Cet article sur Matthieu 27.32 a pour sujet Simon de Cyrène qui a été réquisitionné pour porter la croix de Jésus. Dans sa solitude, Jésus a porté nos fardeaux et nous appelle à porter notre croix et à le suivre.

Source: Celui qui devait venir. 4 pages.

Matthieu 27 - Simon de Cyrène

« En sortant, ils rencontrèrent un homme de Cyrène appelé Simon, et ils le forcèrent à porter la croix de Jésus. »

Matthieu 27.32

Selon le Catéchisme de Heidelberg (Q&R 98), c’est le bon plaisir de Dieu que les chrétiens soient instruits dans les vérités de l’Évangile, non par des images mortes, mais par la prédication vivante de la Parole. L’insistance avec laquelle le célèbre catéchisme nous place devant ce devoir devrait nous inspirer davantage pendant que nous méditons le chemin de croix, la via dolorosa.

Selon nos connaissances historiques, le condamné devait porter lui-même sa croix, ou en porter la pièce transversale si le montant en était déjà planté d’avance sur le lieu de l’exécution. On ne sait toujours pas quelle forme elle avait. Était-ce en forme de X ou de T, ou bien celle qui nous est la plus familière? Je vous prie de ne pas trop vous attarder devant l’imagerie pieuse de l’art chrétien. Pour nous, quelle qu’en soit la forme, la croix est l’emblème du sacrifice le plus sublime. La plupart des peintres ont donné à la crucifixion un caractère de noblesse et de beauté visibles. Mais il faut nous efforcer de retrouver la réalité première telle que nous la dépeignent les Évangiles. Avec une grande sobriété, ils expriment la laideur de cette scène et le caractère scandaleux, infamant, du supplice de Jésus. La peine de la croix, réputée déshonorante, était réservée aux esclaves. Pour les Juifs, elle était un signe de malédiction divine (Dt 21.23) et Saul de Tarse, avant sa conversion, y a certainement vu la preuve que Jésus n’était pas le Fils de Dieu (Ga 3.13).

Après sa condamnation, Jésus est livré entre les mains de la soldatesque, un homme que plus rien ne protège et avec lequel on peut impunément tout se permettre. Dans leur sobriété, les récits évangéliques ne cachent cependant rien de la réalité des souffrances physiques de Jésus. Ils ne cherchent pas à émouvoir la sensibilité du lecteur, mais à montrer par tel ou tel détail que tout ce qui est arrivé est conforme à l’annonce des prophètes et que, dans son abaissement même, il réalise parfaitement tout ce qui a été dit de la destinée du Messie. Cependant, Jésus nous invite, comme il le fera aux femmes de Jérusalem qui font partie du cortège, de ne pas verser des larmes sur lui, mais de songer à notre propre sort; penser au jugement qui nous attend ou espérer les bénéfices salvifiques de sa passion.

Un acte arbitraire, tel que seuls peuvent en accomplir des soldats en pays conquis, prélude à l’exécution de cette victime d’une justice sans scrupules. C’était l’habitude barbare, comme nous l’avons vu, que de faire porter sa croix au criminel lui-même. En aucun cas un soldat n’aurait accepté de prendre lui-même le gibet sur le dos. Peut-être a-t-il fallu remplacer Jésus dont les forces ont défailli? Cela n’est pas dit dans aucun Évangile et ce sont des additions imaginaires qui, dans les « chemins de croix », montrent Jésus tombant plusieurs fois. On oblige alors un passant, Simon de Cyrène, à remplacer le condamné. Pour un citoyen respectable, c’était une offense ignominieuse, voire un déshonneur.

Qui est Simon? Nous apprenons qu’il est originaire de la Cyrénaïque, région de la Libye actuelle, proche de l’Égypte. Il rentre des champs. L’Évangile selon Marc, qui avait été rédigé spécialement à l’intention de croyants romains, précise qu’il était le père d’Alexandre et de Rufus. C’est tout, et c’est bien mince comme renseignement sur ce personnage qui tient pourtant un rôle si important dans ce drame.

La ville de Cyrène entretient des relations commerciales avec Jérusalem. Là réside une colonie juive prospère. Simon se serait-il rendu à Jérusalem à l’occasion de la Pâque, comme des milliers d’autres pèlerins venant de la Diaspora? Mais nous ne savons même pas s’il était un Juif. Certains interprètes font remarquer que, venant des champs la veille d’une grande fête, il avait profané le Sabbat. Ils en concluent qu’il avait dû être un païen. Nous ignorons le passé de Simon, et quant à son avenir, nous n’en sommes pas davantage renseignés. S’il est le père d’Alexandre et de Rufus, peut-être s’était-il converti à la suite de ce service forcé qu’il dut rendre en ce vendredi matin? Alexandre et Rufus sont membres de la communauté chrétienne de Rome et saint Paul, dans sa lettre adressée à cette Église, salue affectueusement Rufus, qui jouit d’une excellente réputation (Rm 16.13).

Pourquoi cette obscurité entourant Simon, le Nord-Africain? N’est-il pas au cœur même de la passion? D’autres personnages aussi sont restés dans l’obscurité qui, pourtant, avaient eux aussi tenu un rôle important dans le drame de la rédemption. Cela s’explique par le fait que l’Évangile projette ses lumières sur le personnage central de la rédemption, le Christ, afin que nous le contemplions, lui, le crucifié du Vendredi saint. Gardons-nous donc d’émettre trop d’hypothèses invérifiables autour de ces événements.

Si nous ignorons les détails au sujet de Simon, nous avons pourtant une certitude claire et suffisante : Simon a été réquisitionné. Une contrainte l’oblige à porter l’instrument de supplice. Toute réquisition est un acte arbitraire d’autorité. Les Césars du monde présent imposent à leur sujet des jougs asservissants. Ils le font avec brutalité. Notons également que la religion humanisée, qui a perdu tout lien avec la transcendance et la révélation, elle aussi impose des fardeaux insupportables que ses propres représentants refusent de porter.

Le Christ, à son tour, exerce une autorité. Déjà, il y a à peine quelques jours, en vertu de cette suprême autorité, il avait réquisitionné la monture sur laquelle il faisait une entrée triomphale dans la capitale. Il est Roi. La scène de moquerie et d’insultes dont il est la cible ne cachera pas le fait de la royauté du Christ. C’est en tant que Roi des Juifs qu’il subit les outrages. Son titre le plus noble et le plus élevé lui vaut d’être tourné en dérision. Ainsi, le fondement même de toute sa prédication, de toute son œuvre, c’est-à-dire la venue du Royaume de Dieu dont il est le Roi, aboutit à un divertissement de corps de garde! Celui qui est venu au nom du Seigneur, un moment acclamé comme roi par son peuple, va finalement mourir sur la croix, précisément en tant que Roi, Roi des Juifs, mais aussi Seigneur de l’univers.

En un sens, on est en droit de penser que l’apaisement apporté par Simon après les flagellations subies par le Christ fut assez humiliant pour celui-ci. Le Fils de Dieu aurait-il eu besoin de secours humain? D’autant plus humiliant qu’il s’agit d’un service rendu sous contrainte. Simon ne se substitue pas volontiers au Christ. Nous ne l’entendrons pas dire sur le champ : « Mon Seigneur et mon Dieu! »

Cependant, le salut est sorti de ce geste involontaire. Rappelons-nous que quelque cinquante jours plus tard, amassée devant la maison où sont réunis les témoins du Christ ressuscité et monté au ciel, une foule composée de toute la dispersion compte aussi des gens de la Cyrénaïque. Le Roi des Juifs et le Seigneur de l’univers avait réuni entre ses mains l’autorité suprême dans les cieux et sur la terre. À sa manière, il venait de réquisitionner des hommes, des femmes de tous les coins du monde, de les enrôler dans son Église. J’ignore si Simon se trouvait dans cette foule repentante, mais je sais qu’au moment de l’exécution il fut réquisitionné pour rendre service à un condamné à mort. Mais en réalité, il ne porta l’instrument de supplice que pendant une courte distance. Il ignorait que celui qui porte sa croix à la suite de Jésus ne peut qu’être l’heureux bénéficiaire de son œuvre de salut. Le Sauveur n’a-t-il pas porté tous nos fardeaux? Ne s’est-il pas chargé de tous nos péchés? Si telle n’était pas la leçon que nous devons retirer de cet incident sur le chemin de croix, la passion du Sauveur sonnerait-elle à nos oreilles comme la Bonne Nouvelle de l’Évangile de notre salut?

Au terme de notre méditation sur Simon et parvenus presque à la fin de notre série consacrée à la passion, posons-nous la question qui s’impose : en définitive, qui a porté la croix de qui?

Le Christ a fait du bien à tous, il est venu en aide à nous tous, mais au moment crucial de sa passion, personne ne lui vient en aide. Sur le chemin de la croix apparaît sa grande solitude. Il a suivi seul ce dernier chemin afin que nul d’entre nous ne soit plus jamais seul sur son chemin. Il a été abandonné de tous, afin que nous ne le soyons jamais. Simon a suivi derrière Jésus, et nulle part ailleurs. Ne pouvons-nous pas dire cependant que le Christ a, à sa manière, réquisitionné Simon et, comme lui, chacun d’entre nous pour porter notre croix?

Nous ne pouvons être son disciple sans porter notre croix, le signe de l’ignominie, du mépris, de l’opprobre. Là où il est, lui, le Maître, là sera son disciple, dans la gloire, certes, mais ici-bas, pour l’instant, sur la via dolorosa. Nos souffrances peuvent devenir le don de Dieu, une bénédiction, si nous nous tenons derrière le crucifié, notre Roi. Notre cœur naturel se rebelle à cette idée. Mais le Fils de Dieu nous les impose temporairement et, pendant notre parcours, il accompagne nos misérables existences. Il nous parle de la joie qu’il y a au bout, de la récompense qui nous attend. Nous sommes à lui, suivons-le alors, puisque mieux que Simon nous savons qu’il est notre Roi et le souverain Prêtre qui actuellement intercède en notre faveur.