Cet article sur la 8e béatitude en Matthieu 5.10 a pour sujet le bonheur de subir la persécution à cause de Jésus et de la justice de son royaume, afin de recevoir la gloire avec lui.

Source: Les béatitudes. 4 pages.

Matthieu 5 - Heureux les persécutés pour la justice - Huitième béatitude

« Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux! »

Matthieu 5.10

Il y a dans ce propos de Jésus une franchise inquiétante. Aucun disciple, en entendant cela, n’aura été soulevé d’enthousiasme! En tout cas, on ne pourra pas dire que celui-ci se soit servi de la séduction pour recruter ces hommes et ces femmes qui ont tout laissé derrière eux pour le suivre. Au contraire, chacun et chacune d’entre eux savait parfaitement à quoi s’en tenir. Le Maître avait placé devant leurs yeux la perspective sombre, à vue humaine, d’un prix à payer, d’un sacrifice à consentir, d’une persécution à subir… Le sort qui les attendait était la moquerie et le dénigrement, la haine et parfois même la torture et la mort à cause de leur foi. Ils n’étaient pas du monde comme Christ n’était « pas de ce monde » (Jn 17.16). « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » (Jn 15.20). Le sort que les hommes ont réservé au Maître le réserveront aussi à ses serviteurs chaque fois que cela leur sera possible.

La huitième béatitude n’a rien pour enivrer de joie le candidat à la foi chrétienne. Comme toutes celles qui la précèdent et qui la constituent, nous y avons vu un programme de vie; elle est une promesse et une récompense pour un dur combat et pour une existence pleine d’épreuves. Le disciple n’est pas encore au ciel et les joies ineffables, réelles puisque promises, ne font pas pour l’instant les délices du fidèle.

L’Église naissante a connu et expérimenté la grandeur et l’héroïsme, parfois la démesure, des marques de fidélité à son Seigneur que nous avons oubliées. Quant à nous, parvenus à la fin des temps, nous nous accommodons assez béatement du sort que le monde nous réserve, de son inattention, de sa négligence, voire de son mépris indifférent. Notre profession de foi n’a pas encore trempé dans le sang. Nous n’avons pas résisté jusqu’au martyre. Quoi d’étonnant si le monde ne nous hait plus? Notre médiocrité est la meilleure alliée de celui-ci.

Puis-je vous inviter à vous souvenir de ceux qui, auditeurs de Jésus, furent aussi les premiers martyrs, dont le sang authentifia le témoignage chrétien au moment même où l’Église s’enracinait? Est-ce trop espérer, auditeurs ou lecteurs modernes des béatitudes, que nous trempions, aussi peu soit-il, à leur combat? Que nous renouions avec le passé pour découvrir nos véritables racines spirituelles en nous unissant à la commune profession de foi évangélique? Que nous brisions, enfin, certaines pratiques routinières de la foi qui font plus de mal que le fer et le feu, qui déciment plus sûrement l’Église installée dans sa nonchalance que les déchaînements des forces impériales de Rome et des persécutions qui les ont suivis?

Les chrétiens d’autrefois, et sans doute ceux d’aujourd’hui dans les régions du monde où sévit contre eux la persécution (et d’ailleurs, qui s’inquiète de leur sort? qui communie avec leurs souffrances, subies parfois discrètement et courageusement?), ces chrétiens, dis-je, sont toujours considérés comme des gens anormaux. La rigueur morale, le puritanisme au sens premier et noble du terme, jette sur eux la suspicion. Leur conduite irréprochable crée les plus déchirantes divisions, jusqu’au sein des familles, entre parents et enfants, époux et épouse. Car la conversion au Christ signifie parfois aller au-delà des affections les plus naturelles.

Autrefois, des hommes furent traités d’« athées » parce que nulle image ni statue des divinités de l’époque n’ornait leurs intérieurs; ils furent accusés de tous les méfaits. Si le Tibre débordait, si le Nil retenait ses eaux, s’il y avait peste ou famine, séisme ou cataclysme, ils servaient de bouc émissaire à la foule. Et puis, suprême raison pour se faire haïr, il y avait le conflit ouvert entre le culte du Christ et la reconnaissance de l’empereur en tant que seigneur. On trouva longtemps, derrière le culte rendu à l’empereur, la déesse Rome, symbole de l’unité politico-religieuse de tous les peuples de l’Empire.

Le culte nouveau devenait dès lors la pierre de touche de la loyauté des citoyens, exactement comme de nos jours l’intérêt, la préoccupation, le culte de nature religieuse voué si souvent à la chose publique deviennent la seule pierre de touche de toute crédibilité chez un grand nombre de nos contemporains. Il aurait suffi aux chrétiens de l’Empire de se joindre à tout un chacun, au jour fixé, pour proclamer solennellement que César était seigneur; de brûler un brin d’encens devant sa statue, peu importe ce qu’on faisait après, pourvu qu’une fois par an on s’adonnât à ce culte universel.

Pourtant, sous aucun prétexte, le disciple chrétien n’aurait consenti à cet acte d’allégeance. Dès lors, le conflit devenait inéluctable. Et la persécution allait revêtir des formes diverses, sournoises ou ouvertes, et dans ce dernier cas, elles devenaient cruelles et sauvages. Parfois, c’était la grande explosion de colère de la populace, d’autres fois les raffinements inouïs de l’ingéniosité du mal : enfermer les chrétiens récalcitrants dans des sacs avec des reptiles venimeux ou les jeter à la mer; les battre jusqu’à ce que les viscères éclatent, déverser du sel et de l’acide sur des plaies à vif; les catapulter pour les déchiqueter, les brûler vifs, les jeter aux bêtes féroces… Comment oublier ces pages de l’histoire de l’Église — et elles appartiennent à toute l’Église — qui nous apportent le témoignage du prix que les premiers chrétiens payèrent pour témoigner publiquement de leur foi et nous la transmettre?

Quels sont les mobiles qui conduisent le monde à une attitude aussi démentielle envers les disciples du Christ? Pourquoi Jésus en personne informe-t-il les siens de ce qui les attend? Il existe des vérités simples que nous avons tendance à oublier. Le chrétien, et le témoignage du Nouveau Testament le conforte, est une personne à part. Il est saint, c’est-à-dire mis à part pour le service du Dieu vivant, son seul Seigneur.

La différence dans la vie des premiers chrétiens, nous l’avons constaté, sautait aux yeux de tout observateur normal. Ils ne s’enfermaient pas loin du monde pour vivre à l’abri. Placés au milieu d’une société païenne devenue inhumaine et perverse, ils en subissaient la colère injuste. Les villes les plus prestigieuses de l’antiquité, telles Rome, Corinthe, Smyrne, Éphèse ou Philippe entre autres, devinrent le théâtre des violences contre les chrétiens. Ceux-ci n’avaient même pas besoin de dénoncer le mal verbalement pour subir la persécution, ou tout au moins l’ostracisme. Leur comportement, si différent par rapport à celui de la société ambiante et qui manifestait des critères évangéliques, suffisait pour déclencher une opposition furieuse. Que nos voisins s’aperçoivent que nous avons d’autres principes que les leurs, et ce pourra être soit le commencement d’un témoignage fécond soit, au contraire, le début d’une hostilité profonde…

La justice dont Jésus nous entretient dans cette béatitude est celle du Royaume, et la justice du Royaume n’est autre que la sienne. Nous sommes avertis que la persécution peut s’acharner sur nous à cause de lui. Dans ce cas, frères chrétiens, serait-elle un malheur envoyé pour nous abattre? Non, mille fois non. Elle sera plutôt le compliment qui nous est adressé par le monde hostile. Nul ne sera inquiété s’il mène une existence anodine, demeure indécis, marche sur deux trottoirs, tourne le dos au Christ pour échapper aux ennuis, ou tout simplement au ridicule… En revanche, la persécution atteindra, d’une manière ou d’une autre, celui qui prouve un attachement indéfectible au Christ, l’unique Seigneur. La persécution est, par conséquent, une marque d’authenticité de notre foi, l’occasion de démontrer notre loyauté envers le Maître.

La persécution met encore au grand jour une autre dimension, plus profonde que celle d’un courage héroïque. D’une part, elle annonce, d’autre part, elle scelle l’union du disciple avec son Sauveur. Dès lors, comment ne pas l’accueillir comme la récompense décernée par lui? Au lieu de suivre passivement le Christ, nous saurons l’imiter, au prix même de la souffrance. Dans son infinie condescendance, il nous permet de prendre part à sa propre souffrance. Non pas pour la compléter, nous ne pouvons contribuer en rien à la rédemption du monde, mais dans l’intention de nous montrer le chemin par où il est passé, lui, le Seigneur et le Maître. Aucune de nos souffrances ne saurait ajouter au bonheur et au salut que la passion du Fils de Dieu nous a procurés. Elle n’est pas la mesure, le moyen qui nous apprend ce que l’Évangile a coûté au Seigneur de la vie, au Sauveur des hommes.

Heureux, dit le Christ, ceux qui souffrent pour la justice, car la récompense s’attache toujours à l’exigence, même la plus coûteuse. Le Christ ne reste jamais notre débiteur. Quiconque communie avec lui, que ce soit au milieu de la violence de l’orage ou dans l’épreuve discrète, aura sa part dans la gloire à venir. Si nous souffrons avec lui, nous serons aussi consolés par lui.

« Nous sommes […] héritiers de Dieu et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être aussi glorifiés avec lui. J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir », déclare l’apôtre Paul (Rm 8.17-18).

Si nous sommes unis au Christ dans la croix, nous le serons aussi lors de sa résurrection. Voilà, mes frères, l’exigence du divin Maître. Nous venons aussi d’apprendre qu’elle est fidèlement accompagnée de la promesse et récompensée par la béatitude.