Cet article a pour sujet le message de l'Évangile qui est la mission de l'Église. Devant la "problématique" de la mission et de la communication de l'Évangile, il faut se rappeler la priorité de la mission et la perspective du Royaume.

Source: La communication de l'Évangile. 6 pages.

Le message c'est la mission - La perspective réformée

« Car les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles, mais elles sont puissantes devant Dieu, pour renverser des forteresses. Nous renversons les raisonnements et toute hauteur qui s’élève contre la connaissance de Dieu, et nous amenons toute pensée captive à l’obéissance au Christ. »

2 Corinthiens 10.4-5

  1. Problématique
  2. Un esprit du temps changeant
  3. Des simulacres de mission
  4. La priorité de la mission
  5. La perspective du Royaume
  6. Son message est notre mission

1. Problématique🔗

Avec l’arrivée du troisième millénaire, nous sommes confrontés à la « problématique de la missiologie » autant qu’à la « problématique de la théologie », à la « problématique du grand nombre d’Églises et confessions diverses » et, bien entendu, à l’omniproblématisation du monde occidental postmoderne. « Les décennies du siècle et du millénaire qui s’achèvent ont vu des Églises en désarroi, caractérisées par le déclin, le manque d’orientation et la confusion théologique » (Michael Welker). C’est pourquoi je crois que la question pertinente et urgente à poser est celle-ci : Quelle mission pour quelle Église?

D’un commun accord, les missions modernes ont été englouties dans une situation paradoxale. Comme c’est le cas de presque tous les autres domaines de la culture et de la société modernes — Église incluse —, la mission n’a pas échappé au désastre de la « problématisation », qui englobe et étrangle presque toutes les sphères de la réalité créée. La problématique de la mission fait partie de la problématisation générale et épuisante de la technologie de l’ère moderne, telle qu’elle a été conceptualisée par l’expertise scientifique dominante. L’homme postmoderne (en était-il autrement avec son grand-père prépostmoderne?) est incapable de traiter une question donnée, qu’elle soit culturelle ou religieuse, sans l’élever — ou, pour le dire plus correctement, sans la rabaisser — au statut et au niveau d’un problème. Notre monde contemporain est engagé dans une course sans fin, incapable de trouver une porte de sortie qui lui permettrait de se tirer du labyrinthe culturel dans lequel il s’est à nouveau égaré. Le diktat postmoderne consiste à dire que le principe et modèle « fondamental » de l’ère des Lumières n’est plus valide ni opérationnel dans la perception de la réalité d’aujourd’hui; par conséquent, il est voué à être rejeté et sera remplacé par autre chose (la déconstruction à la Derrida?). Comme si c’étaient le principe fondamental et la méthode du siècle des Lumières qui avaient été la norma normans, et non le modèle biblique.

Les théologiens, ces remarquables enfants de leur temps, ont encore une fois suivi le mouvement de l’histoire et, par pur opportunisme, n’ont pas voulu rater l’occasion de suivre les tendances en vogue. Partis à la dérive, s’étant coupés de leurs origines et ayant largué les amarres, ils sont eux aussi pris au piège de « la problématique de la communication » de la Bonne Nouvelle, qui doit être essentiellement communiquée comme un message parfaitement adéquat, nécessaire, limpide et plein d’autorité. L’Église, la théologie et la missiologie (ou la récente missionologie pompeuse) chantent l’air du temps dans une cacophonie désespérée et sont entraînées dans un funeste naufrage. Nous pouvons nous demander quelle profondeur insondable de l’océan de l’histoire pourra contenir les flots de leur logorrhée.

2. Un esprit du temps changeant🔗

La théologie reformata quia semper reformanda (qui se réforme sans cesse) a été abandonnée à la merci de l’esprit du temps (Zeitgeist) changeant.

« Le profil de la théologie réformée semble se désintégrer en une pléthore de tentatives visant à se conformer aux tendances morales, politiques et scientifiques contemporaines. Cela s’expliquer par la profonde incertitude qui existe à l’égard de la norme, de la force et du fondement de la théologie réformée » (M. Welker).

La foi chrétienne, biblique et réformée, fondée sur la révélation divine, est la seule à défier de manière critique toutes les structures mentales fondées sur le sable; ou, pour emprunter l’image paradoxale de Franz Kafka, les tours modernes de Babel construites à l’envers, vers le bas! La foi réformée met en évidence les limites et les déficiences de la raison, de l’humanisme et de la science, et se fait un devoir de le rappeler aux esprits sécularisés. La foi se moque de cet étalage fantaisiste des religions qui prétendent, comme par magie, offrir la solution. L’Église réformée confessante cherche la solution en dehors du bazar bizarre des aberrations religieuses, fondées sur de fausses révélations. Paraphrasant G. K. Chesterton, nous pouvons dire qu’elle est consciente que « le monde est rempli de religions, toutes devenues folles ».

3. Des simulacres de mission🔗

La problématisation de la mission a produit une pléthore de problèmes que nous pouvons appeler avec un certain réalisme raisonnable les simulacres missionnaires. Ce ne sont pas seulement des simulacres isolés, mais une simulacrise pandémique. Les termes utilisés dans ce domaine sont les mêmes que ceux employés dans le vocabulaire missionnaire classique. Néanmoins, leur sens et leur contenu sont différents, voire antagonistes aux concepts bibliques normatifs. L’Église contemporaine a entrepris la tâche énorme mais inutile de réinterpréter ce que le mandat missionnaire signifiait à l’origine. « Repenser la mission » est devenu un refrain depuis que la célèbre collection d’essais portant ce titre (Rethinking Missions) a paru au début des années 1930. Cependant, cela nous rappelle ces vieux enregistrements 78 tours qui, sur notre ancien phonographe, devaient être remontés toutes les trois minutes. Pourtant, entendons-nous encore la « voix du Maître »?

« Repenser la mission » peut signifier politiser l’Évangile et assurer la libération politique. Le mouvement de libération de la femme annonce la bonne nouvelle (le manifeste) de l’égalitarisme social. La psychologisation de l’Évangile — mirabile dictu — réduit le contenu originel de l’Évangile à un état de conscience interne (à un tel degré de consommation généralisée que bientôt les bancs du sanctuaire seront remplacés par le canapé du psychanalyste, sur lequel les paroissiens en détresse allongeront leurs jambes, tandis que le pasteur psychologue apprenti sorcier appellera les gens à s’avancer, les invitant non pas à l’ancien banc de pénitence de l’Armée du Salut, mais plutôt à un strip-tease socio-psycho-pathologique). La bienheureuse sanctification par le sexo-gospel en solo et le voyeurisme enflammé par les médias bénéficieront donc de cette assurance bénie qui annonce et proclame urbi et orbi — avec un pronunciamiento dogmatique infaillible et intransigeant — des promesses infaillibles pour nous libérer de toutes ces frustrations sexuelles aliénantes; l’émancipation tant attendue des répressions érotiques, etc. Le vieux Priape est parmi nous, pas seulement sur la place du marché, mais aussi dans nos chapelles où ses oracles déclarent : « Ainsi parle le Seigneur Libido : Sois nu, car je suis nu »!

Le simulacre de la mission consiste à humaniser l’œuvre de Dieu. Un document du Conseil œcuménique des Églises, intitulé L’Église pour les autres, plaide non pas en faveur de « la christianisation, ramenant l’homme à Dieu par le Christ », mais plutôt en faveur de « l’humanisation », où la conversion est désormais considérée comme un changement social. La mission est conçue comme proposant au monde des objectifs de paix, de non-violence, de liberté, de solidarité, de désarmement, de société sans classes, de société globale, de réalisation politique et, enfin, mais non le moindre, d’écologie verte. Évangéliser les païens, que ce soit ceux qui habitent dans les forêts amazoniennes ou qui fourmillent dans les mégalopoles occidentales — tous deux faisant partie du Tiers-Monde religio-moral contemporain — est étranger au programme de ces étranges missions (étrangères). C’est une mission semblable à un couteau sans manche et privé de son tranchant! Avez-vous vu un tel couteau de votre vie?

Un autre schibboleth est la conception holistique de l’entreprise missionnaire chrétienne moderne. Je ne suis pas particulièrement allergique à quelque chose de global — employons ici quelques grands mots, les Allemands sont très doués pour cela —, à une Weltanschauung, pourvu que je sache ce que cet holisme contient. Je ne me soucie pas de rechercher un holisme quantitatif, mais plutôt un contenu qualitatif. Il y a quelque temps, un médecin français astucieux offrait pour un euro une bouteille d’eau déshydratée! Blaise Pascal m’a aidé à faire une distinction essentielle entre « l’esprit géométrique et l’esprit de raffinement » (qualité versus quantité).

4. La priorité de la mission🔗

La question brûlante est donc de savoir quelle est la priorité de la mission et sur quels fondements elle repose. Si je disposais d’espace pour mes modestes notules, je développerais quelque chose sur la « problématique de la communication », la distinction entre foi et idéologie, la contextualisation-inculturation, le dialogue (ou le trialogue? Harvey Cohn), l’adaptation ou l’application, le néo-syncrétisme, ou la theoria versus la praxis, etc. Modestement, ce qui signifie sans grande originalité, je propose ce qui suit.

Je préviens la missiologie « réformée » qu’il ne faut pas négliger ce qui, parfois avec un ton condescendant, a tendance à être qualifié de purement individualiste, piétiste, subjectiviste, spiritualiste, et qui concerne le salut de l’homme individuel. Luc 15 éclate d’une joie indicible à la vue du salut d’un fils prodigue, d’une brebis égarée, d’une pièce de monnaie perdue. Le Fils de Dieu est venu sauver les perdus, pas seulement celui qui est perdu dans son sitz-im-leben socioculturel, mais celui qui est perdu en lui-même. Leslie Newbigin a fait une distinction utile entre la mission et les missions. La mission de l’Église comprend tout le mandat que l’Église a reçu lorsqu’elle a été envoyée dans le monde : prêcher l’Évangile, guérir les malades, s’occuper des pauvres, enseigner aux enfants, améliorer les relations internationales et interraciales, s’attaquer à l’injustice. Les missions de l’Église ont le souci de travailler à ce qu’il y ait des chrétiens dans les endroits où il n’y en a pas. En d’autres mots, les missions consistent à implanter des Églises par le moyen de l’évangélisation. À cet égard, je crois qu’il est impératif de clarifier l’identité de l’Église elle-même : Est-elle Église missionnaire, ou bien la mission est-elle simplement une activité parmi toutes les autres activités dévorantes auxquelles l’Église participe, pour se convaincre qu’elle est vraiment occupée? La mission n’est pas une annexe, mais une partie essentielle de son être.

Le fondement, le point de départ, la résilience, le motif des missions chrétiennes et réformées ne sont ni l’enthousiasme personnel ni l’enthousiasme de la communauté. Pas même l’utilité particulière de l’entreprise en tant que telle. Le fondement et le motif de la mission sont pour toujours le mandat donné à l’Église. Le fondement biblique de la mission est pleinement suffisant; il ne sera jamais ébranlé sous nos pieds quand nous parcourrons le champ de mission. C’est sur ce fondement que nous devons construire. C’est en ayant ce motif à l’esprit que nous demanderons la force dont nous avons besoin. Tout le reste s’avérera trompeur. Si la Bible est le fondement, c’est elle également qui établit la règle pour que la tâche avance et continue. Le monde extérieur a sa politique; l’Église missionnaire et le Royaume de Dieu ont la leur, et cette dernière contredit la première et la remplace pour toujours. Si nous obéissons à la règle, et exclusivement à cette règle, en tant qu’Église missionnaire, nous serons en paix, nous nous fortifierons, nous serons remplis de joie et nous serons équipés pour la tâche.

L’Église ne sera pas missionnaire si elle n’est pas une Église confessante, qui proclame la vérité. La mission n’est pas un travail optionnel accompli par une minorité qui y participe et la gère avec plus ou moins d’insouciance (confiée à la « prélature de l’Église », écrit Rolland Allen; avec moins de douceur, j’appelle cela l’ABC : Administratura, Bureaucratura, Clericatura). Elle prendra conscience de sa responsabilité apostolique. Si l’Église est rassemblée par l’Esprit autour de la Parole afin qu’elle reçoive la vie de lui, son devoir est de communiquer cette vie autour d’elle. Elle est la voix proclamant le message, ce qui permet à la Parole de Dieu d’être entendue; ainsi, son message à lui devient sa mission à elle. Elle revient sans cesse à la pureté du message qu’elle a reçu. Ainsi, de plus en plus, elle devient l’Église universelle. Notre mission a été planifiée, entreprise, orientée, accomplie comme étant le don que Dieu fait de lui-même. Elle possède une unité ultime et transcendante dans l’œuvre qui nous a été assignée, et qui est la tâche des communicateurs-témoins. Dieu offre sa grâce en son Fils unique, dans la communion de son Saint-Esprit. Qui parmi les fils perdus des hommes pourrait trouver ailleurs un don plus gratuit et plus transcendant? Transcendant, mystérieux, pourtant révélé « pour nous les hommes et pour notre salut ». Le salut n’est pas le sujet d’une théorie, mais le contenu d’un événement. Augustin est allé jusqu’à considérer la chute comme un heureux événement : felix culpa. Cette chute n’a-t-elle pas donné l’occasion à un si grand salut? J’ose m’opposer à cette formulation exagérée du grand évêque. Si nous jubilons pour quelque chose, ce n’est pas dans la felix culpa, mais dans la grâce étonnante.

5. La perspective du Royaume🔗

La missiologie réformée s’exerce dans la perspective du Royaume. La portée de notre mission est à l’échelle de la société. Ce concept évitera un Évangile réductionniste, ne traitant que des sujets dits « supérieurs et spirituels ». La missiologie réformée développera une relation significative entre l’évangélisation, la proclamation de la Parole et la transformation du monde et de ses cultures. « Aucune limite n’est prescrite », écrit Calvin, « mais le monde entier leur est assigné, pour être réduit à l’obéissance au Christ, afin qu’en répandant l’Évangile partout où ils le pourront, ils puissent ériger son Royaume parmi toutes les nations » (Institution, IV.3). Nous réévaluerons radicalement toute politique qui déclare ou suppose que la politique, l’éducation, l’art, la science ou la culture sont hors des limites de la mission chrétienne. Il est d’une importance cruciale que nous gardions en vue l’œuvre rédemptrice du Christ dans l’histoire menant à la fin des temps. Le règne du Christ englobe tout le cosmos. Son règne ne s’adapte pas aux règles du monde, et nous ne devons pas séparer, par une vision incorrecte de deux royaumes, ce que Dieu a uni.

Il nous faut ajouter une considération supplémentaire. À ma connaissance, il n’y a pas eu suffisamment d’attention portée sur le fait que la présente session de Jésus-Christ à la droite du Père tout-puissant est d’une importance primordiale pour la grande mission. Quel que soit le choix que nous faisons — le fondement trinitaire, la nature christologique ou la nature pneumatologique de la mission —, le fait est que, si nous sommes capables de nous impliquer dans la mission, c’est à cause de l’autorité suprême actuelle du Christ à la droite de Dieu. Le temps dans lequel nous vivons est celui de la royauté du Christ inaugurée lors de son ascension. La bataille décisive a déjà été remportée. L’horloge avance, même dans la tribulation, mais avec patience, car nous avons part au Royaume (Ap 1.9). La patience de Dieu mesure notre temps. Il attend. Pendant ce temps de sa patience, son Église est placée dans ce monde. La raison d’être de l’Église n’est rien d’autre que de proclamer cette victoire de son Seigneur. Offrir au monde l’occasion d’entendre l’annonce de la transformation radicale qui a déjà eu lieu.

Ce monde actuel mesure encore son temps selon l’ancien calendrier. Au contraire, nous, l’Église, vivons selon le nouveau calendrier, en témoignant que les choses sont déjà en train d’être transformées. Derrière nous, il peut y avoir le feu, la guerre, la méchanceté, la maladie, la mort, le péché, les ravages continuels de la chute, à tous les niveaux de la société humaine. Selon l’ancien calendrier, Satan est toujours vivant et actif en tant que prince de ce monde. Nous avons été transférés dans le Royaume de lumière, de justice et de paix. Par conséquent, c’est le temps pour nous d’annoncer sa Parole. C’est le temps d’exercer notre responsabilité; notre temps et chacune de nos journées sont un temps et une journée missionnaire. Les temps sont accomplis, bien que le temps continue d’avancer jusqu’à sa fin. Dieu nous appelle à devenir partenaires de son œuvre dans sa création. L’oreille de tout homme doit entendre ce message. Toutes nos forces deviendront disponibles pour lui. C’est en effet le temps de « l’Église missionnaire », la fin des temps. C’est le temps pour les hommes apostats de se repentir, de croire et de reconstruire leur vie. Le Seigneur est plus proche de nous qu’il ne l’était hier. Il se tient debout à la porte, il frappe. C’est en effet le moment décisif où seule la Parole de Dieu doit être entendue et où seule sa volonté va l’emporter. C’est le temps, le kairos, où la haine, la division, les préjugés, l’injustice, la guerre et la destruction doivent disparaître, car nous nous sentons mal à l’aise avec l’ancien statu quo et nous aspirons au renouvellement de toutes les structures atrophiées de ce monde. Nous sommes même impatients de faire entendre cette Parole ultime. Jésus-Christ, assis à la droite de Dieu, nous rend capables par son Esprit de devenir ses témoins.

6. Son message est notre mission🔗

En conclusion, je tiens encore à souligner les cinq points suivants de la mission réformée. Ils ne satisferont peut-être pas les missionologues érudits et ne me feront pas obtenir un doctorat en ministronique.

  • 1 Jean 1.1-4 établit le modèle de notre communication du message. Il ne s’agit pas seulement d’une proclamation, mais aussi d’un témoignage, kerygma et martyria.

  • Il nous faut être remplis d’un saint émerveillement devant l’œuvre entreprise par Dieu pour accomplir le salut et la restauration de sa création.

  • Une intelligence sanctifiée permettra d’articuler un message pertinent à transmettre dans l’Agora moderne.

  • Il nous faut calculer ce qu’il en coûte d’être disciples.

  • Enfin, demeurons actifs, dans la prière, en étant assurés que Dieu veille sur son œuvre.