Cet article a pour sujet la place de l'intuition et de la raison dans la connaissance de Dieu et la question des preuves de l'existence de Dieu. C'est par la révélation de sa Parole que Dieu se fait réellement connaître à nous.

Source: La connaissance de Dieu. 9 pages.

L'idée de Dieu

  1. Intuition ou raison
  2. L’existence de Dieu et la raison humaine
  3. Les arguments de Platon et d’Aristote
  4. Les preuves de l’existence de Dieu
    a. La preuve ontologique
    b. La preuve cosmologique
    c. La preuve téléologique
    d. La preuve anthropologique
  5. Évaluation

1. Intuition ou raison🔗

Quelle est l’origine de l’idée de Dieu? Il existe deux explications générales. Certains considèrent l’idée de Dieu en tant qu’être suprême comme un langage technique ou l’intuition de la raison morale. Dans Actes 17.28, saint Paul pourrait donner raison à cette conception. Cela signifie que la foi en un Dieu personnel est née en tout homme, non pas comme une idée parfaite et complète, mais comme une capacité appelée à se développer. Si cela est, alors elle serait l’une des intuitions primaires de l’humanité. Certainement, ce serait une erreur de penser que l’idée nous en vient exclusivement de l’Écriture chrétienne, car toutes les races, étrangères à la révélation spéciale, possèdent une idée de la divinité.

Nous verrons que ce n’est que l’Écriture comme le document de la révélation spéciale qui offre une idée claire et satisfaisante de Dieu, en tant que Créateur et Rédempteur. Son accent tombe sur sa véracité plus que sur l’idée de Dieu. Mais il serait erroné aussi de penser que nous obtenons l’idée de Dieu à l’aide de la seule raison. La raison à cet endroit n’est pas la source, l’origine, de l’idée. En raisonnant, nous pouvons obtenir une conception plus complète de Dieu, mais la raison n’engendre pas cette conception. Ceux qui soutiennent que notre idée de Dieu est intuitive analysent la conception en trois éléments : d’abord, la conscience de la puissance qui conduit au sentiment de notre dépendance en lui; ensuite, la conscience de sa perfection qui conduit à l’accomplissement de nos obligations envers lui; enfin, la conscience de sa personnalité qui conduit au sentiment d’adoration.

D’autres objecteront à cette idée intuitive de Dieu et soutiendront qu’elle est le résultat de la raison, laquelle instinctivement reconnaît la vérité, la beauté, la déité, et ceci fusionne avec la pensé de la réalité une.

Quels que soient les éléments ou bribes d’éléments positifs dans ces deux conceptions, le fait est que, soit par la raison soit par l’intuition, l’on cherche Dieu en dehors de sa révélation. Ce qui est clair, c’est que ces deux idées sont universelles. Cela s’appelle le concensus gentium, un fait qui devrait pourtant être mieux explicité, puisqu’une révélation primitive présuppose un révélateur. Une idée innée présuppose un auteur. Cela montre que la religion n’est pas une illusion, mais réelle, et que l’univers est le domaine de l’esprit.

Cette croyance universelle en l’existence de Dieu est confirmée par des arguments avancés par le monde en dehors de l’homme et la nature qui lui est intérieure. Il est donc indispensable de nous enquérir quant à des preuves de l’existence de Dieu. Bien que la raison seule ne puisse chercher et découvrir Dieu, les preuves avancées en faveur de son existence pourraient être utilisées dans une certaine mesure, dans la connaissance de la nature divine; ou encore, dans le dessein de défendre des convictions obtenues par ailleurs.

Il existe alors deux façons de procéder. Certains affirmeront qu’a priori l’on peut prouver l’existence de Dieu. En raisonnant de la nature des choses, l’on parviendrait à la déduction de l’existence de Dieu. L’autre approche a posteriori est plus facile à suivre; les questions de la religion naturelle sont des faits et doivent être traitées de manière inductive, par le même processus que nous appliquons à d’autres domaines du savoir humain. Cela ne veut pas dire que les résultats de la première approche aprioristique devraient être rejetés, car une fois que l’existence de Dieu a été établie sur un terrain a posteriori, inévitablement nous serons conduits à lui attribuer les conceptions d’infini, d’éternité, de spiritualité, que souligne précisément la méthode a priori. Plus loin, nous examinerons l’approche biblique de l’existence de Dieu. La vérité est qu’il est difficile, voire impossible, de distinguer entre l’existence et le caractère de Dieu. Les deux idées sont inextricablement liées, de sorte que, quand nous réfléchissons à ce qu’on appelle les preuves de son existence, nous portons aussi une attention aux éléments de la nature divine. Bien qu’il n’y ait pas de preuves directes de la divine existence, des preuves indirectes, qui ne sont que des évidences et qui pointent vers les fondements essentiels de cette existence, sont en présence. Ces preuves ne sont pas toutes de même valeur, mais nous les examinerons séparément.

2. L’existence de Dieu et la raison humaine🔗

Nous suivrons ici de près, quoique schématiquement, Gabriel Millon, dans les notes prises lors de son enseignement en Faculté de théologie.

Nous avons rendu déjà suffisamment clair que la foi seule connaît Dieu et entre avec lui dans une relation vivante. Tel est le sens d’Hébreux 11. Ces mots précisent l’aspect fondamental de la relation personnelle. L’homme doit « rechercher Dieu ». Dieu, de son côté se révélant, devient la récompense de la recherche de l’homme.

Pourtant, l’homme ne cherche pas Dieu. Il le fuit à cause de sa révolte et transgression. Cependant, Dieu reste son « éternel tourment ». Il n’y a que l’insensé qui dit : « il n’y a pas Dieu » (Ps 14.1). Une telle négation, qu’elle soit théorique ou pratique, de l’existence de Dieu est une tentative de fuir son tourment. Mais pour le nier, il faut pourtant avoir entendu parler de lui. Cela suppose que l’homme fut atteint par la Parole qui, selon Jean 1, éclaire tout homme venant au monde. Ce n’est qu’après qu’il le rejette, le refuse, le fuit consciemment. Ainsi, le psalmiste a raison de traiter le négateur athée d’insensé.

Une autre réaction qui consiste de nouveau à fuir le Dieu personnel est de le traiter comme une « idée »; ainsi parle-t-il de Dieu en dehors de la foi. Si certains hommes ont changé la gloire de Dieu en images corruptibles, selon Romains 1.23, d’autres l’ont changé en idées ou images intellectuelles, qui sont aussi vaines que les idoles grossières. Par un usage contre nature de l’intelligence qui est le don de Dieu, ils ont créé une fausse connaissance de Dieu qu’ils disent être rationnelle, mais qui n’est que folie. Celui qui se fabrique une « idée » de Dieu est aussi insensé que le fabricant de l’idole. L’un et l’autre fuient Dieu, le Dieu personnel, en se plaçant hors du terrain de la foi. L’athéisme et le déisme ont en l’homme une même racine : le désir d’échapper au Dieu personnel (voir 1 Co 1.21-23; 2.1-5).

C’est en Grèce que la philosophie s’est posé le problème de l’existence de Dieu et a essayé de lui donner une solution rationnelle. Les circonstances de cet effort de la pensée grecque sont connues. La religion grecque avait provoqué la réflexion des philosophes. Mais les sophistes prirent une attitude sceptique qui ruinait cette religion. Protagoras dit ne pas savoir si les dieux existent ou non. Thrasimaque aurait douté de la providence; il pensait que les dieux ne s’occupaient pas des affaires humaines. Critias, un des trente tyrans athéniens, aurait attribué aux législateurs l’invention des dieux.

Socrate a réagi. Il concevait l’univers comme le produit d’une cause morale, d’une intelligence bienveillante. Les phénomènes ne sont pas nécessaires, mais se produisent parce qu’il est bon qu’il en soit ainsi. Socrate croyait à la présence constante et bienfaisante de la puissance intelligente qui gouverne le monde et s’intéresse à l’homme. Le point de départ de sa pensée, c’est qu’il découvre dans l’univers les traces d’une intelligence bienveillante. C’est une conception optimiste.

Platon puis Aristote élaborèrent les arguments rationnels par lesquels les philosophes prétendaient prouver l’existence de Dieu. Nous les considérerons plus loin, mais nous remarquons tout de suite que ces philosophes ne furent pas les créateurs du déisme qui préexistait d’une façon latente dans la pensée religieuse grecque. Ils ont voulu la justifier et même l’épurer, le scepticisme des sophistes ne pouvant satisfaire les exigences de la raison et du besoin religieux. Nous ne disons pas que leur argumentation ait convaincu les Grecs, cependant elle a contribué à rassurer quelques esprits capables de la comprendre en prenant soin d’écarter quelques erreurs largement répandues par la mythologie. Parallèlement, elle tendait à la formation d’un déisme intellectuel fabricant un Dieu-idée en dehors de la foi, voire s’opposant à celle-ci.

3. Les arguments de Platon et d’Aristote🔗

La dialectique de Platon l’amenait à la recherche de la perfection qu’il découvrait au sommet, dans les idées de beau, de juste et de bien, ce dernier étant placé au sommet. Ce n’est pas une pure idée. Tous les êtres intelligibles tiennent du bien leur être et leur essence (Rép. VI, 109 b). Les « idées » de Platon sont « consistantes »; par elles, Platon se rapproche de l’idée de Dieu. C’est encore à ce Dieu qu’il parvient par la dialectique de l’amour qui cherche un objet de plus en plus parfait. Platon va essayer de légitimer ce mouvement spontané de son esprit qui l’a entraîné vers un Dieu bon, beau et vrai. Il propose les arguments suivants : Tout ce qui naît a une cause; il y a donc une cause de tout ce qui devient. Ce qui est dans l’effet est idéalement dans la cause. Tout mouvement suppose une cause motrice, une substance qui se meut soi-même et n’est pas mue par une autre. Il y a des causes intelligentes qui expliquent la « finalité » des êtres, leur gouvernement. Au sommet, il y a l’intelligence, c’est-à-dire Dieu.

La vision de Platon, comme celle de Socrate, est optimiste. Le mal que nous percevons dans les détails disparaît dans le tout.

Aristote va perfectionner ces arguments et leur donner une forme plus rigoureuse. À partir de sa théorie de la puissance et de l’acte, il posera l’existence de l’acte pur. La pensée imparfaite dépend, dans son existence, de la pensée parfaite. Enfin, tout mouvement suppose un moteur; on arrive donc à un moteur non mû, c’est-à-dire Dieu, premier moteur.

Ces arguments rationnels devraient varier avec les systèmes philosophiques. Chez les stoïciens, Dieu est la nature ou l’âme de la nature. Ils servent à élaborer un « cosmothéisme ». Cette théorie, moins métaphysique que les précédentes, chose curieuse, a produit des élans religieux très intenses (Épictète, Marc Aurèle, d’autres).

Les stoïciens insisteront sur l’argument tiré du consentement universel. Croire en Dieu est donc pour eux un sentiment inné (Cicéron, De natura rerum). Ils insistent aussi sur la providence; le mal n’est qu’un accident, une excroissance.

L’Église, dans les écrits des Pères, rhéteurs ou philosophes, accueillera cette argumentation païenne. Il est vrai que la foi aura à tenir compte de sa doctrine trinitaire et des données de la révélation. Il devra donc ajuster l’argumentation philosophique sur sa doctrine. En réalité, c’est la doctrine qui fera les frais de cette alliance. Augustin s’inspirera de Platon. Plus tard, Thomas d’Aquin s’inspirera d’Aristote.

L’athéisme pur est d’origine plus récente. Chez les anciens, l’athéisme masquait un désintéressement à l’égard des divinités de la tribu ou de la cité; ou il consistait dans un rejet du polythéisme ou de certains de ses aspects déplaisants. On accusait volontiers d’athéisme les négateurs des dieux qu’on adorait soi-même. C’est ainsi que les païens et les chrétiens s’accusaient mutuellement d’athéisme. C’est à ce genre d’accusation qu’il faut penser lorsqu’on lit ce qui est dit de l’athéisme dans le livre apocryphe de la Sagesse (13.1-5). Les Pères de l’Église avaient à combattre le polythéisme des païens. Aux faux dieux, ils opposaient le vrai Dieu. Les Pères apologistes partent de l’idée de la création et de la sagesse qui s’est manifestée dans l’œuvre de Dieu. Celle-ci vient du Logos qui est partout dans le monde et qui se manifeste aussi bien dans l’humanité. C’est l’idée de « logos spermatikos » de Justin (Apologie, 1.18-20; 2.10-13).

L’argumentation de Tertullien s’appuie sur les motifs psychologiques. Notre âme tend naturellement vers Dieu. Elle a un pressentiment de l’éternité (De testimonio animae). Athénagoras démontre qu’il n’y a qu’un seul Dieu, parce que plusieurs Dieu se limiteraient mutuellement et que Dieu contient toute la perfection (Legatio, 5-8). Théophile voit dans l’ordre des choses la preuve de l’existence d’une intelligence qui les conduit :

« Quand on voit un vaisseau naviguer en mer et se diriger vers la rive, on ne doute pas qu’il y a un pilote qui le guide. De même, il faut admettre un Dieu comme conducteur de toutes choses, bien qu’on ne le voie pas avec les yeux de la chair. » (Ad Autolycum, I,1,5).

Augustin reste influencé par le platonisme. Le monde des idées est plus réel que le monde matériel. Notre reconnaissance de Dieu est le fondement de notre connaissance. Dieu est le soleil des esprits. « Ne va pas en dehors, rentre en toi-même, c’est dans l’être intérieur qu’habite la vérité » (De vera religione, XXXIX, 72). Il y a en nous un désir naturel de Dieu. Notre imperfection nous fait aspirer à la perfection de Dieu. « Notre cœur est sans repos tant qu’il ne se repose pas en toi » (Confessions, I,1).

Notons encore quelques idées d’Augustin : le monde est l’œuvre de la bonté de Dieu; le temps est l’image de l’éternité; le monde et le temps ont été créés en même temps; le mal n’est que la négation du bien; le souverain bien est dans l’imitation de Dieu; la théorie de l’expiation repose sur l’idée que le bonheur est attaché à la vertu et le malheur, au vice; le mal vient de l’homme; Dieu l’a permis, mais la providence le fait tourner au bien.

On ne peut pas dire que, pour Augustin, prouver l’existence de Dieu ait été une nécessité, pas même une nécessité apologétique. Augustin était un croyant et ses certitudes reposaient sur la foi. Il en sera de même chez les scolastiques. Mais Augustin était trop philosophe pour ne pas se préoccuper de mettre d’accord sa raison avec sa foi. Le danger était dans la tentation d’établir à côté des certitudes de la foi une pseudo-certitude rationnelle. Le centre de gravité de nos certitudes risquait de se déplacer. De plus, la tentation était grande d’altérer la doctrine pour la rendre acceptable ou au moins plus rationnelle.

C’est avec la scolastique et plus spécialement avec Thomas d’Aquin (13e siècle) que les preuves de l’existence de Dieu recevront leur forme la plus rigoureuse. Dans la « Prima Pars » de sa Somme théologique, Thomas d’Aquin expose les cinq voies par lesquelles il prétend démontrer l’existence de Dieu. Il étudie ailleurs ces cinq démonstrations qu’on peut résumer ainsi.

4. Les preuves de l’existence de Dieu🔗

En voici les arguments classiques, ou les preuves :

a. La preuve ontologique🔗

On entend par là qu’une conception subjective en l’homme implique une existence objective en dehors de l’homme. On l’exprime parfois en disant que la pensée de Dieu est latente dans l’esprit, mais non produite par lui. L’homme cherche à interpréter la nature en dehors de lui-même d’après l’analogie qui lui est propre. L’unité qu’il impose à la nature est modelée d’après la connaissance qu’il a de lui-même. Si nous avons une idée d’un être parfait indépendant et lorsque cette pensée nous vient, inévitablement nous pensons à lui comme d’un existant, et comme d’un existant par nécessité.

Cette preuve est d’une valeur limitée, quoiqu’admise par certains théologiens, même protestants. Pourtant, elle est supposée, mais non prouvée; un idéal impossible à réaliser. Car on cherche à prouver l’existence de Dieu tandis qu’on discourt de sa perfection. La seule valeur en serait qu’elle déclare le fait de la croyance en l’existence de Dieu comme une nécessité de la raison pratique.

Anselme dans son Proslogium propose la preuve dite « ontologique ». Elle est en général rejetée par ceux qui cependant admettent la valeur des autres preuves de l’existence de Dieu. Selon Anselme, Dieu est un être si parfait qu’on ne peut en concevoir un autre qui soit plus grand que lui. Or, il ne serait pas parfait s’il n’avait pas l’existence. Donc il existe. On répond que Dieu ne peut être conçu comme non existant, mais que cela ne prouve pas qu’il y ait un Dieu. On peut avoir l’idée d’une chose sans que cette chose existe. On ne peut passer sans raison de l’ordre des idées à l’ordre des réalités. Cependant, on retrouvera l’argumentation d’Anselme chez Bonaventure (13e siècle). Descartes, Leibniz, Spinoza, Hegel, Fichte l’auront suivi.

b. La preuve cosmologique🔗

Elle veut que tout effet ait sa cause adéquate. Des antécédents et des conséquents sont insuffisants parce qu’ils supposent une succession. Les séquences des événements ne sont pas de l’ordre simplement chronologique. Certes, la nuit suit le jour, mais non comme l’effet qui suivrait une cause. Pourtant, il y a une cause aussi bien au jour qu’à la nuit. L’univers est un effet parce qu’il a un commencement et sa seule cause adéquate est la cause première, à savoir Dieu. Donc toute chose en existence doit avoir une cause pour le produire. Le monde existe donc, il doit avoir une cause et comme Dieu seul est la cause adéquate, Dieu existe. Cela veut dire que l’esprit (intelligence) perçoit intuitivement une cause de ce qui est visible (Rm 1.20). La matière devait être créée. Le mouvement devait avoir une impulsion. La vie devait avoir un donneur de vie. Le processus du développement dans l’univers, ou dans n’importe laquelle de ses parties, avait un commencement. Ceci requiert une cause; cette cause n’est pas physique, la seule cause non physique est la volonté ou l’esprit. Ceux-ci supposent alors un être personnel.

La théologie réformée déclare qu’en dehors de l’Écriture sainte l’on ne peut parler de l’origine de l’univers, quoique cet argument est valide et fort pour la probabilité et le caractère raisonnable de l’existence divine en tant que seule cause adéquate.

c. La preuve téléologique🔗

Elle s’appelle également l’argument par dessein. Il y a l’évidence d’un dessein dans la nature, c’est-à-dire l’adaptation des moyens pour la fin, ce qui suppose un dessinateur, une cause personnelle avec finalité. Le poisson pour l’eau, les ailes de l’oiseau pour l’air, les dents de l’animal pour déchirer, la main de l’homme pour son travail, le système solaire avec ses orbites, des vitesses et des distances invariables, calculées avec des lois mathématiques, tout ceci, et plus encore, suggèrent la présence d’un esprit et d’une finalité dans l’univers.

On objectera à cet argument qu’il se base sur le donné limité qui ne peut prouver l’infinité ou l’éternité de Dieu. La seule valeur en est qu’elle veut démontrer la nature ou le caractère rationnel de l’univers. Certainement, l’univers comme mot déjà implique un esprit.

d. La preuve anthropologique🔗

C’est un argument qui va de l’homme à Dieu, de la nature humaine à ce qui est divin. La nature mentale, morale et spirituelle de l’homme requiert Dieu comme Créateur. L’existence du libre arbitre de l’homme nécessite une volonté plus grande que la sienne. Le fait de la conscience et de son accent sur la loi implique un Législateur. Lorsque l’homme dit « Je dois », il veut dire « Je le dois », et là réside la distinction essentielle entre l’homme et l’animal inférieur. La conscience de l’homme peut être cultivée et amenée vers un degré supérieur, mais il est impossible de former ce qui n’existe pas, et les animaux inférieurs sont seulement contraints à certaines actions par le sentiment de la crainte, non à cause de la conscience du bien ou du mal.

Le fait de la personnalité de l’homme est aussi considéré un argument en faveur de l’existence de Dieu, puisqu’il est impossible de concevoir que la personnalité de l’homme soit la seule supérieure. La personnalité est l’élément suprême dans l’univers. Cela voudrait dire que l’esprit ne dérive pas son existence de la matière ou de la chair, ou la conscience de quelque chose physique, et pour cette raison c’est un être possédant aussi bien esprit et intelligence qui a fait l’homme. Cet être était Dieu, lequel par conséquent existe.

À ces quatre « preuves », on ajoute celle tirée d’Augustin et fondée sur l’existence de vérités universelles nécessaires. Elles ne peuvent avoir leur fondement qu’en Dieu. On ajoute encore la preuve tirée de l’ordre moral, perçu par la conscience. Cet ordre moral est inexplicable sans admettre un Législateur créant en l’homme l’obligation de conscience.

5. Évaluation🔗

En général, les protestants à la suite des réformateurs ont rejeté la valeur absolue de ces démonstrations de l’existence de Dieu. Selon les théologiens calvinistes, on ne peut démontrer l’existence de Dieu. Tout au plus pourrait-on démontrer l’existence d’un Dieu. Voetius, au 18e siècle, maintient encore cette position.

Sous l’influence de Descartes, certains calvinistes admettent la valeur des démonstrations rationnelles. Les théologiens modernes, comme H. Bavinck, sont revenus à la position réformée primitive. Ils partent de la doctrine de la corruption totale de la nature humaine. Cette corruption ne va pas jusqu’à la destruction; elle est extensive et non intensive. Tout est touché, mais tout n’est pas détruit. Il reste en l’homme une foi virtuelle qui, avec l’aide de Dieu, peut devenir foi en acte. La foi n’est pas un don surajouté. Pour Rome, au contraire, la foi est un don surajouté, c’est-à-dire au-dessus de la nature humaine et de toutes ses exigences. La foi virtuelle est ce que les calvinistes appellent le « sensus divinitatis » (sens de la divinité).

La position romaine a été précisée par le Concile du Vatican I (1870) :

« Si quelqu’un dit que Dieu un et vrai, notre Créateur et Seigneur, ne peut pas être connu avec certitude à la lumière naturelle de la raison humaine, par les choses qui sont créées, qu’il soit anathème » (Session 3, De Revelatione, canon 3, Denzinger 1806).

Le concile n’affirme que la possibilité physique de connaître l’existence de Dieu avec certitude. Il ne nie pas que les hommes, dans la plupart des cas, parviennent à cette connaissance par d’autres voies que par la voie rationnelle. Il reconnaît que, dans l’état de chute, les hommes ne peuvent s’élever que difficilement, lentement et d’une manière incertaine à la connaissance pure de Dieu.

Signalons en terminant que la théologie thomiste va jusqu’à prétendre que l’évidence obtenue par les démonstrations rationnelles de l’existence de Dieu est plus grande que celle attachée aux certitudes de la foi! Certains se demandent même si on peut « croire » alors qu’on sait d’une façon évidente par le moyen de la raison. Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique (la Pars Quaest II, art. II, ad primum) pense que croire n’est pas nécessaire ni possible lorsqu’on sait avec évidence. Cependant, il reconnaît que cette connaissance rationnelle évidente n’est pas fréquente.

Sans aucun doute, l’intelligence de l’homme a été affectée par la chute et la majorité des hommes ne sont pas capable de se servir des preuves de l’existence de Dieu proposée par les philosophes. Mais on peut se demander si, en toute hypothèse, ces arguments sont valables. La confusion repose sur une équivoque entre connaître Dieu concrètement, notre Créateur et Seigneur, le Dieu d’Abraham et de Jésus-Christ, et connaître l’idée abstraite d’un être infini, cause première, nécessaire, ordonnateur du monde, etc. Et cependant, il y a une grande différence entre une idée et une réalité vivante et personnelle.

En outre, l’homme est impressionné par les trois idées de la vérité, de la bonté et de la beauté, et celles-ci pointent vers l’idée de Dieu en qui elles sont pleinement réalisées. Mais avec cet argument aussi, du fait de la finitude de l’homme, on ne peut parler de l’infinitude de Dieu, bien que cela postule la personnalité.

Nous avons vu comment Platon et ceux qui s’inspirèrent de lui, comme Augustin et Anselme, ont prétendu parvenir sur le plan des réalités en partant de l’observation du monde concret existant. Mais leur raisonnement aboutit à une idée et non à une rencontre avec le Dieu concret.

Or, selon la révélation biblique, l’homme n’est pas appelé à connaître Dieu de cette façon. C’est par la parole que Dieu se révèle à l’homme et entre en relation personnelle avec lui. L’obéissance conditionne cette relation et Jean ira jusqu’à écrire que celui qui prétend connaître Dieu, alors qu’il est séparé de Dieu par le péché, est un menteur (1 Jn 1.6; 2.4). Les argumentations proposées ne font que confirmer les certitudes de la foi. Encore faut-il entendre cette confirmation comme intervenant indirectement, en écartant les erreurs de la raison qui pourrait être entraînée à douter de l’existence de Dieu ou à la nier. En tout cas, elles ne sont pas démonstratives pour l’incrédule et s’il prétendait en accepter la valeur, il resterait cependant dans les ténèbres et ne serait pas en relation vivante, par la foi, avec le Dieu vivant.

En réalité, si la chute a altéré la connaissance de l’homme, ce n’est pas à cause d’elle que l’argumentation rationnelle n’est pas concluante. Il ne faut pas oublier que l’homme a été créé pour être en relation personnelle avec le Dieu personnel et cela par la Parole. Il est, par nature, théodidacte, « enseigné par Dieu ». Sa dépendance à l’égard de la Parole reçue par la foi n’est pas quelque chose de surajouté ou d’accidentel. Cette relation est essentielle à l’homme, ce qui fait que tout l’effort des philosophes est une tentative vaine, car il est vain d’essayer d’établir une relation avec Dieu contrairement à l’ordre établi par Dieu.

La situation de l’homme cherchant des certitudes rationnelles, alors qu’il doit avoir les certitudes de la foi, est tragique. D’une part, cet homme ne peut sortir, par ses arguments, de son ignorance et atteindre le plan de la foi. Il ne peut plaire à Dieu. D’autre part, tout le poids de la chair tend à l’éloigner de Dieu. Le philosophe désire rester enfermé dans son « incrédulité ». En réalité, l’effort des philosophes et des théologiens qui les suivent ne naît pas d’un pur désir de s’approcher de Dieu; ce n’était à l’origine qu’une réaction contre le pourrissement de la pensée religieuse grecque et contre le scepticisme des sophistes. On pourrait aller plus loin, et on découvrirait à la racine de tous ces efforts la même tentation de connaître par soi-même au lieu d’apprendre de Dieu, à laquelle ont succombé Adam et Ève. Cette tentation, toujours actuelle, amène les hommes à altérer tout ce qui contribue à une rencontre avec Dieu. La critique des Écritures fixant la Parole divine n’est qu’une des conséquences de cette même tentation.

La place et la valeur de ces preuves varient selon les auteurs, quoiqu’il existe un accorde général selon lequel elles ne démontrent pas l’existence de Dieu. Elles ne sont utiles qu’à leur place limitée. L’essentiel est de se rappeler que ces preuves sont incapables en dehors de la révélation de nous parler d’un Dieu personnel avec les attributs que nous lui connaissons de la Bible. Une chose est absolument certaine, c’est que seule la révélation nous permet d’atteindre la communion de Dieu en tant que Rédempteur personnel.

L’objection principale contre ces arguments ne s’élève pas contre leur erreur, mais contre leur insuffisance. Dans l’abstrait, la nature de Dieu peut être inférée de la théologie naturelle, mais son caractère personnel en tant qu’amour nous est connu en Christ. Il faudra donc nous résoudre à recourir à la preuve christologique, ce que nous nous proposons de faire dans la partie consacrée à la christologie.