Cet article a pour sujet le rapport en la justification (déclaration juridique) et la sanctification (transformation progressive par l'Esprit) d'après la foi réformée, comparé à ce qu'enseigne le catholicisme romain.

Source: Essai sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne. 3 pages.

L'appel à la sanctification - La sanctification et la justification

Comment réaliser l’impossible possibilité dont parle la théologie réformée au sujet de la sanctification? Examinons d’abord le rapport entre la justification par la foi seule et la sanctification afin de pouvoir répondre à cette question.

Une certaine conception confond l’une avec l’autre. Rappelons-nous pourtant que l’une et l’autre sont des œuvres accomplies et appliquées extérieurement au chrétien.

Les moralistes se trompent sur le sens de la vocation biblique du « travaillez à votre salut ». À leurs yeux, les bonnes œuvres posséderaient un statut indépendant dans l’expérience chrétienne, placées hors du rayon de la justification et de la sanctification. L’Écriture ne rejette pas notre activité, mais plutôt nos mérites imaginaires.

Dans le Nouveau Testament, la « dikaiosunè », terme grec traduit par justification, possède un sens juridique (forensique). Il s’agit d’une déclaration et d’un verdict prononcés dans une cour de justice. La justification est un acte juridique imputé au pécheur. La sanctification, pour sa part, est un acte imparti. Par la première, la faute est ôtée; la seconde fait disparaître la souillure. La première rend le pécheur acceptable au regard de Dieu; la seconde cherche la communion avec Dieu. La justification a conféré un nouveau statut; la sanctification inaugure un nouveau chapitre. Logiquement, la première devra précéder la seconde. L’homme justifié n’est autre que l’homme pécheur et condamné. Impie, « beaucoup » justifié, il sera aussi beaucoup sanctifié!

Certains théologiens appellent la régénération le pôle subjectif de la sanctification, à cause du rôle qu’y tiennent le Saint-Esprit et la mort expiatoire du Christ. La justification pourrait également être appelée le début de la régénération. Traditionnellement, l’objet de la controverse entre la Réforme et Rome réside sur ce point précis. Au regard de Rome, la justification serait fondée sur une « valeur » inhérente à l’homme et dont l’Esprit se servirait a posteriori. L’homme pécheur offrirait un point de contact sur lequel la grâce pourrait trouver appui, lui accordant une justification dite analytique. Pour la Réforme, la justification est une déclaration juridique de justice affectant l’homme impie qui ne possède aucune « valeur inhérente » et n’offrant aucun point de contact pour accueillir la démarche divine (justification synthétique ou forensique).

Soutenue par l’ensemble du témoignage biblique, la Réforme a maintenu l’absence totale de mérite chez l’homme impie. Si pour la théologie romaine l’homme est justifié dans la mesure où il est moralement renouvelé, la justification de l’impie se tient dans ce cas sur le terrain de la foi, mais en prétendant offrir un appui à la grâce et à sa bienveillante coopération en vue d’obtenir le salut. À cet égard, la Vierge Marie offre l’exemple classique d’une collaboration (synergie) entre les œuvres de l’homme, parmi lesquelles il faut compter la foi, et la grâce. Elle illustre le cas de la justification que nous avons appelée analytique. Dès lors, rien ne s’oppose à ce qu’elle passe pour la médiatrice entre Dieu et les hommes.

De nombreux protestants ignorent que le dogme romain déclare aussi l’article de « la justification par la foi ». Toutefois, ainsi que nous venons de préciser, il ne s’agit plus de la position défendue par la Réforme. Dans le cas romain, la justification est virtuellement absorbée dans la sanctification, de sorte que la nature juridique, ou forensique, en est obscurcie et même tout à fait ignorée. Nous reconnaîtrons volontiers qu’il faut éviter de tomber dans l’autre extrême, c’est-à-dire en nous en tenant qu’à la justification juridique et en négligeant sa dimension eschatologique.

Luther comme Calvin reconnurent la primauté de la justification par rapport à la sanctification. Cependant, le réformateur allemand a considéré la vie chrétienne comme un constant retour vers la justification, dont le baptême est le signe principal, si ce n’est exclusif. À ses yeux, la sanctification est moins une croissance dans la piété empirique qu’un continuel refuge en la justice du Christ. Le progrès dans la sanctification est alors conçu comme une répétition de la justification.

Pour Calvin, la sanctification est une lente, mais sûre ascension vers la perfection. La justification est la porte étroite, tandis que la sanctification est la voie sur laquelle, selon Augustin, certains fidèles avancent plus ou moins rapidement. C’est aussi la raison pour laquelle Calvin prend au sérieux l’aspect « ascétique » de l’expérience chrétienne. La manière dont le réformateur français a traité de la loi offre une preuve de sa préoccupation majeure au sujet d’une sanctification active. Pour Luther, la loi n’est qu’un miroir reflétant l’identité réelle de l’homme pécheur pour l’amener au désespoir. Calvin, contrairement à Luther, voit dans la loi le guide unique et suffisant de la vie chrétienne, vécue dans la liberté et la gratitude. L’Évangile n’abroge pas la loi; il la confirme et l’accomplit. L’observation fidèle de celle-ci est la marque de la vie chrétienne; la vie dans la foi n’est pas une liberté qui s’opposerait à l’autorité de la loi (une anomie, ou antinomie). Bien que pour Calvin la justification soit l’unique fondement permanent de la vie chrétienne, le réformateur français s’efforce de maintenir un juste équilibre entre elle et la sanctification.

Sans doute les successeurs de Calvin furent-ils moins attentifs à cet aspect des choses et au maintien d’un équilibre indispensable, surtout lorsque le piétisme occupa la scène et même l’avant-scène de la théologie évangélique. Néanmoins, le courant principal de la théologie réformée s’efforça de conserver les deux facettes du salut, l’une étant aussi essentielle que l’autre. L’élu est appelé non seulement à bénéficier de la rédemption, mais encore à rechercher un but élevé dans son existence. Celui qui a trouvé en Christ l’expiation de ses péchés devra aussi ressusciter avec lui pour une vie nouvelle.

Plus que Luther, Calvin rend compte de la nécessité de la sanctification individuelle. La piété réformée mit le fidèle en garde contre toute absolutisation de la justification comme unique fondement de vie et d’expérience chrétienne. Il ne suffit pas d’obtenir le pardon des offenses, mais il faut encore chercher à déraciner la faute. Ce qui a été ôté de droit par le Christ devra l’être de fait par l’Esprit. La sanctification nous renvoie sans cesse à notre justification. Il n’est pas légitime de prêcher la sanctification sans mentionner simultanément la justification, autrement on cautionne une conception moraliste, voire légaliste de l’expérience chrétienne. La première s’enracine, se nourrit et se développe sur le terrain de la seconde. Elle en démontre en quelque sorte l’authenticité. L’une et l’autre ont respectivement leur pôle objectif et subjectif. Le pôle objectif étant Jésus-Christ et le pôle subjectif la foi. Insister exclusivement sur le pôle objectif serait faire injustice, voire rendre caduque la seconde et annuler par là l’œuvre que Dieu accomplit en nous.

Nous sommes exhortés à porter les fruits de l’amour. La sanctification peut revêtir un double sens : celui de notre appartenance à Dieu, comme Israël dans l’Ancien Testament, et, ainsi que le précise saint Paul, celui de considérer le croyant comme saint et sanctifié en Christ (voir 1 Pi 2.9 et Rm 6.22). Le fondement de cette sainteté réside dans le sacrifice du Christ par lequel nous sommes sanctifiés une fois pour toutes (Hé 10.10). Elle désigne la vie nouvelle du croyant avec Dieu, rendue effective grâce à la réconciliation. En ce sens-là, la sanctification désignera la même relation que la justification.

D’ordinaire et avec raison, la théologie réformée a distingué la sanctification de la justification. À la suite de l’Écriture, elle ne désigne pas seulement notre nouveau rapport avec Dieu, mais elle témoigne aussi de la transformation de l’existence en tant que relation nouvelle. Selon Romains 6, les membres de l’Église ne sont plus sous le pouvoir du péché, mais marchent par l’Esprit. Du fait de leur appartenance à Dieu, leur sainteté objective se traduira par l’annonce des vertus de celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière (1 Pi 2.9).

Désormais, le racheté se conduira comme l’esclave soumis et reconnaissant du Christ. Il cherchera à connaître dans son expérience personnelle toute la puissance de la résurrection du Christ (Ph 3.10). Il a été saisi par lui. Aussi court-il pour parvenir à la perfection (Ph 3.13). Il désire ardemment que le Christ soit formé en lui (Ga 4.19). Il veut gagner le Christ (Ph 3.8). De tels passages bibliques rendent un éloquent témoignage à la responsabilité indispensable du fidèle dans le processus de sa sanctification, sans qu’elle devienne le complément apporté à l’œuvre parfaitement achevée du Sauveur. Si le Christ est formé en lui, il comprend cette réalité aussi au moyen de la foi (Ga 2.2). La sanctification est associée à la sainteté de Dieu. Tâchons de comprendre celle-ci pour mieux saisir la portée de l’exigence de notre sanctification.