Cet article a pour sujet la norme éthique de la vie chrétienne. La loi biblique a autorité sur nos vies et est normative. Il faut comprendre ses diverses lois dans leur contexte (herméneutique) et tenir compte de notre situation.

Source: L'Esprit de la loi - Éléments pour une éthique chrétienne et réformée. 6 pages.

La norme de la vie chrétienne - Introduction

  1. La norme
  2. Des solutions proposées
  3. Directives d’herméneutique

1. La norme🔗

La vie chrétienne comporte l’obligation de prendre des décisions d’ordre éthique relatives à des situations données et des problèmes spécifiques. Après avoir décrit la vie chrétienne, d’origine et de nature divines, il nous faut examiner les normes de conduite qui la régissent, lesquelles à leur tour sont également bibliquement fondées.

Cependant, cette nécessité de s’inspirer de la norme de la Bible, comme fondement et source, pose une question légitime. Comment est-il possible qu’entre notre situation contemporaine et l’époque biblique puisse se trouver un lien quelconque, voire un terrain commun, où pourront être appliquées des normes identiques? La distance culturelle, la distance temporelle, la distance linguistique ne sont-elles pas autant de pierres d’achoppement pour appliquer une norme biblique qui était valable pour une époque révolue? Est-il possible se demande-t-on, de se soumettre aux impératifs de la Parole de Dieu, c’est-à-dire à son commandement concret, de la même manière que les fidèles contemporains de la Bible?

Celle-ci en effet contient des prescriptions et des ordonnances qui étaient directement appropriées aux mœurs et aux traditions de l’époque ou des époques où elle fut rédigée. Les normes telles que « tu n’auras point d’autres dieux devant ma face », « honore ton père et ta mère », « tu ne tueras point », « tu aimeras ton prochain comme toi-même » sont certes d’une actualité permanente. Mais qu’en est-il d’autres qui sont de nature davantage temporaire ou d’application provisoire?

Nous reconnaissons donc, par conséquent, qu’il existe des commandements bibliques qui ne peuvent comme tels s’appliquer à notre cas. Par exemple, telle prescription de l’Ancien Testament interdit de manger le gras de l’animal (Lv 7.23); ou encore celui qui ramasse du bois le jour du sabbat sera mis à mort (Nb 15.32-36); ou le fils qui maudit ses parents doit subir le châtiment suprême (Ex 21.17). Inversement, nous avons à l’heure actuelle à envisager et si possible à résoudre des problèmes inexistants à l’époque et dans l’univers bibliques. La Bible n’a pas de réponses directes pour ceux-là.

Notons pourtant ce qui est intéressant à savoir que même dans l’Ancien Testament des changements de normes avaient été nécessaires. Plusieurs de ces ordonnances ont perdu de leur validité pour l’économie du salut du Nouveau Testament. Cela explique comment l’apôtre Pierre est autorisé à manger des animaux autrefois considérés comme religieusement impurs (Ac 10.10-15). Concernant des festivals ou encore le manger et le boire, les fidèles du Nouveau Testament ont davantage de liberté qu’Israël (Col 2.16). Ces changements s’expliquent par le cours qu’a suivi l’histoire de la rédemption. En faisant connaître sa volonté, Dieu a tenu compte des circonstances historiques du peuple d’Israël et du niveau de développement culturel de ce peuple. Le Seigneur ne leur a pas dévoilé d’un seul coup la totalité du contenu de sa révélation. Celle-ci, par souci pédagogique, tenant compte des possibilités d’assimilation soit d’ordre psychologique soit d’ordre religieux, a suivi des étapes, nécessaires pour l’éducation d’Israël, jusqu’au moment où la révélation a atteint son point culminant en Jésus-Christ.

En ce qui nous concerne, le développement quasi vertigineux de la science et de la technologie modernes nous placent dans une société qui ne peut comme telle s’adapter à tout le système rituel et moral d’Israël. Les exigences de la vie moderne sont différentes de celles d’une vie pastorale et agricole des siècles passés. Nos problèmes moraux actuels étaient inconnus à l’époque où se déroulait l’histoire de la rédemption. Songeons seulement à la transplantation d’organes, à l’insémination artificielle, aux bébés-éprouvettes, aux droits de la personne, aux armes nucléaires et à toute autre nouveauté qui ne cesse de nous poser de graves questions de conscience et par moments nous plonge même dans l’angoisse.

La question décisive est la suivante : la Bible peut-elle nous servir de norme suprême dans notre situation scientifique et technique? Autrement dit, l’existence chrétienne contemporaine peut-elle se dérouler basée entièrement sur les données de la Bible sans que des réflexions ou des matériaux extrabibliques tiennent aussi un rôle important dans nos prises de décisions éthiques?

Bien entendu, on pourrait également se demander ce qui est pertinent à la vie chrétienne. La formulation actuelle des normes pour elle placera-t-elle à la portée du fidèle individuel et de la communauté ecclésiale suffisamment d’éléments dus à l’opération du Saint-Esprit?

2. Des solutions proposées🔗

Avant même d’examiner les normes que nous appellerons autonomes par rapport à l’éthique chrétienne et réformée, et sans entrer dans les méandres, examinons des solutions proposées par certains courants de pensée philosophique :

Elles ne datent pas d’aujourd’hui, mais remontent bien aux siècles passés. L’une d’elles préconise l’imitation du Christ et pose la question bien connue : « Que ferait le Christ à ma place? » ou propose de « marcher sur les pas de Jésus ». Même si on reconnaît à une telle position un souci sincère de piété authentique, il est évident qu’elle est insuffisante pour régler les problèmes et répondre à la question éthique essentielle. Même si Jésus est en un sens notre modèle, il ne l’est pas au sens où il nous serait loisible de l’imiter sur tous les points de manière servile. Car le Christ est principalement le Rédempteur et le Médiateur, dont aucune des œuvres salvatrices ne se prête à l’imitation, ni par un effort de notre volonté, ni de manière sacramentaire! Le tenir actuellement pour notre modèle reviendrait à le suivre dans nos situations propres en nous inspirant de son attitude d’amour et de loyauté, mais non faire exactement comme lui, en reproduisant tous ses gestes et mouvements! En outre, Jésus n’a pas eu à connaître et à subir exactement toutes nos situations!

Dans un chapitre précédent sur la loi biblique, nous avons examiné la manière dont on a parfois cherché à diviser artificiellement la loi biblique en trois sections : cérémonielle, civile et morale. Pour mémoire, redisons que la première réglait des actes religieux (rituels) en l’honneur de l’Éternel et de son culte; la loi civile, elle, contrôlait la vie politique, sociale et des actions communautaires; la loi morale était circonscrite au seul domaine de la moralité. Cette triple division fut appliquée de façons diverses au cours des âges. Mais actuellement, on admet plus ou moins généralement que les deux premières sont abrogées et ne reste valable que la troisième.

Nous avons vu qu’une telle division ne se justifiait pas. Ni l’Ancien Testament ni le Nouveau Testament ne la connaissent. En outre, cette séparation tranchante risque de mettre en question l’autorité même de la Bible. Car, si nous admettons que la totalité de la Bible est Parole de Dieu, alors il s’ensuit que les régulations de l’Ancien Testament doivent être considérées comme l’expression fidèle de la volonté divine pour la totalité de la vie nationale. Si ce dont nous nous occupons est la formulation d’une vie d’alliance qui honorera Dieu, certainement cela ne peut se restreindre à un certain nombre de régulations, mais engage nécessairement la totalité de l’Écriture qui est normative dans chacune de ses parties. Or, la nature de cette normativité est intimement associée au caractère et au message des Écritures aussi bien qu’au cours de la révélation historico-rédemptrice.

Et finalement, si nous ne retenions de la loi que sa partie « morale », nous ne serions pas mieux placés pour résoudre le problème réel qui se pose à nous : celui de la distance qui nous sépare quand même de l’époque biblique! Le milieu biblique et le nôtre sont tellement différents que même les normes valables alors ne peuvent plus s’appliquer actuellement, tandis que des problèmes ont surgi qui étaient totalement inconnus aux temps bibliques et pour lesquels l’Écriture ne contient aucune solution toute faite. Par conséquent, il est inutile de chercher une solution dans la séparation de la loi en trois catégories distinctes, dont l’une serait valable, mais pas les deux autres.

C’est à cet endroit que des directives herméneutiques (méthode d’interprétation d’un texte) devraient être introduites et précisées. C’est grâce à elles que nous saurons dégager du message biblique l’élément qui nous servira à prendra actuellement la bonne décision éthique pour notre propre situation contemporaine. Énumérons-les brièvement :

3. Directives d’herméneutique🔗

Un premier point certain consiste dans le fait que la révélation biblique tient elle aussi compte de l’homme et de sa situation concrète. À cet effet, tant à titre individuel que collectif, l’homme est appelé et « équipé » par le Saint-Esprit. Non seulement il reçoit la révélation, précisément parce que la révélation lui est accordée pour son bénéfice, mais encore est-il responsable de la tradition orale ou de la transmission orale, et plus tard pour la rendre permanente et définitive en fixant par écrit le contenu de la révélation. Les normes pour nos décisions éthiques contemporaines se trouvent non pas dans des livres apocryphes ou dans un autre texte « sacré », mais exclusivement dans la Bible. Nous en connaissons le caractère normatif d’autorité divine. Ceci détermine fondamentalement la voie dans laquelle ces normes éthiques doivent être considérées et appliquées. Israël a été constamment rappelé qu’elles lui sont proposées de nulle part ailleurs que de Dieu (Ex 20.1; 21.1; Lv 17.1; 18.1; Nb 5.1; Dt 5.6). De tout temps et en toutes circonstances, Israël est tenu à démontrer et à témoigner de sa consécration au Libérateur et Législateur par la façon dont il comprend les préceptes bibliques.

C’est de cette même manière que Jésus a traité la révélation de l’Ancien Testament et en particulier le Décalogue. Son attitude ajoute à nos yeux un poids supplémentaire en faveur de l’autorité divine de la norme biblique. L’amour est le sommaire de toute la loi de Moïse et de l’enseignement des prophètes (Mt 22.36-40). Il a placé ainsi tous les commandements de la Bible dans un cadre spécial : l’amour envers Dieu et l’amour envers le prochain. D’un même pas, il a indiqué la profonde motivation pour la loi dite cérémonielle, civile et morale. Car une prescription hygiénique, même la plus élémentaire, pour prévenir des maladies contagieuses dans le camp israélite, devait être vue comme l’expression de l’amour de Dieu envers son peuple (Dt 23.9-14). Pour prévenir des maladies infectieuses modernes, ce ne sont certes pas les mêmes règles qui prévaudront, cependant les motivations modernes seront identiques à celles de l’Ancien Testament.

Du fait que nous nous intéressons à la volonté de Dieu, à laquelle nous sommes soumis, nous considérerons l’intention totale de l’ensemble de la révélation, et ceci autant de la révélation spéciale que de la révélation générale.

Sur ce point, nous bornerons l’examen à la seule révélation spéciale. Des règles particulières et des textes isolés ne doivent pas être pris comme des prescriptions légales isolées. L’Écriture forme une unité organique. Aucune partie ne peut en être étudiée isolée de l’ensemble. Un passage particulier sera étudié à la lumière de la totalité, et les parties obscures à la lumière des parties mieux éclairées. Certes, nous devons examiner même des textes particuliers pour en dégager autant que ce peut le sens, sinon nous ne pourrions avoir l’intelligence du message biblique. Dans ce cas, nous devons interpréter le texte à l’intérieur de son contexte. Un texte fait partie d’une péricope, la péricope d’un chapitre, le chapitre est inclus dans un livre, le livre dans une section d’un Testament et ensemble les deux Testaments constituent la révélation historique et rédemptrice qui fait connaître les desseins éternels de Dieu. Ce n’est qu’en tenant compte de cette unité organique de l’Écriture sainte que l’on dégagera le vrai message d’une instruction particulière ou d’une série d’instructions.

Un exemple concret ici suffira : Dans Genèse 1.27, nous lisons que Dieu créa l’homme en tant que son représentant, à son image, homme et femme il le créa. Cette déclaration veut simplement dire que Dieu a créé l’homme à son image et selon sa ressemblance. Mais ceci n’est pas juste une déclaration de fait relative à l’homme et à sa création; c’est également un jugement normatif porté et placé sur lui. Le fait que l’homme soit à l’image de Dieu va remplir le reste de l’Écriture; dans toutes ses actions, l’homme doit par conséquent se comporter en tant que l’image de Dieu.

En outre à cet endroit, l’auteur biblique rapporte que Dieu le créa homme et femme. Selon l’image de Dieu, la masculinité et la féminité des êtres humains sont comprises comme des réalités créationnelles normatives. Dans le dessein créateur divin, l’homme ne peut plus devenir femme ni la femme homme. Il devient clair, s’il en était encore besoin, que ce passage exclut catégoriquement toute justification d’homosexualité.

Notre tâche ne s’arrêtera pas à ce point. Il nous faut encore déterminer les termes en lesquels le message central des Écritures sera phrasé. Cela n’est pas une tâche aisée, celle de chercher un concept unique qui exprime à lui seul le message fondamental de la Bible. Parmi de nombreuses tentatives, citons les suivantes : Jésus-Christ, l’alliance, la vie chrétienne, les relations gracieuses de Dieu avec l’homme, etc. Certains ont choisi le concept du Royaume de Dieu, ce qui est plus spécifique à des cercles réformés. Quel que soit le concept choisi, le fait demeure que le croyant est devenu une nouvelle création par l’esprit divin, aussi doit-il démontrer ses traits religieux et moraux, différents de ceux du non-croyant.

Israël dans le passé devait faire preuve d’un style de vie différent de celui des nations qui l’entouraient. De la même manière, les chrétiens du Nouveau Testament doivent démontrer un style de vie différent comme preuve et fruit de la rédemption dont ils sont bénéficiaires. Lorsque nous nous intéressons à la structure totale du message biblique nous devons distinguer parmi les éléments suivants :

(1) La glorification et l’honneur du Roi est essentielle; sa royauté et sa souveraineté universelle doivent être reconnues (Mt 28.18; Rm 14.8-9; 1 Co 15.24-27). (2) Le comportement de chaque croyant (citoyen) doit tenir compte du bien des autres croyants et de toute personne, croyant potentiel (Tt 3.8; Mi 6.8). (3) Le croyant a l’obligation non seulement de cultiver la terre, mais aussi d’en prendre soin (Gn 2.5,15; És 45.18). La pollution atmosphérique ou les menaces à la vie animale, les dommages causés à la stratosphère (ozone) doivent être combattus. (4) Chaque décision éthique ne doit pas seulement distinguer entre le bien et le mal (Hé 5.14), mais aussi agir contre le mal, le faux et le laid.

Dieu n’a pas accordé sa révélation en un seul instant. Elle s’est développée au cours de l’histoire, pendant de longs siècles. Ceci ne veut pas dire que les mêmes vérités et les mêmes règles intemporelles ont été régulièrement répétées au cours de l’histoire. Mais cela signifie plutôt que, dans la révélation, il y eut un développement progressif depuis l’original, embryonnaire, jusqu’à la floraison et l’épanouissement final.

Dans ce développement progressif dans lequel la totalité de la richesse et de la profondeur ont été graduellement manifestées, il y a eu d’une part des prescriptions universelles et d’autre part des prescriptions d’ordre contingent. Le fidèle aimera et servira Dieu, il aimera et ne haïra pas son prochain. Mais la prescription contingente appartient à une période particulière. Ainsi, certaines prescriptions de l’Ancien Testament sont abrogées depuis et à cause de la venue du Christ. Pour prendre des décisions éthiques responsables pour notre temps, il faut attentivement distinguer entre ce qui a été abrogé et ce qui demeure permanent. L’essentiel consiste pourtant en notre obéissance au message de la révélation.

Être une personne humaine c’est se trouver dans une situation particulière. Nous n’existons pas en dehors d’une situation donnée. Par situation, nous entendons un contexte de circonstances déterminées de manière historique qui appartient à l’unique réalité non répétable de la personne et qui l’oblige à prendre des décisions et de faire des choix. Ainsi comprise, la situation fait partie de l’histoire dans laquelle quelqu’un se trouve et où il est appelé à agir et à prendre des décisions, même si cette histoire demeure sous la direction providentielle de Dieu et est l’arène ou l’aire dans lequel Dieu se fait connaître dans et par sa révélation générale.

Pour être en mesure de prendre des décisions éthiques, l’on doit bien connaître sa propre situation, les défis et les dangers, les possibilités et les limites, mais également sa dynamique entre sa situation et les événements. Deux situations ne se ressemblent pas. Tous les temps ne sont pas les mêmes, l’histoire ne se répète pas (Lc 5.33-35). L’on a accès au mystère de la situation en laissant la lumière de Dieu nous éclairer, avec l’aide du Saint-Esprit. On reçoit la sagesse pour discerner ce qui est important, actuel, pertinent. Cela veut dire que l’on peut découvrir le message de la Bible et, à sa lumière, orienter nos décisions dans notre situation moderne. L’Écriture ne répond pas avec précision à toutes les interrogations, par conséquent le fidèle devra découvrir par lui-même, dans la liberté de son choix et par une action responsable, ce qu’est le commandement concret de Dieu.

Contrairement à son prédécesseur de l’Ancien Testament, le croyant du Nouveau Testament a atteint l’âge adulte, sa maturité spirituelle. Dans de nouvelles circonstances, le message biblique doit être concret et comme signe du Royaume qui s’établira (Ph 1.9-11; Col 1.9-11). Il est en mesure d’agir ainsi subjectivement, dans ses facultés mentales et intellectuelles, dans la connaissance, le jugement de valeur et la responsabilité consciente; objectivement, il sera guidé par l’Esprit de la vérité (Jn 16.13). L’Écriture demeure une lampe à nos pieds sur notre chemin. Mais celui qui veut se servir de la lampe et en voir la lumière ne fermera pas ses yeux.