entre la grâce et la nature et nous occuper sérieusement de la nature que Dieu nous a offerte pour la dominer, la cultiver et la développer. Des non-chrétiens ont parfois mieux compris ce commandement que les chrétiens qui ont souvent l’impression de vivre en dehors des réalités mondaines. Vivre dans le monde signifie y discerner les lois structurelles de Dieu pour le monde et pour la société. On dirait parfois que nous voyons le péché uniquement dans le domaine sexuel ou dans l’usage des drogues, mais que les péchés collectifs qui ravagent la société nous laissent indifférents. Les maux sont là; nous devons montrer à la face du monde que nous sommes des hommes libérés afin de travailler à la libération des hommes et de la société où ils vivent.

La révolte des jeunes peut nous rendre sensibles aux aspirations des hommes de vivre une vie meilleure dès ici-bas. Elle peut nous parler de l’espoir qui est au fond du cœur des hommes.

Si l’Église agit en tant que corps et épouse du Christ, elle agira toujours en faveur de l’espérance.