Cet article sur Matthieu 28.20 a pour sujet la présence de Jésus avec nous par son Esprit jusqu'à la fin du monde, afin d'opérer en nous une transformation profonde de nos vies, malgré nos doutes et la pauvreté de nos vies spirituelles.

Source: Méditations sur la vie chrétienne. 3 pages.

Matthieu 28 - Présence éternelle

« Je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »

Matthieu 28.20

C’est là la parole par laquelle clôt l’Évangile de Jésus-Christ. Sans elle, il ne serait pas complet. Il manquerait quelque chose à la Bonne Nouvelle du salut si l’on n’y joignait pas la promesse d’une présence éternelle; l’amour sans la présence de celui qui aime et que l’on aime n’est qu’une source de souffrance.

« Je suis avec vous! » Beaucoup s’arrêtent devant cette parole de Jésus avec un geste de découragement; ils regardent vers les perspectives de piété intime qu’elle évoque, comme on regarde vers les paradis perdus. Jésus avec eux? Non; ils ne peuvent pas le croire; ils ne sentent pas, ils ne réalisent pas sa présence. Qu’il soit vivant, agissant dans leur âme, ils ne l’admettent pas, parce qu’ils ne l’ont pas éprouvé. Jésus, pour eux, est mort; il est loin, très loin à travers l’espace et à travers le temps, et ils regardent vers lui avec un mélange de tristesse et de curiosité, comme vers un être lointain de qui ne peut plus leur venir aucun secours, aucune force, rien que le souvenir d’émotion et de tendresse qu’il a laissé derrière lui, et qui fait comme un sillage de calme et de sérénité au milieu des agitations humaines. Jésus avec eux tous les jours? Non; parlez-leur de Jésus en Galilée, de Jésus avec ses disciples, de Jésus prêchant, guérissant, consolant, pardonnant; parlez-leur de tout ce beau passé, mais ne leur parlez pas de l’action qu’il peut exercer sur leur vie. Parlez-leur de Jésus humble et doux, naissant dans la crèche, de Jésus rude et fort chassant les marchands du Temple, de Jésus mourant sur la croix; parlez-leur de tout ce passé glorieux, mais ne leur parlez pas de ce qu’il peut faire aujourd’hui encore. Laissez-les savourer le charme et la poésie du passé, laissez-les se plonger dans les merveilles de cette histoire, plus éclatante et plus héroïque que les légendes mêmes du passé.

Mais quoi? Le passé, toujours le passé! N’y a-t-il donc pas autre chose dans la personne de Jésus? N’y a-t-il ni présent ni avenir pour son action sur les âmes? N’est-il plus qu’un vague spectre, dont le souvenir hante nos rêves, comme l’image des regrets et des espoirs déçus? Ah! disons plutôt à ceux qui cherchent ainsi parmi les morts celui qui est vivant : Vous avez raison sans doute de vous plonger ainsi dans le passé où baignent toutes les racines de notre vie religieuse et de notre foi; mais combien vous avez tort d’y vouloir enclore toute votre vie et toute votre pensée religieuse, comme si c’était le seul refuge contre les illusions et les rêveries! Car lorsque nous parlons d’un Christ qui est auprès de nous, présent tous les jours, jusqu’à la fin du monde, il ne s’agit ni d’extases, ni d’apparitions, ni de mysticismes; il s’agit de savoir si les pulsations de ce cœur aimant se sont arrêtées, ou plutôt si ce sont elles qui continuent à scander dans nos poitrines le rythme éternel de la vie; il s’agit de savoir si l’Esprit qui était en lui s’est dissipé comme un parfum éphémère, ou s’il était et s’il demeure l’Esprit qui travaille en toute âme vivante; pour tout dire en un mot, il s’agit de savoir si la vie de Jésus est devant nous, comme un spectacle que l’on regarde, ou si elle est en nous, comme une réalité féconde, comme une force qui pousse à l’action, comme un principe d’énergie régénérée.

Est-il encore là, pour pousser l’amour au désintéressement, au sacrifice; ou n’y a-t-il plus de lui qu’une pâle image qui émeut encore les âmes, mais qui ne les transforme plus? Demandez-le à tous ceux qui ont été réveillés par lui de leur sommeil spirituel; ils vous répondront qu’il a dit vrai, celui qui, par une sorte de paradoxe triomphal, choisissait l’heure des adieux pour dire à ceux dont il se séparait : « Je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »

Combien de fois cependant les chrétiens les plus fermes, les plus résolus, les plus dégagés des servitudes de la lettre et des illusions de la matière semblent éprouver quelque incertitude à l’égard de cette salutaire et mystérieuse présence. Lorsque viennent pour nous ces heures sombres, nous comprenons l’état d’esprit que nous décrivions naguère, et nous secouons tristement la tête en disant à notre tour : Jésus avec nous? Jésus toujours là? Toujours présent? Non! Non! s’il était là, si vraiment il vivait en nous, notre vie serait tout autre que ce qu’elle est, elle ne compterait pas tant de chutes ni de défaillances, elle n’aurait surtout pas cette platitude, cette insignifiance, plus fréquente et peut-être pire que les chutes. Si vraiment il vivait en nous, nous n’aurions ni tant d’égoïsmes ni tant de lâchetés. Qu’il soit avec quelques rares privilégiés peut-être, mais nous? Comme nous sommes loin de cet idéal! Ce cœur étroit, égoïste, incapable d’aimer, de se donner, ce serait lui, l’Ami de toutes les tendresses et de tous les sacrifices? Cet être, enfin, qui s’agite dans ma poitrine, cet être faible, égaré, perdu, qui soupire après la délivrance, qui réclame impérieusement le salut, comment peut-il être en compagnie du Sauveur? Comment croire cela? La pauvreté de notre vie spirituelle, la médiocrité de notre effort, le vide de notre âme, où flotte si peu l’Esprit, oui, mais sa présence à lui?

La circulation de l’Esprit du Christ, de l’éternelle sève spirituelle, semble se ralentir dans nos âmes comme dans des organismes atrophiés, et le sentiment de la présence du Maître s’éteint peu à peu dans nos cœurs.

Si nous parvenions à faire disparaître nos hésitations et nos doutes, si nous savions nous porter d’un cœur ouvert à la rencontre du Maître, avec quelle puissance joyeuse et féconde sa vie, devenue notre vie, éclaterait dans nos âmes! Car c’est en nous seuls que se trouvent les obstacles à cette pénétration spirituelle. Voyez comment la confiance du Maître contraste avec nos hésitations. Nous cherchons comme à tâtons les traces de son passage. Nous disons : « Sois avec nous. » Mais lui dit : « Je suis avec vous. » Il ne demande pas, mais promet, ou plutôt il affirme.

Étrange et incroyable parole d’adieu que celle-là : Je suis toujours avec vous! Quel autre que lui oserait se séparer des hommes en disant : Je suis là! et affirmer sa présence au moment même où les sens affirment sa disparition? C’est ici que se révèlent l’étendue et la profondeur du pouvoir qui émane de sa personne et de son Évangile; en lui, la foi s’est montrée plus clairvoyante que la vue, et l’apparence a dû céder le pas devant la réalité. À l’heure où l’être visible disparaît, la voix de l’Esprit s’élève plus ferme et plus sûre : Je suis là! Saisissant raccourci, incomparable image de la destinée du Sauveur lui-même et de la promesse qu’il a laissée à ceux qui l’aiment.

Et la promesse incroyable a tenu; c’est ce qu’affirment à leur manière toutes les Églises qui couvrent la surface de la terre. Croyez-vous que si les hommes n’avaient rien trouvé de vivant sous leurs voûtes grandioses ou entre leurs murailles austères, ils ne se seraient pas fatigués d’y venir commémorer des événements à jamais enfouis dans le passé? Il me paraît certain, au contraire, que si les âmes avaient été sans cesse déçues à travers vingt siècles d’histoire chrétienne par celui qui a dit : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde », elles se seraient détournées de lui depuis longtemps déjà, et son nom même serait tombé dans l’oubli. Mais comme il se montre toujours capable de régénérer et de transformer les cœurs, comme il reste le plus grand principe créateur de vie morale que notre civilisation ait connu, c’est l’histoire même du monde qui redit : Ô Jésus! Jésus! Toi seul demeures! Toi seul es vrai! Et quelle force, quelle paix dans cette pensée! Quel réconfort! Avec lui ont vécu les saints apôtres et les saints martyrs. Avec lui, nous vivons aussi, frères et sœurs dans la foi.

Et c’est pourquoi nous regardons à lui, notre Seigneur et notre destinée. Lui, le Ressuscité, le Vivant, l’Éternel présent, le Consolateur, l’Ami fidèle. Il n’a pas voulu séparer sa cause de la nôtre. Sur la fragilité des affections qui se sont nouées en son nom, comme sur la misère des âmes qui se sont nourries de lui, il a laissé tomber comme une consécration d’en haut la céleste clarté de l’amour éternel.

Béni soit-il! En lui, nous retrouvons aussi ceux que nous avons aimés et qui sont maintenant absents. Il est avec eux comme il veut être avec nous; aussi, nous voulons être avec lui, tous les jours, jusqu’à la fin du monde.