Cet article sur Matthieu 6.31-34 a pour sujet le mode de vie des païens qui servent leur dieu et recherchent un bon niveau de vie (nourriture, vêtements). Les enfants de Dieu sont appelés à chercher le Royaume de Dieu et à faire confiance en leur Père céleste pour leurs besoins.

Source: Méditations sur la vie chrétienne. 3 pages.

Matthieu 6 - Nous sommes tous des païens

« Ne vous inquiétez donc pas, en disant : Que mangerons-nous? Ou : Que boirons-nous? Ou : De quoi serons-nous vêtus? Car cela, ce sont les païens qui le recherchent. Or votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain, car le lendemain s’inquiétera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine. »

Matthieu 6.31-34

Lors du Sermon sur la Montagne, Jésus-Christ constate par deux fois ce fait et en souligne le danger. Or, il s’adresse à son peuple profondément attaché au Dieu unique, au Dieu vivant. Ce danger demeure jusqu’à ce jour, et il nous guette, nous, membres de l’Église chrétienne et citoyens du Royaume.

C’est à propos de questions inquiètes telles que : « Que mangerons-nous, de quoi serons-nous vêtus? » que Jésus affirme : « Toutes ces choses, ce sont les païens qui les recherchent. » Qu’est-ce donc que vivre en païen?

Le païen est un homme religieux, sa manière de vivre dépend de ce qu’est son dieu. Or, dans la Bible, les dieux des païens ont un caractère commun : chaque dieu est le dieu de son peuple, et chaque peuple a son dieu. Le dieu païen est d’abord le dieu d’une race, d’un peuple particulier. Certes, les Romains font entrer les dieux des peuples conquis dans leur panthéon, cherchant ainsi à briser cet attachement exclusif qui permettrait à un peuple de conserver son caractère national et de résister à l’assimilation dans l’Empire. Mais cette politique religieuse manifeste clairement la profondeur du lien qui unit un peuple à son dieu. Ainsi la vie païenne s’inscrit dans le cadre limité d’une tribu ou d’une nation.

En ce qui concerne la nourriture, le vêtement (nous dirions le niveau de vie), le païen qui les recherche et les demande à son dieu ne déborde pas l’horizon d’une solidarité ethnique ou nationale. Au sein de son peuple, le païen peut développer des vertus d’entraide, de partage, de soutien mutuel; il peut développer la fierté d’avoir un dieu plus puissant que celui des autres peuples; rappelons-nous l’orgueil qui dicte au général en chef des Assyriens ses sarcasmes à l’égard du Dieu d’Israël (És 36.18-20). Le païen sait, comme le souligne Jésus lui-même, « aimer ses frères » (Mt 5.46-47). Mais il ne s’agit que de ses frères de race. Il ne demandera jamais à son dieu de lui accorder la grâce d’aimer ses ennemis. Il ne lui demandera pas davantage de nourrir les autres peuples.

Certes, l’Évangile ne nous détourne point d’aimer notre proche prochain; il nous appelle même à pratiquer, en tout premier lieu, l’entraide fraternelle très concrètement dans le cadre de la famille et celui de la communauté chrétienne (1 Tm 5.8; Ga 6.10); mais en nous approchant de Dieu, Père de tous les hommes, nous ne pouvons rechercher un niveau de vie décent, la ration quotidienne de pain nécessaire, et nous désintéresser complètement de ceux que nous côtoyons et que nous sommes appelés à aider, à partager les fardeaux et à assister dans le malheur. Nous avons des obligations morales, non pas vis-à-vis de ce que les autres attendent de nous, mais de ce que Dieu nous ordonne : assister le pauvre, l’étranger, la veuve et l’orphelin; en somme, toute personne sans défense. Et cet homme pourrait éventuellement être notre pire ennemi. « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Lc 6.27). Ne rechercher que la grandeur et les intérêts des nôtres, c’est vivre en païen. Mais s’ouvrir dans la prière, dans l’entraide, dans le don, dans les attitudes civiques et au cri de celui qui se trouve dans la détresse, même s’il n’appartient pas à son groupe, n’est-ce pas là le fruit vivant d’une communion dans le Christ, d’une vie avec Dieu?

Le dieu du païen n’était pas seulement le dieu d’un peuple, mais le dieu de son sol, le dieu des forces de la nature, et très particulièrement des récoltes et des moissons, de la fécondité du sol. Implorer son dieu, c’était se placer sur le terrain du bonheur matériel; belles récoltes, vendanges abondantes, voyages réussis, affaires florissantes…

La piété païenne se mouvait sur ce terrain. C’est en ce sens que Jésus disait : « Toutes ces choses [nourriture, vêtement, etc.], ce sont les païens qui les recherchent » (Mt 6.32). Vivre en païen, c’est donner la première place à ces réalités. Jésus nous appelle à chercher d’abord le Royaume de Dieu et à reconnaître que la vie humaine a une tout autre dimension. L’homme ne vivra pas de pain seulement. Aux Israélites qui dans le désert regrettaient les pots de viande d’Égypte, Moïse redit le prix de la liberté : mieux vaut la pauvreté dans l’indépendance que l’abondance dans la servitude. Avec une fine ironie, les Proverbes rappellent que, sans la paix, ni un toit ni la nourriture ne sauraient donner le bonheur.

Tout ce que nous englobons sous le vocable de dignité humaine, libertés personnelles, indépendance nationale, relations de justice et de paix, et surtout cette soif d’aimer et d’être aimé dans le respect mutuel, tout cela est orienté vers le Royaume de Dieu. Vivre en païen, c’est croire que nous pouvons nous contenter de bien vivre uniquement au point de vue matériel, c’est croire que les autres peuvent s’en contenter. Partout où l’homme est traité en être passif, partout où on le nourrit de propagandes et d’actions psychologiques qui asservissent sa liberté de pensée et de jugement, partout où sa responsabilité civique et sociale est limitée, partout où l’on méprise sa soif de dignité, partout où on lui refuse sa part de paix, partout où l’homme est méprisé, voire pas aimé, là, on vit en païen. Mais entrer dans la communion du Christ, se laisser visiter par son Esprit, se tourner vers son Royaume dans une espérance invincible, c’est accepter que soit surmonté en nous ce fonds païen de notre cœur, c’est ouvrir le véritable prix de l’homme et les véritables dimensions de notre vie et de la vie des autres.

Le païen s’approchait du dieu de son peuple, du dieu de la nature, pour l’implorer et obtenir de lui ce qui lui était nécessaire. Mais il ne savait pas si son dieu serait favorable ou non à sa requête. Son dieu, capricieux et arbitraire dans ses humeurs, pouvait agréer ses offrandes ou les repousser. Le païen vivait dans l’incertitude et la crainte. Mais Jésus dit : « Votre Père sait que vous en avez besoin » (Mt 6.32). Jusque dans nos besoins les plus élémentaires, Dieu vient vers nous. Lorsque nous avons besoin d’un peu de pain, d’un peu de soutien, d’un peu de courage pour affronter le combat de la vie, Dieu nous les accorde. Tout ce qu’il a nous appartient; nous pouvons puiser sans crainte dans le trésor de sa richesse. Il n’est point un Dieu arbitraire qui prendrait plaisir à jouer avec l’homme pour se moquer de sa faiblesse. Il n’est pas un Dieu capricieux qui nous laisserait dans l’incertitude de ses desseins. Nous sommes aimés. Nous pouvons remettre notre vie entre ses mains; elle sera gardée. L’avenir aura soin de ce qui le concerne; notre destinée lui appartient, et cela suffit.

Nous sommes aimés, mais vivre en païens c’est rester déchirés, angoissés, révoltés ou résignés. Pourquoi ceux qui connaissent le Dieu qui les aime ne seraient-ils pas joyeux, libres, sereins, allant de l’avant avec courage et simplicité de cœur?

Ne pas vivre en païens est le vrai service que nous pouvons rendre à nos contemporains. C’est là que s’incarne le témoignage de l’Église chrétienne fidèle à Dieu dans le monde présent.