Cet article a pour sujet la prédication des prophètes de l'Ancien Testament, la manière dont ils ont communiqué leur message, leur lien avec la loi, leur enseignement sur Dieu, la rédemption, le sacrifice et l'éthique.

Source: La proclamation de l'Évangile. 12 pages.

La prédication prophétique dans l'Ancien Testament

  1. La manière dont les prophètes ont communiqué leur message
  2. Le lien entre les prophètes et la loi
  3. L’enseignement des prophètes au sujet de Dieu
  4. Le thème de la rédemption
  5. Le salut par le sacrifice
  6. L’enseignement éthique des prophètes
  7. Conclusion

La prophétie conçue en premier lieu — sinon exclusivement — comme prédiction a toujours été une idée très courante. Le prophète était l’homme d’une vision spirituelle plongée dans un avenir que ne pouvait apercevoir l’œil humain. L’intérêt populaire pour la prophétie consiste surtout à vouloir discerner à tout prix les choses à venir. Étant donné qu’elle traite en grande partie du Royaume de Dieu, l’intérêt que porte le peuple évangélique à ce secteur des Écritures de l’Ancien Testament est dû à ce qu’il est lié à l’achèvement de ce Royaume lors du retour de notre Seigneur Jésus-Christ.

Ainsi, en tant que révélation du dessein du Tout-Puissant en ce qui concerne l’avenir, la prophétie est devenue la préoccupation majeure de l’Église. Contrairement à ceux qui nient l’aspect prédictif de la prophétie parce qu’ils refusent de reconnaître le principe surnaturel de la révélation que Dieu donne de sa personne dans les Écritures, nous acceptons pleinement cet aspect-là. Assurément, la prédiction constitue une partie très importante de la prophétie. En effet, les prophètes de l’Ancien Testament ont prédit l’avenir avec tant de détails que toute idée d’une divination rusée doit être exclue. Des références précises et la mention de noms (par exemple dans celle d’Ésaïe au sujet de Cyrus au chapitre 45) doivent exclure tout soupçon du discours prophétique. Celui-ci n’a jamais été prononcé a posteriori.

Et dans la mesure où la prophétie de l’Ancien Testament est de caractère messianique — « le témoignage de Jésus est l’esprit de la prophétie » —, nous sommes en droit d’attendre des références explicites à l’avènement et au ministère du Christ. Selon l’apôtre Pierre :

« Les prophètes, qui ont prophétisé touchant la grâce qui vous était réservée, ont fait de ce salut l’objet de leurs recherches et de leurs investigations, voulant sonder l’époque et les circonstances marquées par l’Esprit de Christ qui était en eux, et qui attestait d’avance les souffrances de Christ et la gloire dont elles seraient suivies » (1 Pi 1.10-11; voir également l’interprétation que notre Seigneur donne en personne aux écrits de l’Ancien Testament dans Lc 24.26-44).

Les prophètes de l’Ancien Testament ont été oracles-prédicateurs de la croix et de la gloire du Christ de Dieu comme résultat de cette même croix.

Néanmoins, la prédication des prophètes de l’Ancien Testament n’était pas une sorte de lecture dans une boule de cristal et encore moins les émanations de médiums spirites. Leurs prédictions renfermaient une très haute morale. Ils ne se sont jamais occupés de trivialités, même si une grande partie de leur discours contre Moab, Ammon et Édom peut paraître inactuel à des lecteurs modernes superficiels. Ils s’adressaient toujours à la conscience de leur auditoire, jamais à leur curiosité.

À travers toutes leurs prophéties se dessine clairement une intention hautement spirituelle et morale. Ils parlent pour Yahvé-Dieu. Qu’ils appartiennent à la catégorie des prophètes exiliques ou post-exiliques, ils se considèrent tous comme des oracles, des porte-parole de Dieu, tant pour leur propre génération que pour celles à venir. Ils avaient un message ou des messages à délivrer qui sont d’actualité pour tous les hommes et jusqu’à la fin des temps. Bien que datés — car ils ne prêchèrent pas dans le vide historique —, les principes de la providence divine s’appliquent à toutes les époques avec la même force.

Ils étaient chargés de transmettre un message dans le cadre historique de leur propre époque, lequel — du fait de son caractère messianique — s’applique parfaitement à la nôtre. Les prophètes ont très certainement été des prédicateurs.

Quelles sont les notes dominantes de leur discours et comment celui-ci s’applique-t-il aux temps modernes? Étant donné que selon 1 Pierre 1.10-11 et Luc 24.44 le noyau de leur prédication est de nature messianique, nous comprenons l’intérêt que l’Église de Dieu a porté à leur message, que même les Évangiles du Nouveau Testament n’ont pas rendu caduc. Cet intérêt est éternel, puisque les anges se servent des prophéties évangéliques comme d’un manuel d’étude! (1 Pi 1.12). Ils sont les porte-parole du Dieu qui ne change pas. Les règles par lesquelles il gouverne et dirige les nations et les personnes, ainsi que les principes de sa providence, demeurent fondamentalement les mêmes. Par conséquent, le discours moral et spirituel des prophètes de l’Ancien Testament revêt encore de nos jours une importance capitale.

En étudiant dans notre article la prédication des prophètes de l’Ancien Testament, nous examinerons la manière dont ils ont pu transmettre leur message (ce qui est toujours d’une grande importance dans une prédication) aux hommes de leur époque. Nous examinerons de même, dans une certaine mesure, ce qu’a été leur discours, unique et divers à la fois. En leur qualité de porte-parole de l’Éternel, ils n’ont pas seulement parlé pour Dieu, mais aussi de Dieu et à son sujet. Ils ont développé la révélation du Dieu d’Israël qui se trouve tout d’abord dans la loi de Moïse (Torah). Ils ont également justifié les voies de Dieu avec les hommes, défendant sa justice et sa vérité. Mais ils ont aussi proclamé sa puissance et notamment sa grâce. Ils sont essentiellement évangéliques, car ils annoncent une bonne nouvelle (voir És 40.9).

1. La manière dont les prophètes ont communiqué leur message🔗

Ceci est d’une importance primordiale étant donné que la prophétie de l’Ancien Testament n’est pas une affaire secrète, dissimulée à l’esprit des hommes comme les sceaux de l’Apocalypse de Jean, mais une prédication devant des particuliers ou des groupes, d’une importance morale et spirituelle tout à fait essentielle, chargée de destinée, requérant une action ou une réaction immédiate.

Parfois, ils se sont adressés à des individus : rois, prêtres, etc. (des gens représentatifs), ailleurs, à des communautés et à des nations, y compris les nations étrangères à Israël. Il était donc impératif de transmettre le message à ceux à qui il était destiné. Il était de la plus haute importance que ce message trouvât son chemin vers ses destinataires.

Lorsque le message était destiné à un particulier, le prophète l’adressait soit personnellement soit à travers quelqu’un qu’il choisissait comme son porte-parole, par exemple Ésaïe s’adressant au roi Ézéchias ou Baruch transmettant le message de la condamnation de Jérusalem prononcée par Jérémie (Jr 36.4-8), ou encore Amos prononçant son message contre le royaume d’Israël aux gens assemblés autour du Temple et s’opposant aux faux prophètes (là où des siècles plus tard le Seigneur lui-même délivrera son message).

Les gens venaient aussi à l’occasion vers le prophète reconnu, par exemple dans le cas d’Ézéchiel dans l’exil (Éz 20.1) ou vers Zacharie durant la période post-exilique (Za 7). Il faut souligner que toutes les mesures furent prises pour que le peuple entende le message proclamé. Qu’ils aient voulu l’entendre et surtout obéir est une autre affaire. Certains l’ont pris à cœur pour s’amender de leur mauvaise conduite. D’autres se sont intéressés uniquement à l’éloquence de l’homme. La vaste majorité a refusé d’obéir et s’est dressée contre le prophète (Jr 44.15-19). Mais personne ne pourrait accuser les prophètes d’avoir dissimulé le message ni même de l’avoir marmonné dans leur barbe! Bien au contraire, ils ont tous élevé la voix comme un clairon, soit pour montrer au peuple de Dieu ses iniquités, soit pour proclamer « l’année de grâce du Seigneur ».

2. Le lien entre les prophètes et la loi🔗

Pour avoir une juste perspective des choses, nous devons considérer aussi bien le lien unissant les prophètes à la loi. Les prophètes auteurs comptent beaucoup pour le développement considérable de la révélation de Dieu sur sa personne. Mais, malgré ce développement, les prophètes n’ont pas été un nouveau commencement surpassant la loi (Torah). Ce serait une grave erreur que d’opposer les prophètes à la loi, car ils ne sont pas venus pour abolir celle-ci, mais pour l’établir. Ils ont été évangéliques et non pas légalistes. On ne trouve pas non plus chez eux la moindre trace d’antinomisme (opposition à la loi), car les prophètes et la loi s’accordent parfaitement. On ne peut pas dire davantage que les prophètes se soient opposés à la loi cérémonielle. Il est vrai qu’ils dénoncèrent en termes clairs et rudes l’attention superficielle et méticuleuse portée aux détails des sacrifices rituels, tandis que l’essentiel était négligé et même carrément rejeté : à savoir le jugement, l’alliance, la loyauté et la foi (És 1).

Ainsi que nous le verrons, les prophètes ont été imprégnés du même esprit zélé pour la justice, la vérité, la sainteté, la miséricorde et l’amour que celui inculqué par la loi de Moïse. Sans amoindrir leur accent évangélique, ils ont proclamé la loi, en lui reconnaissant toute son autorité. Malachie, le dernier des prophètes-écrivains — lui-même post-exilique — parle au nom de tous lorsqu’il écrit à la fin de son livre : « Souvenez-vous de la loi de Moïse mon serviteur, auquel j’ai prescrit en Horeb, pour tout Israël, des préceptes et des ordonnances. » (Ml 4.4). Moïse le législateur et Élie le prophète apparaissent ensemble dans ce dernier passage concluant l’Ancien Testament, de même qu’ils apparaîtront sur la montagne de la transfiguration.

Loin d’être antagonistes, la loi et les prophètes se trouvent en harmonie. Ils cherchent ensemble à promouvoir la gloire de Dieu et à déclarer son conseil éternel, enracinés sur le même fondement éthique et proclamant le même Évangile. C’est Yahvé, inchangé et immuable, qui se trouve derrière les uns et les autres. Les prophètes ont développé le message contenu dans la loi. Ils ne l’ont pas annulé.

3. L’enseignement des prophètes au sujet de Dieu🔗

Non seulement les prophètes avaient reçu un message de la part de Dieu (combien souvent nous les entendons prononcer ce célèbre « Ainsi parle l’Éternel »), mais ils avaient aussi un message au sujet de Dieu. Ils proclamaient le Dieu d’Israël, ce qu’il est et quel est son caractère. L’être même de Dieu est d’une importance capitale pour la proclamation prophétique.

Ce Dieu est un Dieu personnel. Il n’est pas une idée abstraite, un élan vital, ou encore « l’être en profondeur », quelle que soit la signification de ces diverses expressions modernes. Tout en n’étant pas un être corporel — puisque Dieu est Esprit —, il est représenté comme un Dieu ayant une volonté, un dessein, des sentiments et une pensée. Avec le secours d’anthropomorphismes, la vérité de Dieu atteint l’homme de la rue, à Jérusalem ou à Samarie (après tout, selon la Torah, l’homme n’était-il pas fait à l’image de Dieu?). Mais le Dieu qu’Israël adorait et servait est infiniment plus que l’homme. Si l’homme est une personne, le Dieu dont il porte l’image est une personne à un degré infini.

L’une des vérités les plus importantes proclamées par les prophètes au sujet de Dieu est sa souveraineté. Cet attribut est lié à la conception monothéiste de la divinité, et certains l’estiment comme l’une des plus essentielles découvertes des prophètes d’Israël des 8e et 7siècles (nous en parlerons davantage plus loin).

Le Dieu que proclamèrent les prophètes est certainement celui qui se tient au-dessus de tous, éternellement béni. Il n’a ni égal ni rival. Il connaît la fin depuis le commencement, car c’est lui qui a conçu toutes choses (És 40.18; 45.18). Aussi, la prédication prophétique ne connaît pas d’élément manichéen (dichotomiste). « Il est le Dieu tout-puissant et souverain » faisant sa volonté dans les armées des cieux et parmi les habitants de la terre, ainsi que l’orgueilleux Neboukadnetsar de Babylone le découvrit à travers une amère expérience (Dn 4; voir aussi És 40.22). Lui seul détient les pouvoirs pour mener les desseins à leur fin en tant que le tout-puissant Yahvé. Les dieux des païens, qui tiennent une si grande place chez leurs adorateurs égarés, ne sont en réalité que des petits soldats de plomb avec une apparence militaire, des petits jouets de petit garçon!

Parmi les autres attributs de Yahvé portés à la connaissance des nations se trouve aussi son unicité. Lui seul est le Dieu vivant et vrai.

La nature monothéiste du Dieu d’Israël est considérée comme la plus grande contribution que les prophètes-écrivains aient apportée. Bien que le développement de cette révélation chez les prophètes ne fasse pas de doute, on ne peut pas considérer celle-ci comme une révélation totalement nouvelle. Il s’agirait plus de monolâtrie — culte unique — que de monothéisme. La Torah invitait Israël à n’adorer que le Dieu de l’alliance, celui qui les avait délivrés de la servitude égyptienne et conduits comme son propre peuple dans la terre promise.

Il était donc dans l’obligation de n’adorer que Yahvé et de le servir sans se prononcer sur l’existence d’autres divinités. Mais le « shema » de la Torah, le « Écoute ô Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur » (Dt 6.4), indique encore davantage l’existence solitaire de l’unique Dieu vivant et véritable, avec sa juridiction et sa souveraineté non seulement au-dessus d’Israël, mais encore sur la terre tout entière. Ceci est une vérité importante et sublime que les prophètes ne cessent de proclamer toujours à nouveau.

Les prophètes souligneront la sainteté de Dieu comme le principal de ses attributs. Elle est déjà présente dans la loi lorsque celle-ci met l’accent majeur sur la présence sacro-sainte de la nature de Dieu. Moïse reçoit devant le buisson l’ordre d’ôter ses souliers, car « l’endroit où il se tient est un lieu saint » (Ex 3.5). Au Sinaï — la montagne où Dieu en personne est descendu —, il s’est isolé de tout contact avec les personnes (et même avec les animaux) non autorisées, avec les sanctions les plus graves pour quiconque transgresserait l’ordre (Ex 19.12-21).

Bien qu’il ne soit pas aisé de définir cette sainteté de Dieu, il est clair qu’il est le Tout Autre, séparé non seulement des pécheurs, mais même des « saints ». Ésaïe nous apparaît comme le plus profondément impressionné par cette qualité de l’Éternel. Depuis le début de son ministère et la réception de sa vocation de prédicateur (voir la vision qu’il a eue de Dieu, dans le Temple, comme du « trois fois saint Yahvé », És 6), le prophète n’a jamais oublié que celui qui reçoit les louanges d’Israël est saint et qu’il doit être approché avec respect et crainte par tous ceux qui l’adorent dans l’humilité et la repentance. C’est là un aspect important du caractère de Dieu dont certains adorateurs modernes, légers et superficiels, devraient se souvenir.

Si l’assurance hardie que nous avons pour nous approcher de lui nous a été acquise — et elle est réelle pour tous ceux qui sont réconciliés avec lui à travers Jésus-Christ —, elle doit être aussi une assurance sainte.

Dans la révélation qu’ils donnent du Dieu à qui Israël aura affaire, les prophètes proclament aussi sa bonté, son amour et sa miséricorde.

Le Dieu d’Israël n’a rien d’une divinité dure et austère. Il est celui qui fait preuve de longanimité, « lent à la colère et riche en bonté et en miséricorde », comme le disent les Psaumes. Yahvé est un Père pour Israël, et Israël son fils premier-né. Ceci devient clair notamment à partir de l’Exode. La grâce imméritée et la fidélité à l’alliance (« hesed ») du Dieu d’Israël sont le sceau que revêtent tous ses rapports. Ces thèmes reviennent constamment sous la plume prophétique, qui démontre également — et de façon fort claire — que l’amour de Dieu n’est pas un amour faible excusant les aberrations de la conduite d’Israël. Le pardon ne s’effectue pas par un simple « fiat » de sa volonté divine. Ce pardon a un prix, et ce prix, le récipiendaire de la grâce est incapable de le payer. Ceci conduit vers la rédemption, qui se trouve au cœur même de la prédication prophétique et qui mérite un examen à part. Elle est centrée sur le thème principal de cette proclamation : Les souffrances du Christ et la gloire qui devait s’en suivre. Il faut souligner à cet endroit de la prédication prophétique la note de bonté, d’amour et de grâce envers Israël non méritant. Quelle différence entre le Yahvé des prophètes de l’Ancien Testament et les Baals des Cananéens ou l’Allah des musulmans!

Cet aspect du caractère de Dieu est en général présent chez les prophètes et est prédominant chez Ésaïe, par exemple à partir du chapitre 40. Le caractère d’amour et de grâce de Yahvé, le Dieu d’Israël, ressort avec force et clarté chez le prophète Osée. Celui-ci apparaît comme le prophète par excellence de la « hesed », la fidélité miséricordieuse, celle de l’Alliance, ensemble subtil de bonté aimante et pleine de grâce, de fidélité à toute épreuve envers les obligations de l’alliance de celui qui ne peut pas se renier. Comme l’époux maltraité de la prophétie autobiographique d’Osée est disposé à reprendre son épouse infidèle, ainsi Yahvé est prêt à recevoir dans une relation conjugale l’épouse adultère qu’est Israël. Tout ce livre, notamment le chapitre 2, le fait clairement ressortir. Le sommet est atteint au chapitre 14.4. Comment Dieu peut être plein de miséricorde, pardonnant le pécheur tout en respectant son caractère de justice et de sainteté, comment il peut être à la fois juste et justifier l’inique, est une question qui n’est pas évitée par les prophètes. La réponse contient tout le problème de la rédemption, thème prédominant chez les prophètes et d’une importance vitale à leur proclamation. Cet aspect de leur message nécessite un examen à part et nous allons y procéder maintenant.

4. Le thème de la rédemption🔗

Le message concernant la rédemption est tout à fait capital dans la prédication des prophètes. Il apparaît à partir de l’Exode et s’associe au « nouveau nom » dont l’importance a été révélée à Moïse et prouvée lors de la délivrance d’Israël du cruel joug égyptien. Jusque-là, l’intérêt d’El Shaddai envers Israël était plutôt celui d’une providence veillant sur ce peuple. À partir de l’Égypte, il prend la forme de la libération du mal. Cette libération s’étend tout au long de l’histoire, sans se limiter à la seule délivrance d’Égypte qui, par la suite, deviendra le critère de la rédemption, jamais oubliée par la nation et constamment rappelée par les prophètes.

L’activité rédemptrice de Dieu apparaît tout au long de l’histoire d’Israël. Ce besoin remonte aux nombreuses trahisons et infidélités d’Israël dont témoignent les interventions successives de Dieu tout au long du livre des Juges. Mais les prophètes-écrivains ont vécu à une époque où la menace de tyrans mus par leur ambition d’étendre les limites de leur territoire planait obscurément sur Samarie et Jérusalem, atteignant son sommet lors du premier exil du Royaume du Nord et des crises répétées de Juda et Jérusalem sous le joug de l’Assyrie, de l’Égypte et de Babylone aboutissant à la captivité babylonienne. C’est au milieu de ces crises que les prophètes Ésaïe, Jérémie et Ézéchiel exercèrent leur ministère. Sans minimiser la faute d’Israël, qui suscita l’épée assyrienne ou celle de Babylone, les prophètes déclarèrent aussi l’intervention divine lors des délivrances opérées par sa grâce après le châtiment amenant la repentance et la conversion du peuple.

Les crises qui attiraient le jugement et nécessitaient la délivrance étaient de nature spirituelle et non pas de nature politique. Ce n’était pas parce qu’Israël était un minuscule état placé entre des empires rivaux qu’il était inévitablement destiné à être soumis à l’un ou à l’autre. Ce n’est pas parce qu’il était tiraillé entre des antagonistes impérieux tels l’Assyrie ou la Chaldée qu’il fut envahi. La raison de l’invasion d’Israël n’était autre que son rejet de Yahvé et l’abandon de l’alliance et des obligations qui en découlaient; l’idolâtrie et les nombreuses transgressions de la loi, particulièrement — quoique non exclusivement — celles de la seconde table.

La rédemption d’Israël n’était pas tout d’abord la libération d’un joug politique, mais, comme lors de la première libération de l’Exode, une délivrance par rapport au pouvoir du péché et de la corruption. La nation tout entière était réprimandée toujours à nouveau pour avoir cherché à résoudre ses difficultés par de vaines alliances politiques, au lieu de se repentir de ses égarements et de se convertir en vue d’une nouvelle obéissance (És 30). La nature morale et spirituelle des crises et la nature morale et spirituelle de la rédemption sont des aspects hautement soulignés dans les écrits prophétiques. Le péché est le problème capital, et la rédemption ne s’effectue pas par une action politique ou sociale, mais par un acte gracieux de l’intervention divine.

Cette note d’espérance, nullement due à des lunettes roses et qui ne fait pas abstraction du côté sombre de la réalité, est l’un des aspects les plus élevés de la prédication prophétique. En évitant le pessimisme occasionné par l’échec des solutions politiques ainsi qu’un espoir aveugle en un Israël considéré comme le peuple favori de Yahvé à cause de l’alliance (mais oublieux des conditions de l’alliance), les prophètes proclamèrent la grâce de Dieu qui non seulement pardonnait librement le péché, mais allait même surmonter l’opiniâtreté coupable du cœur rebelle. Cette note d’espérance est entendue encore de nos jours à travers le message des grands prophètes de l’Ancien Testament. Et elle est d’autant plus indispensable de nos jours à une génération où l’espérance fait cruellement défaut.

5. Le salut par le sacrifice🔗

La proclamation de la rédemption est étroitement liée à celle du sacrifice et de l’expiation. Il n’y a pas de salut sans que le prix de celui-ci soit payé. Le pardon n’est pas offert par un simple « fiat » de la volonté divine. Il s’effectue par le sacrifice et sera conditionné par la repentance et la foi. Sous sa forme rituelle, la loi inculquait la leçon selon laquelle il n’y a pas de rémission des péchés sans effusion de sang.

Les prophètes prirent à leur compte cette position et l’élaborèrent (voir la lettre aux Hébreux dans le Nouveau Testament). Le sang capable d’expier le péché doit être d’une origine plus noble que celui des taureaux et des boucs. Le sacrifice qui opère l’expiation à la place du pécheur est infiniment supérieur à celui des animaux. Ces derniers indiquent simplement la direction vers le Serviteur, Fils de Yahvé en personne. Ainsi que l’écrit l’apôtre Pierre, dans le texte auquel nous avons déjà fait allusion, les prophètes rendirent à l’avance témoignage aux souffrances du Christ. Ceci n’apparaît nulle part aussi clairement révélé chez les prophètes que dans le chapitre 53 d’Ésaïe. Avec une clarté et des détails que n’aurait pas démentis un témoin oculaire, le prophète évangélique par excellence relate les souffrances vicariales du Serviteur et la réconciliation avec Dieu qui en découle. Ce qui n’est pas un cas isolé dans l’Ancien Testament. Les Psaumes, de leur côté, attestent l’apparition du Sauveur souffrant, notamment le Psaume 22.

La croix du Christ est prééminente dans la prédication des prophètes. Ils proclament assurément un Messie victorieux et royal, mais tout d’abord celui dont la victoire sera remportée au prix de souffrances et d’une mort librement consentie. Ils ne le proclament pas comme la victime impotente des circonstances, mais comme la victime expiatoire. Tel est le véritable agneau de Dieu qui, par le sacrifice de sa personne, doit ôter le péché du monde. Les prédicateurs apostoliques du Nouveau Testament n’ont eu aucune peine à soutenir leur Évangile du Messie souffrant de manière vicariale, en se référant aux écrits prophétiques de l’Ancien Testament.

En proclamant « la gloire qui devait suivre les souffrances du Messie », les prophètes exposèrent leur vision de l’ordre nouveau, celui d’une théocratie parfaite qui n’avait pas encore été réalisée, même sous le règne et l’âge d’or davidique ou les premiers temps de Salomon ni encore sous Ézéchias ou Josias en dépit de leurs réformes et renouveaux. Ils proclament le Royaume de Dieu qui forme une partie intégrante de l’Évangile du Nouveau Testament.

Depuis la prédication du dernier des prophètes de l’Ancien Testament jusqu’à Jean le Baptiste, à celle de Jésus en personne et des apôtres, l’immense espérance d’une nouvelle vision de la gloire à venir — quand toutes les choses seraient renouvelées — remplit le cœur du peuple de Dieu.

Ceci est représenté dans le langage prophétique en général, tant par les prophètes préexiliques que par les prophètes post-exiliques (Osée, Michée, Zacharie). On doit cependant avouer que la prophétie de la gloire à venir d’Israël a été conçue par certains de manière littérale et qu’elle constitue la base de la restauration future d’Israël en tant que nation. Sans refuser d’y voir une référence première à Israël « selon la chair », nous préférons y voir la gloire supérieure et universelle du nouvel Israël, l’Église de Dieu.

6. L’enseignement éthique des prophètes🔗

On a reconnu depuis longtemps que la note éthique a été prédominante dans le discours prophétique des 9e et 8siècles. Certains vont jusqu’à soutenir que ce fut précisément là la contribution essentielle de la révélation de la volonté de Dieu. Cette accentuation morale serait une réaction contre la surévaluation du rituel sous la loi (même si, selon les critiques, le cérémonial élaboré date d’après l’exil, assertion qui, d’après moi, n’offre pas de sérieuses garanties). Il est vrai que les prophètes, par exemple Ésaïe 1.10-20, dénoncent le type de religion « opus operatum » (automatisme religieux ou du rituel) ou l’observation superficielle du rite divorcée de l’intégrité éthique. Une religion qui du point de vue rituel est correcte, mais qui — comme celle des pharisiens — est moralement défectueuse, est une abomination aux yeux de Dieu. Observer la loi cérémonielle et le sabbat tout en se comportant comme les habitants de Sodome et Gomorrhe était inadmissible pour Dieu qui préfère l’obéissance « aux parfums et aux sacrifices ».

Le culte acceptable consiste en la repentance, la foi et l’amour, avec toutes les œuvres bonnes de justice et de miséricorde qui en découlent (És 1.16-20, voir aussi És 58).

Ceci ne veut nullement signifier la répudiation de la loi sacrificielle. Il n’y a pas d’opposition entre le prophète et le prêtre. Au moins trois prophètes furent des prêtres : Jérémie, Ézéchiel et Zacharie. La loi dans toutes ses parties — y compris celle du tabernacle et du temple avec ses institutions — avait été définitivement établie. Mais la préoccupation excessive à satisfaire le Dieu d’Israël par de simples sacrifices était fausse. Une observation méticuleuse du rituel détachant la conformité éthique de la loi morale était inacceptable aux yeux de Dieu. Les prophètes ne s’opposaient pas aux exigences de sacrifice de la part de Dieu, mais ils étaient catégoriquement opposés à la satisfaction de ce qui n’était que forme extérieure, la pratique superficielle des rites, la recherche d’un culte du bout des lèvres tandis que « le cœur » n’était pas en règle avec Dieu et que les mains étaient rouges de sang innocent. L’apôtre Jacques fait écho à l’Ancien Testament quand il déclare que la véritable religion consiste « à visiter les orphelins et les veuves dans leurs épreuves et leurs afflictions et à se garder pur du monde » (Jc 1.27).

Cette accentuation de la nature éthique et du comportement moral n’était pas une nouveauté, car les prophètes de l’Ancien Testament se sont toujours placés sur le terrain des dix commandements prononcés sur le Sinaï. La deuxième table de la loi exigeait déjà à l’origine tout ce que réclamaient plus tard les prophètes : la justice, la miséricorde et l’amour. Les choses importantes de la loi, ainsi que le déclare Jésus en personne, sont ces trois qualités mentionnées. Tout ceci s’accorde avec le principe positif, fondamental, de la loi de l’amour envers le prochain comme le fruit de l’amour envers Dieu. Il est important de noter que le motif pour une conduite éthique en matière de justice sociale et de compassion n’est nullement d’inspiration humaniste, mais le fruit direct de la foi en Dieu et de l’amour envers lui.

Amos est le prophète généralement reconnu comme le champion de ce que l’on appellerait de nos jours « les droits de l’homme ». Néanmoins, il n’est pas une exception parmi les prophètes. Il prend la défense de l’étranger, de l’opprimé et des exploités d’Israël. Il dénonce violemment ceux qui vendent la justice pour de l’argent et le nécessiteux « pour une paire de chaussures » (Am 2.6-8). Il se prononce contre ceux qui piétinent le pauvre et pervertissent la justice en acceptant des pots-de-vin (Am 5.11-12). La vénalité — signe d’une société décadente — est spécialement condamnée, et par la loi et par les prophètes; l’homme juste renvoie ce genre de présents et secoue ses mains comme s’il tenait des serpents venimeux. L’absence de justice sociale et d’attention dans l’amour est aussi dénoncée (És 58.5-7; És 7.6-7; Ml 2.14).

Un autre mal dénoncé par les prophètes est un certain mode de vie luxueux et égoïste. Amos désapprouve une société dans laquelle, négligeant les lois de Yahvé, le riche s’enrichit toujours plus et le pauvre s’appauvrit toujours davantage. S’ils avaient obéi aux dispositions du système du défenseur Goel (Lv 25.47) et à l’observation des années sabbatiques pour le jubilé de la terre, cet abus n’aurait pas eu lieu. Mais ils se sont enfoncés dans un mode de vie d’un luxe inouï, se couchant dans des lits d’ivoire recouverts de tissus précieux, mangeant les agneaux du troupeau et les veaux des étables, chantant au son des violes et se parfumant avec des parfums coûteux, buvant tellement de vin que les tables à manger étaient couvertes de vomissures, sans jamais s’attrister des torts portés aux autres (Am 6.4-6; És 28.7-8). Efféminés, pseudo-esthètes, s’offrant toutes les licences et dépourvus de sentiments, ils se vautraient dans toutes les licences « tandis que brûlait Sion ».

Ésaïe s’élève, lui aussi, contre la vanité, l’orgueil et la manière de vivre dans le luxe des dames de Jérusalem, vêtues de soieries, couvertes de joyaux et parfumées avec des cosmétiques pour éveiller la sensualité. Le prophète inventorie en détail les accessoires des femmes (És 3.16-24).

Ce fut là leur erreur. L’Écriture n’interdit et ne s’oppose pas à ce qu’on apprécie l’esthétique développée dans la culture ni à la culture comme telle, mais elle s’oppose au laxisme moral et à la rapacité. Ces gens prospéraient aux dépens du pauvre, menant un train de vie somptueux, vêtus chaque jour d’écarlate et suivis d’une légion de laquais, tandis que leur frère Lazare, torturé par ses ulcères, mourait de faim au seuil de leur palais. L’alliance fraternelle était totalement hors de question. Les rois, qui auraient dû fonctionner comme des bergers du troupeau de Dieu, au lieu d’agir en pasteurs, s’intéressaient plutôt à tondre les moutons et à vendre le bétail (Éz 34.2-3; Za 11.16). Dieu les avait pourtant désignés comme chefs, conducteurs de son peuple, bergers établis sur le troupeau pour le bien-être et la protection de ce dernier, non pour l’exploiter.

Une telle insistance sur les droits de l’homme était orientée vers Dieu. Elle ne devenait jamais un anthropocentrisme comme c’est le cas de nos jours. Les prophètes ne sont pas des bienfaiteurs humanistes. Leur motif premier et profond est la gloire de Dieu. L’accomplissement des commandements de la seconde table était étroitement lié à l’observation de la première table de la loi. Les droits de l’homme ne sont pas des principes autonomes s’authentifiant eux-mêmes, mais ils sont enracinés dans la loi de l’alliance et inspirés par Dieu. Pour les prophètes, la religion et la morale ne sauraient être séparées, d’où leur insistance religieuse sur tous les points.

S’ils dénoncèrent l’injustice sociale, ils pourfendirent aussi l’idolâtrie, ce péché constant et familier d’Israël d’avant l’exil. Dans l’ensemble, ils condamnèrent l’idolâtrie de manière draconienne, comme le firent Ésaïe, Jérémie et Ézéchiel. Ézéchiel expose de manière imagée le culte secret des dieux étrangers dans l’autel même voué au culte exclusif de Yahvé (Éz 8.5-18). Jérémie condamne le culte voué à « la reine des cieux » par les femmes de Jérusalem encouragées par leurs époux. Nulle part peut-être l’idolâtrie n’est raillée avec un sarcasme aussi violent et une logique aussi rigoureusement implacable que par Ésaïe, au chapitre 14. Après avoir utilisé une partie du bois de l’arbre pour se chauffer et pour cuisiner, le pauvre adorateur égaré prend les restes du morceau de bois, les taille, en fait un Dieu et se prosterne devant ce morceau de bois inerte. Est-ce ce Dieu-là qui aurait délivré Israël dans le passé ou qui pourrait le délivrer de ses maux présents? Voilà la folie d’une telle religion, dépendante de dieux aveugles, sourds et inertes.

La condamnation du péché s’introduit dans la prédication des prophètes non seulement comme un complément à leur message, mais de manière prééminente et résolue. Certes, ils ne dénoncèrent pas avec plaisir, comme en témoignent les larmes de Jérémie sur la fin catastrophique et imminente de Jérusalem. Ils cherchaient à mettre le péché à jour, sans rien laisser dans l’obscurité. Ils refusèrent de gloser sur le péché du peuple, et plus particulièrement sur celui des chefs. Comme dans le cas de tous les témoins fidèles, ils souffrirent la persécution, la prison et parfois même la mort. Mais ce « sort » ne les empêcha pas de s’attacher au commandement de Dieu, de « crier haut et de ne pas épargner, d’élever la voix comme un clairon montrant au peuple ses transgressions et à la maison de Jacob ses péchés » (És 58.1). Ézéchiel reçoit l’ordre d’agir « que le peuple veuille l’entendre ou non ». La recherche de la véritable cause du mal précède toujours la tentative de guérison. Le diagnostic précède la thérapeutique. Autrement, le traitement ne touche que la surface de l’endroit ulcéreux, tandis que la contagion mine et infecte les parties invisibles. Les prédicateurs modernes feraient bien d’apprendre ces leçons des prophètes du passé.

Cependant, les prophètes n’ont pas fait que condamner le péché dans sa forme de fausse religion, de culte païen, ou dans le comportement antisocial et les transgressions du commandement de la loi. Ils ont aussi proclamé les sanctions de Yahvé contre les aberrations morales et religieuses. Et ce sont là des sanctions qui portent, car il ne s’agissait pas de simples menaces de la part d’une divinité impotente et sans pouvoir de les mettre à exécution. Il y a éclairs et tonnerres dans les discours prophétiques. Le jugement est l’œuvre étrange de Dieu. Ézéchiel écrit que « Dieu ne prend pas plaisir à la mort du méchant » (Éz 33.11). Ses dénonciations cherchent la repentance du malfaiteur et sa conversion.

Mais les prophéties sont aussi tissées de menace, et les jugements sont exécutés non seulement en Israël, mais aussi chez ses voisins. Les jugements de Dieu sont justes « car le juge de la terre tout entière agira avec justice ». « Néanmoins, le Dieu juste et saint est celui qui prend plaisir à la compassion. » La repentance, bien qu’elle ne mérite pas le pardon et la restauration, est la condition préalable au pardon et à la réconciliation (És 55.7). Ce même principe évangélique s’exprime chez tous les autres prophètes.

7. Conclusion🔗

Cette étude sommaire veut faire ressortir le fait que les prophètes d’Israël, qui avaient nombre de choses à dire aussi bien à Israël qu’aux nations l’environnant, avaient un message tout à fait homogène. Il résulte d’une conscience du Dieu d’Israël, de Yahvé, qui s’est révélé aux patriarches comme étant le Législateur, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, celui de Moïse et de l’Alliance sur Horeb. Quoique leur principal devoir fut celui d’exposer et de condamner soit la nation soit les particuliers, il était surtout une préface à la repentance. Ils cherchaient la conviction jaillissant du cri d’agonie : « Que dois-je faire pour être sauvé? » et de la décision de se repentir : « Venez, retournons vers le Seigneur, car il a déchiré, mais il guérira. » (Os 6.1).

La tâche principale des prophètes dans leur prédication consiste à déclarer un Évangile de grâce rédemptrice par lequel la justice et la sainteté de Dieu sont sauvegardées, et la rédemption du pécheur assurée. En bref, ainsi que le déclare saint Pierre dans sa première lettre, le fardeau de la prédication prophétique fut un discours évangélique et messianique au plein sens de ces deux termes.