Cet article sur le Symbole de Nicée-Constantinople a pour sujet la divinité du Fils unique de Dieu révélé dans la Bible, confessé au Concile de Nicée, source de notre salut et affirmation qu'il est notre Seigneur et Maître de nos vies.

Source: Nous croyons - Explication de la foi chrétienne en suivant l'ordre du Symbole de Nicée-Constantinople. 10 pages.

Nous croyons - Le Fils unique

« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. […] Et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père. »

Jean 1.1 et 14

« Nous croyons en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu… » Le deuxième article du Symbole de Nicée-Constantinople nous ouvre le cœur même de la foi et de la doctrine chrétiennes. Notre pensée tout entière, le corps imposant de notre théologie ainsi que notre foi et notre espérance en dépendent. Le Christ en personne nous pose la question qu’il posa un jour à ses disciples : « Que pensez-vous du Christ? » (Mt 22.42).

Cette question est plus profonde et plus vitale pour chacun d’entre nous que nous ne sommes peut-être disposés à le reconnaître. Qui est-il? Notre foi en lui est le fondement même sur lequel s’élève tout l’édifice chrétien. Si notre confession de foi avait été autre que celle confessée par le Concile de Nicée, et avant lui le christianisme primitif, et depuis lors le christianisme vingt fois séculaire, cet édifice serait ébranlé et bouleversé de fond en comble. Rien de ce que l’on dira plus loin au sujet du Saint-Esprit, du baptême et de la rémission des péchés, de la résurrection des morts et de l’espérance du royaume, n’aurait plus de sens.

Non seulement ce qui suit le présent article dans le Credo perdrait son sens, mais encore ce qui le précède. Notre connaissance de Dieu, le Père tout-puissant, serait à son tour dépourvue de signification, et nous resterions plongés dans la plus grande perplexité au sujet de sa personne, de sa puissance et de son amour, bref, au sujet de sa révélation. Aucune raison ne justifierait l’adoration que nous lui vouons dans la louange et dans la reconnaissance. Nous n’aurions aucun fondement solide pour nous approcher de lui dans une entière confiance, à cause de Jésus-Christ et grâce à sa médiation; au contraire, un Dieu vague et imprécis s’éloignerait toujours davantage de notre horizon. En vain, tâtonnant dans les ténèbres, l’appellerions-nous à notre secours. Si le Fils unique ne nous l’avait pas dévoilé, aurions-nous osé l’invoquer comme Père? Aurions-nous l’outrecuidance extrême de nous présenter devant lui?

Qui est Jésus Christ?

Il y a en a qui disent : « Dieu est encore une réalité plus ou moins acceptable. Dieu est grand, vaste, puissant. Je suis prêt à croire en Dieu. Mais en Jésus-Christ, non, impossible. » Il y a dans cet aveu quelque chose de profondément sincère et honnête. Et pour déblayer le terrain et voir le fond de la question, il faut commencer par avouer : il y a deux Christ, le Christ vivant et le Christ imaginaire.

Qui est le Jésus-Christ du Symbole de Nicée-Constantinople, l’objet de notre foi?

Des générations d’hommes lui ont voué depuis des siècles une vénération qui n’a point d’égale. Il a soulevé l’enthousiasme aussi bien des foules que des particuliers, comme jamais aucun autre mortel meneur d’hommes n’a réussi à le faire avant ou après lui. Il a inspiré le dévouement à tel point que sacrifier la vie pour son nom a été considéré comme le plus parfait des accomplissements. Au 19siècle, un littérateur de renom écrivait :

« Cette sublime personne, qui chaque jour préside encore au destin du monde, il est permis de l’appeler divine. L’humanité dans son ensemble offre un assemblage d’êtres égoïstes. Cependant, au milieu de cette uniforme vulgarité, des colonnes s’élèvent vers le ciel et attestent une plus noble destinée. Jésus est la plus haute de ces colonnes, qui montrent à l’homme d’où il vient et où il doit tendre. En lui s’est condensé tout ce qu’il y a de bon et d’élevé dans notre nature. Voué sans réserve à son idée, il a subordonné toute chose à un tel degré que, vers la fin de sa vie, l’univers n’exista plus pour lui. Par cet excès de volonté héroïque, il conquit le ciel. Jésus ne sera pas surpassé.1 »

Tel apparaît le personnage historique au regard de l’homme épris de grandeur et de noblesse.

Je suppose que personne, à moins d’être de mauvaise foi, ne mettra en doute son existence historique. Nous possédons plus de preuves et de témoignages sur son historicité que sur n’importe quelle figure célèbre de l’antiquité. Il a vécu dans un temps parfaitement fixé, sous les règnes des empereurs romains Auguste et Tibère et sous Ponce Pilate, le procurateur romain de la Palestine, pendant les toutes premières années de notre ère. On l’a connu travaillant de ses mains, empruntant tel chemin, mangeant du pain et du poisson, caressant des enfants, étendu sur la natte de jonc, dormant recru de fatigue parmi les hommes, tout semblable à nous, plein de charité, animé d’une passion sainte, prêchant le Royaume, pardonnant le pécheur, se déclarant Fils de Dieu.

Mais pourquoi encore Jésus-Christ? Pourquoi pas Bouddha, Ramakrishna, Lao-tseu? Et pourquoi pas tout simplement Dieu? Le grand Être, la grande Loi, la Nature, le Ciel étoilé, la Conscience, la Beauté, la Justice? Vous connaissez peut-être la magnifique réponse de Claudel :

« Soyez béni mon Dieu, qui m’avez délivré des idoles, et qui faites que je n’adore que vous seul, et non point Isis et Osiris. Ou la justice, ou le progrès, ou la vérité, ou la divinité, ou l’humanité, ou les lois de la nature, ou l’art, ou la beauté. Et qui n’avez pas permis d’exister à toutes ces choses qui ne sont pas de vous, ou le vide laissé par votre absence… »

C’est la réponse du croyant, que nous venons d’entendre. Elle est inspirée par la même foi que confesse le Symbole de Nicée-Constantinople.

Le Symbole de Nicée-Constantinople, comme le Nouveau Testament tout entier et Jésus en personne, nous convient à répondre. On ne peut pas pénétrer Jésus-Christ en tant qu’historien neutre, même pas comme un simple admirateur. Jésus nous appelle à prendre une décision à son sujet. Lorsqu’il nous interpelle, nous restons en face de lui comme des responsables. Et tant que nous n’aurons pas pris cette décision et n’aurons pas répondu à son appel, il ne restera qu’une figure extraordinaire parmi d’autres. Mais alors le miracle s’accomplira au plus profond de nous-mêmes pour transformer notre vie et lui donner une nouvelle orientation.

« Qui dites-vous que je suis? » (Mt 16.15). À ses disciples qui se pressaient autour de lui, subjugués par le charme et le mystère de sa personnalité, Jésus posa un jour cette question. Des rumeurs publiques circulaient à son sujet. Des opinions diverses et parfois contradictoires s’étaient exprimées autour de sa personne. Les uns l’identifiaient à tel personnage historique, tandis que d’autres, avec une imagination encline à la superstition, croyaient voir en lui l’illustre prédicateur Jean-Baptiste, récemment décapité par un tyranneau oriental.

Il est vrai que Jésus n’avait pas toujours aidé à ce qu’on ait de lui une idée claire, laissant un certain secret envelopper sa personne. Il répugnait à une publicité qui aurait obscurci le sens de sa mission céleste et empêché peut-être son accomplissement. Mais à présent, il demande à ses intimes de se prononcer clairement, sans ambiguïté : « Et vous, qui dites-vous que je suis? »

La réponse vient fulgurante, sans hésitation; elle abasourdit encore aujourd’hui notre cœur incrédule : « Tu es le Christ le Fils du Dieu vivant », déclare Simon, surnommé Pierre. Aussitôt, le maître le félicite : « Tu es bienheureux Simon, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux » (Mt 16.16-17). Voici donc élucidé le mystère de la personne de Jésus.

Ainsi, Jésus n’est pas le plus grand de tous, colonne insurpassable parmi l’illustre compagnie des immortels de l’histoire. Si cela avait été le cas, le jour serait venu où, à son tour, il aurait été enseveli dans la poussière de l’histoire malgré ses prétentions démesurées, nous laissant dans une amère et totale désillusion. La question troublante et décisive n’aurait plus aucun sens pour notre existence, aucune signification pour notre destinée ultime. Il n’aurait pas le droit de réclamer l’obéissance, voire le don total de soi. D’autre part, aucune intuition, aussi aiguë fût-elle, n’aurait pu saisir le sens de la vie du prophète de Nazareth. Il a fallu que le ciel s’ouvre une fois de plus pour déployer devant nos yeux toute sa sagesse et nous déclarer qu’en Jésus de Nazareth, nous avons parmi nous le Fils même de Dieu.

Il y a donc deux mille ans, dans le village insignifiant de Bethléem en Judée, une source merveilleuse a jailli, et celui qui boit de ses eaux en savoure le pouvoir désaltérant et communie à la vie divine, surabondante. Dieu devient homme, visible, reconnaissable, prenant un visage ordinaire, sans éclat ni beauté, portant un nom commun, goûtant â notre condition et à nos souffrances, mourant de la mort infâme de la croix.

Depuis la confession de Simon Pierre le disciple, à cause du témoignage de l’Écriture sainte, de l’Église et de sa confession, les chrétiens n’ont cessé de méditer le mystère de l’incarnation. À tâtons, parfois péniblement, mais toujours avec amour et foi, ils ont confessé le nom de leur divin Seigneur, vrai Dieu et vrai homme, ainsi que le déclare notre symbole et plus tard le Concile de Chalcédoine : « Une seule personne avec deux natures, sans division ni séparation, sans mélange ni confusion. »

Certains esprits objecteront : Que nous importent des formules dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont devenues inintelligibles pour les hommes de notre temps? Pourquoi nous encombrer de confessions et de credo appartenant à un passé à jamais révolu? Il n’est guère possible, dans les limites de cette étude, d’accorder plus de place à la discussion des questions que pose nécessairement notre confession de foi. Pourtant, bien que brièvement, prenons à notre compte de chrétiens modernes les grandes affirmations christologiques du passé pour nous associer à la confession de la foi des Pères de Nicée.

« Qui est le menteur [l’Antichrist] sinon celui qui nie que Jésus est le Christ » (1 Jn 2.22).

Le Symbole emprunte également l’expression « son Fils unique » à Jésus lui-même (Jn 3.16). Les auteurs de cette confession savaient ce que l’Évangile entendait par ce Fils unique, qu’il appelle d’ailleurs le Verbe divin. Par les mots « son Fils unique », les premiers chrétiens ont confessé que Dieu avait visité la terre en la personne de son Messie. Pour eux, Jésus n’était pas un homme devenu Dieu, mais Dieu devenu homme. Le don est allé du ciel à la terre, et non de la terre au ciel. Ils ont confessé que Jésus n’était pas simplement un des leurs, mais qu’il connaissait les mystères de Dieu, qu’il incarnait sa gloire, et qu’en les adoptant comme frères il les agrégeait à la famille de Dieu. Qui l’a vu, a vu Dieu, parce qu’il en reproduit les traits comme un fils accompli reproduit les traits de son père.

Dans la formule, le mot « unique » distingue Jésus de l’humanité; le mot « Fils » distingue Jésus de Dieu lui-même. Jésus n’agit pas sur la terre dans la toute-science et la sérénité toute-puissante de l’Éternel. Il dira à l’occasion : « Ceci, nul ne le sait, pas même le Fils » (Mt 24.36); il se fatiguera, il aura faim, il interrogera, il pleurera, il priera son Père des nuits entières, il se sanctifiera pour ses frères; il vivra, dans sa sainteté filiale, une vie d’homme marchant par la foi. Parce qu’il a accepté de venir sur terre pour faire cela, Dieu a dit de lui : « C’est ici mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection » (Mt 17.5). C’est parce qu’il était Fils qu’il a pu être « tenté comme nous en toutes choses » (Hé 4.15), et c’est parce qu’il n’a pas « commis de péché » que le Symbole achève de le caractériser par ces mots : « notre Seigneur », que nous expliquerons plus loin.

Qu’il suffise de dire que si Jésus n’est pas celui dont nous parlent l’Écriture sainte et le Symbole, alors il n’est pas le Sauveur dont nous avons besoin. D’ailleurs, dire que Jésus est une « fenêtre sur Dieu » n’est pas une explication plus adéquate et intelligible de sa personne…

Certes, il existe encore de nos jours, peut-être plus encore que jadis et avec une virulence redoublée, ceux qui nient la divinité du Christ tout en se déclarant chrétiens. Mais toute tentative d’emprunter des éléments de son enseignement tout en refusant de lui reconnaître une nature divine, échouera inexorablement. Il faut porter une extrême attention au fait que, depuis ses origines, depuis le jour où on a contemplé sa gloire de Fils de Dieu jusqu’à aujourd’hui, la foi orthodoxe n’a pas varié. Tout autre système se voulant chrétien, mais déviant par rapport à celui-ci, s’est éclipsé après une vie éphémère et malgré des succès illusoires. Telle fut la tragédie des sectes et des hérésies qui virent le jour aux débuts de l’Église chrétienne et au cours des siècles; tel sera le sort des systèmes théologiques modernes qui osent nier la divinité de Jésus le Christ, le Fils unique, notre Seigneur.

De nombreuses sectes et d’innombrables hérésies ont vu le jour sous prétexte d’explorer des vérités nouvelles; des groupuscules ont foisonné, cherchant à préserver leur organisation « chrétienne » sans toutefois confesser Jésus-Christ comme Fils de Dieu, l’incarnation de Dieu, « de même substance que le Père ». Ces hommes et leurs croyances n’ont pu durer. Les uns ont démenti les doctrines de leurs prédécesseurs; d’autres sectes ont assené des coups mortels sur telle autre, pour finalement céder la place à une secte plus agressive qu’elles…

La foi orthodoxe confessée à Nicée a duré pendant vingt siècles. La face du monde a changé maintes fois, mais la foi, elle, a éclairé des peuples, converti des nations (contrairement aux peuples qui avaient adhéré à l’hérésie arienne et qui succombèrent sous les premiers assauts des barbares, les Francs, deux siècles après leur conversion à la foi orthodoxe et grâce à celle-ci, surent résister à l’une des agressions les plus violentes et les plus redoutables que le christianisme ait subies au cours de son existence : celle de l’islam lors de la célèbre bataille de Poitiers en 732).

La foi orthodoxe forgea des civilisations et, au nom du Fils unique, éduqua les tribus barbares, donnant ainsi la preuve concrète de la présence ici-bas du Royaume de Dieu. Oserions-nous encore prétendre que cet étonnant phénomène historique ne fut que l’effet du hasard?

Les idées erronées au sujet de la personne de notre Seigneur furent précisément la cause de la convocation du Concile de Nicée en l’an 325. Parmi les délégués, il y avait ceux qui niaient ouvertement la divinité du Christ, comme l’avait déjà fait la secte juive des ébionites, apparue au cours du deuxième siècle et qui, après une brève et éphémère existence, disparut dans le brouillard de l’histoire sans laisser de traces.

La secte des gnostiques avait elle aussi, pendant une brève période, confondu la foi en Christ avec quelques idées philosophico-religieuses issues du néo-platonisme, qui tenaient le Christ pour une divinité secondaire d’un système polythéiste.

Il y eut aussi ceux qui, quoiqu’admettant la divinité de Jésus-Christ, niaient son humanité réelle. Ils prétendaient que l’enfant né à Bethléem, l’homme qui avait été crucifié sous Pilate, qui était mort et avait été enseveli, et le troisième jour avait ressuscité d’entre les morts, n’était pas un homme de chair et de sang, mais seulement une apparence, que des témoins avaient prise pour une personne réelle. Ces idées étaient celles de la secte des docètes, nom qui vient du grec « dokein », paraître.

Vint enfin Arius, homme d’une grande culture et orateur d’un talent exceptionnel, qui rassembla autour de lui de nombreux adeptes et agita l’Église au temps de l’empereur Constantin. Arius niait la divinité éternelle du Christ en déclarant qu’il n’était qu’une création de Dieu, née avant le temps, mais non depuis l’éternité. Le Christ, affirmait-il, était infiniment supérieur aux hommes, mais il n’était pas de nature divine.

Ce fut au milieu de ces opinions confuses et contradictoires et dans l’agitation par moment très violente qui secoua toutes les Églises aussi bien d’Orient que d’Occident, que surgit la noble figure d’Athanase. C’est en grande partie à lui et à ses inlassables efforts en faveur de la foi orthodoxe que nous devons l’essentiel de la rédaction de cette partie du Symbole qui domine, si j’ose dire, l’ensemble de la confession de notre foi chrétienne. Cette déclaration sur la divinité du Christ était la réponse claire et ferme donnée à ceux qui la niaient. Elle ne laissait planer aucun doute à ce propos, s’opposant à ceux qui, incapables de saisir la réalité de son humanité, la considéraient comme une simple apparence et comme une opinion chimérique. Elle affirmait avec force la divinité éternelle du Christ ainsi que sa réelle humanité.

Notons que notre doctrine est la seule explication logique et satisfaisante du merveilleux événement qu’est la révélation du Christ.

Depuis le jour où le Fils de l’homme apparut dans les plaines de Galilée, parcourant les bourgs et les bourgades de la Judée, les hommes purent contempler sa gloire dans la grâce et la vérité; il était normal qu’ils cherchassent à saisir le mystère qui l’enveloppait afin de mieux le connaître. Ceux qui, durant plus de trois ans, le suivirent jour après jour, ne tardèrent pas à découvrir chez lui d’autres signes et aspects de sa nature surnaturelle, jusqu’au jour où, même le plus incrédule parmi eux, Thomas, l’un des douze disciples, saisi par la force de l’évidence et emporté par l’élan de l’adoration, se prosterna en s’écriant : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20.28).

Jésus demandait à être reconnu comme tel; écoutez-le déclarer à son propre sujet : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, moi, je suis » (Jn 8.58); « Et maintenant, toi, Père, glorifie-moi auprès de toi-même de la gloire que j’avais auprès de toi, avant que le monde fut » (Jn 17.5).

Celui qui enseigna aux humains à invoquer Dieu comme Père et leur donna l’autorité de s’appeler des fils de Dieu, réclama un rapport exceptionnel, intime avec le Père qu’il appelait « mon Père ». Aux hommes, il dit « votre Père », sans jamais prononcer « notre Père », car Dieu n’était pas le même pour lui que pour les autres humains… Le terme grec « Monogenes » que le Symbole emploie pour singulariser la relation exceptionnelle du Christ avec Dieu le Père, que nous traduisons par « Fils unique », ce fut le Seigneur Jésus lui-même qui, le premier, l’employa pour se désigner.

Notons également que jamais le Christ ne se reconnut comme pécheur, bien qu’il invita ses auditeurs à la conversion et à la repentance. Voyez encore avec quelle majestueuse simplicité il déclare son autorité sur tous et à tout instant :

« Je suis la lumière du monde » (Jn 8.12; 9.5). « Vous avez entendu dire aux anciens…, mais moi je vous dis… » (Mt 5.21). « Le Fils de l’homme est le maître du sabbat » (Mt 12.8). « Mais je vous dis que parmi vous il y a un plus grand que Salomon » (Mt 12.42). « Le Fils de l’homme a autorité sur la terre pour pardonner les péchés » (Mt 9.6; Mc 10.2). « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père si ce n’est par moi » (Jn 14.6). « Je suis la résurrection et la vie », déclarait-il à l’âme désemparée par le deuil (Jn 11.25). « Car le Fils de l’homme viendra avec la gloire de son Père, avec ses anges » (Mt 16.27).

Comment expliquer ces affirmations royales, ainsi que la personne de leur auteur? Se serait-il trompé? Impossible! Trompait-il? Nullement! Ou bien elles sont le produit d’un cerveau anormal, et alors nous sommes les dupes les plus misérables du monde, ou bien il est vraiment Fils de Dieu. C’est pourquoi nous pouvons encore aujourd’hui confesser avec les Pères conciliaires de Nicée : « Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non créé. »

Le christianisme authentique se reconnaît dans cette confession de la divinité du Christ. Le disciple Thomas, que nous citions il y a un instant, peut être pris comme son porte-parole; de même que Pierre, lors de sa célèbre confession : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Même Judas, le traître, en mettant fin à sa misérable existence, ne faisait en réalité que reconnaître a contrario la divinité du Christ. Saint Paul n’a pas enseigné et prêché une autre doctrine que celle-ci. À ses yeux, le Christ est le Fils de Dieu.

Il est donc faux de prétendre que la doctrine christologique fut inventée par le Concile de Nicée. Il formula simplement, pour la première fois, la doctrine de la divinité du Christ, ainsi que celle de la Trinité.

Certains historiens du dogme chrétien ont attribué cette doctrine christologique à la pression qu’aurait exercée l’empereur Constantin, plus soucieux d’apaiser les agitations au sein de l’Église que de clarifier un point essentiel de théologie chrétienne. Ce serait donc lui qui aurait permis à Athanase et aux défenseurs de la foi orthodoxe de l’emporter sur l’hérétique Arius et sur ses acolytes…

Cette interprétation attribue ainsi la fixation du dogme christologique à un fait accidentel, totalement extérieur à la foi chrétienne et à la révélation divine. Pourtant, l’histoire des circonstances dans lesquelles la doctrine fut élaborée, proposée et défendue, démontre que l’orthodoxie n’a pas toujours eu la majorité à ses côtés. Nous reconnaîtrons toutefois que l’empereur Constantin prit le parti de ceux qui défendirent la foi orthodoxe.

Certains de ses successeurs penchèrent du côté des hérétiques. Ainsi, on exila Athanase, on persécuta ses amis et compagnons, on ferma les églises orthodoxes et on convoqua d’autres assemblées pour annuler la décision de Nicée. On leva même des armées pour s’opposer à la confession du Concile. Néanmoins, aucune opposition ne put ébranler d’un pouce la profonde conviction de l’Église en la divinité de son Sauveur. Les adversaires de la foi orthodoxe disparurent et furent oubliés définitivement, tandis que l’Église chrétienne et sa foi universellement admise demeurent à ce jour, confessant sans désemparer la même foi qui formula avec clarté et puissance la divinité du Seigneur Jésus-Christ. Nous rejetons donc l’assertion selon laquelle l’influence de l’empereur fut décisive dans la formulation de la doctrine christologique de Nicée.

Rappelons-nous que cette doctrine avait déjà remporté la victoire sur les esprits des croyants avant même que l’orgueilleux Romain ne s’incline à son tour devant la croix du Christ et ne confesse sa foi en lui.

Nicée n’innova donc rien en affirmant cette doctrine. Le concile de 325 insista simplement — et c’est en cela que réside sa juste renommée — sur le fait que l’explication complète et satisfaisante donnée sur la personne du Christ se fondait sur la foi que les Pères ecclésiastiques avaient héritée des apôtres eux-mêmes, lesquels, à leur tour, l’avaient reçue de leur divin Maître. Le « de même nature que le Père » était déjà l’explication indispensable à l’époque où Jésus donnait l’ordre d’évangéliser le monde et de baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Cette confession puise donc sa vitalité et son actualité permanente de l’Évangile éternel lui-même, qui ne peut être compris en dehors de cet article. Celui qui s’y oppose, se détachant de la sorte du tronc et des racines, sera semblable au rameau destiné à être rejeté et à périr. Il est impossible de nier la divinité du Christ et de se dire chrétien. Les tentatives au cours de l’histoire n’ont pas manqué, mais elles ont toutes été vouées à l’échec, et elles le seront encore à l’avenir. Toute autre doctrine ne peut satisfaire nos esprits ni apaiser la faim de nos cœurs pour la vérité éternelle. D’autres explications de la personne du Christ que celle que nous donnons à la suite du Concile de Nicée n’offriront aucune assurance de salut. Car celle-ci jette l’unique lueur d’espérance pour l’humanité aliénée de Dieu, celle qui déclare que la Parole était avec Dieu, qu’elle était Dieu et « qui, pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu des cieux et s’est incarné… » afin d’ôter l’obstacle qui nous sépare de Dieu, pour expier le péché, soumettre les rébellions que nous avons ourdies contre le Père tout-puissant, combler le fossé nous séparant de sa sainteté et nous ramener vers la maison paternelle. Dieu incarné, voilà enfin la seule explication du mystère de Jésus-Christ.

Au milieu des ruines accumulées par les siècles et des bouleversements survenus au cours de l’histoire, l’Église aura toujours le droit de se réclamer du Christ et d’avoir l’assurance d’être gardée jusqu’à l’avènement de son Royaume sur terre. Toute autre idée, définition, article de foi, idéologie spirituelle, philosophie religieuse, combat pour de nobles causes ou engagement dans le monde, n’assureront pas sa survie. Tout, ici-bas, subira les effets corrosifs du temps. Les siècles, les années, les jours et les heures couleront; des systèmes nouveaux surgiront pour remplacer ceux devenus décadents, des civilisations nouvelles seront forgées pour relever le défi du temps; mais à leur tour mortelles, elles finiront par disparaître; les cimes les plus orgueilleuses s’ébranleront, et les abîmes les plus profonds seront secoués jusque dans leurs fondements. Mais le Christ Jésus, lui, « lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu », restera éternellement; car il est le même aujourd’hui, comme hier et comme il le sera encore demain. Notre foi en sa divinité est vitale, essentielle, la condition sine qua non de notre rédemption; elle seule nous communique l’amour divin; notre foi se fonde en celui qui est glorifié avec le Père et l’Esprit, et à qui sont la gloire dès maintenant et aux siècles des siècles, amen.

Il faut cependant préciser les choses. Dans la venue du Christ Fils de Dieu, nous n’avons pas une éblouissante manifestation de la divinité, une splendide théophanie, mais l’incarnation de la Parole. La Parole devint chair et la confession de Nicée l’explique par la suite : « qui, pour nous les hommes et pour notre salut ». La venue du Fils avait un objectif précis. L’incarnation était une mission que Dieu avait confiée au Fils. C’est la raison pour laquelle nous l’appelons « notre Seigneur ». Il a été établi notre Seigneur par son Père, pour nous avoir sous son empire, pour gouverner le Royaume de Dieu dans le ciel et sur la terre et pour être le Chef de ses fidèles. Il l’est aussi parce qu’il nous a délivrés corps et âme du péché et de la domination de Satan. Afin que nous devenions son peuple, il nous a rachetés non avec de l’or et de l’argent, mais avec son sang précieux.

Il est notre Seigneur. Le néophyte, en récitant le Symbole fait une profession de foi personnelle, mais il doit aussi faire une adhésion à la foi collective, communautaire, au « notre Seigneur ». Il entre par cette confession dans la compagnie d’une famille nouvelle, universelle, au service du Maître et dont la doctrine est commune à tous les croyants. « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez véritablement mes disciples » (Jn 8.31).

Du moment qu’en Jésus Dieu s’est incarné sur la terre et a montré aux pécheurs, dans une vie d’homme, la voie du salut et le seul type de sainteté agréé par Dieu, Jésus est à jamais « leur Seigneur », par où l’on doit entendre non seulement un terme qui exprime l’adoration, mais encore le fait que nos vies lui appartiennent.

Dans nos mœurs modernes, le titre de « Seigneur » n’a plus qu’une valeur décorative, mais au temps de la Rome des César, il signifiait « celui qui a droit sur tout ce que je possède et sur tout ce que je suis ». Et pour qui refusait ce titre à César, il signifiait aussi la persécution et la mort. Tertullien écrit : « La négation de tous les dieux de la mythologie n’aurait pas eu pour les chrétiens les terribles conséquences qu’eut leur attitude intransigeante vis-à-vis du Seigneur César. » L’illustre vieillard Polycarpe n’aurait pas subi le martyre s’il avait accepté de prononcer la formule « Kurios Kaiser », Seigneur César. L’Apocalypse frémit tout entière de la lutte engagée par l’Église contre l’adoration de l’empereur.

Un chrétien qui proclamait aux premiers siècles de notre ère n’avoir d’autre Seigneur que Jésus-Christ jouait sa tête toutes les fois qu’il passait sans s’incliner devant une statue impériale. Quand on a compris cela, on ne voit pas dans les mots du Symbole que des formules dogmatiques, mais un engagement, l’attitude et le geste du témoin prêt à mourir pour son témoignage.

Est-ce bien ainsi que nous envisageons nos rapports journaliers avec le Christ? En approfondissant le sens des mots du Symbole et en se rappelant les propres paroles de Jésus : « Ceux qui me disent Seigneur! Seigneur! n’entreront pas tous dans le Royaume des cieux, mais celui-là seulement qui fait la volonté de mon Père » (Mt 7.21), on ne peut s’empêcher d’être troublé lorsque l’on dit « nous croyons en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu… »

Le Christ deviendra-t-il notre Seigneur? C’est là une autre grande interrogation. Dans des circonstances déroutantes et dans les drames multiples de l’existence, au milieu du péché qui nous asservit et qui nous envahit sans cesse, aurons-nous recours à lui? Sera-t-il le Capitaine de nos frêles embarcations? Ou bien est-ce d’une manière épisodique que nous lui vouerons un peu d’affection ou lui consacrerons un certain intérêt? Quel est le domaine de notre existence qui demeure soustrait à sa seigneurie? Le divorce entre la confession de foi et la conduite journalière est intolérable.

Nous avons entendu son avertissement redoutable. Pour notre bien, il ne cesse de nous exhorter : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive » (Lc 9.23).

Au début de l’explication du second article du Symbole, nous posions la question « pourquoi Jésus-Christ? » En concluant notre exposé, laissons répondre un témoin peu banal.

« C’est Guy de Maupassant, celui que les esprits forts parmi les petits bourgeois invoquent comme leur oracle, le créateur du conte moderne, histoire courte de taille et de sens, le genre qui correspond le mieux à l’émiettement des âmes, à l’individualisme de notre temps, piqûre de morphine littéraire, consolation de ceux qui luttent contre la souffrance par l’aspirine plutôt que par la prière. Maupassant, au moment où il sombrait définitivement dans la folie et le désespoir, avec les dernières lueurs de son esprit en déroute, créa une nouvelle, L’Angelus où nous trouvons ces lignes saisissantes :
“Qu’est-ce que Dieu, mot vague avant le Christ? Nous autres qui ne savons rien et ne nous attachons à rien que par nos pauvres organes, pouvons-nous adorer ces lettres, dont nous ne comprenons pas le sens, ce Dieu ténébreux dont nous ne figurons rien, ni l’existence, ni l’intention, ni le pouvoir? Non, nous ne pouvons pas aimer ça. Mais le Christ, chez qui toute piété, toute grandeur, toute philosophie, toute connaissance de l’humanité sont descendues, on ne sait d’où, qui fut plus malheureux que les plus misérables, qui naquit dans une étable et mourut cloué sur un tronc d’arbre, en nous laissant à tous la seule parole de vérité qui soit sage et consolante pour vivre en ce triste endroit, celui-là c’est mon Dieu, c’est mon Dieu à moi.”2 »

Et laissons aussi le dernier mot à Pascal qui, par ces quelques formules, résument tout ce que nous avons essayé de dire :

« Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix. Dieu de Jésus-Christ… Jésus-Christ… Jésus Christ… Que je n’en sois jamais séparé.3 »

Notes

1. Ernest Renan, La vie de Jésus.

2. Guy de Maupassant, cité par Th. Spoerri.

3. Blaise Pascal, Mémorial.