Cet article a pour sujet le rapport entre l'élection au salut et les sacrements. Nous connaissons l'amour éternel de Dieu envers nous par la proclamation de la Parole reçue par la foi et qui est confirmée par l'administration des sacrements.

Source: Études calvinistes. 9 pages.

L'élection et le sacrement

L’élection et le sacrement. La juxtaposition de ces deux termes dans une exposition de la doctrine calviniste de l’élection n’est pas arbitraire. Le synode de Dordrecht met, en effet, la doctrine de l’assurance de l’élection au salut et de la persévérance finale en rapport avec le recours à l’usage du sacrement1.

Calvin unit continuellement l’usage des sacrements à l’assurance du salut. Dieu « fait par la grâce secrète de son Esprit qu’il ne soit inutile et sans effet en ses élus2 ». L’érudit éditeur de Calvin, homme d’Église, M. Max Dominicé, signale à notre attention de nombreux passages de L’Accord et brève résolution sur les sacrements et du Traité du fidèle parmi les papistes. Nous ne pouvons les coter, encore moins les citer ici. Bornons-nous à renvoyer à la page 248 du Traité et au n16, p. 138, de l’Accord. La pagination est celle de l’édition de M. Dominicé.

Le fait que Dieu a envoyé son Fils unique au monde et l’a livré à la mort afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle, atteste son amour pour les pécheurs. De cette offre, « nul n’est exclu », a dit Calvin3.

Tout pécheur qui entend le message de l’Évangile doit être assuré de l’amour de Dieu, assuré qu’il veut être pour chacun de nous un Père et un Sauveur.

Par sa Parole, nous connaissons qu’il nous déclare sa miséricorde en Jésus-Christ et nous assure de sa dilection envers nous4.

La promesse générale de la bienveillance divine, c’est l’alliance de grâce traitée avec les fidèles « afin, dit encore Calvin, que toutefois et quantes qu’ils orront l’Évangile, ils sachent que Dieu traite avec eux et, par manière de dire, fait paction de les remettre en sa grâce5 ».

Le fait que certains pécheurs ne repoussent pas l’Évangile, mais en embrassent au contraire les promesses, trouve son explication dans l’amour particulier de Dieu envers ceux que, de toute éternité, il a choisis, sans rien prévoir en eux qui motivât son choix, pour les conduire infailliblement par sa grâce immuable et inamissible, eux et eux seuls, à la foi au Christ et à la vie éternelle.

Cette élection est faite afin que le sang du Christ ne soit pas stérile et que l’Église invisible, la société des prédestinés à la béatitude éternelle, en soit le fruit6.

Sans cette élection, le Christ serait un roi sans sujet et l’offre de l’Évangile sans effet, par suite de l’obstination des pécheurs.

Or, par un paradoxe apparent, il se trouve que ceux dont la foi prend pour objet les promesses générales de l’Évangile peuvent, par le moyen de cette foi qui saisit le Christ et s’attache à son œuvre rédemptrice, s’assurer, et s’assurer d’une certitude de foi divine, qu’ils sont les objets de l’amour particulier de Dieu, de leur élection au salut.

Mais il faut, pour cela, que leur foi soit saine. Il y a un grand nombre d’élus dont la foi est suffisante pour leur assurer qu’ils sont en état de grâce. Mais l’erreur dogmatique peut les empêcher de s’assurer de leur persévérance finale et le péché peut attrister le Saint-Esprit. Ils n’entendent pas, dans ce cas, le témoignage divin qui est le sceau de leur rédemption, et leur foi en vient à douter de sa propre réalité. Et alors, ils peuvent finalement douter de leur élection.

Pour éclairer, confirmer, ranimer la foi, pour la purifier et la faire sortir de son état de langueur, Dieu a institué des moyens de grâce. Ces moyens nous renvoyant aux promesses générales de l’Évangile sont propres à permettre au fidèle de trouver, ou, le cas échéant, de retrouver la certitude de l’amour particulier de Dieu, certitude méconnue ou perdue par la faute du fidèle.

Ces moyens de grâce sont la Parole et le sacrement.

La Parole s’adresse tant à l’incrédule qu’au croyant; au premier pour l’amener à croire, au second, pour augmenter et approfondir sa foi.

Le sacrement ne parle qu’à la foi, qu’il a pour rôle de confirmer, d’éclairer et de restaurer dans sa vitalité, en mettant le sceau de la promesse. C’est toujours une Parole de Dieu, mais un Verbum Dei visibile. Une Parole de Dieu, parce que c’est un rite d’institution divine; une Parole visible de Dieu, parce que, si la substance en est le Christ aujourd’hui invisible, la matière en est constituée par des éléments empruntés au monde visible : de l’eau dans le baptême; du pain et du vin, dans l’eucharistie.

Deux questions se posent à propos de cette théorie exprimée à grands traits.

1. Comment les promesses générales de l’Évangile peuvent-elles assurer celui qui les reçoit de son élection particulière?

2, Qu’est-ce que le sacrement apporte de plus que ce que nous donne déjà l’Évangile?

La clef de la première question est dans la doctrine bien comprise de l’inaptitude de l’homme naturel à comprendre les choses divines et à se convertir.

La réponse à la deuxième question est contenue dans la notion calviniste du sacrement elle-même.

Voyons d’abord comment la croyance à l’inaptitude de l’homme irrégénéré à se convertir peut conduire, par le moyen des promesses générales, à l’assurance de l’élection particulière.

Les arminiens et tous les antiprédestinatiens, en général, prétendent que l’élection particulière rend logiquement impossible la doctrine d’une bienveillance générale de Dieu à l’égard des pécheurs et fait de l’offre de la grâce à ceux qui ne sont pas élus un acte dérisoire.

Il s’est trouvé des prédestinatiens extrêmes dont le rationalisme s’est empressé de donner raison aux arminiens sur ce point. D’après eux, à l’inconverti, on ne prêchera que la loi. On ne lui prêchera les promesses évangéliques que quand son attitude donnera des raisons de présumer qu’il est du nombre des élus.

Ce que nous avons déjà dit prouve que cette conception est étrangère à la pensée de Calvin lui-même. Son catéchisme ne s’adresse pas à des élus, mais à tous les enfants baptisés, indistinctement. Sa formule d’absolution ne s’adresse pas à des élus, mais à des pécheurs indistinctement appelés à la foi. Elle est ainsi conçue :

« Que chacun de vous s’humilie devant Dieu et croie que le Père céleste veut lui être propice en Jésus-Christ. À tous ceux qui se repentent ainsi et cherchent Jésus-Christ pour leur salut, je dénonce l’absolution au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

C’est Calvin qui a dit : « Dieu ne désire (cupere) rien tant que de voir ceux qui périssent et se précipitent dans la mort, revenir à la voie du salut7 ». Sans doute, il reconnaît qu’il y a là, comme d’après lui tout ce que nous disons des vertus et des actes de Dieu, un élément anthropomorphique, comme quand nous disons que Dieu tend ses bras vers les pécheurs.

Mais, d’après lui, le fait objectif qui demeure derrière l’image, c’est que Dieu ne repoussera nul de ceux qui viennent à lui par la repentance, bien plus, qu’il est prêt à pardonner à tous sans distinction.

« Si, en effet, dit ailleurs8 le docteur de la prédestination, les hommes étaient animés d’un zèle pur et entier pour retourner à Dieu, lui, de son côté ne leur manquerait pas. » Son dernier mot dans l’application qu’il donne, dans l’Institution d’Ézéchiel 33, 16, est que la prédication indiscriminée de l’Évangile est un acte de l’« humanité et clémence de Dieu ».

Au reste, la thèse de ces prédestinatiens rationalistes a été solennellement condamnée par le Synode de Dordrecht et n’a donc pas droit de cité dans la théologie réformée.

La promesse de l’Évangile est, dit un canon du synode9, que quiconque croit au Christ crucifié ne périra pas, mais aura la vie éternelle. Cette promesse doit être annoncée et proposée, d’une manière générale et indiscriminée, à toutes les nations et à tous les hommes, à qui Dieu, dans sa libre bienveillance, a envoyé l’Évangile, avec le commandement « de se repentir et de croire ».

Par dessus tout, cette théorie est condamnée dans l’appendice de l’Évangile de Marc10, et cela décide tout. Ce texte veut que l’Évangile soit prêché, non à des élus présumés, mais à toute créature.

Cela nous oblige d’autant plus à examiner l’objection des arminiens. Car l’Écriture n’enseigne pas moins clairement l’élection gratuite, sine fide previsa, que la généralité des promesses évangéliques. Or, la Parole de Dieu ne peut être anéantie.

Lorsque les arminiens et leurs amis nous accusent d’enseigner que la volonté de Dieu se contredit, ils se placent à un point de vue puérilement rationaliste de logique abstraite. Déjà la vie concrète, même sur le plan humain, met en déroute cette dialectique formelle. Tout le monde sait qu’un homme peut être conduit à prendre, comme législateur ou magistrat, des mesures, et donc à les vouloir, qu’il ne voudrait pas comme père. Cela montre à l’évidence que la distinction proposée par les théologiens calvinistes entre la volonté décrétive et la volonté préceptive de Dieu n’est pas une subtilité spécieuse, mais s’appuie sur la réalité d’une analogie profondément significative, et respectueuse du mystère qui enveloppe à nos yeux l’unité de l’être et de la volonté de Dieu.

Les arminiens insistent; leur système a l’avantage d’être uni, facilement accessible à la raison et de supprimer jusqu’à l’apparence de la dualité. C’est vrai. Mais il a le tort d’être contraire à l’expérience et à la Parole de Dieu. D’ailleurs, on a l’impression que, quand ils veulent nous obliger à monter avec eux à ces hauteurs vertigineuses de la spéculation sur le mystère de la souveraineté de Dieu et de son unité essentielle, ils ont eux-mêmes conscience que la raison est un compas dont les branches sont trop courtes pour ramener l’infini à l’unité de sa mesure.

Mais ils croient reprendre tout leur avantage dans la seconde partie de leur objection : une offre qui s’adresse à qui est incapable, par hypothèse, de l’accepter ne peut être sérieuse.

La psychologie est leur fort!

Mais cette psychologie articulée avec les chaînons de l’esprit géométrique de Descartes et de Kant ne s’adapte pas non plus à la réalité vivante : la liberté n’est pas une entité conceptuelle, une idée claire dont la raison pourrait dominer adéquatement la définition. L’irrésolution psychologique ne se ramène pas sans plus à la définition ontologique et abstraite de l’indéterminé en soi. Un être spirituellement bon n’hésiterait pas à reconnaître immédiatement le bien dès qu’il se présente, et, l’ayant reconnu, à le pratiquer. On est toujours spirituellement quelque chose : bon ou mauvais. « Ou dites que l’arbre est bon, dit Jésus, et son fruit sera bon. Ou dites que l’arbre est mauvais, et son fruit sera mauvais. Un bon arbre ne peut porter de bon fruit.11 » C’est dans ce sens, et dans ce sens seulement, que nous disons que l’homme ne peut accomplir aucun acte bon conduisant au salut ni se convertir. La comparaison empruntée par Jésus à un fait naturel ne doit pas faire illusion. Cela ressort de tout son enseignement qui met le pécheur en face de ses responsabilités. La nécessité exprimée par la négation qui détermine le verbe pouvoir n’est pas de l’ordre de la nécessité ontologique naturelle, ni de la contrainte physique; encore moins relève-t-elle de l’ordre logique formel ou mathématique. C’est une nécessité purement empirique qui a sa cause immédiate dans la sui-détermination volontaire imprimée par le pécheur à son propre moi. C’est son propre moi responsable qui est le geôlier de sa volonté et qui la tient captive sous le péché. Quand nous disons inaptitude, serf arbitre, nous nous plaçons sur le terrain spirituel et non sur celui de la psychologie spéculative. Là, Calvin lui-même (le savant catholique, si pénétrant, Frithoff, l’a ignoré) reconnaît expressément que les philosophes ont raison d’affirmer la contingence in se. Celui qui veut, dit-il, peut ne vouloir pas. Cela est vrai si nous considérons le vouloir lui-même (velle) et ensuite le pouvoir effectif (effectum)12.

On regrette même du côté calviniste (Charles Hodge)13 que Calvin ait employé une terminologie nécessitarienne. Mais il l’a empruntée à ce qu’il y avait de plus pur et de plus évangélique dans la tradition médiévale; à saint Bernard14. Pour lui, la nécessité n’est autre chose qu’un état ferme et stable, impliquant une immuabilité de fait qui ne détruit pas ce qu’on appelle aujourd’hui la liberté formelle ou morale. C’est alors qu’on dit qu’une chose ne peut être autrement qu’elle n’est15. Mais la nécessité en question ici, résultant de la spontanéité intelligente, est une nécessité dont l’essence est la liberté, « car ce qui est volontaire est libre », dit Calvin avec saint Bernard.

« Quand la volonté est dans un tel état qu’elle ne veut jamais conclure à quelque chose, cela s’appelle ne vouloir pas, quoique cette impuissance ne naisse que de la volonté opiniâtre dans le mal.16 » Ces paroles de Benedict Pictet reproduisent fidèlement la pensée de Calvin qui disait « jusques à ce que Dieu nous ait réformés, il est certain que nous fermerons les yeux17 ».

Mais cette nécessité de certitude objective qui indique uniquement ce qui arrivera par la faute de l’opiniâtreté du pécheur, savoir sa résistance obstinée aux sollicitations de l’Évangile, n’empêche pas le sérieux et la bonne foi de ces sollicitations. Car non seulement Dieu fait connaître très sérieusement ce qu’il lui est agréable que le pécheur fasse, mais encore, et ce sont les propres termes de Calvin, quand il est appelé par la prédication, c’est comme si Dieu lui mettait sa vie entre les mains, et, ajoute le réformateur, s’il se détourne pour n’avoir pas considéré les voies de Dieu, il ne peut pas dire qu’il a erré parce qu’il n’a pu mieux faire; mais au contraire, lui-même est la cause de tout le mal et c’est à lui qu’il doit tout entier être imputé18. Aussi Heyns est-il dans la plus pure tradition de Calvin quand il affirme que dans le message évangélique est contenue l’offre du pouvoir de l’accepter et que le pécheur peut l’accepter au sens où le lépreux pouvait étendre la main sur l’ordre du Christ19.

Le pécheur peut trouver le pouvoir à sa source, au sens où savoir, c’est pouvoir. Il ne peut arguer d’ignorance : Dieu a écrit son nom dans le ciel avec les étoiles; il a gravé la distinction du bien et du mal dans sa conscience; il révèle son amour pour lui sur le Calvaire et lui enseigne qu’il n’a qu’à demander son Esprit pour avoir la force de venir au Christ. Il est donc sans excuse; il sait et il peut, s’il veut. Mais il est sans ressource, car précisément il ne veut pas et il ne peut pas parce qu’il lui plaît ainsi. Nec possunt nec volunt, dit Dordrecht.

Or, l’expérience montre que les velléités sans profondeur ou les résistances ouvertes du pécheur fléchissent chez certains hommes et font place à une acceptation sincère de la paternité de Dieu et du pardon offert en Jésus-Christ. Il est passé de la condamnation à l’acquittement, de la mort à la vie. Par l’autorité de la Parole, il se sait né de nouveau et justifié. Que doit-il, que devrait-il se passer alors? Si le message lui a été présenté correctement; si on lui a dit, comme on devait le lui dire, qu’il n’y avait rien à espérer de la dureté de son cœur pour son retour à Dieu; si seulement il se connaît lui-même, il saura qu’en acceptant de croire à l’amour de Dieu pour le genre humain, amour manifesté en Jésus-Christ, il saura qu’en fin de compte ce n’est pas lui qui a choisi Dieu, mais que c’est Dieu qui l’a élu pour lui donner non seulement le croire, mais le vouloir croire; que c’est Dieu qui lui a fait la grâce de croire en lui, selon la parole de l’apôtre.

On voit comment la foi en la corruption totale et en l’inaptitude du serf arbitre permet de trouver la certitude de l’élection particulière dans les termes de l’appel général de l’Évangile.

« Ainsi apprenons, dit Calvin, que nous ne nous lassons pas de citer tant il est excellent en cette matière, apprenons de connaître en tout et partout la bonté inestimable de notre Dieu, car comme il a déclaré son amour envers le genre humain, quand il n’a point épargné son Fils unique, mais l’a livré à la mort pour les pécheurs, aussi il nous déclare un amour qu’il nous porte spécialement quand par son Saint-Esprit il nous touche de la connaissance de nos péchés et qu’il nous fait frémir et nous attire à soi avec repentance. L’entrée donc que nous avons pour venir à notre Seigneur Jésus-Christ ne procède point de nous, mais c’est d’autant que Dieu nous gouverne et qu’il lui plaît de montrer son élection.20 »

Voilà pour la certitude, par le moyen de la Parole, de l’élection à la grâce, de la conversion, de la persévérance finale et du salut éternel.

Et maintenant, qu’est-ce que le sacrement nous donne de plus que la Parole? On pourra penser ce qu’on voudra du rapport établi par le calvinisme primitif entre la prédication de l’Évangile et la certitude de l’élection, mais nul ne contestera que cette doctrine ne soit d’une très haute et très pure spiritualité. Et pourtant, parmi toutes les théologies qui repoussent la notion sacerdotale de l’action magique du sacrement, c’est dans le calvinisme que la vie sacramentelle est la plus intense21. C’est là que le sacrement prend une place de premier rang, à côté de la Parole, pour conduire le fidèle à l’assurance de l’élection particulière, par l’intermédiaire de la foi en sa promesse générale.

Nous avons dit que l’explication de ce fait se trouvait dans la conception calviniste de la nature du sacrement.

Je trouve une définition autorisée du sacrement dans l’article 24 de la Confession de La Rochelle.

La première partie de cet article marque la fin et le but de l’institution des sacrements :

« Les sacrements sont ajoutés à la parole pour plus ample confirmation d’icelle, afin de nous être gages et sceaux de la grâce de Dieu, et par ce moyen aider et soulager notre foi, à cause de l’infirmité et rudesse qui est en nous. »

La seconde partie de l’article définit les sacrements. Nous y apprenons qu’ils sont des « signes externes par lesquels Dieu opère en la vertu de son Esprit, afin de ne nous y rien signifier en vain; toutefois, nous tenons que toute leur substance et vérité est en Jésus-Christ et que si on les en sépare, ce n’est plus qu’ombrage et fumée ».

D’abord la définition du sacrement. Nous serons mieux en mesure d’expliquer le rôle qui lui est assigné.

Dans cette définition du sacrement, nous discernons deux choses : une matière constituée par le signe visible : de l’eau dans le baptême, du pain et du vin dans l’eucharistie; et une forme, comme disaient nos vieux dogmaticiens; une vérité, une substance, comme dit la confession; une réalité essentielle, disons-nous, séparés de laquelle les signes visibles ne seraient plus rien qu’un vain simulacre. Cette réalité invisible, c’est Jésus-Christ, représenté par les signes aux regards, et présenté, rendu présent, par la vertu du Saint-Esprit à l’âme du croyant. Le lien qui unit ainsi la grâce invisible, l’action personnelle du Saint-Esprit, du signe visible, est la véracité divine22.

L’action du signe visible, auquel on restreint souvent le terme de sacrement, à l’imitation d’Augustin et de Calvin lui-même, est purement psychologique, comme l’action de la Parole. Le signe visible rend la Parole plus sensible en l’imprimant, en quelque sorte, dans nos sens, et plus claire, en la faisant concrète. Le signe parle au cœur et à l’intelligence du croyant, il est pour lui un Verbum Dei visibile.

L’action de la réalité invisible qui constitue la substance du sacrement est hyperphysique, surnaturelle, incompréhensible à l’esprit humain.

La réalité de cette action est promise à celui qui ajoute sa foi à la réception du signe; promise par le signe même, au nom de la véracité de Dieu.

La grâce qui est offerte dans le sacrement n’est pas qualitativement différente de la grâce offerte par la Parole. Ici et là, c’est l’incorporation au corps du Christ, par le pardon gratuit et la nouvelle naissance, qui est offerte à la foi repentante du pécheur. La différence est quantitative.

Et si l’on demande quelle assurance peuvent donner les sacrements, puisque les bons et les méchants les reçoivent également, la réponse est la même que pour le cas de la Parole :

« Quoique les incrédules et les méchants anéantissent la grâce qui leur est présentée, il ne s’ensuit pas que leur nature et leur efficacité ne soient telles que nous venons de le dire.23 » C’est au croyant qu’est destiné le gage.

Si l’on demande comment « une goutte d’eau nous suffira-t-elle pour nous assurer la rémission de nos péchés et que Dieu nous a adoptés pour ses enfants, et que, si nous sommes caducs et fragiles, toutefois, nous serons vêtus de sa gloire céleste qui jamais ne défaudra »; comment « un morceau de pain et une goutte de vin suffiront-ils pour nous assurer que Dieu nous avoue pour ses enfants que nous vivons en Jésus-Christ, et qu’il n’a rien de séparé d’avec nous24 », la, réponse est courte et nette sur la valeur de gage du signe visible : « Il ne l’a pas de lui-même, mais en tant qu’il est établi de Dieu pour cette fin.25 »

Aussi, pour un calviniste, sont dépourvus de toute signification ces baptêmes secs de certains faux spiritualistes, baptêmes qui diffèrent du régime sec américain en ceci qu’ils sont célébrés sans eau. Et la cérémonie prétendue eucharistique où la coupe est représentée par une tasse de thé et le pain rompu par les petits gâteaux lui apparaît comme une parodie stérile et sacrilège de la Cène du Seigneur.

Sans doute, Calvin le reconnaît, « quand… nous prendrons journellement notre repas, et réflexion, c’est autant comme si notre Seigneur Jésus-Christ nous déclarait sa bonté26 ». En effet, « en cela déjà Jésus se déclare avoir un soin paternel de nous et notre Seigneur Jésus-Christ montre que vraiment il est la vie du monde27 ».

« Mais il y a une considération spéciale en cette table qui est mise ici : car c’est pour nous montrer que nous sommes frères de notre Seigneur Jésus-Christ… que d’autant qu’il nous a unis à soi, il nous a aussi unis à Dieu… que nous sommes repus de sa substance pour avoir toute notre vie spirituelle en lui.28 »

Voyons maintenant la fin et le but de l’institution divine du sacrement et le rapport de celui-ci avec la certitude de l’élection.

Les sacrements, avons-nous vu, sont ajoutés à la Parole pour plus ample confirmation, pour soulager notre foi, à cause de notre « grossièreté ». Ils sont des sceaux en même temps que des signes.

N’étaient notre « infirmité et rudesse », la Parole toute seule devrait suffire à nous conduire à l’assurance de la justification et de la persévérance finale. Par la grâce de Dieu, elle y suffit en fait dans les cas de privation du ministère légitime du sacrement.

Mais enfin, et abstraction faite de ces cas, il reste que notre infirmité et rudesse sont des réalités et que Dieu a voulu miséricordieusement y remédier par le sacrement.

L’assurance de l’élection n’est pas la déduction dialectique d’un théorème dogmatique, qu’on puisse reproduire à volonté. Cette déduction toute seule ne peut donner la certitude de foi divine dont l’âme fidèle a faim et soif. Il faut, en outre, que le raisonnement humain soit scellé du témoignage du Saint-Esprit.

Or, le Saint-Esprit est une personne, et, nous l’avons dit, il retient son témoignage quand le péché se réinstalle dans la vie du racheté. L’assurance qui se confie dans l’excellence de sa foi, les chutes graves qui contristent le Saint-Esprit se muent bientôt en doutes angoissants sur l’élection.

Dans ce cas, Calvin renvoie à Jésus-Christ :

« Nous ne pouvons nous assurer de notre salut que par la foi… Veux-tu donc bien savoir si tu es élu? Regarde-toi en Jésus-Christ… Et quand nous le voudrions savoir, il ne faut pas que nous montions là-haut pour nous enquérir de ce qui nous doit être caché. Mais voilà Dieu qui s’abaisse à nous; il nous montre de quoi en son Fils : comme s’il disait : me voici, contemplez-moi et connaissez comment je vous ai adoptés pour mes enfants. Quand donc nous recevons ce témoignage de salut qui nous est rendu par l’Évangile, de là nous connaissons et sommes assurés que Dieu nous a élus.29 »

Or, c’est précisément à Jésus-Christ et à sa mort rédemptrice que renvoie le sacrement. Le baptême nous atteste que Dieu veut nous agréger à son Église. Il nous dit qu’aussi vrai que nous sommes introduits dans l’Église visible par le baptême d’eau, aussi vrai Dieu veut nous introduire dans l’Église invisible qui est la société des élus à la vie éternelle, si nous ne voulons pas anéantir sa grâce par notre refus. La Cène nous atteste qu’aussi vrai que le pain et le vin que nous venons de recevoir sustentent le corps et s’assimilent à lui, aussi vrai le Christ s’unit à nous et devient notre propre chair et notre propre sang pour nous unir à son corps, qui est l’assemblée des élus, pourvu que nous ne voulions pas fouler aux pieds le don qu’il nous offre. Dès lors, la question change de forme. Ce n’est plus : Suis-je ou non du nombre des élus? C’est : Veux-je, oui ou non, être agrégé au corps du Christ, à l’Église des prédestinés? — Veux-tu être guéri? dit le Christ, dans le sacrement, à chacun en particulier, comme il le disait autrefois au paralytique de Béthesda. Si je dis : oui, je reçois personnellement la réponse de Dieu : « Je t’ai aimé d’un amour éternel », « car notre Seigneur Jésus-Christ est le fondement de ces deux, c’est à savoir, des promesses de salut et de notre élection gratuite…30 »

Or, Jésus-Christ est la vérité et la substance du sacrement, gage des promesses de salut et efficace « en les élus ».

Notes

1. C. I, sect. 16; c. V, sect. 14.

2. Com. in Rom. IX, 11.

3. Com. in Joh., III, 16.

4. Calv. Cat. Genev., sec. 1.

5. Com. in Rom., V, 18.

6. Inst., IV, 1, 2. Cf. Cat. Genev., sect. 15.

7. Prælect. in Ezech., XVII, 13.

8. Sermon sur Job, n133 (sur XXIV, 27).

9. Can. Dordr., c. II, art. 5.

10. Marc 16, 15. L’Église réformée, appuyée sur le témoignage du Saint-Esprit, reçoit ce texte comme canonique. D’ailleurs, les prédestinatiens en question seraient, croyons-nous, les derniers à élever un doute sur l’autorité de ce morceau.

11. Matth. XV, 19; XII, 33, ss.

12. Prælect. in Lament. III, 38.

13. Ch. Hodge : Systemaitic theology, vol. II, p. 285.

14. Inst., II, 13, 5.

15. Calv. op. Brunswig VI, 335.

16. B. Pictet : Theol. System. liv. VI, c. XIII, p. 5.

17. Calvin, 138sermon sur Job (XXXIV, 27).

18. Ibid.

19. Heyns, Geref. Geloofsl. 392.

20. 3sermon sur la passion de notre Seigneur Jésus-Christ, t. III de l’édit, « Je sers », p. 149.

21. Sur le renouvellement de la mémoire du baptême après les chutes dans le péché. Inst. Chr. IV, 15, 3; fêtes anniversaires, 11sermon sur Job.

22. Calv. Catech. Genev., sect. 29, quest. 5; sect. 53, quest. 3.

23. Catech. Genev., 47section.

24. Sermons sur la passion, édit. laud., p. 57.

25. Catech. Genev., 46section.

26. Sermons etc., p. 260.

27. Ibid.

28. Ibid., pp. 266 sq.

29. Op. Calv. Brunsw. VIII, 114.

30. Com. in Exod., XII, 3.