Cet article a pour sujet la peine capitale, son fondement biblique depuis Noé (Genèse 9.6-7), son application dans la loi mosaïque sous l'Ancienne Alliance et son application dans la Nouvelle Alliance contre le meurtre prémédité.

Source: Pénologie - Considérations sur la peine capitale. 9 pages.

La peine capitale

  1. L’Ancien Testament
    a. Le code mosaïque
    b. Une loi spiritualisée
  2. Le Nouveau Testament
  3. Considérations finales

Les données bibliques, Ancien et Nouveau Testament, ainsi que l’éthique chrétienne, envisagent-elles l’application de la peine capitale? La peine capitale se fonde-t-elle sur une loi inviolable de Dieu? L’État est-il absolument tenu, voire contraint, du point de vue chrétien, à appliquer le châtiment suprême? Telles sont les dernières questions que nous nous posons et auxquelles nous tâcherons de répondre dans cette partie de notre exposé.

Nous avons déjà admis que, juridiquement parlant, lorsque la loi civile exige l’exécution capitale, l’État est tenu de l’appliquer, autrement il se mettrait au-dessus de cette loi. Théologiquement parlant, la peine de mort sera envisagée d’après l’autorité conférée par Dieu à l’État. C’est lui qui garantit et veille sur les sanctions que celui-ci doit exercer sur toute forme de mal. Nous partons donc du fait que sa loi ne s’assimile pas à l’opinion publique et que ses critères ne sont pas ceux que reconnaît une certaine époque ou certains courants et idéologies humanistes.

L’évolution des mœurs ou la sensibilité d’une époque ne peuvent pas être normatives à cet égard ni d’ailleurs à l’égard d’aucune question fondamentale de l’existence humaine, qui doit être éclairée avant tout à la lumière de la révélation biblique.

1. L’Ancien Testament🔗

De l’avis unanime de nombreux exégètes attachés à l’autorité suprême des Écritures en matière de foi et de conduite, Genèse 9.6-7 constitue le premier texte normatif prescrivant sans aucun doute le châtiment suprême. « Celui qui verse le sang de l’homme par l’homme son sang sera versé. Car Dieu a fait l’homme à son image. » Ce texte fait partie des ordonnances post-diluviennes. Il restreint la peine capitale au cas de meurtre. Bien que le meurtre ait apparu comme l’une des toutes premières conséquences morales de la chute, à ce stade de l’humanité, Dieu n’entreprit pas encore de réglementer de manière juridique la peine rétributive.

En revanche, nous le voyons se charger personnellement de la protection du fratricide (Gn 4.9-16). Cependant, l’escalade de la violence dont font état les premiers chapitres de la Genèse entraîne un chaos moral tel que Dieu est « forcé » d’intervenir personnellement et d’appliquer la peine capitale sur les hommes coupables, à travers le déluge universel (Gn 6 à 8).

L’humanité rescapée du déluge universel inaugurera une nouvelle étape. Issue d’une humanité domestique — Noé, ses trois fils et leurs épouses —, cette humanité se voit élargie à de nouvelles dimensions et va s’organiser comme une société institutionnalisée, dont les complexités aboutiront à de nouvelles formes de gouvernement civil. À la lumière de la dépravation croissante de l’homme et dans l’intérêt d’un gouvernement civil efficace, Dieu ordonne expressément la peine capitale qui est une peine temporelle. L’ordre donné au père de la nouvelle humanité est sans équivoque.

En dépit de certaines interprétations qui n’ont vu dans ce texte qu’une simple prescription de régime alimentaire ou une mesure de protection sociale, voire purement une « clause de style littéraire dépourvue de portée juridique », nous pensons que cet ordre liera à partir de ce moment, et de manière universelle, tous les hommes et tous les gouvernements civils, confirmant le caractère obligatoire de cette peine. L’effusion criminelle du sang exige la réparation par la mort du meurtrier. La référence faite ici au « frère » correspond à notre pronom réciproque : « l’un à l’autre ». Tous les hommes, à savoir la société dans son ensemble, s’engagent sur cette voie. S’ils s’y refusaient, ils seraient passibles du même jugement qui frappe le meurtrier.

Car bien que l’ordre vienne de Dieu, c’est l’homme qui est chargé de son exécution par l’intermédiaire du gouvernement civil, du fait de sa création à l’image de Dieu. L’imago Dei permet très précisément à l’homme d’exécuter la justice de Dieu et de faire respecter son ordre. À la question : de quel droit un homme peut-il ôter la vie d’un autre? Le texte répond : l’homme est appelé à se conformer, dans sa pensée comme dans ses actes, à la pensée et aux actes de Dieu. « Je réclamerai à chaque homme la vie de l’homme qui est son frère » (Gn 9.5). En jugeant et en châtiant le malfaiteur, il se comporte comme il le doit : en délégué de Dieu.

Créé à l’image de Dieu, l’homme a le droit et la responsabilité de conduire le gouvernement de la terre et toutes les affaires qui en relèvent. Ce n’est donc pas le citoyen à titre individuel (vendetta) ni le corps social issu d’un contrat social (vengeance sociale) qui agirait en exécuteur du malfaiteur, mais le porteur de l’image de Dieu. Le texte souligne très particulièrement ce fait en précisant que c’est par l’homme que la peine sera appliquée, et à nos yeux, ceci est plus important encore, comme révélation de l’autorité déléguée à l’homme, que l’exécution du coupable en elle-même. Ainsi, dans la nouvelle société qui surgit après le déluge, la justice rétributive sera exercée par l’homme sur l’homme. Ainsi, de toute manière à l’intérieur de ce cadre fixé par la révélation, nul n’a le droit d’ôter arbitrairement la vie d’un autre. S’il le fait, il ne sera pas protégé en dehors des prescriptions légales en vigueur.

a. Le code mosaïque🔗

Divers degrés de châtiment sont prescrits dans la législation mosaïque.

  1. Peine capitale pour les offenses capitales : meurtre, enlèvement des personnes, malédiction proférée contre les parents, adultère, inceste, bestialité, sodomie ou homosexualité, viol d’une vierge fiancée, sorcellerie, sacrifices humains, blasphème, profanation du sabbat, propagation de fausses doctrines, refus de demeurer dans un tribunal pendant le procès, refus de reconduire un bail, ce qui détruit toute possibilité de « fiabilité » sociale.

  2. Quarante coups pour de simples contraventions.

  3. Dans le cas de vol ou de destruction de propriété, restitution intégrale, accompagnée d’un intérêt de 400 %.

  4. Celui qui n’est pas en mesure de restituer une dette par l’argent le fait par le travail.

  5. Refuge dans des cités désignées à cet effet pour tout homicide involontaire. Les modes d’exécution de la peine capitale sont divers : feu, lapidation, et plus rarement par le tranchant de l’épée.

D’après Exode 21.23-25, le principe impliqué dans ces châtiments est celui de la loi du talion. Cependant, cette loi ne sera pas seulement interprétée de manière extérieure. Bien au contraire, il s’agit d’aller jusqu’aux racines du mal, de tenir compte des racines mêmes du crime, ce qui déterminera aussi la nature et le degré d’une peine, afin qu’elle soit juste. À la liste des crimes passibles du châtiment capital, il faut aussi ajouter les diverses infractions aux ordonnances fondamentales de la théocratie, par exemple la non-observation de la pratique de la circoncision, celle de la loi de Pâques, la pollution par les sacrifices offerts ailleurs que dans le sanctuaire désigné à cet effet, ainsi que la non-observation de certaines lois de purification.

L’expression « être retranché de son peuple » désigne particulièrement les violations de ce dernier type, relatives aux lois cérémonielles, plus que le premier type de crimes mentionné plus haut. Elle ne se réfère pas à un simple bannissement ou exil, mais retient l’idée d’une peine doublement infligée : par l’agent civil, humain, et celle exercée encore plus directement par Dieu lui-même. Lorsque la peine est appliquée par l’intermédiaire humain sans mention ou référence au châtiment que Dieu inflige, il est courant de rencontrer l’expression « Il sera mis à mort ». Notons cependant que ce n’est pas l’assemblée d’Israël comme telle qui applique le jugement; c’est l’Éternel qui s’en occupe en premier lieu.

Le principe énoncé lors de la première étape de la révélation (Ancien Testament) et durant l’application provisoire de la loi fait clairement apparaître que vivre en dehors des cadres fixés par la révélation est une infraction, nécessitant une réparation du même ordre qu’un crime de sang et entraînant une réglementation rituelle profondément théologique, celle de l’expiation sanglante par l’offrande d’animaux jusqu’à ce que vienne l’offrande parfaite du Fils sur la croix.

L’Ancien Testament ne laisse pas le moindre doute sur la peine qu’il convient d’infliger au coupable : « Pour avoir tué délibérément, tu dois mourir. » En outre, lorsque l’Ancien Testament défend la sainteté de la vie ou de la personne humaine, il songe à celle de l’innocent et non pas à la vie du coupable. C’est la vie de l’innocent qui doit être respectée et protégée et non celle du criminel; on ne peut absolument pas placer la vie et les droits de celui-ci sur le même plan que la vie et la personne de l’innocent.

Lorsque le caractère religieux et moral d’un peuple se désintègre, les infractions à toutes les lois se multiplient. La loi mosaïque cherche en premier lieu à éliminer le mal à la racine, à empêcher que le criminel en puissance ne passe à l’acte. En ce qui concerne la situation du monde contemporain, nous pouvons ajouter que l’effondrement de l’ordre et des lois humanistes est dû aux dispositions radicalement criminelles de l’homme sans Dieu ni loi. Lorsque la foi biblique qui la sous-tend est évacuée, la loi civile sera nécessairement et inévitablement violée. À notre avis, l’hostilité des humanistes athées (et nous ne pensons ici qu’à eux) contre la peine capitale traduit tout d’abord une profonde hostilité contre la loi et la morale de la révélation biblique de l’Ancien et du Nouveau Testament.

b. Une loi spiritualisée🔗

Ézéchiel 22 est, à cet égard, un texte frappant. Il mérite une lecture, à défaut d’une exégèse exhaustive.

Plusieurs points sont impliqués dans les crimes dénoncés ici :

  • Perdre de vue une conception juste de Dieu, l’idolâtrie, l’impureté et l’apostasie (v. 3).
  • Ôter, de manière inique, la vie d’un homme (v. 3-6).
  • L’autorité parentale bafouée, les veuves et les orphelins, ainsi que les étrangers, exploités (v. 7).
  • Les choses saintes et le sabbat profanés (v. 8).
  • Le faux témoignage, même dans le cas d’un criminel, ou d’un crime capital (v. 9).
  • Culte de la fertilité sexuelle (v. 9).
  • Concubines d’un père « enlevées ou épousées » par des fils et des héritiers (v. 10).
  • Rapports sexuels durant la menstruation (v. 10).
  • Adultère et inceste pratiqués au mépris ouvert de la loi (v. 11).
  • Les juges corrompus, l’usure, un intérêt excessif imposé, les extorsions (v. 12).
  • Prêtres violant la loi (v. 26).
  • Les chefs et les princes du peuple se comportant tels des loups au lieu d’être des bergers (v. 27).
  • Des prophètes et des prêtres interprétant faussement la Parole de Dieu et lui attribuant un message qu’il n’a pas prononcé (v. 28).

La plupart de ces infractions sont commises au nom même de Dieu! Or, l’idolâtrie particulière à laquelle succombe le plus souvent Israël consiste à réduire l’Éternel au rang d’un dieu de la nature, ce qui équivaut à l’idolâtrie… au nom même de Dieu.

Cette violente diatribe du prophète contre « la ville de sang » comporte davantage qu’une accusation de meurtre. Toute forme de vie vécue en dehors et au mépris de la loi de l’Alliance est considérée comme l’équivalent d’un crime de sang. Par conséquent, elle sera réprimée. Traduit en langage moderne, on peut dire que la sécularisation apparaît comme un crime.

À une époque où le vocable « Dieu » sonne presque creux aux oreilles contemporaines, il est naturel que les dispositions contenues dans l’Ancien Testament apparaissent comme franchement ridicules (par exemple Lv 17). Mais l’ironie pourrait s’appliquer davantage à ceux qui, pris dans leur propre piège, s’éloignent de Dieu, manquent le fondement de leur vie ou l’abolissent et courent, à chacun de leurs pas, individuels ou sociaux, vers la désintégration totale et de l’individu et de la société.

L’abolition de l’homme — titre de l’un des ouvrages de C.S. Lewis — n’est pas le fait des seuls fascismes noirs ou rouges; il existe aussi un fascisme « rose » plus dangereux encore, qui n’est pas forcément du côté des tyrans dénoncés et honnis, mais — ainsi que l’auteur britannique nous le rappelle avec une très grande lucidité et loyauté — du côté même de ceux qui, sous prétexte d’une approche scientifique ou humanitaire, refusent carrément le fondement religieux de l’existence dont nous parlions dès les premières lignes de cette étude.

Il est bien évident, et aussi simple que le jour, bien qu’il faille revenir constamment au rappel des vérités premières, que là où les droits de Dieu ne sont pas respectés, l’homme ne se souciera guère des droits de l’homme. En niant Dieu, il nie le concept même d’une loi, donc forcément du droit. Or, l’essentiel de la loi de l’Ancien Testament manifeste le droit de Dieu sur tout homme. Elle ne fonctionne qu’en vue de la réalisation des bonnes intentions de Dieu. (Nous n’osons presque pas parler de ses desseins bienveillants, tant ce langage biblique semble devenu « patois de Canaan » même à des oreilles chrétiennes…).

Ne pas se soumettre à cette loi, c’est s’opposer carrément au Législateur (Rm 8.7). Une telle inimitié ne manquera pas d’engendrer des crimes. Or, déjà dans l’Ancien Testament, la loi de Dieu est shalom pour l’homme. On pourrait bien sûr admettre, à la rigueur, que les lois humanistes, elles aussi, sont animées de très bonnes intentions. Mais, en fait, leurs intentions principales ne sont qu’aspiration à se substituer à Dieu, à faire de l’homme son propre dieu… L’ordre humaniste ne fait qu’engendrer, développer, fructifier, et établir définitivement tous les aspects de l’iniquité dénoncée par la Parole de Dieu (l’anomie dont parle l’apôtre Paul).

Nous reconnaîtrons le caractère particulier de la législation mosaïque. Provisoire, limitée dans le temps, elle est aussi limitée dans l’espace. Elle ne liera que le peuple de l’Ancienne Alliance durant la théocratie, dans l’attente du Royaume. Tous les crimes passibles de jugement et encourant le châtiment suprême ne seront pas considérés comme tels par le peuple de la Nouvelle Alliance.

En disant ceci de manière rapide, schématique, nous n’ignorons pas que nous soulevons quelques questions importantes, à la fois d’exégèse et de théologie biblique, mais nous ne pouvons les traiter ici, dans le cadre limité de cette étude. Néanmoins, nous devons souligner qu’il est tout à fait certain que l’inclusion de la peine capitale dans les sanctions envisagées par cette même législation n’est pas de nature temporaire, provisoire. Elle fait partie des intentions fondamentales de la Parole de Dieu et de sa loi. Elle ne contredit nullement le sixième commandement, le « tu ne tueras pas ». Ce commandement s’adresse précisément au meurtrier, et tout l’Ancien Testament, et même le Nouveau Testament, est un commentaire explicite du sixième commandement et de toute la loi révélée et accordée sur le Sinaï.

2. Le Nouveau Testament🔗

Le Nouveau Testament abrogerait-il la loi morale de l’Ancien Testament, ainsi que le soutiennent nombre de théologiens? Au contraire, dans l’Évangile, Jésus déclare formellement que la loi de Dieu reste et restera inaltérable (Mt 5.18). Ce n’est donc pas une théorie « rigoriste » — ou considérée comme telle — qui justifierait l’application de la peine capitale; ce sont les données mêmes de l’Ancien et du Nouveau Testament qui l’envisagent. Nous ne nous proposons pas dans ce paragraphe d’engager un débat au sujet des rapports entre loi et Évangile, mais nous nous limiterons simplement au sujet abordé dans le présent exposé.

1. Matthieu 5.21-22 : Ce texte fait allusion à un jugement et désigne par là un tribunal juif où se déroule le procès et où se prononce la sentence d’exécution capitale. Quelle que soit l’interprétation qu’on veut donner à cette parole quelque peu difficile, il est indéniable qu’elle reconnaît une institution civile et admet le processus normal des délibérations de la cour de justice, ainsi que le jugement rendu. Ce tribunal a donc autorité pour prononcer la peine capitale.

2. Matthieu 26.52 rapporte une autre parole de Jésus lors de son arrestation. Elle fait aussi écho à l’ordre donné à Noé (Gn 9.6). Quoique l’original grec comporte un verbe à l’indicatif futur, il est clair qu’à cet endroit le verbe a force d’impératif. Jésus refuse d’être défendu par l’épée parce que l’heure de la rédemption a sonné. C’est pourquoi il refuse aussi d’avoir recours à la violence physique pour se défendre, ou pour défendre les intérêts du Royaume. Il connaît quelle sera la sanction encourue et reconnaît par là, implicitement, l’autorité du magistrat de porter le glaive.

3. Nous ne nous attarderons pas longuement sur le passage déjà examiné de Romains 13.1-7. Nous y trouverons l’élément fondamental de la politologie du Nouveau Testament. Aussi imparfaite que soit l’autorité humaine, le fait de son institution divine l’autorise à porter le glaive en vue du maintien du bien et de la suppression du mal. Le pouvoir détenu par l’État est un pouvoir contraignant partout où il y a provocation occasionnée par le mal. Il peut aller jusqu’à exécuter le châtiment suprême. L’apôtre présente le magistrat comme la terreur de celui qui se laisserait aller sur la mauvaise voie, et son exhortation contient l’idée que la peine peut devenir une mesure dissuasive pour d’éventuels malfaiteurs. Ce qui ne diminue en rien le fait que la peine capitale est principalement, sinon exclusivement, une peine rétributive. Au verset 4, l’apôtre reconnaît que par l’usage du glaive le magistrat exécute la colère de Dieu.

D’autres textes ou incidents du Nouveau Testament auraient pu être évoqués encore pour étayer notre thèse. Mais ces textes n’y contribueraient que dans le détail, sans apporter une lumière nouvelle ni des éléments déterminants en faveur de la peine capitale. En revanche, certains arguments invoqués par les partisans de la peine de mort ne tiennent pas compte de la portée réelle des idées bibliques. Nous en mentionnons trois :

L’exécution de Jésus serait la confirmation directe de la peine suprême. Il nous semble qu’une telle idée ne rend pas justice à la mort particulière de Jésus. Bien qu’il soit accusé, faussement d’ailleurs, de délit de blasphème, Jésus meurt non pas comme un simple criminel, mais sous le jugement éternel de Dieu. La mort du Christ n’est pas due à la violation de la loi, mais au jugement que Dieu porte sur la violation de celle-ci par les transgresseurs que sont les hommes apostats. De toute manière, même d’après Deutéronome 24.16, tout coupable doit mourir pour sa propre transgression. Si on se basait sur cette idée selon laquelle Jésus serait mort pour toutes les infractions commises à la loi civile, on devrait logiquement conclure qu’on est presque libre de briser toute loi civile — à commencer par le Code de la route — sans risque d’encourir de peine ou de poursuite judiciaire! Mais, dans ce cas, on contribue plutôt à la désintégration totale de la vie sociale…

Les mesures d’excommunication ecclésiastiques seraient, elles aussi, une confirmation de l’idée biblique du châtiment suprême. Il nous semble que, dans ce cas, il y aurait abrogation plutôt que confirmation. Car à cet endroit, il existe une totale discontinuité entre la peine capitale prévue dans le code mosaïque et l’excommunication, mesure disciplinaire et spirituelle dans le Nouveau Testament.

Finalement, on a cherché à rattacher la peine capitale aux peines éternelles. La certitude de celles-ci permettrait de confirmer la nécessité et la légitimité de celle-là. Il ne nous semble pas qu’il y ait absolument un lien entre les deux. L’Ancien Testament laisse clairement entendre la survie et des peines éternelles pour les transgresseurs non repentis, mais le coupable peut obtenir, par l’expiation du Christ, le pardon divin, même s’il doit subir le châtiment pour l’acte commis1.

3. Considérations finales🔗

On connaît les arguments des abolitionnistes; citons-en pour mémoire quelques-uns :

  1. La peine capitale est une violation du sixième commandement.

  2. Elle ignore la valeur de la mort expiatoire du Christ.

  3. Elle contredit le principe de l’amour chrétien.

  4. Elle est inhéremment injuste.

  5. Elle usurpe le droit de Dieu, qui seul dispose de la vie d’une personne humaine.

Notre exposé a tenté de répondre à quelques-unes de ces objections. Nous concluons par quelques considérations finales.

Dieu est, certes, amour. Mais l’amour qui sauve le coupable ne le fait jamais aux dépens de sa justice. Car toute société humaine est conçue pour devenir un microcosme, reflet de l’ordre de Dieu. Cet ordre est régi par un principe inflexible de justice fondée dans l’être essentiellement bon, juste et saint de Dieu.

La croix du Christ est l’endroit par excellence où on aperçoit la parfaite harmonie entre l’amour de Dieu et les exigences de sa justice. Ici, la rédemption, parfaite et éternelle, est enfin achevée. Nous avons reconnu que la justice de Dieu est, par nature, rétributive. Elle récompense le bon et punit le méchant. Dans l’état permanent de chute où se trouve tout homme, la peine capitale est le seul moyen par lequel la justice de Dieu peut encore réclamer une peine juste contre le coupable, meurtrier de premier degré, ce qui n’entame pas notre conviction sur le pardon que Dieu peut et veut accorder au meurtrier. Le salut promis et accordé au malfaiteur repenti le prouve (Lc 23.39-33).

Mais si la miséricorde divine délivre le criminel des peines éternelles et spirituelles, elle le délivre rarement, ou jamais, des peines temporelles. Parce que le criminel a renoncé à son droit de vivre normalement sa vie au sein de la société humaine, Dieu, dans sa justice, exige sa mort. Par son crime meurtrier prémédité, il s’est déjà exclu lui-même de la société des hommes.

C’est donc la sainteté de la personne humaine qui apparaît dans le décret de la peine capitale, déjà énoncé dans Genèse 9.6.

Pour la révélation biblique, la vie humaine ne possède pas en soi une sacralité indépendante de la sainteté de Dieu. C’est cette dernière qui rend l’homme différent des autres créatures et inviolable aux yeux de Dieu. C’est à la lumière de cette sainteté-là qu’il convient de placer et d’entendre la parole de Jésus, qui dénonçait l’agression par la parole (Mt 5.21-22).

Le sixième commandement exige que soit protégée la vie de l’homme. La guerre ne se justifie que dans la mesure ou elle cherche à préserver les droits inaliénables de l’homme et la liberté inviolable que Dieu lui accorde. Le meurtre transgresse cet ordre de Dieu; il est la manifestation extrême et l’aboutissement d’une agression violente. À moins de punir cette transgression de l’ordre inviolable de Dieu par la mort du coupable, on réduit la valeur de la personne humaine à celle d’un animal ou d’une chose. En détruisant l’homme, porteur de l’image de Dieu, le meurtrier s’attaque directement à lui. Il manifeste ainsi son mépris à l’égard de Dieu. Il compromet son projet et complote contre son plan en faveur des hommes. Il s’empare des rênes du gouvernement et se substitue à la providence divine. Créateur, Seigneur et Juge de tous les hommes, Dieu seul possède le droit de mettre fin à la vie de tout homme et de l’appeler vers lui, pour lui demander de rendre des comptes. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons écrit plus haut au sujet des instances humaines dont Dieu se sert pour demander des comptes à tout homme transgresseur de sa loi.

Les exhortations de Jésus conseillant de s’abstenir d’une vengeance personnelle ne s’appliquent qu’à l’éthique personnelle chrétienne. Le Sermon sur la Montagne, outre le fait qu’il ne contient pas à lui seul la totalité de l’Évangile, s’occupe essentiellement de morale individuelle et il ne fonde pas une éthique sociale chrétienne.

Il est certain que le magistrat peut se tromper et que ses jugements peuvent être faillibles. Des erreurs judiciaires irréparables peuvent, hélas!, être commises. Qu’il suffise de dire que là où il y a le moindre doute sur la culpabilité d’un accusé il est préférable de l’acquitter. C’est avec crainte et tremblement qu’on peut même évoquer l’éventualité d’une erreur judiciaire.

Il n’appartient pas à l’État de convertir les malfaiteurs. Toutefois, l’État, par des mesures appropriées, doit assurer la présence de l’Église afin que le condamné à mort reçoive et entende les exhortations de l’Évangile. Le temps accordé pour ce ministère-là doit être suffisant. Car la justice, même légale, ne suffit pas pour s’occuper d’un criminel. Nous avons une très grande répugnance contre le système pénitentiaire actuel, lui aussi fruit pourri du système humaniste, que nous tenons pour responsable de cette aberration. Il est évident qu’une réforme profonde s’impose dans ce domaine. Toutefois, nous pensons avec nombre de chrétiens et de non-chrétiens que la peine capitale est préférable à un emprisonnement à vie, qui finirait par dépersonnaliser complètement le détenu. Notons aussi que la prison à perpétuité n’apparaît nullement dans la Bible comme une mesure de châtiment légalement prévu.

D’après les données bibliques, un meurtrier de premier degré sans circonstances atténuantes, pour un crime commis en toute lucidité et avec préméditation, peut et doit être condamné au châtiment suprême.

Pour plaider en faveur de l’abolition, certains invoquent la grave atténuation du sens moral qui frappe nos contemporains. Sans sous-estimer cet argument, nous croyons toutefois que la tâche de l’Église en particulier et aussi de la société dans son ensemble, ce n’est pas de prendre acte de cette dégénérescence dont les causes nous sont bien connues, mais de donner ou de redonner le sens du bien et du mal à nos contemporains.

En dépit de notre conviction chrétienne que la peine capitale est bibliquement légitime, c’est avec un grand respect que nous accueillerons des positions chrétiennes opposées. Nous avons cherché à démontrer que des positions humanistes sont en grande partie responsables de l’irresponsabilité morale, sociale, légale et culturelle actuelle.

Quant à nous, nous sommes convaincus qu’un État légitimement établi peut et doit user du pouvoir du glaive là où la justice l’exige, tout en veillant à ce qu’il ne soit pas utilisé de manière injuste ou abusive. Donc, justice et modération seront les deux aspects que nous nous attendons à trouver dans l’exercice du glaive par l’État moderne.

Bien qu’imparfaitement, nous avons voulu montrer que l’on ne peut, « en bloc » et de manière viscérale, être « pour » ou « contre » la peine capitale, car il y a des fondements bibliques à respecter et nombre de considérations dont il faut absolument tenir compte au préalable.

Note

1. Au lecteur qui souhaiterait un avis autorisé sur le sujet, nous conseillons la lecture de Jean Calvin dans le livre 4 de l’Institution de la religion chrétienne, chapitre 20; section 10.