Cet article sur Luc 18.1-18 a pour sujet la parabole de la veuve importune illustrant que nous devons persévérer dans la prière et reconnaître que Dieu a déjà répondu à la prière de son peuple par la venue du royaume et du Messie.

Source: L'Évangile en paraboles. 4 pages.

Luc 18 - La prière persistante - Parabole de la veuve importune

« Jésus leur dit une parabole pour montrer qu’il faut toujours prier et ne pas se lasser. Il dit : Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et qui n’avait d’égard pour personne. Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait lui dire : Fais-moi justice de mon adversaire. Pendant longtemps, il ne voulut pas. Mais ensuite, il dit en lui-même : Bien que je ne craigne pas Dieu et que je n’aie d’égard pour personne, néanmoins, parce que cette veuve me cause des ennuis, je lui ferai justice, de peur que jusqu’à la fin elle ne vienne me casser la tête. Le Seigneur ajouta : Entendez ce que dit le juge inique. Et Dieu ne ferait-il point justice à ses élus, qui crient à lui jour et nuit, et tarderait-il à leur égard? Je vous le dis, il leur fera promptement justice. Mais, quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre? »

Luc 18.1-8

La majorité des paraboles de Jésus nous délivrent un message par voie de comparaison. Cependant, certaines d’entre elles le font par mode de contraste. C’est le cas de la parabole que nous venons de lire.

Le lecteur contemporain pourrait penser que cette parabole est une exception à la règle des paraboles que Jésus tirait de la vie courante. Or, il ne s’agit nullement d’une exception, car notre parabole se fonde bel et bien sur un fait réel. Cela aggravera sans doute l’intensité du choc ressenti, car, à quelques exceptions près, nous sommes plutôt habitués à une idée élevée de la justice. Nous avons du mal à nous représenter les magistrats contemporains de Jésus agir d’une manière aussi inique, bafouer à ce point la justice, voir les droits des citoyens aussi ouvertement violés…

Pourtant, telle semble bien être la situation. Il est plus que probable que la Palestine d’il y a deux mille ans fut infestée de juges malhonnêtes qui cultivaient sans scrupules la corruption et s’engraissaient au prix des injustices les plus flagrantes. Tel est le cas de l’abominable juge rapporté par le Christ. Sans doute, la scène se déroula dans un palais de justice romain, car s’il s’était agi d’une cour de justice juive, il y aurait dû y avoir au moins trois juges. Or, les magistrats au service de l’occupant romain étaient pratiquement tous corrompus, et les pots-de-vin monnaie courante…

Chaque matin, le magistrat occupait son siège élevé sur une plate-forme, avec, à ses côtés, des assesseurs ou des clercs. Autour de lui se tenait le public venu requérir justice. C’était plutôt une cohue vociférant dans une cacophonie et un vacarme indescriptibles, qui criait dans la direction du juge pour attirer le plus efficacement possible son attention. Il n’existait pas d’appel par ordre alphabétique ni de priorité d’après l’importance ou la gravité du cas. Celui qui s’y rendait dépendait entièrement de la bonne ou de la méchante humeur du magistrat présidant la cour. Celui qui était matinal, ou encore prodigue dans la somme glissée entre les mains du clerc, avait des chances d’obtenir son droit ou, en tout cas, de l’emporter sur son adversaire. Quiconque avait des ressources pour corrompre le juge ou l’avocat pouvait s’estimer heureux… Malheur à celui qui n’avait pas les moyens financiers suffisants ou qui était trop près de ses sous. Il devait s’attendre à retourner chez lui sans avoir obtenu satisfaction.

Jésus nous trace le portrait de l’un de ces juges totalement corrompus. Devant lui se présente une femme veuve. Elle est sans défense. Il est évident qu’elle n’avait pas la moindre somme à glisser entre les mains d’un assesseur sans scrupules. Le seul moyen d’attirer l’attention sur elle c’était de crier plus fort que tous les autres. Pourtant, chaque matin elle n’aboutissait malheureusement qu’au même résultat, c’est-à-dire à rien du tout. Ses cris et ses gesticulations se répétaient inlassablement jour après jour, mais son cas semblait désespéré… ce qui ne la décourageait pourtant pas. Elle devint tellement importune que ses cris lassèrent enfin le juge crapuleux et endurci. À la rigueur, ce dernier pouvait détourner le regard, mais comment empêcher cette femme de faire retentir ses cris stridents? De guerre lasse, cet homme qui ne craignait ni Dieu ni les hommes décida finalement de recevoir la requête et de rendre justice.

Cependant, le but de la parabole de Jésus n’est pas de nous donner une banale leçon de justice ni de nous apprendre comment nos cours devraient procéder pour appliquer la loi et pour être humainement équitables.

Je ne tiens pas davantage à actualiser à tout prix cette parabole par une ingénieuse herméneutique qui en aplatirait le message, sous prétexte de prêcher un Évangile pratique. Il existe de nos jours suffisamment d’ecclésiastiques et autres théologiens attitrés, dont la vocation consiste à horizontaliser l’Évangile avec acharnement, à n’y trouver qu’un intérêt purement social. Ils dénonceront avec véhémence les juges modernes et la corruption de notre système judiciaire. Mais là s’arrêtera leur compréhension de l’Évangile.

En ce qui nous concerne, nous chercherons à saisir principalement ce que le Christ a voulu dire à l’aide de cette inimitable parabole. Rappelons-nous que Jésus — ce que devrait d’ailleurs être le cas de tout prédicateur qui se veut fidèle à l’Évangile — ne se préoccupe pas en tout premier lieu (bien qu’il n’y reste jamais indifférent) de la situation de l’homme dans la société, mais il est concerné tout d’abord par sa condition radicale face à Dieu.

Cependant, le message central de cette parabole n’est pas davantage l’exhortation à persévérer dans la prière. Certes, cela va de soi, et Jésus ne manque pas de le souligner, car il serait malheureux de présenter à Dieu une requête à la manière dont les petits enfants adressent leur lettre au Père Noël et de s’attendre, sans faute, à une réponse, de manière quasi automatique…

Sachons qu’il faut persister, même lorsque nous demandons à Dieu ce qui est bon, sage, conforme à sa sainte volonté et cherchant sa seule gloire. Il n’est pas certain que Dieu veuille nous répondre sur-le-champ. Peut-être y a-t-il encore une voie obstruée qu’il s’agit d’ouvrir à la libre circulation spirituelle; peut-être le moment n’est pas encore venu; peut-être nous ne sommes pas suffisamment mûrs pour recevoir la réponse et devrions-nous mieux nous y préparer… Jésus exhorte certes les siens à persévérer sans se lasser. Et la persévérance fait aussi partie de notre préparation. Selon la parabole, nous ne devons pas nous décourager, même lorsque la réponse se fait attendre. Mais nous avons déjà signalé que la pointe de cette parabole se trouve dans le contraste et non dans la comparaison ou la similitude.

Le Christ ne nous dit pas premièrement : faites exactement comme cette veuve en présence d’un magistrat corrompu. Il nous apprend, au contraire, que Dieu est totalement différent de ce juge inique. Si un juge aussi mauvais et corrompu peut se laisser fléchir par les incessantes supplications d’une femme sans défense, à combien plus forte raison Dieu, qui est votre Père céleste, ne vous répondra-t-il pas pour vous prouver sa tendresse et vous prodiguer ses soins paternels. Car il les connaît d’avance, avant même que nous lui présentions nos requêtes. Il n’attend que notre humble coopération et notre soumission inconditionnelle pour accomplir ce que, dans ses desseins bienveillants, il a décidé d’achever en notre faveur.

Il existe encore un autre pas auquel nous invite cette parabole du Christ. Vous aurez sans doute remarqué le bref commentaire que Jésus ajoute à la suite de son récit. Pour certains, ces lignes présentent quelques difficultés. Mais, dans cette conclusion, Jésus applique le message général de son histoire au cas particulier qui est le sien. Il s’adresse à des Juifs en tant que Juif. Il se réfère, implicitement, à une prière longue de plusieurs siècles. Les membres fidèles de son peuple priaient Dieu et le suppliaient sans cesse de leur envoyer le Messie promis.

Pourquoi Dieu tardait-il autant? Pourquoi ce long délai à la venue de son règne? Pourquoi Dieu se taisait-il depuis tant de siècles? Jésus invite ses auditeurs à reconsidérer leur impatience. Ce n’était pas vrai que Dieu n’eut pas exaucé leur prière! La présence parmi eux du Messie vrai et définitif était la preuve que Dieu l’avait entendue et exaucée! En Jésus de Nazareth, le Messie promis avait été envoyé. Le Messie est parmi vous, dit en substance Jésus, et vous, de manière cynique, vous vous obstinez à accabler Dieu de son retard…

Actualisons la parabole en ce qui concerne l’Église chrétienne, car l’exhortation qui y est contenue s’adresse aussi à elle. Nombreux sont les chrétiens qui, pessimistes et déconcertés, s’interrogent sans cesse : Mais où est donc la victoire tant promise par Dieu sur le mal, la maladie, la mort et le Malin? En une ère d’indifférence comme la nôtre, Dieu semble sourd aux appels et aux prières de son peuple… Pourtant, le message du Christ est clair : Dieu a déjà répondu à notre attente : l’épreuve et la tribulation, la maladie et la souffrance, la mort et le péché ont été vaincus; et le Malin même a été mortellement blessé par le ministère, la passion, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. En Jésus le Fils de Dieu crucifié et ressuscité, nous avons l’exaucement de toutes nos prières. Déjà, bien avant que la victoire définitive n’apparaisse à notre regard, nous pourrons prier avec constance, assurés de l’exaucement définitif. « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite… » (Mt 6.10). Le règne de Dieu est déjà parmi nous.

À chaque génération, les croyants risquent de perdre la foi et de cesser de prier. Qu’ils sachent que du côté de Dieu il n’y a rien à craindre. Il veille sur sa justice; celle-ci éclatera au temps voulu. Mais notre foi répondra-t-elle à la fidélité de Dieu? Le Seigneur de l’Église n’est pas un juge injuste. Il est, au contraire, le seul parfaitement juste. Ce n’est pas à contrecœur qu’il agit. Il ne méprise pas son Église, et celle-ci n’est pas une veuve sans défense : elle est l’épouse du Christ, le Seigneur exalté, placé au-dessus de toutes choses.

« Le Seigneur a ajouté ceci pour montrer que lorsque la foi s’éteint, la prière cesse. Croyons donc tout d’abord afin de pouvoir prier, et pour que la foi elle-même ne s’éloigne pas de nous, prions sans cesse. La foi produit la prière et la prière, à son tour, obtient l’affermissement de la foi », écrivait saint Augustin.

Cependant, une interrogation nous sera posée jusqu’à la fin, comme un avertissement salutaire : Le Christ trouvera-t-il la foi lorsqu’il reviendra sur la terre? Notre réponse sera affirmative à cause de tout ce qu’il nous a affirmé. Oui, il y aura la foi; elle ne s’éteindra point, car elle s’attache à celui qui est immuable. Le Seigneur, qui est aussi le bon Berger, la maintient vivante par son Esprit et par sa Parole.