Cet article a pour sujet le lien étroit entre la piété, la doctrine et la pratique ou l'implication pastorale chez les réformateurs Jean Calvin et Martin Luther.

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La piété, la doctrine, la pratique pour les réformateurs

  1. La piété
  2. La doctrine
  3. L’implication pastorale
  4. Comment conclure?

Pourquoi retenir et associer ces trois mots? Pour deux raisons :

  • Chez Luther comme chez Calvin, ils sont toujours présents et indissociables.

  • Chez nous aujourd’hui, ils ne sont pas toujours présents et sont souvent dissociés.

Or, que vaut la doctrine sans la piété? Et la piété sans la doctrine? Et l’un ou l’autre — et même les deux — sans les implications pastorales? Quelque page que vous lisiez des réformateurs, vous y trouvez ces trois éléments mêlés l’un à l’autre, comme trois dimensions d’une même réalité, d’un même engagement : la piété, la doctrine et l’implication pastorale.

1. La piété🔗

Je mentionne Martin Luther, cité par Émile Léonard :

« Aujourd’hui, il est devenu banal de bavarder sur la foi; mais comprendre ce qu’est la foi est impossible si on n’a pas prêché d’abord la vertu de la pénitence. Qui célèbre la foi en oubliant la pénitence, la doctrine de la crainte de Dieu et de la loi et en conduisant ainsi à une folle et superficielle sécurité charnelle, adopte une position d’esprit pire que celle que constituent les erreurs papales. »

Je rappelle cette belle parole de Calvin que l’on dépeint trop souvent comme un cérébral : « La connaissance de Dieu est une vive expérience. »

L’humilité des prédicateurs est un des premiers fruits de la piété. Luther écrit :

« Notre Seigneur Dieu pourvoit d’une manière étrange aux besoins de son saint ministère. Il confie aux pasteurs, ces misérables pécheurs, le soin de dire et d’enseigner sa parole, bien qu’ils aient grand-peine à y conformer leur conduite. Ainsi la puissance de Dieu et son pouvoir se manifestent constamment dans la plus grande faiblesse. »1

2. La doctrine🔗

Pour beaucoup aujourd’hui, c’est un gros mot. Écoutons ce qu’écrit Martin Luther :

« D’ici quelques années, on recherchera fort de bons théologiens et, si c’était possible, on irait gratter la terre à neuf aunes de profondeur pour tirer du tombeau un bon théologien. »

Et Luther de dénoncer les prédicateurs…

« … qui racontent des historiettes, car cela provoque l’admiration des gens. Il y a d’ailleurs un symptôme sur lequel on ne peut se tromper : dès que vous prêchez sur la justification, les gens s’endorment ou se mettent à toussailler. Il y a beaucoup de prédicateurs fort éloquents, mais il n’y a rien dans ce qu’ils disent, que des mots. Ils sont fort capables de bavarder, mais non d’enseigner. »

En prêchant de manière suivie sur le texte biblique, Calvin voulait que le prédicateur soit le serviteur de la Parole de Dieu tout entière. Dans sa prédication, il désire appliquer « tout le conseil de Dieu » (Ac 20.27) à chaque aspect de la vie humaine. Une telle application de l’enseignement biblique avait pour effet d’appeler tous ceux qui se plaçaient sous l’autorité d’un tel enseignement à une repentance à la fois morale, doctrinale et intellectuelle, de telle sorte que « toute la pensée soit amenée captive à l’obéissance de Christ » (2 Co 10.5).

Cela signifie-t-il que la foi puisse se résumer à l’adhésion à un corps de doctrines? Loin de là! Cela implique-t-il une lecture littérale de l’Écriture? Non pas, et une construction théologique cohérente est non seulement possible, mais elle est nécessaire, ce que Calvin résume en une phrase remarquable : « Toutes les doctrines sont importantes, mais toutes ne sont pas aussi importantes. »2

De la doctrine comme de la piété découle la marche chrétienne. Que sert-il de croire une chose de toutes ses forces si elle n’est pas juste?

Le titre du livre de John Piper : Replacer Dieu au centre de la prédication (2012) montre le risque d’une doctrine déficiente. Les conséquences sont innombrables. Charles Spurgeon écrit qu’il vaut mieux pour un pasteur bien tenir en main cinq doctrines fondamentales que cent qui seraient mal fondées. Je pense notamment à la doctrine pessimiste de la corruption totale qui seule délivre l’homme de ses illusions et prépare le recours total à la grâce de Dieu.

3. L’implication pastorale🔗

Écoutons ce que dit Martin Luther (Propos de table) : « La théologie est surtout pratique; elle ne consiste pas en spéculations ou à réfléchir, selon notre raison, aux choses de Dieu… »3

Pour Calvin, le prédicateur doit d’abord appliquer le texte à sa propre vie. Il écrit :

« Il vaudrait mieux au prédicateur de se casser la nuque en montant les marches de la chaire, si en premier il ne se donne la peine de suivre Dieu. Je parle à l’assemblée de telle manière à ce que mon enseignement s’adresse d’abord à moi-même. »

Un professeur de théologie devait prêcher devant le prince et il demanda à Luther de lui indiquer comment il devait le faire. Luther lui dit :

« Tous tes sermons doivent être les plus simples possible. N’aie point en vue le prince, mais les simples, les gens pas très intelligents, grossiers et incultes. Peu importe de quelle étoffe est le prince. Si dans mes sermons je n’avais en vue que Philippe Melanchthon et autres docteurs, je ne ferais rien de bon. Je prêche à des gens ignorants de la manière la plus simple, et cela convient à tout le monde. Quand je monte en chaire, je ne pense qu’à prêcher pour les valets et les servantes. »

Pour les réformateurs, chaque chrétien devait connaître les implications de sa foi, et cela nécessitait une réelle connaissance de la Bible. Il s’agissait d’équiper les croyants pour qu’ils vivent en chrétiens dans cette société. Les prédicateurs devaient ainsi présenter de manière développée les implications, tant dans la vie spirituelle que dans la conduite chrétienne pratique. Outre cet aspect pratique, la prédication contenait aussi des éléments polémiques, dénonçant sans relâche les erreurs4.

Ce souci de communiquer à tous se démontre par l’importance des catéchismes. « Ce qu’il faut avant tout dans l’Église, c’est un bon catéchisme, sans phrases, court et simple », écrit Luther (1526).

En avril 1529 parut le texte allemand du Grand Catéchisme. En juillet parut le Petit Catéchisme. Le plan des deux catéchismes est le même. Le Petit Catéchisme devait servir de manuel aux chefs de famille et aux pasteurs. L’esprit qu’on y trouve est empreint de simplicité et de bonhomie. Après la prière du matin, on lit : « Mets-toi ensuite au travail avec joie, en chantant un cantique »; et après celle du soir : « Et puis, endors-toi vite et dors bien. » Que c’est beau!

4. Comment conclure?🔗

Les réformateurs ont-ils été des hommes parfaits? Non, naturellement; et certains se plaisent à collectionner leurs erreurs. Mais à partir de l’Écriture à laquelle ils se sont volontairement soumis, et autour de la personne de Jésus-Christ de qui tout découle et pour qui tout doit être fait, ils ont tout à la fois restauré la vraie dimension de la grâce et celle de la responsabilité de chacun (et de tous), là où Dieu l’a placé. Ces deux mots résument la Réforme! Cela est indémodable.

En pensant à aujourd’hui, je songe au dialogue difficile, par exemple, entre les Églises établies et les Églises de maison. Un vrai défi. Souvent, un manque de discipline ici comme là, mais pas sur les mêmes points. Une vraie interpellation mutuelle serait souhaitable, afin que les forces se conjuguent au lieu de s’épuiser mutuellement. Soyons, les uns et les autres, d’humbles et courageux serviteurs du Seigneur, à son écoute, à son école.

Notes

1. Il ne s’agit pas d’une humilité qui détruit, mais d’une humilité qui rend dépendant du Seigneur, dans l’obéissance de la foi. Luther dit qu’il a cru devenir fou alors qu’il cherchait à comprendre la doctrine de la prédestination, jusqu’à ce qu’il accepte qu’il n’est pas sage de chercher à connaître ce qu’il n’a pas plu à Dieu de révéler. Quelle différence avec la posture intellectuelle de nombreux pasteurs et théologiens qui s’affranchissent de toutes limites sous le prétexte qu’ils ont à leur disposition les outils des sciences humaines. Ils regardent les auteurs bibliques de haut, en s’appuyant sur les dernières trouvailles de la psychanalyse ou de la sociologie.

2. Entre 1933 et 1938, en France, les débats autour de l’unité de l’Église réformée se sont notamment formulés autour de cette question : La foi avec les doctrines ou la foi sans les doctrines? Le pluralisme l’a emporté, faisant des doctrines au mieux une réalité seconde, au pire une réalité néfaste.

3. On pourrait parler pendant des heures du souci pastoral des réformateurs. Je veux simplement mentionner l’importance primordiale que représentait pour eux la pédagogie, c’est-à-dire la manière par laquelle les vérités les plus importantes de l’Écriture doivent parvenir aux membres de l’Église de telle sorte qu’ils puissent les comprendre et les mettre en pratique.

4. Une des préoccupations de Calvin fut la discipline pastorale, notamment autour de la Cène, nous l’avons déjà vu. On le voit dans cette citation : « Le principal ordre qui est requis et duquel il convient d’avoir la plus grande sollicitude, c’est que cette sainte Cène, ordonnée pour conjoindre les membres de notre Seigneur Jésus-Christ avec leur chef et entre eux-mêmes en un corps et un esprit, ne soit souillée et contaminée, si ceux qui se déclarent et manifestent par leur méchante et inique vie n’appartenir nullement à Jésus viennent à y communier. » On voit bien ici que Calvin n’entend pas lire le secret des cœurs, ce que Dieu seul peut faire, mais s’en tenir à ce qui est manifeste. C’est le fameux « jugement de charité », qui ne consiste pas à fermer les yeux, mais à s’en tenir à ce que la personne déclare, tant que sa conduite ne manifeste pas le contraire.