Cet article sur Matthieu 22.37-40 a pour sujet le commandement d'aimer Dieu et notre prochain qui résume toute la loi. L'amour de Dieu pour nous en Jésus met fin à l'égoïsme et à la haine et nous rend capables d'aimer.

Source: La loi de la liberté - Méditations sur le Décalogue. 4 pages.

Matthieu 22 - Rien que l'amour

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est le premier et le grand commandement. Et voici le second qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. »

Matthieu 22.37-40

Tu aimeras. Ce simple mot prononcé par Jésus résume toute la loi de Dieu. Il révèle tout d’abord la nature de Dieu, qui se présente comme notre Libérateur. Dieu est amour, nous dit l’Écriture. Il révèle la nature exacte des relations que nous devons établir avec notre prochain. La loi de Dieu comporte deux dimensions : verticale d’une part et horizontale de l’autre. La façon dont on nous présente les deux tables de la loi fausse parfois, involontairement sans doute, notre compréhension de celles-ci. Nous nous les représentons facilement juxtaposées et indépendantes l’une de l’autre : l’une « religieuse », l’autre « morale ». Il est tentant d’opter, suivant nos dispositions ou nos sensibilités, pour l’une ou bien pour l’autre. Nous adonner soit à une mystique exaltée et dangereuse, soit à ce qui pourrait nous paraître comme une cause noble et désintéressée pour les hommes, sans trop nous soucier de la dimension verticale de notre existence. Pourtant, amputée de celle-ci, aucune action en faveur des hommes ne saurait être ni efficace ni durable.

« Ne nous embarrassons pas de métaphysique », dit-on parfois avec un certain dédain pour la religion. « Il faut sauver l’homme à tout prix, et pour cela avoir les pieds solidement sur terre. » On rencontre, à l’opposé, ces âmes désincarnées qui trouvent leur bonheur dans la contemplation de Dieu et une totale indifférence et insensibilité à l’égard de la misère d’autrui. La loi de Dieu, résumée par Jésus, nous apparaît plutôt comme un grand cercle au centre duquel se trouve Dieu, et dans sa périphérie l’homme notre prochain. Placés entre les deux, nous sommes appelés à communier avec l’un et nous convertir à l’autre. Le moi ne peut jamais se substituer à Dieu, comme nous l’avons vu précédemment. Mais le prochain ne peut pas demeurer inaperçu à notre cœur et amour, puisque le regard de Dieu est posé sur lui. En somme, il n’y a qu’un seul et même amour.

Cependant, l’amour pour Dieu précède toujours et prépare le véritable amour pour notre prochain. Si nous n’aimons pas Dieu, nous serons incapables d’aimer notre prochain, car cela ne va pas de soi. Tout athéisme reste, en définitive, la négation de l’amour authentique et pur. La rupture avec Dieu entraîne celle d’avec nos voisins. Peut-on s’étonner si, sous les régimes totalitaires, la religion, la religion vraie, est bannie et que les hommes sont persécutés? Ces deux manifestations simultanées du mal ne sont pas un accident, mais la logique même des attitudes évoquées plus haut.

L’athéisme intellectuel ou pratique se rencontre partout. Aucune société et aucun pays n’en sont totalement exempts. Là où on encourage et maintient l’injustice, quelle qu’en soit la forme, là, on peut déceler les germes d’un athéisme de fait. En revanche, il faut affirmer sans orgueil ni timidité que les libertés dont nous jouissons et les régimes démocratiques, dans ce qu’ils ont de meilleur, furent les fruits de la bonne compréhension de l’Évangile et des implications pratiques de la loi de Dieu. L’amour est donc l’accomplissement de la loi. L’apôtre Jean nous dit : « Nous avons de lui ce commandement : Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn 4.21). Jésus n’apporte pas un commandement nouveau, mais confère à l’ancien sa valeur véritable. Mais alors, en quoi consiste l’originalité de l’Évangile de Jésus-Christ?

Il nous faut admettre que l’amour a été compris par ceux qui n’ont pas nécessairement reçu ou cru à l’Évangile. Voyez par exemple cette maman : avec quelle affection quelle et tendresse elle s’occupe de son enfant, blotti contre son sein! Elle, qui a connu les douleurs de l’enfantement et évalué le prix de la vie, ne se sacrifiera-t-elle pas pour que son enfant vive? Voyez cet homme, épris d’idéal, âme dévouée et généreuse : il serait prêt à donner sa vie pour son idéal ou pour son prochain. Et ce fiancé, dont le regard amoureux dans les yeux de sa fiancée dit au monde entier l’intensité de ses sentiments et la fermeté de son amour pour sa bien-aimée! C’est ainsi que, depuis toujours, les hommes ont connu et professé ces diverses formes d’amour : maternel, amical, conjugal.

L’Évangile de Jésus-Christ contribue-t-il à cette riche connaissance? Apparemment non. Sauf lorsque, dans le sommaire de la loi, il insiste sur cet aspect que nous ignorons ou négligeons. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19.18; Mt 22.39; Rm 13.9). Ce « comme soi-même », que signifie-t-il, au juste?

On prétend parfois qu’il est impossible d’aimer autrui si on n’aime pas tout d’abord sa propre personne. Hélas!, l’expérience quotidienne, ainsi que les résultats de la psychologie dite des profondeurs, nous convainquent du contraire. L’on n’est vraiment pas prêt à s’oublier! Quelquefois, des actions éclatantes pour secourir les autres ne sont révélatrices que de notre soif d’exprimer notre personnalité et la recherche d’une satisfaction secrète. L’Évangile dévoile cette réalité bien avant toute psychologie. Il braque ses projecteurs sur l’homme, révèle le conflit intérieur qui le déchire et explique aussi que l’enfer ce n’est pas l’autre, mais comme le dit admirablement T.S. Elliott, « l’enfer est en moi ».

Ce conflit est en même temps le signe que les hommes ne connaissent pas l’amour selon l’Évangile en ce qui concerne leur propre personne. Ils n’en connaissent que la grossière et abjecte caricature, c’est-à-dire l’égoïsme. L’amour de soi selon l’Évangile est le fait de savoir, de reconnaître que l’on est créé à l’image de Dieu, qui nous accorde une valeur, même si les autres ne veulent nous en accorder aucune. En fait, il nous accorde une telle valeur qu’il envoie son Fils unique afin de nous sauver et restaurer son image en nous. À cause de cela, nous devons avoir du respect pour notre propre personne comme nous devons en avoir pour celle du prochain.

Il ne faut donc surtout pas confondre l’égoïsme avec le respect de soi auquel nous invite la Parole de Dieu. L’égoïsme est comme ce démon de la parabole de Jésus qui, après avoir quitté la maison, y retourne, la trouve balayée et en ordre, et va alors chercher sept autres démons pires que lui qui entrent dans la maison et s’y établissent, et alors la dernière condition de cet homme est pire que la première (Lc 11.24-26).

À vrai dire, l’égoïsme est une haine pour soi, haine inconsciente, mais dont les ravages sont terribles, sur l’individu égoïste et sur les autres, notamment son entourage. L’égoïste n’est pas sûr de sa personnalité, il vit dans l’insécurité; alors il se ferme à autrui et se barricade en lui-même. Ne trouvant aucun intérêt à sa personne, il en invente d’artificiels. Il veut constamment se protéger contre tout et contre tous, mais il ne réussit qu’à nuire aux autres. Il croit le monde entier impitoyablement hostile à sa personne et il critique sévèrement tous ceux qui l’entourent. Combien d’égoïsmes sont à l’origine des misères intérieures des humains, pour ne rien dire des névroses? L’égoïste se croit toujours rejeté, comme ces enfants qui doutent qu’ils appartiennent à leurs parents.

« Quand tu ne peux pas aimer ta vie, quand tu sais qu’il faut la changer, quel choix as-tu? Que peut-on faire pour devenir un autre? C’est impossible, n’est-ce pas? » C’est ainsi que parle Jean-Baptiste Clamance dans le roman La chute d’Albert Camus. Jean-Baptiste Clamance livre un aperçu de lui-même qui permet de le suivre dans son cheminement intérieur, la découverte de sa vie profonde. Mais le chemin vers Dieu est absent du désert où il erre et où il se débat. Il cherche à s’en sortir, mais en vain, car il ne voit pas d’autre chemin… Alors, il ne lui reste plus qu’à vivre et à crier dans ce désert. Comme Jean-Baptiste Clamance, tout homme sait que des forces obscures le façonnent sans qu’il puisse les contrôler. Il vit dans la plus obsédante des luttes et il ne peut même pas trouver de contact avec lui-même.

Se savoir accepté, pardonné, aimé par Dieu, voici la fin de l’égoïsme et de l’obsession qui nous troublent dans notre for intérieur. Dieu seul restaure et rétablit. Il nous secourt et il nous refait. L’Évangile nous permet de découvrir la nature véritable et l’origine de notre mal. Nous nous apercevons des conséquences tragiques de notre aliénation d’avec Dieu et de notre rupture avec les hommes. L’Évangile nous montre qu’il ne suffit pas d’avouer quelques fautes et de constater nos limites. Ce serait faire comme le chien mouillé qui se secoue et qui se met à trotter. Dans l’Évangile est mise au grand jour la racine de toute agression.

Dans une telle situation, il ne nous était plus possible d’accomplir toute la loi. Impossible d’aimer Dieu et notre prochain comme il nous est demandé. La faute ne pourrait pas être imputée à la loi, mais à notre incapacité de la mettre en pratique. Mais le Dieu de la loi est aussi le Dieu de l’amour, et cet amour il l’a manifesté pour nous. Jésus-Christ qui a résumé la loi reste aussi notre seule espérance. « Il n’y a pour personne de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15.13). Il l’a donnée pour vous et pour moi. Il l’a donnée un jour de mise à mort inoubliable, où les hommes ne lui ont donné d’autre place que ces deux morceaux de bois cloués en croix se dressant entre ciel et terre.

Pendant qu’il agonisait sur la croix, il remit les hommes, ses ennemis, entre les mains de son Père. Il a parfaitement aimé les hommes et il a aussi aimé sans défaillance, jusque dans la mort infâme de la croix, Dieu son Père. L’amour vertical et l’amour horizontal ont formé le cercle de ses relations. Il nous invite à y entrer, car son amour n’est pas une simple démonstration, mais notre rédemption. Il ne nous offre pas un exemple d’amour, mais il peut transformer notre vie pour qu’à notre tour nous aimions Dieu et notre prochain. Sur le mont Calvaire, nous pouvons dire avec l’apôtre Jean : « Nous aimons, parce que lui nous a aimés le premier » (1 Jn 4.19).