Cet article a pour sujet la justification par la foi qui nous permet d'échapper à notre misère, à notre faute et à notre péché, car par la foi en Jésus, Dieu nous déclare justes, acquittés de toute condamnation.

Source: Le salut et la conversion. 5 pages.

La justification par la foi

« Mais maintenant, sans la loi est manifestée la justice de Dieu, attestée dans la loi et les prophètes, justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient. Car il n’y a pas de distinction : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu; et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus. C’est lui que Dieu a destiné comme moyen d’expiation pour ceux qui auraient la foi en son sang, afin de montrer sa justice. Parce qu’il avait laissé impunis les péchés commis auparavant au temps de sa patience, il a voulu montrer sa justice dans le temps présent, de manière à être reconnu juste, tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus. Où donc est le sujet de se glorifier? Il est exclu. Par quelle loi? Par la loi des œuvres? Non, mais par la loi de la foi. Car nous comptons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. Ou bien, Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs? Ne l’est-il pas aussi des païens? Oui, il l’est aussi des païens, puisqu’il y a un seul Dieu qui justifiera en vertu de la foi les circoncis, et au moyen de la foi les incirconcis. Est-ce que nous annulons ainsi la loi par la foi? Certes non! Au contraire, nous confirmons la loi. »

Romains 3.21-31

« Si vous n’aimez pas votre vie et vous ne savez pas comment la changer, que pourriez-vous faire, pour devenir un autre homme? Rien, c’est pratiquement impossible; un tel choix n’existe pas! » Jean-Baptiste Clamence, l’unique personnage du célèbre « récit » de Camus La Chute, est parvenu à cette conclusion. Celui-ci n’explique pas un problème personnel; au contraire, il décrit la condition humaine tout entière. Clamence est « celui qui crie »; son nom veut dire cela… Mais il ne crie pas comme le prophète de Dieu dans le désert, qui invitait ses auditeurs : « Préparez les chemins du Seigneur! aplanissez ses sentiers »

Clamence est l’homme moderne, égaré dans son désert intérieur et qui proteste de sa condition d’homme. La voie de Dieu est perdue et nul sentier ou issue n’apparaît à l’horizon. Le désert dans lequel il s’est égaré est l’unique endroit qu’il connaisse. Il avait auparavant marché sur de nombreuses routes, trotté sur des chemins divers; avec obstination, il avait cherché — jusqu’au désespoir — une issue de secours… Mais il n’avait pu s’échapper; au contraire, il s’était enfoncé encore davantage dans la profondeur de sa perdition. À présent, il ne lui reste plus que la force de crier. Crier contre son désert, crier contre sa prison, contre sa condition d’homme… Il n’excuse personne; c’est pour lui un principe. Il refuse de croire qu’il puisse y avoir de bonnes intentions, que l’on puisse évoquer une faute décente ou des circonstances atténuantes. Il ne reconnaît à personne le privilège de recevoir une bénédiction ni le droit à l’absolution; il refuse l’innocence de l’homme, car il est profondément convaincu de sa culpabilité.

Écoutez une phrase de ce monologue de Clamence lorsqu’il s’adresse à son hôte :

« Asseyez-vous — lui dit-il une fois arrivés dans la chambre qui l’enferme comme une cellule pénitentiaire — examinez cette chambre, elle est nue, mais propre. À peine un tableau, pas de meubles ni de vases de cuivre. Pas de livres non plus. Depuis longtemps, j’ai abandonné la lecture… »

Il lit uniquement les « confessions » qu’écrivent d’autres auteurs. Pourtant, il ne les tient pas pour sincères, « car ils évitent de raconter… la vérité sur eux-mêmes ». Ils sont comme ceux qui se préparent à habiller des cadavres, à faire la toilette d’un mort… Clamence, lui, sait de quoi il parle. Ni livres ni d’autres objets inutiles. Juste la nudité nécessaire propre et polie, comme celle du cercueil.

« Au demeurant — va-t-il reconnaître —, les lits hollandais tellement durs et avec leurs draps immaculés, vous laissent l’impression que vous êtes enveloppé et embaumé par une grande pureté. »

Cette austérité de la chambre de Clamence reflète la sévérité de sa vie intérieure. Là, il peut se préoccuper d’aveux et se livrer aux confessions sur sa vie intime. Dans sa cellule, il met au grand jour le tourment intérieur qui le ronge. Esclave de sa faute, il l’est aussi de la peur que celle-ci engendre. Et comme tous les esclaves de cette espèce, il se sent seul et étranger. Lorsque chaque matin il se dirige vers le bar voisin, il y rencontre un étranger qui n’est pas pressé de partir. À vrai dire, celui-ci n’est pas son compagnon, mais quelqu’un qui lui fournit l’occasion et le prétexte de s’exprimer, de parler de lui-même; il est le vis-à-vis qui lui permet de faire part de son désarroi…

D’ailleurs, il prononce des mots que n’importe qui pourrait comprendre.

« Nous sommes des créatures étranges, ruinées, et si nous regardons en arrière, dans notre passé, nous ne cessons d’être horrifiés… Essayez de me parler de vous — proposera-t-il à son interlocuteur — je vous écouterai, j’écouterai votre confession avec un sentiment de solidarité. »

C’est ainsi que Clamence peut s’appuyer sur l’unique solidarité possible, la seule camaraderie imaginable, celle de la faute partagée qui l’unit à l’autre; celle de la culpabilité des hommes, leur communion dans le péché.

Changer de vie? Devenir un autre? C’est impossible. Albert Camus, dans ce long monologue, aveu et reconnaissance de sa faute, se révèle sans doute comme l’un des meilleurs connaisseurs — et des plus perspicaces — de la condition humaine et, dans son pessimisme lucide, l’un des esprits les plus brillants de notre époque.

Peut-on dire qu’il y a quelque chose de malsain, dans sa disposition à avouer ses fautes? Quelque chose d’anormal à se considérer comme une créature étrange et obscène, à dévoiler ainsi sa vie intérieure? Nous sommes fascinés par ce langage, par cet aveu. Il nous touche comme s’il trouvait un écho profond en nous-mêmes. Car ne sommes-nous — chacun à notre tour et à notre manière — solidaires de la même condition, communiant au même péché? Une idée ne cessera de nous hanter : Et si Albert Camus avait raison; si nos vies devaient s’achever dans un tel désert intérieur? S’il n’y avait que draps immaculés, cercueil poli et tombeau aseptisé? Si nous aussi, nous étions acculés à l’impossible, sans espoir de sortie?

Or, l’impossible est devenu possible. À la sentence effrayante : « La colère de Dieu se révèle contre toute iniquité » (Rm 1.18) répond la déclaration apaisante : « Il n’y a maintenant aucune condamnation en Jésus-Christ » (Rm 8.1). Nous ne sommes pour rien dans ce changement. La confession des fautes, en elle même, ne peut produire qu’agonie et que tourment, jamais de miracle. Celui-ci nous est accordé comme une grâce. « L’Évangile est la puissance de Dieu pour quiconque croit » (Rm 1.16). C’est ainsi que saint Paul commence sa lettre aux Romains, l’une des plus célèbres de la littérature biblique et, à vrai dire, de la littérature mondiale.

Dieu a fait à notre place et en notre faveur ce qu’il nous était absolument impossible de faire par nous-mêmes. Saint Paul, lui non plus, n’ignore pas le péché des hommes et ne dissimule pas la réalité. Il ne diminue pas la distance qui les sépare de Dieu. Bien au contraire, son jugement est encore plus sévère que celui de Jean-Baptiste Clamence. L’hostilité est vive entre l’homme et Dieu. L’apôtre, porte-parole de Dieu, nous fait part du réquisitoire divin contre celui-là. Il ne fera aucune concession. Il n’est pas question de bonnes intentions de la part des hommes, de fautes que l’on pourrait admettre, de circonstances atténuantes… Rien ne laisse présager un acquittement facile ni que l’homme puisse quitter son désert intérieur par ses propres moyens.

Dieu nous ordonnerait-il de tenter l’impossible? Non! C’est Dieu lui-même qui a conclu la paix. Par la mort et par la résurrection de son Fils Jésus-Christ, l’impossible a reculé. Sa justice a triomphé de nous. Entre nous, poussière et cendre, et Dieu, les hostilités ont pris fin. L’irréconciliable a été réconcilié et nous savons, à présent, que cela s’appelle : justification par la foi seule.

Que signifie cette expression, l’une des plus dominantes et certainement la plus familière du vocabulaire chrétien? Depuis saint Paul et malgré deux mille ans de prédication, en saisissons-nous toute l’importance? Rappelons-nous seulement qu’elle a été la note dominante, l’appel de clairon qui a sonné aux moments décisifs de la vie de l’Église, qu’elle a toujours accordé aux croyants sortant de la nuit, à travers les siècles, des heures lumineuses… Elle est comme le portique principal de l’édifice, l’entrée menant tout droit vers la présence même de Dieu, là où la grâce attend pour absoudre le coupable. Elle annonce I’acquittement et le rétablissement des relations avec Dieu.

L’expression suggère l’image d’une cour d’assises étonnante, là où dans une incroyable transaction légale, le juge déclare le coupable innocent. Ce n’est pas une décision arbitraire, mais une décision juste et honnête, car cette déclaration est fondée sur l’échange entre le pécheur que je suis et le Christ, qui a pris ma place dans le box des condamnés.

Afin que je devienne ce que je ne saurais jamais être par moi-même, à savoir juste et acceptable aux yeux de Dieu. C’est une réconciliation, qui s’est opérée dans ce tribunal, et non l’octroi d’une récompense. Christ a pris notre place, et par cette imputation Dieu nous compte — et le Saint-Esprit nous attribue — les mérites du Christ. Cette justification est accordée une fois pour toutes. Elle abolit notre peur de Dieu, car nous sommes devenus ses enfants et avons trouvé l’accès vers lui, vers son cœur paternel qui nous accueille.

Que faisons-nous de cette déclaration? Peut-être voulons-nous l’ignorer ou encore ce qui est pire, la repousser? À sa place, nous persistons à inventer une doctrine moralisante pour nous améliorer. Comme si Jésus-Christ n’était pas mort pour celui qui ne peut pas se justifier lui-même; comme si Dieu n’avait pas déclaré la cessation des hostilités; comme si l’Alliance n’avait pas été signée par la chair et par le sang du Fils immolé à notre place! Nous nous imaginons peut-être pouvoir forcer l’accès vers Dieu par d’autres issues; nous pensons pouvoir nous introduire subrepticement auprès de lui par des ouvertures qui n’existent pas, alors même qu’il nous attend devant l’autel sur lequel il a sacrifié l’Agneau sans tache, le seul homme vraiment innocent, Jésus, dont le sang est supérieur à celui « des béliers et des boucs », et dont le sacrifice est suffisant une fois pour toutes.

Pourquoi fallait-il lire Camus? Pourquoi entendre dire que nous sommes des créatures misérables? Pourquoi écouter Paul nous avertir et nous traiter d’impies? Qui est Dieu pour nous juger? Ne sommes-nous pas bons? Si tel est le cas, la justification n’est pas pour nous. Mais serons-nous donc toujours dupes sur nous-mêmes? Clamence est là pour nous rappeler, avec sa lucidité déconcertante, la réalité de notre condition, lui, qui avait glissé sur la pente jusqu’à sa chute finale et lamentable. Peut-être pensons-nous qu’accepter de faire crédit à la justification par la foi ferait de nous des gens dépourvus de bon sens? Qu’elle réduirait notre liberté? Si nous la refusons, c’est que nous renonçons à Dieu. Nous nous obstinons à ignorer qu’il est venu jusqu’au cœur de notre désert, là où nous nous débattons sans force, en nous cachant, sans avouer la misère de notre condition ou encore, tels Jean-Baptiste Clamence, avec l’aveu de notre impuissance et, finalement, de notre totale déchéance.

Il nous faut lire ou relire le « récit » de Camus, prix Nobel de littérature, pour nous rappeler avec réalisme cette dure vérité sur nous-mêmes. C’est à ce point-là que se joue la tragédie humaine, mais où dévoile aussi l’actualité permanente et dynamique de l’Évangile. Comment approcher Dieu, comment lever mon regard vers lui? C’est la seule question qui compte. Or, nous formulons à longueur de nos journées et années nos questions secondaires, sinon fausses…

Nous devrions, pour commencer, nous remettre en question comme Clamence, l’homme de La Chute. Mais en allant jusqu’au bout de notre quête, là où Dieu nous attend… À cette seule condition, il nous secourt, nous empêchera de sombrer dans des aveux morbides et sans espoir pour nous transformer dans la puissance de l’Évangile et pour la joie de son salut.