Cet article est une lettre d'un pasteur à deux fiancés qui a pour sujet quelques principes fondamentaux du mariage (commun accord, réciprocité, don de soi, soumission) et la manière de bien vivre les fiançailles (attente et préparation).

Source: Pastorale de la famille. 4 pages.

Lettre à deux fiancés

Cher X., chère Y.,

Je réponds sans tarder au mot de X., avant de prendre un peu plus de temps pour approfondir les questions que vous me posez.

D’abord, bravo d’aborder le sujet simplement, directement. Bravo aussi de le faire « d’un commun accord », pour reprendre la belle expression biblique de 1 Corinthiens 7.5 (qui est justement employée dans le contexte du couple, et même des relations intimes dans le couple). Cela me donne l’occasion de rappeler quelques principes fondamentaux du mariage, avant d’évoquer la question des fiançailles.

Cette expression (« d’un commun accord ») est sans doute une des clés du mariage, qui est l’image de l’alliance qui nous unit à Dieu. D’un commun accord, cela signifie — comme à la conversion! — que l’on est entré dans un nouveau mode de fonctionnement, celui de l’écoute, celui de la concertation, celui de la marche commune, celui du renoncement à la volonté propre : on ne décide plus tout seul! Le pire ennemi du mariage, c’est de demeurer centré sur soi-même, de vouloir vivre comme avant1. Dans un premier temps, ce renoncement peut paraître coûteux; mais s’il est vécu dans l’amour (on pourrait dire aussi dans la foi), il s’avère merveilleusement épanouissant2. Comme dans la marche avec le Seigneur!

Le principe du commun accord en appelle un autre, celui de la réciprocité. Même dans notre relation avec le Seigneur ce principe existe : Il s’est fait lui-même serviteur pour faire de nous des serviteurs; il est attentif à nos vies, écoute notre voix, pour que nous soyons attentifs à la sienne… La réciprocité est une condition élémentaire de la relation véritable dans le couple.

L’apôtre Paul, qui rappelle plusieurs fois la différence de nature entre l’homme et la femme, souligne également le principe de réciprocité (1 Co 7.3-5; 1 Co 11.11-12…). Même le fameux texte d’Éphésiens 5 établit une forte réciprocité : pour le mari comme pour l’épouse, il y a don de soi. Ce don est de l’ordre du sacrifice pour le mari; il est de l’ordre de la soumission pour l’épouse. Soumission et sacrifice, ce sont deux renoncements, deux offrandes de soi : l’un est-il plus difficile que l’autre? Non! Ce sera seulement difficile s’il n’y a pas réciprocité…

Je ne crains pas d’évoquer ici le début de Romains 12 qui parle d’offrir nos corps en sacrifice vivant pour Dieu. Que vaudraient un culte, une piété, une vie chrétienne sans offrande de nos corps (= de notre vie entière, sans retenue) pour Dieu3? Ce principe vaut aussi pour le mariage, et c’est ce qui fait du mariage une réalité unique, « sacrée ». Cette offrande des corps s’exprime particulièrement dans la relation sexuelle4, mais pas seulement là. Elle s’exprime aussi par une volonté entièrement désireuse de faire le bonheur de l’autre5. Le mot consécration, ici, n’est pas déplacé. On peut considérer, comme Paul le fait en 1 Corinthiens 1, qu’il s’agit d’une sorte de faiblesse (une vulnérabilité) et même une folie (un renoncement contre nature!); mais cela peut devenir aussi une puissance et une sagesse, celles de l’amour véritable qui donne et se donne.

Cette évocation de l’offrande de notre corps me permet de revenir plus précisément sur les questions que tu me poses (que vous me posez) quant à la manière de bien vivre le temps des fiançailles.

Si je devais le dire en quelques lignes, je dirais que le temps de fiançailles est un temps d’attente différent de celui qui précède : c’est un temps d’attente, alors qu’on a déjà trouvé! On observe souvent dans la Bible que Dieu agit promptement, mais avec des délais « pédagogiques ». Les délais sont à la fois éprouvants et précieux; apaisants et responsabilisants. C’est le temps de prémices, celui des premiers fruits avant la récolte, celui du « goût à la bouche »! C’est un temps de patience et d’impatience qu’il convient de vivre pleinement. Ce n’est pas un temps pour rien : c’est un temps d’apprentissage, de préparation, de purification aussi. Certes, on aura beaucoup de choses à apprendre encore après, mais tant mieux si certaines choses importantes sont déjà apprises pendant ce temps-là. Se préparer, quelle belle preuve d’amour…

Quand on est fiancé, on n’est pas encore mariés : il faut attendre; mais on est déjà ensemble, et il y a donc des choses à vivre dès maintenant, sans attendre6! Que d’habitudes doivent changer!

Ce qui me semble souhaitable, c’est de diversifier autant que possible les champs de découverte, en privilégiant la parole, le dialogue7, l’échange sur le maximum de sujets possibles (les goûts et les couleurs, mais aussi les joies, les faiblesses, les désirs, les craintes, et encore des questions pratiques comme l’argent, les relations familiales, les enfants…) : Que veux-tu dire? Pourquoi penses-tu comme cela? Ai-je bien compris ce que tu as dit? Je vais y réfléchir et on en reparlera…

Je crois que le respect de l’autre nécessite une entière sincérité (ni mensonge ni dissimulation), ce qui n’empêche pas de parler avec précaution, d’aborder les sujets sensibles progressivement, au moment et de la manière qui conviennent… à l’autre! Puis-je te poser une question délicate? Est-ce que je t’ai fait de la peine? Entre fiancés (comme entre conjoints, bien sûr), les joies et les tristesses deviennent solidaires : ta joie fait la mienne, et si tu es peiné(e) je le serai aussi8.

De même, pour ce qui est des contacts physiques, il est bien d’aller doucement, progressivement, précautionneusement, « avec autorisation ». Les gestes affectueux ne remplacent pas les paroles; ils constituent cependant un vrai échange. Le corps, c’est la personne. Accepter d’être touché, c’est offrir une sorte d’accueil; c’est dire une confiance. On se découvre et on s’accorde aussi comme cela. Une réticence excessive ou durable au niveau du corps, ne peut-elle pas être le signe d’une réticence au niveau du cœur9?

Pour répondre à ta question, il me paraît tout à fait normal que des fiancés se donnent la main. Souhaitable même! N’est-ce pas une bonne manière d’apprendre à marcher ensemble, au propre comme au figuré? Je crois qu’une certaine intimité est possible, qui est compatible avec la pudeur. Se serrer dans les bras l’un l’autre est normal pour des fiancés. C’est simplement une chose de le faire habillés, et autre chose de le faire peu couverts à 11 h du soir. Pareil pour les caresses. Je dirais qu’il faut simplement ne pas se dévêtir. Il peut également être sage de ne pas passer d’interminables soirées seuls à la maison10.

Je crois que s’embrasser sur la bouche commence à ressembler à un préliminaire de la relation sexuelle. À ce titre, il faut donc être mesurés, ce qui ne signifie pas qu’on ne puisse pas se le permettre. C’est à chacun de discerner les limites à ne pas franchir, à veiller à ne pas s’exposer (ou exposer l’autre) au point de perdre sa paix… Mais tout en demeurant prudents, il est normal de voir les craintes s’éloigner peu à peu.

Pour toutes ces choses, le mieux est qu’il y ait une bonne liberté de parole entre vous, qu’aucun de vous deux ne sente une gêne, un malaise, une pression, sans avoir la liberté de le dire. On n’avance pas l’un et l’autre forcément à la même vitesse, et cela pour des raisons diverses (sexe, personnalité, éducation, expériences vécues…). S’accorder ne signifie pas que l’on doive être d’accord sur tout; c’est aussi accepter que l’on soit différents et que l’on puisse conserver des avis différents sur un certain nombre de points.

N’oublions jamais que nous sommes, hommes et femmes, à la fois fort semblables et fort différents. Assez semblables pour qu’il y ait une vraie relation humaine, de vrais échanges, une véritable réciprocité; assez différents pour créer beaucoup d’occasions de ne pas se comprendre tout de suite, pour se blesser mutuellement… Et pourtant, cette différence est selon Dieu : elle est donc belle et bonne11. Mais que d’attention elle demande! Le début du chapitre 3 de la première lettre de Pierre est plein d’enseignements précieux à cet égard, notamment le verset 712.

C’est pourquoi la parole échangée est si importante, notamment les questions qu’on se pose mutuellement : Puis-je te donner la main? Pourquoi es-tu triste? Que puis-je faire pour toi? Également avec les paroles d’encouragement : On y arrivera! Qu’il est bon d’être avec toi! J’aime quand tu me dis cela. Tu seras un bon mari, une bonne épouse… Notamment encore avec les paroles de pardon : Pardonne-moi s’il te plaît. Je te pardonne.

Faut-il ajouter qu’il est plus que souhaitable de pouvoir prier ensemble, se présenter ensemble devant Dieu en toute vérité?

Ces lignes que je vous propose sont juste indicatrices : elles peuvent servir de support à des échanges entre vous.

Avec elles, je vous envoie mes bien cordiales salutations.

Notes

1. On pourrait reprendre la parole de Paul : « Nul de nous ne vit pour lui-même » Rm 14.7.

2. Paul le dit en Ép 5.28 : « Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. »

3« Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est éloigné de moi » És 29.13; Mt 15.8.

4. Dans ce sens, Jean-Paul II avait raison de dire que toute relation sexuelle en dehors du mariage est un mensonge.

5. Lors d’un mariage récent, les mariés ont formulé leurs promesses de cette manière : « Je fais de ton bonheur mon premier désir. » Que c’est beau si les deux pensent, disent et vivent cela!

6. À cet égard, on pourrait dire que le temps présent de la vie chrétienne est un temps de fiançailles, car nous sommes déjà et pas encore réunis avec le Seigneur. Nous avons les arrhes, les prémices de la vie... C’est beaucoup et peu à la fois. Il y a de la joie et un manque cruel. C’est déjà beau, mais nous attendons autre chose! (Voir 2 Co 5.7-8; Ph 1.23...).

7. Un mot sur l’humour : quand il est sain, il aide à dédramatiser, à rappeler la dimension de l’enfant joueur qui peut demeurer légitimement en nous. On peut être sérieux sans prendre tout trop au sérieux. Rire ensemble est plutôt un signe de bonne santé!

8. Dire cela ne nie pas que chacun garde aussi une vie propre, intérieure notamment. Cette vie propre ne constituera pas une réticence à l’amour, mais au contraire une source féconde, un recours utile pour les deux!

9. Paul aborde directement cette question en 1 Co 7.4, parlant du mariage. Voir aussi Cant 2.16; 6.3; 7.11.

10. Les fiançailles constituent une sorte de prémices à l’alliance conjugale qui n’est contractée véritablement que par le mariage, c’est-à-dire par l’engagement solennel devant des témoins. Il ne devrait donc pas y avoir de relations sexuelles avant cet engagement du mariage.

11. À ce titre, l’homosexualité est une aberration, un refus de vivre la différence — comparable à l’idolâtrie (Rm 1.22-27).

12. Le mot faible pourrait être traduit littéralement : qui peut être bousculé facilement. J’ai envie de dire ici que l’homme est peut-être moins facilement bousculé. Est-il moins fragile pour autant? Rien n’est moins sûr.